Tu fermes le livre que tu étais en train de lire sur l’un des canapés du petit salon. Basile veut te voir, ça n’a pas l’air d’aller. Est-ce que quelque chose sur le tournage s’est mal passé ? Tu sais qu’il appréhendait la présence de Zadig, tu te demandes si c’est en lien. Ton pineapple verrouillé dans ta poche, tu te lèves pour rejoindre ta chambre et rapidement te préparer. Tu quittes tes affaires de la journée pour en enfiler des propres : un pantalon foncé, une chemise blanche, un veston marron aux motifs compliqués. Tu as toujours chaud, dans tes vêtements, mais tu ne sais pas t’habiller autrement.

En passant devant la porte de Saturday, tu la préviens que tu sors ; elle s’occupera d’en parler à Baron s’il pose des questions. Tu envoies également un message à Monday, avant qu’il ne prenne les devants en t’appelant pour savoir où tu es. Tu vérifies l’heure : 20h38. Tu es légèrement en retard, merde. Alors sans attendre, tu sors ta baguette de ta poche, et tu transplanes.

La ruelle est vide quand tu atterris quelques secondes plus tard. Tu regardes la bâtisse que tu commences à connaître, tu sais pas pourquoi, tu appréhendes un peu. Depuis ton passage sur Veritaserum, Basile et toi vous étiez rapprochés - difficile à nier - mais vous n’avez jamais passé le cap d’expliquer quoi que ce soit. Vous vous parlez. Vous sortez. Il y a parfois des choses qu’on ne souhaite pas décortiquer.

Tu sonnes, la baguette de nouveau dans ta poche. Tes cheveux te tombent devant les yeux, t’as pas pris le temps de vraiment les coiffer (mais l’avantage des cheveux bouclés comme les tiens, c’est qu’ils font facilement illusion). Quand il t’ouvre, tu passes la porte puis tu montes les escaliers jusqu’à son étage.

Inspires.

Et tu toques. La porte ne tarde pas à s’ouvrir.

- Bonsoir.  

Tu étires ton sourire - il est un peu rigide, t’as toujours besoin d’un temps pour sortir de ton rôle de perfection. Toujours besoin d’un instant pour lâcher la pression. Tu l’observes, tu recherches le signe de quelque chose d’anormal.

- J’espère que ça vaut le coup, mon livre était passionnant.  

C’est faux, mais tu prends un air malicieux. Basile est tout à fait capable de comprendre que tu plaisantes. Tu le balaies des yeux une nouvelle fois, lui, puis l’intérieur de son appartement. Puis tu reviens à lui.

- Raconte-moi. La journée s'est mal passée ?  

@Basile F. Delacroix | Juillet 2032

Tu cherches sur son visage les signes de sa détresse. La première chose réside dans son sourire, beaucoup moins pétillant que d’ordinaire. Il a l’air fatigué, ses traits sont tirés et ses yeux cernés, tu te demandes s’il dort bien. Certainement que non - tu as le malheureux loisir de t’y connaître. S’il décide de t’en parler, tu pourras lui livrer quelques secrets de Patty contre les insomnies. Il ne font plus beaucoup d’effet depuis sa disparition, mais si tu peux l’aider, lui, alors pourquoi pas.

Tes pas te mènent à l’intérieur lorsqu’il le propose mais tu n’oses pas t’avancer après l’entrée. Tu n’es pas chez toi, tu n’es pas venu assez dans son appartement pour t’y comporter. Alors tu te retournes pour le regarder, tes yeux naturellement baladeurs. Ca ne t’empêche pas de te tenir droit - trop -, tu secoues la tête à ses excuses.

- Ce n’est rien, j’étais disponible.

Et tu avais envie.

- Ça fait longtemps. Tu as mangé ?

Sa façon de lever la tête - pourquoi faut-il qu’il soit si petit ? - te décharge une pulsion. T’as envie de lui caresser la joue et de le rassurer. T’as envie… t’as envie de quoi, en fait, Thursday ? Il t’a manqué. Mais tu ne veux pas le dire, tu n’oses pas le dire. C’est toujours la même chose, tu te fais toujours des idées. Arrête de ramper devant le premier sourire venu. Ca fait des années que la voix de Monday tourne en boucle, il t’a plus marqué que tu ne le voudrais. T’as peur d’en faire trop. Pas assez. Jamais tu t’arrêtes de penser ?

