Évidemment, il s'est annoncé au dernier moment. Sage Black est de retour et avec lui la hantise de serments non tenus. Tu lui avais juré que tu te débarrasserais des fantômes du passé avant de te marier. Tu avais échoué lamentablement à attendre, autant que tu avais échoué à achever ta quête.

On toque à la porte et Midas lui ouvre - à la vue du sang-pur il s'abaisse en une courbette respectueuse. Se complaisant en politesses suintantes et exagérées.

— « Messire Black... Je vous appelle monseigneur. »

Posté en haut des marches, tu tousses bruyamment, interpellant ton elfe de maison d'un air aussi sévère que blasé.

— « Pas besoin, je suis déjà là. Merci Midas, tu peux disposer. »

Tu descends les escaliers du hall pour rejoindre Sage. Tu n'es pas très accueillant, au même titre qu'il n'a pas été invité. Mais tu dois faire un effort, c'est ton beau frère par alliance, le chef d'une famille désormais alliée. Tu forces un sourire chaleureux.

— « Comment tu vas ? »

Sourire qui disparait dès que le jeune patriarche ouvre la bouche. Tu le toises avec amertume.

— « J'ai au moins le mérite de faire semblant par conciliance. Mais soit. On se lance des piques directement. Tes vacances se sont bien passées ? »

Il enchaine ensuite. De l'aigreur tu passes à la culpabilité. Ça se voit sur ton visage - tu n'as pas besoin de l'exprimer avec des mots. Mais tu as la bêtise de te croire puissant. Tu es chez toi ici - il ne peut pas te faire payer tes manquements, si ?

— « Non. Je n'ai pas réussi. »

Ça tombe bien qu'il n'ait jamais aimé faire semblant - parce que toi non plus. Il est l'astéroïde froid au loin, qui cogne avec violence, quand tu as toujours été l'astre brûlant, immense et écrasant. Aujourd'hui tu ne brilles plus beaucoup Clovis, presque à sec de tes capacités. Tu es éteint, vide, l'énergie et l'émotivité absorbée par un objet qui gravite depuis trop longtemps dans ta vie. Il devait guider ta réussite, mais il n'a fait que te perdre au milieu d'un sentier de ronces où la lumière a disparu.

La réaction ne se fait pas attendre. L'étoile te percute de plein fouet, te saisissant le col pour te soulever de quelques centimètres du sol. Tu écarquilles les yeux, trop sonné par sa force pour réagir correctement.

— « Putain Sage calme toi ! »

Il te relâche et tu tombes fesses sur le sol. Passes une main dans le creux de tes reins pour frictionner la zone endolorie.

— « Le mariage c'est elle qui a choisi la date, et l'enfant... l'enfant ce n'était pas prévu, ni attendu. »

Un putain d'accident. La seule fois où tu décides d'honorer ton engagement et ton devoir conjugal, la SEULE FOIS ! Mais tu ne peux pas lui dire, tu n'as pas envie de rentrer dans le jeu des justifications.

— « Je sais bien. C'est aussi pour cela que je ne le porte plus. Tous les maléfices que j'ai essayé, que j'ai appris... Même la magie noire ne m'aide pas. Cette chose est plus tenace que... »

Tu tapes du poing sur le sol.

— « Merde, c'est indestructible ! Et c'est en train... c'est en train de se nourrir... c'est en train de tout gâcher ! De tout dévorer... »

La mention du père de Darya est une humiliation de plus. Il y a un instant où tu rêves de disparaitre de leur vue à tous, de mourir une seconde fois et de fuir à l'autre bout du monde loin de ces inconnus qui semblent nés juste pour te faire des reproches. Tu serres les dents et encaisses. Tu avais déjà deviné, Darya t'en a parlé sans vraiment l'avouer. Mais tu avais deviné. Et c'est aussi pour ça que tu t'es laissé te presser. Tu avais à coeur d'être quelqu'un de bien au moins au travers de quelque chose. D'être honnête et juste une fois pour toutes ; à défaut d'être indécis et tiraillé le reste du temps.

— « Oh la ferme avec ta condescendance. »

Mais au moment où tu penses devoir te relever seul, il te tend la main. Rien ne l'y oblige, et pourtant il le fait quand même. Tu inspires profondément puis l'attrapes, forçant sur tes genoux pour te remettre debout. Tu le lâches ensuite, sentant sa poigne s'intensifier. Tu te masses la paume et fronces les sourcils.

— « Du feudeymon ? »

Une magie interdite et malsaine qui créé un feu aussi destructeur qu'il est vorace. Tu ne t'es pas amusé à en créer, bien que ça t'ait traversé l'esprit durant tes années d'errance. Tu crains de ne pouvoir maitriser un sortilège aussi malveillant.

