De moi ?

Tu le fixes. Le voir douter et curieux réveille un appétit pour la torture. Tu hésites, souffles du nez, souris, balance la tête de droite à gauche, comme-ci tu hésitais.

— Allez savoir.

Tu reprends ton repas. Tu manges peu. Ton appétit se fait toujours timide lorsque tu te fais soucieux. Au moins, mange-t-il bien. Tu craignais de le voir mal à l'aise. Après le repas, Leslie propose que vous regardiez des vidéos. Tu n'es pas du tout coutumier de l'exercice, mais tu acceptes de te prêter au jeu. T'en profites, vos épaules se frôle, tu es obligé de t'appuyer un peu sur lui et de te pencher un peu pour observer l'écran du téléphone. Tu n'en dis rien, ne verbalises rien, préfères laisser ton estomac se tordre en silence. Tu es curieux de savoir, lui, comment il se sent.

Les vidéos sont parfois drôles, parfois attendrissantes. Certaines te font hausser un sourcil, Leslie à l'air d'avoir une appétence pour les choses étranges. Tu commentes une vidéo d'un créateur qui verse dans le mystérieux et l'horrifique. Tu te demandes si Saturday et Sunday produise ce genre de contenu, pour eux et leurs amis. Tu te laisses surprendre par le temps. Tu n'as pas vu l'heure passée.

— Vous pouvez dormir ici.

Il connaît les lieux et tu n'es pas sans gêne au point de le virer pour le caler dans l'ancienne chambre de Tuesday ou une quelconque chambre d'ami.

— Ne vous en faite pas pour moi, je peux dormir dans une autre chambre ou sur le tapis.

La vérité c'est que tu n'as aucune envie de le voir dormir dans un endroit où n'importe qui pourrait avoir la mauvaise grâce de lui rendre visite. Tu as une confiance toute relative en ta fratrie lorsqu'il s'agit de contenir sa curiosité. Tu te lèves ouvre ton placard pour en sortir sur l'étage un plaid qui a fait son temps et un cousin. Tu agites ta baguette pour qu'il s'étale sur le sol, jette l'oreiller à côté.

— Regardez, ce n'est pas bien sorcier.

Ton "lit", a une apparence déplorable, plus semblable à la place d'un chien qu'à celle d'un homme. Tu vas te casser le dos, même toi qui as proposé l'idée, tu regardes le rendu avec un certain scepticisme. Tu te racles la gorge, te tournes vers lui. Tu le surplombe, ses yeux sont d'une clareté sans pareille. Il commence à faire sombre, la nuit est chaude.

— Sauf si cela vous dérange que je reste dans la même pièce que vous, Leslie.

Et tu as secrètement l'envie de le voir secouer la tête.

Allongé à même le sol, tu contemples le plafond une expression tendue sur le visage. Tu as chaud, malgré le fait que tu te sois débarrassé de ton costume. Tu lui a tourné le dos quand tu t'es déshabiller. Autant pour ne pas voir ses réactions que pour les fantasmer. Tu regrettes ton bas de pyjama la bâtisse est vieille, vous êtes à l'étage et vous êtes deux. Il y a des nuits d'été où, avec Tuesday, vous déplaciez vous lit jusqu'à la fenêtre dans l'espoir de capter un filet d'air frais. Ce soir, ce n'est pas tant la chaleur qui t'indispose que la présence de Leslie. Tu as mal au dos, tu n'oses pas te tourner, ni bouger, de peur d'entendre le parquet grincer. Tu es incapable de trouver le sommeil, finis par insulter en silence tout ce qui passe à porter de pensé. Le plus insupportable, c'est le bruit sourd des battements de ton cœur qui bat des tempes.

Monday ?

Sa voix perce dans le noir. Tu tournes légèrement la tête, tu distingues la courbe de son dos sous la couette.

— Oui ?

Tu te redresses sur le coude, tu l'observes le t-shirt que tu lui as prêté qui colle à ses courbes. Est-ce une invitation ? L'estomac un peu plus en vrac, tu entrouvres les lèvres. Tu n'es pas stupide (tu n'as pas envie de l'être), il ne bougera pas d'ici, n'est-ce pas ? Tu hésites, trop conscient des événements du placard, trop pétrifié de t'imaginer ce qui n'existe sans doute pas. Dans ton esprit, se mélangent les moments intimes et trop explicites que vous avez partagés et Thursday. Il se passe quelque chose entre vous. Il se passe aussi quelque chose entre eux. Merde.