La porte fermée, vos doigts se frôlent brièvement. Les tiens répondent - le mouvement est infime, mais il est là. C’est aussi calculé qu’innocent, aussi dangereux qu’apaisant.

Votre jeu, rien qu’à tous les deux.

- Viens, on va s’asseoir.

Tu te permets d’aller au salon, les yeux attirés aussitôt par le verre rempli qui trône déjà. T’as le sourcil qui se dresse, tu ne le pensais pas du genre à boire tout seul - c’est ce qu’il t’a dit. Encore un signe que quelque chose ne va vraiment pas. Tu déglutis, tu te passes une main dans les cheveux en t’asseyant. Il y a largement assez de place au cas où il veuille s’installer à côté de toi.

- Que s’est-il passé ? Sur le tournage.

Il faudrait être aveugle pour ne pas voir son chamboulement.

- C’est Zadig ?

T’as l’impression que c’est toujours lui.

@Basile F. Delacroix | Juillet 2032

T’es complètement tordu, Thursday. Certains jours tu parviens à t’en rendre compte, tu lis dans tes propres gestes et tes propres actions la détresse de l’attention. La détresse de l’amour. Tes choix ne sont pas toujours les bons mais ils ne sont dictés que par tes besoins les plus profonds. Exister, Thursday. T’as besoin d’exister. Et dans les yeux de Basile, dans sa façon de te parler, t’as l’impression que tu existes. T’as l’impression que tu comptes, au moins un peu. T’as l’impression d’être assez. Est-ce que c’est vrai ?

Quelque part, tu ne veux pas le savoir.

Il t’a appelé, tu as répondu présent. Tu es quelqu’un de bien, tu n’aurais pas laissé grand-monde dans la détresse de toute façon. Mais pour lui, c’est un peu différent. Côtes à côtes sur le canapé, tu fronces instinctivement les sourcils quand il parle d’un baiser.

Putain. Pourquoi ça te touche comme ça ?

T’as au moins la satisfaction d’imaginer qu’il n’a pas apprécié. Mais les événements racontés ne font que t’agacer davantage. Il y a un pincement, un coup de décharge qui te remonte le long de la colonne vertébrale. Tu les imagines répéter, tu les imagines s’insulter. Tu les imagines s’embrasser. Pourquoi ça t’énerve comme ça ? Pourquoi ?! Tes doigts te démangent, tu aimerais agripper quelque chose, peut-être même cogner, mais tu te retiens. T’es bien élevé, Thursday. T’es quelqu’un de bien. Il dirait quoi, ton père, s’il te voyait ? Voilà, bien, détends-toi. T’as encore la mâchoire contractée, mais c’est déjà bien mieux. Tu peux pas craquer. Tu ne dois pas craquer.

Ton regard n’a pas lâché le sien durant toute l’histoire, mais quand il te pose sa dernière question c’est comme si tu te réveillais. Tu clignes des paupières, le temps de l’observer qui t’évite. Est-ce que t’es fâché ? Oui. Contre lui ? Non. Ou tu ne sais pas. Non. Non.

- Non.

Tu te forces un souffle du nez, tu forces un sourire triste. T’as tellement l’habitude de te forcer, c’est pathétique. Tu peux pas être comme tout le monde ?

- Pourquoi est-ce que je serais fâché contre toi ?

Ce Zadig, t’as envie de le buter. C’est viscéral. Merde.

- Tu as mal ? Là où il t’a frappé.

Tu lèves une main pour prendre son menton entre tes doigts, tu inspectes son visage à la recherche d’une marque que tu n’as pas envie de trouver. Ça risquerait de t’énerver davantage. Tu soupires doucement, tes doigts le relâchent.

- Tu vaux mieux que lui, ne le laisse pas t’atteindre par ce qu’il peut dire ou faire.

Tu répètes des mots que tes frères et sœurs t’ont donné toutes ces années. Des mots que tu n’as jamais pu (voulu) intégrer. Tu pourrais trouver toutes les excuses du monde à Zadig, parler des insécurités qu’il a certainement et qui expliquent son comportement. Tu pourrais être rationnel et psychologue, tu sais comment faire. Mais t’as pas envie. T’as pas du tout envie de laisser le juge en toi être impartial.