— « Je vois. Et tu es certain que ça le détruirait ? »

Car ça pourrait bien détruire tout ce qu'il y a autour de vous. Tant pis, si Sage Black l'affirme avec autant de fermeté, c'est peut-être qu'il y a bel et bien un rôle à jouer.

— « Non, c'est hors de question. C'est mon père et je n'ai pas sacrifié quatre ans de mon existence pour t'observer régler mes soucis à ma place. »

Tu as au moins l'honnêteté d'avouer les faiblesses de ton égo. Mais tu ne te crois pas aussi fort.

— « Mais... »

Tu te mords la joue. A ce stade, ta fierté ne signifie plus grand chose. Clovis Lestrange n'existe plus. Du moins, plus comme l'époque où tu brillais sans effort. Là, tu peines encore à te tenir droit.

— « ... acceptes-tu de m'aider ? »

Les dents serrées.

— « S'il te plait. »

Je règle déjà tes soucis malgré moi. Ça t'arrache une grimace nerveuse, mais tu ravales ta fierté souillée (de toute façon à ce stade il n'en reste pas grand chose) pour te convaincre que de toute façon tu l'as mérité. A vouloir jouer les héros solitaires, tu avais réussi l'exploit insensé de mettre tout le monde en danger.

Tu baisses la tête quand il te parle d'être un bon père. Faudrait déjà que tu acceptes l'idée d'être père tout court, et c'est pas gagné. Tu n'es pas à l'aise, Clovis, d'incarner le modèle ou la déception - parce que tu sais que tu ne serais pas l'un sans l'autre.

— « Je ferai tout pour l'être, sois en assuré. »

Tu le défies du regard, les yeux qui débordent à la fois de résignation et de détermination. C'est un mélange étrange. Tu étrangles dans un rire lorsqu'il te pique. Vous verrez bien à la naissance, de quels gênes l'enfant aura hérité. Pour l'instant tu as encore du mal à l'imaginer. C'est une figure floue sur le tableau de ton avenir.

— « Je chercherai un lieu. Mais les catacombes de ce manoir pourraient faire l'affaire. Les tunnels sont grands et profonds. Ils sont protégés par des sortilèges puissants depuis des siècles. »

Tu dois te préparer.
Et ainsi tu réponds ce que tu crois lire sur ses lèvres.

— « Le plus rapidement possible. Le plus tôt sera le mieux... Le temps que j'appréhende cette magie. »

Mais tu as toujours été un rapide.

Quand il l'explique, ça te parait si simple que tu te sens bête de ne pas avoir considéré l'idée. Tu avais pourtant épluché les bouquins de Teivel en Norvège durant tes années pour mieux comprendre cette magie. Utiliser du Feudeymon... Tu te maudits d'être incompétent à ce point là. Héros de pacotille, c'est tout ce que tu es. La noblesse dont il te parle t'est pourtant familière.

— « Je te montrerai le passage secret pour y accéder, oui. »

Tu ne discutes pas ses exigences. Si tu veux obtenir son aide, tu vas devoir t'y plier. Mais Sage Black est désormais de ta famille, que tu veuilles ou non, lui ouvrir tes portes c'est les ouvrir à Darya également.
Tu hoches la tête solennellement face à son engagement. Tu ne sais pas si tu es soulagé de bientôt en finir ou terrifié de te rapprocher de cet accomplissement. Tu as tellement existé au travers de ça depuis des années que tu dois réapprendre à vivre sans. Et l'image d'une vie sans cette chaine te parait d'un coup insupportable. Tu le toises un instant. Même si tu ne la portes plus, elle est encore gravée en toi. Et si Sage voulait te la voler ? Tu fais un pas vers l'arrière, les doigts engourdis d'avoir trop serré le poing.

— « Et tu... »

Toujours pur. Il t'interrompt et tu perds le fil chaotique de ta pensée. Tu déglutis (comment diable as-tu pu te laisser corrompre si facilement à des doutes aussi dangereux ?) et l'écoutes parler des Black, de sa lignée, de leur tradition, de leur rapport à la magie. Honnêtement, tu es trop épuisé pour que ça t'intéresse vraiment. Mais la morale qu'il appose à tout ça bouscule bien plus que des fondements.

— « Une raison plus noble hein... »

Et d'un coup la vue de ton comparse te dégoûte. Ça t'énerve cette manière qu'il a de te rappeler sans le vouloir que tout ton sacrifice n'était ni sain, ni noble, ni courageux. Tu voulais juste qu'on te considère comme un héros - pire ! Tu voulais lui prouver (à ton père) qui ne t'a pas considéré que tu pourrais déjouer ses plans abjectes. Que tu étais meilleur que lui.