Le parquet grince quand tu soulèves ton corps pour te mettre debout. Il grince davantage quand tu t'approches, soudain malhabile, idiot. Ton lit te semble minuscule et tu as l'impression d'être un géant. Tu poses un genou sur ton lit.

— Leslie.

Tu as envie qu'il se retourne. Tu voudrais voir son visage, seulement pour te rendre compte, seulement pour deviner ce qu'il se passe dans le chaos de son esprit. Tu es perdu, tiraillé, tu n'as jamais été un grand tactile, mais c'est bien la première fois que quelqu'un te met dans un tel état. Depuis quand cet homme aux cheveux blancs a tant de pouvoir sur toi ? Tu as une expression étrange sur le visage, indéchiffrable.

— Vous voulez que je vienne ?

Tu restes, ce genou à même le matelas à le toiser en quête d'une approbation, d'un signe. Tu as les images du placard en tête et ton lit est définitivement devenu minuscule. Tu poses une large de tes paumes sur l'oreiller, à côté de sa tête. L'autre vient tirer légèrement la couette pour t'y engouffrer. Tu ne peux pas te tenir à côté de lui quand il est allongé sur le dos. Alors tu l'enjambes, le surplombes. D'entre tes lèvres, s'échappe un souffle un peu tremblant. Il n'y a plus à vous mentir. Pour autant, une partie de toi ne peut s'empêcher de douter, de culpabiliser, de se souvenir que tout ceci est une vraie mauvaise idée. Ton pied heurte une boule de tissu que tu devine être ton jogging. Tu ne fais aucun commentaire, ton pied caresse juste sa cheville.

— Leslie.

Tu ne sais plus où te mettre. C'est juste toi et lui, dans ce lit. Tes doigts frôlent ses joues.

— Il y a tellement de choses que j'aimerai...

Tu le cites, le parodie. Qui sait ?

Tu lui souffle la même phrase qu'il t'as murmuré cette après-midi. Tu as des tonnes de questions, un grand besoin de mot. Seulement des mots il ne peut pas t'en dire, ne veut pas t'en dire. Et si ça te frustre, tu n'arrives cependant pas à lui en vouloir. La tension vous domine, tu ne te souviens pas avoir ressenti pareille appréhension, même dans tes pires moments de folie. Il y a comme la sensation puissante de braver l'interdit, de franchir un point de non-retour. Tu ne t'approches pas de son visage, quand bien même ton regard fixe ses lèvres. Lâche, si vous devez vous condamner ce soir, ce ne sera pas par ta faute. Et quand ses lèvres bougent enfin, tu retiens ton souffle.

Vous dire.

Tu te sens trembler dans tes fondements. Tu sens ton ventre gronder d'un appel auquel tu ne peux pas répondre.

Vous faire.

Tu te mords la lèvre. Tu es trop engagé pour fuir, trop hypnotisé pour réfléchir. Tu ne vois que lui, tu n'entends que son souffle.

— Me dire.

Assurément il y a des tonnes de chose que tu aimerais lui dire.

— Me faire.

Des tonnes de choses que tu voudrais lui faire. Ses lèvres à ta bouche sont l'une d'entre elle. Tu souffles, fiévreux. Vos nez se frôlent, vos lèvres se cherchent. Le premier contact te tue mais ne t'achève pas. Sa langue contre ta bouche est un appel que tu es incapable d'ignorer. Vous êtes fini. Tu entrouvres la bouche souffle tout contre lui avant d'aspirer lentement sa lippe. Le bruit est délicieux, distinct. Tu soupires, un mélange d'aise et de gourmandise. Tu glisses une de tes mains jusqu'à la sienne, trace des formes abstraite sur sa paume. Tu entrouvres les yeux, captes, l'éclat de son regard presque gris, puis tu penches légèrement ta tête en avant pour cueillir ses lèvres de nouveau. Tes doigts s'entrelacent aux siens. Tu appuies de tout ton poids pour le coucher. Incapable de lui résister, tu l'observes, guette le moindre bruit, signes, quand tu glisses tes doigts contre son bras, comme pour graver la douceur de sa peau dans ta mémoire. Tu les glisses dérape sur sa hanche, touche la petite parcelle de peau mise à nu entre son t-shirt et son caleçon. Lentement, tu l'embrasses encore. Oublie Thursday, le cœur que tu brises, les attentes de ton père, tout ce que détruit en cédant à votre petit jeu. Il n'y a que lui. Tu portes la main que tu enlaces jusqu'à vos bouches. Tu l'embrasses, glisse, sans le quitter du regard, un doigt entre tes lèvres.