- C’est un connard fini. Tout ce qu’il peut dire, il ne faut pas que tu y crois. Tu as eu ce rôle car tu le méritais, et tu es bien plus fort que ses insultes ou sa façon de se pavaner. Ne te laisse pas bouffer, ni écraser. Ne craque pas comme il aimerait que tu le fasses pour te discréditer.

Et pourtant toi, là, si tu le croisais… si tu le croisais tu serais capable de t’en démonter les jointures. T'as besoin d'un verre. T'as besoin de te calmer.

@Basile F. Delacroix | Juillet 2032

Il te dit être responsable, une part de toi - celle qui est assise toute la journée au ministère - a envie de dire que oui. Tout le monde est responsable de tout, en fonction de l’angle. Tout le monde peut être à la fois le coupable et la victime, ce n’est qu’une question de mœurs, de point de vue, de sensibilité… Tu pousses un soupir.

- Tu étais à bout, c’est normal.

Tu lui trouves des excuses, tu veux bien lui trouver toutes les excuses du monde. Peu à peu la colère s’empare de toi, elle brûle sous ta peau, elle te fait mal. Tu n’as jamais aimé te cacher de tes émotions, Thursday, elles s’infectent et elles te bouffent. Elles te rendent imparfait. Invisible. Tu dois te tenir droit. Tu dois parler à voix égale. Tu dois sourire. Tu dois réussir. Le masque est si lourd, mais tu as pris l’habitude de le porter. C’est ce qu’on appelle la vie - la tienne. Si ton père ne te voit pas, c’est que tu n’es toujours pas assez. Tu fais donc l’effort, tu n’as pas envie de craquer ; ça ne servirait à rien. Alors tu te cantonnes à un discours que tu sais bien trop plat, bien trop peu argumenté. Tu pourrais faire mieux, c’est certain, t’espères que ça lui suffira.

Tes yeux l’observent, il a l’air las. Fatigué. Il se sent petit. C’est fou ce qu’une partie de cette histoire peut résonner en toi, ça te touche.

- Tu n’es pas seul.

Tu n’as pas la prétention de lui dire ”Je suis là, moi” car il en a certainement d’autres autour de lui. C’est juste qu’il l’oublie. C’est si facile d’oublier quand on souffre, Thursday.

Il te regarde, tes doigts te démangent toujours, tu les serres sur le tissu de ton pantalon. Il prononce ton nom et tu parviens à sortir du brouillard pour planter tes yeux aux siens. L’instant se suspend, le temps d’écouter. Le temps de comprendre. Il voit ta colère, Thursday. Il a même l’air de l’apprécier. Il le dit. S’il le dit, c’est certainement que c’est vrai. Est-ce que c’est possible ? Tu ne sais pas trop, tu es pris de court par son honnêteté.

- C’est…

Tu souffles un peu du nez.

- J’imagine que c’est peu conventionnel.

Ton regard se détourne un court instant, puis revient à lui. Il aime ta colère, celle que tu caches, celle que tu retiens de toutes tes forces. Non. Si ? Est-ce qu’il dirait la même chose s’il te voyait exploser ? Est-ce qu’il te regarderait de la même façon en te voyant déchaîné ? Tu te mords l’intérieur de la joue.

- Je pense que la question est plutôt de savoir pourquoi ma… colère, te fait tant de bien.

Tu acceptes de l’admettre, tu es en colère. Et pour tenter de désamorcer, tu redeviens penseur. Philosophe. Tu ne sais plus vraiment qui tu dois être pour exister.

- Ce que tu vis est injuste, Baz, et tu as besoin que quelqu’un le voit.

Tu le fixes.

- Je le vois.

Tes yeux se ferment un court instant, tu inspires profondément.

- Et je ne vais pas te mentir, je suis très en colère. J’ai envie de craquer, peut-être même de hurler. De cogner. De faire mal.

Tes doigts se serrent et se desserrent, comme une danse pour qu’ils arrêtent de démanger. Tu es contrit, tu ne sais pas si tu es soulagé ou dégoûté d’exposer ainsi une partie de toi que tu prends tant de soin à cacher. C’est simplement trop dur de l’imaginer insulté, écrasé, rabaissé, embrassé. Tu ne veux pas voir ces images. Tu ne veux pas.