Et en cela tu étais le pire d'entre eux.

— « Je tâcherai d'en trouver une d'ici là. »

Tu lui ressembles plus que tu ne veux te l'avouer.

— « Je t'escorte ? »

Sage accepte que tu l'escortes maintenant et tu ne le fais pas attendre plus longtemps. Tu connais les diverses entrées par coeur, pour les avoir explorer une bonne partie de tes vingt premières années d'existence. Il y a longtemps que tu n'as pas pris le temps d'y retourner. Ces souterrains sont devenus trop sombres et trop austères pour oser y retourner seul. Mnemosyne a grandi et vos jeux d'enfant ont fini par disparaitre de vos esprits.

Debout devant la cheminée du salon, tu actionnes un levier sur une gargouille en haut à gauche et un escalier se dessine vers les profondeurs. Tu ouvres la marche, une lumière brillant au bout de ta baguette. Tu l'entraines au détour de longs couloirs poussiéreux. Il y a tout autour de vous plusieurs chemins possibles, menant à des destinations diverses : des culs de sacs et des sorties. Soit sous l'église de Melrose, soit au coeur de la forêt de Gala à l'orée du manoir. Il y a autant de chance de se perdre sous le manoir que de se perdre dans la nature qui l'entoure.

— « Pourquoi quoi ? Pourquoi est-ce qu'ils ont été construits ou pourquoi je les ai choisi ? »

Deux questions qui n'ont rien à voir mais tu as du mal à mettre de l'ordre dans tes pensées.

— « Je crois que... Je crois que j'ai besoin que ça soit ici. J'ai passé trop de temps en ces lieux plus jeune, quand je voulais lui échapper. Quand je ne voulais plus le voir, quand je voulais être libre d'exister. Quand je voulais qu'il disparaisse. »

Qu'il en fasse lui même ses conclusions, tu ne peux pas tout expliquer.
Sage analyse les sortilèges de protections et tu attends, surveillants les alentours et les bruits suspects. C'est que le moindre craquement ou la moindre chauve souris dérangée peut te faire sursauter. Tu ne sais pas ce qu'il se passe Clovis, mais visiter ces lieux décuple chez toi une hypersensibilité exacerbée.

— « Quoi...? »

Je devrais le garder le temps que nous le faisions.
Tu le savais. Tu le savais ! En réalité il ne s'est jamais intéressé à ces souterrains. Tout ce qu'il veut c'est le récupérer ! TOUT CE QU'IL VEUT C'EST TE LE VOLER

— « Vraiment ? »

T'as la voix plus grave. L'horcruxe est pourtant enfermé en haut mais tu sens la froideur du métal chatouiller ta peau. Tu sens sa force et sa conviction ébranler les tiennes. Tu pourrais poser un genou à terre tellement tu as le tournis mais tu restes bien ancrés dans le sol, les jambes aussi solides que des piliers.

— « Tu ne l'auras pas... Je ne te laisserais pas... me le prendre. »

Tu plaques tes mains sur tes tempes. Inspires, expires. La sueur coule le long de ta nuque. T'as de la fièvre c'est sur.

— « D'accord, d'accord. Prends-le... »

Tu masses ton front, respirant plus bruyamment pour te calmer. Tu dois lui faire confiance... lui faire confiance.

— « Je te fais confiance. »

Ça sonne faux, tu le hais ! Tu le hais ce sale petit hypocrite !

— « Qu'est-ce que tu vas en faire...? »

Tu n'es déjà plus à ta place. Tu t'es placé en une demi seconde devant lui, le regard aussi vide qu'instable. Tu lui attrapes le poignet, le serrant fort. Tu trembles.

— « Et tu reviendras avec, hein...? »

C'est insupportable, cette douleur vive qui martèle ton âme. Tu luttes comme tu peux pour ne pas te laisser envahir - mais c'est trop tard. La magie noire a déjà pris possession de tes cellules, fait pulser ton coeur qui pompe à l'agonie. Tu tentes pour autant d'être raisonnable, de faire fuir les pensées invasives et les doutes cruciaux. Tu ne remarques pas le sortilège informulé (impardonné) de Sage qui s'agite du bout de sa baguette. Tu ressens une accalmie légère, suffisante pour te faire lâcher son poignet.

— « Je... Hm. »

Tu baisses les yeux et ravales l'acide de tes lèvres. Tu as du mal, mais tu acceptes l'idée qu'il fait ça pour te (vous) protéger. Il veut t'aider, c'est tout. Il veut prendre soin de sa famille comme tu aspires à sauver la tienne.
Tu saisis son bras de nouveau, mais cette fois il n'y aucune animosité. Tu n'arrives pas à parler alors tu le fais avec les yeux Clovis. Tu lui fais comprendre sans poser aucun mot que tu le remercies de faire tout ça. D'insister.