Tu étouffes un gémissement. Chaque fois que vos bassins s'entrechoquent, c'est une véritable décharge qui te transperce de part en part. C'est une torture, tu appréhendes chacune de ces rencontres autant que tu t'en montres impatient. Tu n'as aucune idée d'où vous allez, mais au fond de toi, il y a l'envie de prendre, le temps, de savourer. Tu as brûlé l'amour à chaque fois. Ce soir, avec lui, pour la première fois, tu n'es pas pressé d'en finir.

Tu suces son doigt non sans provocation. Son regard brillant d'excitation te tabasse les tripes. Il aime ce qu'il se passe, tu savoures avec délectation son doigt exploré ta bouche. Tu ne le quittes pas des yeux, pas un seul instant. Tu ne t'autorises à les fermer que lorsque ses lèvres glissent sur ta peau, te marque. Tu as le rêve un peu fou de les sentir partout. Tu te sens trembler, ton prénom souffler est un délice au goût de supplice. Tu secoues la tête, suce son doigt une dernière fois avant de le libérer, et de souffler contre son oreille.

— Non.

Tu ne sais pas combien de fois, il a parlé. Si tu as pris le temps de compter, tu es conscient que ton résultat est faux. Il y a trop de moments où tu l'as laissé te perdre entre ses souffles, ses murmures, sa peau contre la tienne. Tu cherches son visage, frottes ton nez au sien avant d'imposer son doigt encore humide de ta saliver sur ses lèvres gonflées d'envie.

— Chut.

Tu souffles, tendre, caresse du pouce sa bouche.

— Économisez vos mots...

Tu as l'air d'être en constante apnée, tu cherches sa bouche, l'esquive, dans un jeu de suspense plein d'indécence. Tu savoures la main que tu passes sous son t-shirt, sa peau chaude et douce. Tu écartes tes doigts, désireux de couvrir le plus de surface possible, tu aimes le toucher, tu aimes le sentir vibrer. Tu as le cœur qui tambourine, tout ceci n'est que folie. Tu ne comprends pas pourquoi avec lui, tout est aussi fou et intense.

Tu glisses ton autre main à sa hanche, agrippes le tissu de son caleçon non sans te montrer un peu plus bruyant quand vos bassins se touchent encore. Le toucher t'électrise. Tu glisses ta bouche à la sienne, comme en quête d'air. Tes lèvres descendent à son cou, le creux de sa nuque. Sous son t-shirt, ta main le caresse encore et encore. L'envie te dévore. Tu reviens à sa bouche, souffle alors qu'entre tes deux doigts, se glisse son téton. Ton ton est fiévreux, mais d'une douceur incroyable.

— Leslie.

Ta main quitte sa hanche pour se saisir de la sienne avec une chaleur et une tendresse qui jure avec ton souffle rauque, la façon dont tu tritures son téton, glisse sur son torse et passe dans son dos ton autre main, gourmande, pressée, possessive.

— Vous pouvez me toucher aussi...

Tu embrasses ses doigts, les fait glisser contre ta bouche avant de le laisser explorer ce qu'il voudra.

Tu redresses sur tes coudes lorsqu'il gesticule et te laisse surprendre quand vos corps basculent. Ton dos heurte le mur dans un BOUM tout sauf discret qui réveille en toi les souvenirs de l’adolescence, quand tu te faisais rebelle, prompt à braver les règlements. Tu étouffes un rire, plaque ta main contre la bouche de Leslie en te mordant l'intérieur de la joue.