- Est-ce que ça te plaît toujours autant ?

@Basile F. Delacroix | Juillet 2032

Est-ce que c’est le cas, Thursday ? Est-ce que tu l’apprécies assez pour tout plaquer, pour te mettre en rogne et briser l’image que tu as tant soignée toutes ces années ? Tu sais que oui, peut-être, mais tu te détestes de le savoir. Quelle faiblesse dans le regard des autres, tu es pitoyable. A tes oreilles sonnent encore les mots, les terribles mots. A quel point as-tu besoin de l’approbation des autres ? En vérité, tu te fiches des autres. Il n’y a qu’une seule personne dont tu cherches l’approbation, et c’est la seule qui se refuse à te la donner. Les autres, quelque part, c’est un plâtre sur une jambe de bois (tu refuses de le savoir).

Tu l’observes, la colère à fleur de tes veines qui demande à exploser. C’est ta façon de survivre depuis toutes ces années. Tu te tiens, tu restes droit, tu souris, tu encaisses ; mais ça ce n’est que devant ton père. Ce n’est que pour lui, lui, lui. Ses mots te détendent néanmoins, tu as le sourire plus facile.

- Ce n’est pas con, c’est normal. Si tu te sens mieux, c’est ce qui importe.

Et toi, Thursday, est-ce que tu te sens mieux ?

T’as les yeux qui le suivent quand il se redresse, tu observes quelques secondes son verre à peine touché. Une partie de toi aimerait le boire, mais tu ne le fais pas. Tu ne veux pas être dépendant d’une drogue pareille, tu es plus fort que ça. Tu l’es, n’est-ce pas ?

Ton intérêt lui revient, la curiosité piquée d’une question si emplie de franchise. Tu te mets à réfléchir, car cela soulève une vraie interrogation, mais ton esprit s’en va ailleurs quand il s’installe sur tes genoux. Tu lèves le menton, déboussolé, tu regardes cet homme dont l’audace soulève ta poitrine. De toutes vos sorties, vous ne vous êtes jamais ainsi touchés. Ton veston est subitement de trop, tu as l’impression d’étouffer.

- Je… n’en sais rien.

Tu perds tes mots, il est temps de te reprendre. Le pire, c’est qu’au fond tu ne sais vraiment pas. Tu ne sais pas si tu es juste gentil, tu ne sais pas si c’est l’attirance qui parle. On t’a trop souvent répété ce que tu es, ce que tu n’es pas. Alors tu ne sais plus. Instinctivement, tes mains se posent sur ses hanches.

- Est-ce que ce serait grave ? Si j’étais juste gentil.

Tu ne sais plus.

- Ou bien tu voudrais que ça ne soit que pour toi ?

Tes yeux le cherchent, ils ne le quittent pas. Tes mains se resserrent sur lui, tu ne sais pas ce que tu aimerais entendre. Tout ce que tu sais, c’est que Basile est là. Il te voit. Et dans ses yeux, pour le moment, t’as l’impression d’être suffisant.

@Basile F. Delacroix | Juillet 2032

Tu ne sais plus quoi penser, Thursday. Il y a dans son regard cette lueur que tu comprends, que tu entends et que tu ressens comme jamais. Mais es-tu sûr de bien interpréter ? Es-tu certain de faire les choses comme tu le devrais ? Tes doigts se crispent de frustration sur ses hanches, lui-même ne sait plus quoi dire. Tu n’es pas stupide, tu sais ce que signifie le poids de ses cuisses sur les tiennes, tu sais ce qu’il recherche.
Pas vrai ?

Mais comme toujours, tu ne fais pas ce qu’il faut. C’est la raison pour laquelle il est frustré, tu le lis dans son regard, dans le timbre de sa voix. Le gentil petit hybride, c’est ainsi qu’il se décrit et tu prends la peine de brièvement réfléchir. Non, Thursday, non ce n’est pas ainsi que tu le vois. Son hybridité n’a même jamais été un sujet. Et pourtant, il te reproche ce qui semble être les souffrances de son existence. Gentil, mignon, marrant. Tu te contentes de l’écouter, tes yeux ne le lâchent pas une seconde. Tu aimes sa colère. Elle est belle, sa colère. Tu n’as pas idée à quel point cette pensée même est tordue.

