Emyr ne refusait que peu de choses à sa sœur lorsqu’il s’agissait de réunions familiales, qu’elles soient prévues de longue date ou totalement improvisées, même si l’envie lui manquait de se retrouver face à leur mère et ses exigences, celle-ci lui reprochant d’ailleurs de ne venir la voir presque uniquement quand ils étaient tous les trois.
Plus les années avançaient, et plus le cadet des Selwyn avait besoin d’air, mais toujours en prenant grand soin de ne pas le montrer. C’était plus difficile de ne pas afficher sa fatigue cependant, bien qu’il s’y astreignait également. Entre sa toute récente promotion à l'hôpital et l’habitude de se noyer dans le travail, la tâche était de plus en plus ardue.
Mais pour Aeres, il avait accepté de venir.

Alors, ses pas le portent le long du boulevard, avalant la distance à grandes enjambées rapides, pressées, surplombant la plupart des passants de sa stature qui, en public, jamais ne ployait.

A l’angle de la rue cependant, Emyr ralentit alors même que ses yeux glacés accrochent immédiatement la silhouette de sa sœur et son éclat. La voir, même de loin, force un sourire sur ses lèvres qui pourtant sont difficiles à étirer. Mais elle y arrivait toujours, sans effort.
Pourtant, il ne dure pas en constatant qu’elle n’est pas seule à l’attendre. Et à mesure qu’il se rapproche, son regard calme analyse la jeune femme qui se tient aux côtés d’Aeres sans laisser transparaître sa surprise et sa suspicion. Qu’avait-elle encore imaginé ?

- Mesdames, bonsoir. Vous êtes splendides.

Sa voix chaude contraste drastiquement avec son regard de glace, en particulier quand elle se teinte de tendresse fraternelle alors qu’il se penche pour embrasser délicatement le front d’Aeres, une main posée avec douceur sur son épaule. Quand il recule, son sourire est léger mais franc malgré la méfiance, alors que ses yeux coulent sur la jeune femme près d’eux pour incliner la tête poliment.

- Emyr Selwyn. Je n’ai pas souvenir de vous avoir rencontré auparavant. Je suis enchanté.

De nouveau, son regard se pose sur Aeres, et dans celui-ci, elle sera la seule à y déceler une pointe de sévérité, d’agacement et de reproches d’avoir été ainsi trompé.

- Et je vous prie d’excuser mon allure. Aeres ne m’avait pas dit que nous aurions une invitée.  

Faites qu’elles n’aient rien manigancé toutes les deux. Faites que ce ne soit qu’un hasard. Faites que cette réunion soit innocente. Faites d’Aeres ne nourrisse pas d’espoir qu’il n’est pas encore prêt à combler.

Un rire chaud et grave avait accompagné la remarque d’Aeres quant à son allure et il n’en fait pas grand cas, se contentant d'hocher la tête dans un geste qu’elle comprendrait comme étant un habituel “Tu n’es pas objective.” qu’il savait lui exprimer en silence.
De toute façon, ils n’avaient pas le temps de se battre et de débattre sur un des sujets où ils ne tombaient jamais d’accord, car sa grande-soeur présentait son amie avec sa douceur et sa chaleur qui la caractérisait tant, contrastant et malgré tout apaisant son petit frère qui incline à nouveau la tête.

Le nom de famille fait immédiatement écho dans les pensées d’Emyr, qui malgré tout reste impassible. La jeune femme était de sang-pur, évidemment. L’étau se resserrait mais il était hors de question, pour l’honneur et le respect, de leur fausser compagnie maintenant.
D’ailleurs, la dénommée Tiphaine semblait avoir noté sa surprise et ne voulait pas s’imposer. En réponse, Emyr avait lentement secoué la tête, tâchant de s’adoucir.

- Votre présence sera fortement appréciée, j’en suis sûr. Les amis d’Aeres sont toujours les bienvenus et notre mère sera ravie de vous rencontrer.

Et quand Aeres prend leurs bras à tous les deux pour transplaner, Emyr esquisse un sourire. S’il y a bien une chose qu’il appréciait dans le fait de devoir se rendre sur leur terre natale, c’était le fait que sa sœur ne puisse pas lui proposer de monter dans son horrible moyen de transport moldu.

Les pieds du plus jeune des Selwyn heurtent le sol avec maîtrise et habitude. Contrairement à sa sœur, c’était son moyen de transport préféré. D’ailleurs, il lui tient fermement le bras et jette un regard par dessus sa chevelure brillante pour s’assurer que leur invitée aille bien elle aussi.
Et à l’apparition de la mère, l’échine du fils se raidit presque instantanément. C’était ainsi, un vieux réflexe, une habitude ancrée. Il s’agace silencieusement d’imposer sa rigidité à leur invitée et se détend à peine quand la première glace a fondu. Il semble même apercevoir un regard envieux sur le présent qu’à apporter Tiphaine pour honorer l’invitation avec toutes les merveilleuses manières apprises aux filles et fils de sang-pur.

- Bonjour Mère. Vous êtes radieuse.

Le ton est neutre, ne trahissant ni animosité, ni chaleur. Elle ne dépose pas sa main sur sa joue comme elle le faisait lorsqu’elle était enfant. Elle gratifie son fils d’un signe de tête en leur faisant signe de la suivre.
Elle n’est pas surprise par la présence de Tiphaine, alors Emyr coule à nouveau un regard lourd de sous-entendu sur sa grande-sœur.

- Votre présence nous honore Miss Rosier, votre attention également. Venez. Ma fille, mon fils,suivez-moi. Le thé nous attend à l’intérieur.

Laissant passer les dames en premier, Emyr s’approche alors de l’héritière Rosier, et après l’avoir interrogé du regard, débarrasse délicatement Tiphaine du sac presque aussi luxueux que ce qu’il contient.

- Laissez-moi vous libérer les mains, Tiphaine. Aeres, tu devrais lui montrer rapidement la maison.

Ce qui ne devrait même pas être suffisamment long pour tenter de faire parler la matriarche quant à ses plans. Mais son regard insiste en se plongeant dans celui de sa sœur. C’est elle qui avait une invitée après tout.