— Taisez-vous, que diable !

Tu jettes un regard à la porte, tu devrais trembler de honte et de peur. Vous faire surprendre te mettrait dans une position terrible. Pourtant, tu te surprends à vibrer, as aimé ce goût de l'interdit. Tu décales ta main de la bouche de Leslie, tu ne le quittes pas des yeux quand tu viens te caler sur le dos. Tu l'avais cru timide, tu comprends qu'il n'en est rien. Tu te sens soudain petit quand il t’enjambe, tu souffles, trembles, déglutis un peu trop bruyamment. Tu glisses une main sous l'oreiller, ses lèvres à ton torse, tu te sens tendu sous l'envie. Tu t'abandonnes, sans aucun regret, tu recules la culpabilité à plus tard, trop égoïste, trop gâté pour accepter de laisser ce moment à qui que ce soit d'autre qu'à vous. Tu fermes les yeux, t'en peux plus. Tu glisses une main gourmande à sa hanche, glisse tes doigts à ses fesses. Tu n'ouvres les paupières que pour le voir retirer son haut, un éclat particulier dans le regard. Tu profites qu'il soit à califourchon sur toi pour glisser tes doigts à son ventre. Tu lui a dit qu'il pouvait te toucher. Il ne s'en fait pas prier.

— Hmm..

Tu sens sa langue descendre le long de ton torse. Tu te cambres un peu, le souffle court. Tu crois qu'il va s'arrêter, constater qu'il ne le fait pas. Tu as chaud soudain, bouffée de chaleur, panique. Est-ce qu'il va ? Tu as le réflexe de tendre la main vers son crâne pour l'arrêter.

— Attendez...

Ta poitrine se soulève, tu l'appelles pour qu'il revienne à toi. Tu es excité, terrifié. Les choses vont vite, mais l'appel est trop grisant pour que tu y résistes. Tu encadres son visage de tes mains, cherches ses lèvres une dernière fois, que tu embrasses et mordilles.

— Allez-y.

Tu le laisses redescendre, surélèves tes hanches pour l'aider à te dévêtir. Tu as le cœur aussi rapide qu'après un sprint. Le corps tendu d'appréhension, d'impatience, malgré toute la discrétion dont tu souhaites faire preuve, tu trahis ton plaisir à coup de gémissement. Tu te redresses sur tes coudes, cherches ses yeux, parce que tu sais qu'il te regarde. Tu te demandes ce qu'il voit, tu te demandes si ça lui plaît. Tu glisses une main tremblante dans ses cheveux. Le plaisir t’inonde, mais tu es frustré, si frustré de recevoir sans rien donner. Tu rejettes la tête en arrière, il te tue, t'achève. Tu n'as aucune idée de comment tu vas pouvoir réussir à le croiser au travail sans trembler.

— Leslie.

Tu n'y tien plus. Son nom gémi entre tes lèvres, tu viens chercher son visage, respirer contre sa bouche. Tu te redresses, plaque son bassin contre le sien, une main aventure contre son ventre, cherchant a passer outre l'élastique de son caleçon.

— Leslie, je voudrai... Je voudrai...

Tu demandes l'autorisation, ne glisses tes doigts plus loin que lorsqu'il te le fait comprendre. Tu as envie de le voir trembler comme toi, tu trembles, de le voir s'oublier comme toi, tu t'oublies.

Il retient ton poignet et tu lèves un regard incertain vers lui. Est-ce que tu t'y prends mal ? Est-ce de trop ? Tu as envie de lui rendre la pareille, de lui arracher chaque soubresaut, chaque gémissement qu'il t'a arraché. Mais tu es incapable d'aller contre sa volonté, pas dans ce domaine. Tu l'observes embrasser tes doigts, tu accueille sa bouche avec un certain soulagement, une main à l'arrière de sa nuque, tes doigts qui se perdent avec délice dans ses cheveux.