- Baz…

Est-ce que tu serais toujours aussi gentil si je faisais 1m95 et que j'étais aussi viril que toi ?
Tu fronces légèrement les sourcils. Tu n’aimes pas le voir comme ça, tu te refuses à en être la cause. Dans l’imbroglio de sentiments qui bouillonnent, tu ne te rends même pas compte que Basile est juste comme toi. Il désespère d’une attention qu’il n’obtient pas, il se voit comme l’imperfection au cœur de sa propre vie. Et toi aussi, Thursday, si seulement tu savais.  

La mâchoire contractée, tu baisses à peine les yeux sur son poing. Et quand il tente de se reculer, tes mains pour le retenir de s’éloigner. Il a mal, et tu as mal pour lui. Dans ses yeux, sa souffrance est la tienne. Merde. Ta poitrine se soulève, tu te dresses et vos visages se rapprochent lentement.

- Je me fiche que tu fasses 1m95. Que tu sois blond, que tu aies des yeux bleu perçant ou que tu saches parler dix-huit langues.

Sans que tu n’y puisses rien, tu repenses à Zadig. Tu repenses à ce qu’il vient de te raconter, tu imagines leur baiser. La colère souffle encore ses relents dans tes veines, tu es prêt à tout. Vos nez se frôlent presque, tu l’observes, va et vient de tes pupilles entre ses deux yeux. Si tu l'apaisais, Thursday, est-ce que tu te sentirais légitime ? Est-ce que tu pourrais alors te regarder dans un miroir sans détourner le regard ?

- Tu aimerais que j’arrête d’être gentil ?

Tes mains sur ses hanches remontent doucement et emprisonnent sa taille. Le cuir du canapé grince, mais tes yeux ne le quittent plus. Vos respirations se mêlent, tes lèvres étirées d’un maigre sourire mu d'envie.

T'es prêt à tout ce qu'il voudra pour le rassurer.

@Basile F. Delacroix | Juillet 2032

Tu te retiens de lever les yeux au plafond, parce qu’il pense que tu parles de Zadig. En vérité, tu as dit ces éléments au hasard, tu n’as aucune idée de la couleur des yeux de l’acteur vélane, ni même du nombre de langues qu’il peut bien babiller. Tu t’en fous de ça. Tu t’en contrefous.

Vous êtes si proches que c’en devient peu à peu un supplice. Le défi – la rodomontade - dans son regard, c’est une lueur qui te plaît, tu ne peux pas t’en empêcher. Tu étires un fin sourire en coin, tu aimerais boire ce verre abandonné sur la table plus que jamais.

- Encore un challenge ?

Tu es prêt à tous les relever.

Vos corps se pressent, vos souffles s’emmêlent. Ce tourbillon dans ton estomac noie peu à peu les restes de ta raison, balayée par ses doigts qui s’agrippent à toi. Basile a besoin de toi. C’est toi qu’il voit, Thursday, seulement toi. Tu penseras au reste plus tard. Tu tourneras encore et encore dans ta tête les mots et les actes quand tu seras seul chez toi. Pour le moment, il t’offre ce dont tu désespères tant.

- Tais-toi.

Tes mains glissent sous sa chemise à la découverte de sa peau, tes ongles laissent une marque. C’est électrisant, autant que vos respirations qui se croisent. Tu ne veux pas l’entendre parler de pitié, de peur que peut-être ce soit aussi ce qui le motive vers toi. Est-ce que tu fais pitié, Thursday ? Tes frères et sœurs ont bien dû te le dire plusieurs fois. Ton père, certainement, entre autres vérités.
Est-ce que Basile le pense ?

- J’ai l’air de me forcer ?

Tes mains quittent la chaleur de sa peau et s’attaquent au bas de sa chemise. Un bouton qui saute, puis un deuxième, lentement, tandis que tes yeux se plantent aux siens. Comme si le temps se suspendait entre vos lèvres affamées.

- Ou d’être écœuré ?

Ta voix est rauque, tes doigts effleurent ses pectoraux quand tu ouvres les derniers boutons de sa chemise. Il n’est pas écœurant, il est séduisant. Il ne le voit pas, tout simplement. C’est dingue ce que vous pouvez être similaires, Thursday. A moins qu’il ne soit comme toutes ces personnes au fil des années, celles qui t’ont approché seulement pour ton nom et ta renommée. Tu ne veux pas savoir si Monday a encore raison. A la place, tu laisses enfin disparaître l’espace qui vous sépare, tes lèvres s’écrasant contre les siennes.