Et sans rien ajouter de plus, tu le dépasses sur le côté. Prends lentement la direction de la sortie comme il te l'a suggéré. T'as mal à la tête et tu te sens oppressé.

— « Oh. Je n'avais pas compris. »

Tu te racles la gorge.

— « Ça date de nos ancêtres. Apparemment un seul tunnel a été pensé à la construction du manoir et la génération d'après a fait construire un véritable réseau. Si j'ai bien compris ce que me racontait ma mère à l'époque, c'était pour échapper aux moldus et aux divers conflits qui régnaient à l'époque. »

Tu ris un peu, nerveux.

— « Apparemment il y aurait un trésor dans une pièce cachée selon la légende mais je t'avoue que j'ai tout retourné étant gosse et soit il est bien planqué, soit il a déjà été trouvé il y a des décennies soit il n'a jamais existé. »

Tu remontes les marches de la cheminée.

— « Je suppose que... »

Que tu ne peux pas y couper. Vous allez devoir aller le chercher.

— « Tu veux parler à Darya peut-être ? »

Pendant un instant vous ne dites rien. Debout devant la cheminée, tu actionnes de nouveau le levier pour fermer le passage secret. Tu brises ensuite le silence pour lui proposer d'aller voir Darya. Il te rappelle tout de suite ce qu'il te reste à faire - aller chercher l'horcruxe dans ta chambre. Tu transformes ta grimace en rictus désabusé. Tu n'es pas à l'aise Clovis, mais tu dois t'accrocher. Tu dois faire ce sacrifice, autant pour toi que pour tout ceux qui habitent à tes côtés. Tu dois lui confier aussi pour t'en libérer. Il est si lourd qu'il t'écrase en permanence.

— « Oui, bien sûr, je m'en vais le chercher. »

Tu tournes les talons puis te figes. Tu restes dos à lui, serres lentement le poing sous ta manche. Est-ce que tu l'aimes ? Sincèrement. Tu connais la réponse, et c'est un non. Tu ne te tournes pas totalement vers lui, lui jetant un regard par dessus ton épaule.

— « J'essaie. Mais l'amour se construit au fil du temps. »

Tu ne cherches pas à avoir de réponse. Tu continues ton chemin jusqu'à ta chambre, passes devant le petit bureau de Darya au passage. Tu te permets de la prévenir. Ton cousin Sage est là. Tu ne dis rien de plus et fermes la porte de votre suite parentale. Tu t'approches de la table de nuit, la respiration de plus en plus hachurée. Tu l'entends siffler depuis le tiroir. Il t'appelle. Tu n'as pas ouvert le coffre depuis des jours. Est-ce que tu te sens capable de le prendre ?

Tu tires le tiroir et fixes l'écrin parsemé d'or. Tu t'en saisis non sans ressentir une violence douleur au niveau des tempes. Tu laisses passer quelques dizaines de minutes, assis sur ton lit. À souffler et à pleurer. Parce que c'est l'effet que ça te fait maintenant.

Quand tu te sens prêt, tu bloques le coffre sous ton bras et descends pour le rejoindre en bas.

— « Me revoilà. Je suppose que tu as pu croiser Darya. »

Tu forces un sourire et baisses les yeux sur le coffre. Prends une grande inspiration et lui tends.

— « Prends-le vite. »

Et alors qu'il s'en saisit, tu as du mal à le lâcher.

Il ne te lâche pas du regard. Et toi non plus. Toi tu ne lâches pas la boite. Et lui non plus. La sensation d'encre colle au palais et t'as l'impression que tu vas lui vomir toute ta détresse à la figure, sous l'apparence d'une bile informe et putride.
Clovis. Tu entends sa voix au loin. La manière dont tu le fixes est inquiétante car tu dissocies. Clovis. À deux doigt de faire une connerie. Les battements de ton coeur accélèrent. Clovis.

Et finalement tu lâches.
C'est comme une écharde profonde qu'on arrache d'un seul coup. Tu te sens libéré d'un poids, Clovis. Et tu recules d'un pas pour ne pas être soumis à la tentation de la lui reprendre de force. La sueur au front, tu cales ta respiration effrénée sur un rythme plus doux.

— « Pars. »

C'est dit sans impolitesse - à l'image d'une supplique.

— « Emmène cette chose d'accord ? »

Tu inities d'ailleurs le chemin vers le hall d'entrée.

— « Quand reviendras-tu ? »

Pas que tu sois pressé.
C'est plutôt pour savoir ton sursis.