Le lit est étroit. Tu te retrouves allongé sur le dos, à fixer le plafond. Le cœur battant, le souffle court, mais l'esprit déjà en quête d'explication et d'analyse. Toujours ce besoin terrible de polluer ton bonheur en le mettant face au fait qu'il n'est pas ce que ton père approuverait, en te rappelant la culpabilité que tu as le devoir de ressentir. Tu fronces les sourcils, c'est le sentir coller à toi qui te fais détourner le regard. Il colle son bassin à toi, encore brûlant d'un désir que tu te sens toi-même prêt à ressentir encore. Il ne peut pas parler, pourtant à son regard, tu comprends les mots silencieux qu'il te murmure.

Pour seule réponse, tu te tournes légèrement sur le côté et passes un bras possessif autour de lui. Tu viens caresser son dos, de la même façon qu'il caresse des formes abstraites sur ton torse.

— Reposez-vous.

Tu embrasses son front, souffle contre sa peau.

— Reposez-vous.

**

Ce sont les lueurs du jour qui te tire du sommeil. Tu plisses les yeux, gêné, tente d'enfouir ta tête dans ta couette, seulement ce n'est pas ta couette que tu sens, mais des cheveux. Tu ouvres un œil, pour tomber nez à nez avec le visage d'un Leslie endormi. Tu restes silencieux et interdit. Tu n'as donc pas rêvé. Les images de la veille te reviennent. Tu te sens coupable, mais pas effrayé. C'est presque fataliste que tu te dis.

Très bien, notre relation n'est définitivement plus professionnelle.

Tu n'oses pas bouger, il a une expression étrangement... Douce. Tu le trouves beau, presque angélique. Tu vois son nez se plisser sous la gêne d'un cheveu égaré. Tu l'écartes doucement, frôles sa peau. Tu vois ses paupières se fermer avec force, avant de s'ouvrir.

— Je ne voulais pas vous réveiller.

Tu ne sais plus où tu habites, tu n'es pas réputé pour être du matin. Jusque-là, tu n'as jamais pris la peine d'attendre le réveille d'une conquête pour plier tes bagages et rentrer chez toi. Sauf que tu es chez toi et qu'il n'est pas l'une de ces personnes que tu dévores le temps d'un soir pour le simple besoin de te faire du bien. Que doit-on dire à un collègue avec qui ont flirt quand il se réveille dans vos bras après avoir partagé une nuit à vous découvrir ? Que doit-on dire à un homme qui interfère avec vos plans et qui n'est définitivement pas un simple écart ?

— Bien dormi ?

Tu hausses un sourcil à le voir se reculer, se presser de partir. Tu dois l'avouer, l'idée qu'il puisse se culpabiliser de cette nuit ne t'a pas traversé l'esprit. Il te tente, depuis des jours, des semaines. Au fond de toi, tu t'étais convaincu que c'était ce qu'il cherchait. Est-ce qu'il regrette ? Est-ce qu'il a satisfait sa curiosité et veut maintenant s'enfuir ? L'ironie serait grande. C'était donc ça que ressentaient toutes tes conquêtes au réveil ? Tu fronces les sourcils.

— Oh. Vous avez l'air pressé.

Tu ne masques pas une certaine déception. Si quelqu'un devait se sentir mal et honteux, c'est toi. Il y avait Thursday, les promesses faites à ton père, tes engagements vis à vis de votre famille. Personne ne peut te condamner à explorer des corps, de te laisser vibrer au goût des lèvres d'un homme. Mais ton père préparait tes fiançailles avec beaucoup d’intérêt et tu te doutes que ta future belle-famille prendrait très mal le fait que tu t’accoquines avec un subalterne alors que tu dois séduire leur fille. Et tu ne pas nier te sentir légèrement coupable, cependant, et à ta grande surprise, tu ne regrettes rien. Le voir s'excuser te blesse d'une façon inattendue. Tu ne t'attendais pas que Leslie Mirzoyan puisse te blesser d'une quelconque façon.

— Et de quoi vous excusez-vous ?

Tu fronces les sourcils, toujours nu sous la couverture. Tu te redresses à ton tour, une main sur le matelas, l'autre dans tes cheveux.

— Leslie.

Tu soupires, passe une main agacée dans tes cheveux avant de mettre tes mains devant ton torse. Tu sembles hésiter, un pli concentrer sur ton front. Tu n'es pas sûr des gestes. Tu signes.