@Basile F. Delacroix | Juillet 2032

Tes yeux se baissent sur ses longs doigts, ces doigts fins que tu verrais comme à ceux d’un musicien. Tu ne sais pas ce que tu veux voir en lui, tu n’en as aucune idée. Tu ne veux plus penser, Thursday, tu ne veux pas réfléchir à l’après, au pourquoi, au comment. Tu ne veux pas penser à tes frères, tes sœurs, ton père. T’es touché par ce qu’il te dit, par ce qu’il irradie de tout son être et de toutes ses pores. L’espace de quelques secondes, quelques minutes, le temps d’instants délicieux, tu oublies qui tu voudrais être, tu oublies les hurlements dans ta tête – les tiens –, les pleurs et les supplices. Tu es aussi doux que tu devrais l’être envers toi-même.

Silencieux, tu l’observes et tu découvres le grain de sa peau. Tes doigts volent, ils effleurent.  

Je voudrais te plaire.
Et plutôt que réfléchir et lui donner mille raisons, plutôt que d’abonder dans une direction après laquelle tu cours aussi, tu l’embrasses. Tu l’embrasses et vos souffles s’empressent, ils se perdent, ils se cherchent. Vous êtes désespérés, deux accros à la recherche du moindre sentiment de légitimité. Tu ne sais pas ce que tu voudras de Basile demain soir, tu ne sais rien, tu n’es ni voyant ni devin. En revanche, tes mains, elles, savent. Elles dévalent les formes de son corps, jettent la chemise un peu plus loin pour que rien ne vous sépare d’autre que la barrière de votre peau. Tu le regardes, les pupilles peu à peu dilatées, puis tu plonges le nez contre sa nuque. Son odeur t’entête, tes mains enserrent sa taille tandis que tes dents mordent pour le goûter.

- Arrête de réfléchir.

Tu n’as pas conscience de l’ironie de tes paroles, du fait qu’elles pourraient t’être adressées. Le menton levé, vos bouches se retrouvent dans une frénésie presque maladive, tes mains glissent de sa taille jusqu’à ses fesses que tu enserres. Est-ce que Zadig l’a fait, ça aussi ? Tu serres un peu plus fort.

- N’y pense plus.

Une de tes mains s’empare de la sienne, la guide jusqu’à ton torse comme pour le pousser à te découvrir. Tu frissonnes de son toucher, le souffle rapide d’une envie montée trop subitement. Et pourtant, même ainsi, tu désespères de perfection. Même comme ça, tu te demandes ce qu’il faudrait pour le faire sourire, pour le faire oublier ; il n’y a qu’ainsi que tu pourras exister. En étant parfait.

- Tu es beau.

Tu prends sa joue en coupe, tes yeux vacillant de l’un à l’autre des siens.

- Tu es beau.

Et ta main encore sur ses fesses le tire au plus près de toi, la raison en apnée quand vos lèvres encore se marient. Putain, ce soir, ce que c’est bon de te sentir vivre.

@Basile F. Delacroix | Juillet 2032

Tu te réveilles d’un sommeil sans rêves et agité. Tu n’as jamais été grand dormeur, tes insomnies et ta phobie t’empêchent de réellement te reposer. Plusieurs fois au cours de la nuit, tu as ouvert les yeux sur un plafond qui n’est pas le tien, tu t’es demandé pourquoi tu étais encore là, la silhouette de Basile à tes côtés. Qu’est-ce que t’as encore foutu, Thursday ?
Et tu t’es rendormi, à chaque fois, le cœur un peu plus lourd.

Quand tu ouvres les yeux, réveillé par la sensation de vide sur le matelas à tes côtés, tu restes quelques instants étendu. Les yeux fixes, une main qui plonge dans l’épaisseur de tes cheveux. Merde. Merde, merde, merde. T’as couché avec Basile. Non que le fait soit en lui-même avilissant, tu en avais envie. Mais tu l’as fait pour quoi ? Ton ego, blessé qu’il ait autre chose à faire dernièrement qu’être avec toi ? Ton besoin de lui être utile ? De le sauver ? Ta jalousie pour le vélane qui lui a arraché un baiser avant de le blesser ? Vraiment, Thursday, t’es de plus en plus con avec l’âge.