Regrette rien.

Un peu vexé. Tu es un adulte mais plus que ça, tu as un Stuart. L'aîné, des Stuart. Tu peux te tromper. Échouer. Mais jamais, au grand jamais, tu ne manque d'assumer. Tu ne regrettes pas. La présence de Thursday te dérange, te fait te sentir mal, mais pas au point de prétendre que rien ne sait passé, que tu n'as jamais rien montré qui puisse prouver que, toi aussi, tu étais intéressé. Tu souffles un peu bougon, tu n'aimes pas l'image lâche qu'il peut s'imaginer. Tu n'aimes pas non plus l'idée de le voir fuir pour ramper plein de remords devant ton frère.

— Ça fait un moment. Je suis un peu coincé, je le conçois, mais je ne suis pas sourd et aveugle. Je ne regrette rien, j'espère que vous aussi.

Sur ce, tu te lèves, droit, maladroit. Tu t'extrais de ton lit en t'appuyant sur tes poings et laisses la couette quitter tes hanches. Tu traverses la chambre comme-ci tu n'étais pas nu comme un ver et ouvre ton armoire pour en sortir un sous-vêtement propre. Toujours dos à lui, tu balances... Mais peut-être bien moins assuré.

— Je ne vous révèle pas cela pour vous mettre une quelconque pression, mais je vous apprécie Leslie. Sincèrement.

Tu comprends, pourquoi tu m'étais autant d'énergie à fuir avant le réveil. C'est gênant. Il dit ne rien regretter pour autant, il te semble que le peu de complicité entre vous s'est volatilisé au profil de quelque chose de plus balbutiant, maladroit. Tu pioches dans ton armoire une chemise propre et un costume noir finement taillé. Tu as envie de prendre une douche, mais tu rechignes à quitter la chambre en l'état actuel des choses. Tu passes ton sous-vêtement, ton pantalon auquel tu accroches les bretelles traditionnelles de ce genre te tenue. C'est à ce moment-là que Leslie se plante devant toi. Tu tournes la tête vers lui, hésitant. Apprécie aussi, c'est ce qu'il a dit. Il te regarde avec cet éclat hypnotisant qui à l'effet terrible d'éveiller ton intérêt. Tu ne sais pas ce que tu dois faire, encore moins ce qu'il attend. Est-ce que tu peux... ?

Tu le fixes avec intensité dans le silence pendant une poignée d'interminables secondes avant de cueillir son menton avec deux de tes doigts. Tu relèves très légèrement sa tête, approche tes lèvres sans le quitter des yeux. Vous souffles se mêlent, tu vas cueillir ses lèvres.

— Monday ? MONDAY !

Tu sursautes, tournes avec précipitation ta tête en direction de la porte. Ton père frappe avec force, tu te demandes par quel miracle ta porte à résister à ses assauts au fil des ans.

— Qu'y a-t-il père ?

Ton ton se fait plus froid.

— Je suis occupé.

Tu entends un grognement sourd derrière la porte et un ton encore plus froid et incisif que le tien en réponse. Il lui suffit de quatre mots pour que tu te décomposes.

Ciara McDouglas est là.

Tu deviens blanc, tournes un regard emprunt de panique vers Leslie. C'est une blague ? Ou bien un châtiment ? Tu passes une main sur ton front, improvises un "j'arrive tout de suite" balbutiant. Merde. Merde. Merde.

— J'aurais dû vous traîner hier soir dans ma voiture enchantée.

Tu as l'air partagé entre une sincère inquiétude et une humeur massacrante. Pourquoi l'a-t-il ramené ici ? Aujourd'hui ? Ce matin ? Après que tu... ? Tu lances, soudain tendu.

— Habillez-vous.

Tu enfiles ta chemise à coup de gestes brusques et pressés. Tu t'acharnes sur tes boutons, peste quand l'un d'eux refuse obtempéré.

— Par tous les saints, où est ma baguette ?

Tu traverses la pièce, fouille dans le cadavre de ta tenue d'hier ta baguette. D'un geste, tu ordonnes à tes boutons de correctement se mettre et à ta veste de se passer correctement. En voyant Leslie, tu comprends qu'il doit avoir un milliard de questions.