Tu te dresses sur le côté du lit, puis tu pousses un soupir, tes yeux à la recherche de tes sous-vêtements. Mais tout est resté au salon. Merde. Tu te lèves et, à défaut, tu enroules le drap plat du lit autour de ta taille, car aucun des vêtements de Basile ne t’irait. T’as l’air de ce type dans les comédies américaines. Ridicule. Tu te sens con. Tu t’en veux. Ça te fait marmonner au moment d’essayer de dompter tes cheveux. A quoi bon ?

Tu regardes la porte qui mène au reste de l’appartement. Autant crever l’abcès. Tout en tenant le drap d’une main, passe la porte pour rejoindre le salon. Basile est là, ton cœur se serre. Tu vois bien qu’il est gêné, tu le lis dans son sourire. Merde. Tu le lui rends, le plus naturel possible, et tu viens prendre le café de ta main libre.

- Merci.

Tu avises tes vêtements sur le sol, le café, lui, et tu choisis de t’installer sur le canapé. Le drap est stratégiquement tenu sous tes fesses pour que tu puisses avoir le loisir de tes deux mains libres.

- Le sommeil un peu agité. Et toi ?

Tu as la voix rauque du matin, les souvenirs en pagaille dans la tête. Tu prends une gorgée, les yeux fermés pour essayer de calmer le brouhaha de tes pensées. C’est toujours comme ça, avec toi.

- Tu… Tu te racles la gorge. Ça va ? Tu te sens… bien ?

T’as envie de t’enterrer. Tu te sens vraiment con.

@Basile F. Delacroix | Juillet 2032

Autant faire parler des sourds, certainement que la conversation serait moins compliquée. Tu le regardes, tellement perdu de tes propres tribulations intérieures que tu ne captes pas vraiment les siennes. Peut-être que si tu prenais le temps de réfléchir, tu te rendrais compte que vous êtes lui et toi dans l’exacte même situation. Mais non, à la place, tu continues de te sentir de trop. Tu penses que t’aurais dû rentrer chez toi, hier soir, t’aurais jamais dû dormir là. C’était certain, que ça se passerait comme ça.

Tu prends une gorgée de café, délicieusement brûlant, le sourcil dressé en direction du plafond quand il te désigne de sa main tendue. Qu’est-ce qu’il fait, exactement ? Et toi, qu’est-ce que tu fous encore là ? Tu hoches la tête, tu t’apprêtes à lui dire que oui, tout va bien, mais c’est ce moment qu’il choisit pour s’excuser. Tu reposes doucement la tasse sur tes genoux, tu l’écoutes. Tu repenses à vos innombrables conversations, à la facilité qui vous habitait. Une fois qu’il a terminé, tu pousses un léger soupir.

- Ne t’excuse pas.

Tu étires un mince sourire.

- Tu n’allais pas bien, j’étais là, je suis… content que ça se soit passé comme ça. Je veux dire, je suis content si j’ai pu t’aider.

C’est bien à ça que tu servais, non ?

- Tout est ok.

Pourtant ta respiration est bloquée dans ta gorge. Tu le regardes, tu ne penses même pas à ce qu’il t’a dit hier soir. A ses aveux, à la façon qu’il a de te regarder depuis le début. Peut-être que ça aussi, si tu y repensais, ça t’aiderait à t’empêcher de faire des conneries. Non. A la place, tu te rappelles combien il se sentait mal. Tu repenses à son besoin de toi, de ton aide, de respirer. Tu as réussi, Thursday. Tu l’as aidé, bravo, un bon point.

- Je vais peut-être pas m’éterniser.

Tu te penches en avant pour récupérer tes vêtements sur le sol.

- Tu dois retourner sur le tournage, non ?

Et toi, tu dois travailler. Au moment de te redresser, ton pantalon en main, tu renverses le café sur le drap qui te couvre. Tu te dresses immédiatement, surpris.

- Merde, putain !

Tu détestes te donner en spectacle. Comme d’habitude, Thursday, la légende raconte que t’es bel et bien juge.

@Basile F. Delacroix | Juillet 2032