— Vous vous souvenez quand je vous ai dit que je n'avais pas de femme et que je n'en voulais pas ?

Tu t'arrêtes. Objectivement, tu n'as rien à te reprocher. Pourtant, tu te sens honteux. Tu craches, acide.

— Et bien mon père n'est pas de cet avis.

Tu passes rapidement en revue tes boutons de manchette, si ta veste est correctement placée. Tu as des allures de lord et c'est bien normal, c'est que votre père veut que tu sois. Tu t’inspectes de pied en cap, sévère.

— Nous allons descendre dire bonjour, je vais prétexter une urgence à l’hôpital et nous partirons ensembles.

Tu lui glisses un regard, lui demande muettement de soutenir ton plan. Puis tu passes la porte, lui sur tes talons. Tu as agité, furieux. Quand tu passes devant les portraits de la veille, tu les entends glousser.

Oh, il est de nouveau de fort mauvaise humeur, Mondy !
C'est parce que sa fiancée est là !
Sa FUTURE fiancée, s'il ne fait pas tout raté !
Il ne peut pas rater, Mondy est le premier !

Tu ne peux pas rater, Monday. Tu es le premier. Tu pénètres dans le salon, tu as non seulement le déplaisir de surprendre le regard de ton père et de tes frères et sœurs, mais surtout la mine pleine d'espoir de Ciara McDouglas qui te regarde avec une timidité passionnée qui te met mal à l'aise. Quand c'était Leslie, ça ne te révulsait pas autant.

— Monday ! Cela fait si longtemps.

Elle s'approche, tend sa main avec élégance dans un sourire charmant. Tu la considères une seconde de trop pour que ce soit poli, puis tu la prends du bout des doigts pour y imposer un parfait baise-main.

— Ciara.

Elle te sourit, penche légèrement la tête quand elle aperçoit Leslie.

— Oh, est-ce un nouvel employé ?

Très objectivement, tu n'as rien contre Ciara McDouglas. Elle n'est ni mauvaise, ni ennuyeuse, ni rien de ce qui te sort par les yeux chez une femme. Tu la sens excitée, maladroite. Tu lèves les yeux vers ses parents, vers ton père. Le contrat a été passé entre eux depuis probablement plusieurs semaines. Plus qu'à elle, tu leur en veux à eux. Ils t'ont probablement vendu comme le gendre idéal. Bien éduqué, bien nanti, un compte en banque fourni et une proximité qui garantit qu'elle ne sera ni plongée dans l'inconnue, ni isolée. Tu reposes ton regard sur elle, avec ses yeux qui pétillent, son sourire un peu tremblant. Elle est charmante, tu ne peux pas le nier. Malheureusement, en cet instant, Ciara McDouglas ne t'inspire rien d'autre qu'une issue fatale dont tu ne veux pas. Et la présence de Leslie à tes côtés te rend fébrile, incertain. Tu croises le regard de ton père, tu te sens trembler de l'intérieur. Il n'est pas idiot. C'est avec Leslie que tu es resté enfermé une bonne partie de la journée d'hier. Peut-être même sait-il que tu es resté enfermé avec lui toute la nuit. Tu évites autant que possible de croiser celui de Thursday. Lui, nul doute qu'il a bien compris.

Elle s'intéresse à Leslie, demande s'il est un employé. Sa maladresse t'étrangle, tu glisses un regard gêné vers lui, sans savoir pour autant comment le nommer. Le plus simple et le plus prudent seraient de dire que ce n'est qu'un collègue. Mais tu rechignes, la présence de Thursday motive ta compétitivité. Lui, aurait très certainement assumé le mot "proche" ou "ami". Et tu dois mettre un peu de temps à te décider quoi répondre, puisque c'est Leslie qui se présente de lui-même. Tu écarquilles légèrement les yeux. T'as compté seize mots. Tu mesures le poids du sacrifice. Tu fais un pas sur le côté, vers lui, pour frôler sa main en toute discrétion. Sans lui, tu te serais probablement plié à courtiser Ciara McDouglas comme ton père le souhaitait.

— Cela aurait été avec plaisir, mais je dois malheureusement me rendre à Saint-Mangouste de toute urgence.

Tu vois ton père écarquiller les yeux. Tu sais ce qu'il voit, un acte de rébellion, un manquement au devoir. Tu te sens te tendre, ton poing se serrer dans ton dos. Tu lui fais faux-bond. Il va être furieux.

— Un chef-guérisseur peut difficilement se faire remplacer.

Ciara pousse un petit gémissement déçu. Tu t'en veux, c'était visiblement pour toi qu'elle était venue. Tu sais que si tu pars sans un mot pour elle, ce sera une catastrophe, un nouveau genre d'incident diplomatique. Tu plaques sur tes lèvres le sourire le plus doux et poli de ton répertoire, t'abaisse pour lui baiser de nouveau la main avec la rigidité et la classe propre de tout gentleman.

— Nous rattraperont cela en temps voulu, je te le promets. Cela m'a fait très plaisir de te revoir, Ciara.

Tu passes une main sur l'épaule de Leslie pour l'inviter à sortir. Un peu lâchement, sur le pas de la porte, tu lances à ton père.

— Je ne pourrai pas rentrer ce soir, je le crains.

Et d'un geste de ta baguette tu fermes la porte du salon derrière toi. Dans ton dos tu entends la voix de la mère de Ciara.

— Oh, il est toujours aussi sérieux qu'autrefois, c'est admirable !

Tu pousses Leslie plus loin dans le couloir sans le moindre mot. Tu es tendu et pressé, c'est à peine si tu te retiens de courir jusqu'à la sortie. La porte d'entrée du manoir franchit, tu jettes un regard sur les larges fenêtres avant de prendre la main de Leslie.

— Je suis sincèrement navré.

Tu fronces les sourcils, ça te fait chier.

— Seize mots, c'est conséquent.

Tu te demandes s'il est furieux, déçu, dégoûté. S'il souhaite rentrer seul, tu ne pourras pas lui en vouloir. Néanmoins, tu demandes.

— Puis-je vous raccompagner ?

Il te semble furieux, blessé. Tu ne lui dois absolument rien, ni justification, ni excuse. Tu ne lui a rien promis, vous n'êtes engagé sur aucun plan. Quelque baisés et une nuit à se toucher ne lui garantit en rien ton exclusivité. Pour autant, tu te sens mortifié quand il dégage sa main. Sa gêne te blesse, la façon dont il te dévisage te met profondément mal à l'aise. Tu as l'impression que quelque chose de très important te file entre les doigts. Tu détestes ça.

Il accepte, néanmoins. Reprends ta main pour transplaner avant de la laisser de nouveau. Merde, le silence entre vous est insupportable. Il est fâché ? Te fait la gueule ? Dieu, ça t'énerve. Tu n'as rien fait. Tu n'es responsable de rien. Pourquoi te sens-tu alors aussi coupable ?

Ciara.

Tu redresses la tête, ton cœur se serre. Tu ne lui dois rien. Pourtant, tu te retrouves incapable de lui servir autre chose que la vérité.

— C'est ce que mon père voudrait.

Tu le regardes après un silence avant de souffler.

— Ce n'est pas ce que, moi, je veux.

Tu n'as pas envie de te marier, pas comme ça, pas pour lui. Tu l'as toujours plus ou moins sut, que ça finirait comme ça pour toi. Mais désormais un pied devant l'autel, tu te retrouves révolté par cette destinée. Tu pousses un soupir, joints tes mains derrière ton dos pour ne pas qu'il voit que tu te les tripotes nerveusement.

— Il souhaite me voir marier avant mes trente ans, père dans la foulée. Cette lubie l'a pris le mois dernier.

Tu détournes le regard, tournes la tête pour observer le paysage horriblement vert de ton Irlande natale.

— Ce n'est pas ce que je veux. Ciara est une vieille amie, mais je ne suis pas être prêt à lui offrir ce qu'elle et nos parents attendent.

Tu souffles du nez, laisses un sourire las poindre sur tes lèvres.

— Ça doit vous dépasser, ces histoires de devoir et d'honneur d'un autre temps. Je vous avais dit que ma famille était particulière.