D’abord, il fallut te convaincre ; ce ne fut pas mince affaire. Pour moi ça ressemblait plus à un abandon de ta part qu’une victoire par K.O de mon côté. Le résultat fut peut-être le même, mais il me dépouillait de la moindre satisfaction. En clair, ni l’un ni l’autre n’était aux anges.

Pas de surprises là-dessus ; une certaine méfiance régnait encore entre nous. Ou bien j’extrapolais totalement et tu étais juste de mauvais poil, comme la majorité du temps quoi. Quoique… peut-être qu’en te côtoyant au quotidien, l’humeur pouvait parfois être au beau fixe. Le soleil finissait toujours par se lever même si la nuit nous semblait interminable.

L’ambiance était morose, normal, à ton silence je superposai le mien, pensant que tant nous n’étions pas arrivés à destination, tu ne prononcerais pas le moindre mot. Ton métier demandait de toi d’essayer d’entrer dans la tête de tes patients, pour mieux comprendre leurs névroses, mieux les apaiser ; moi j’aurais bien aimé savoir ce qui se tramait dans la tienne à ce moment.

Et vu que ce n’était pas demain la veille que j’allais devenir Legilimens, bah le mieux c’était tout simplement de fermer ma gueule ou de demander directement et me prendre un vent ou une remarque. Bizarrement la première option me paraissait plus inoffensive que la seconde ; l’instinct sans doute.

Mais une fois arrivée à la Pomme D’or et alors que le soleil commençait à se coucher, je pris mon courage à demain pour te demander d’un ton nonchalant :

─ T’es déjà venue ici ? Pas de réponse. Un petit coup d’épaule pour attirer ton attention : oh ! Tu m’écoutes quand je cause ?! T’es déjà venue ici, oui ou merde ?

Je devais être médiateur dans une autre vie. Pas la meilleure des façons de débuter une soirée, mais si le pire était à venir j’y étais préparé. Pas d’arc-en-ciel sans un petit peu de pluie après tout.    

Dès les premiers instants, tu ne laissas planer aucun doute sur la teneur de nos échanges. J’avais l’habitude de me faire rentrer dans le lard ; là il fallait admettre que c’était fait avec autant de classe que de dédain. Si j’avais peu d’estime pour moi, j’aurais déjà sauté dans La Tamise.

Mais c’était mal me connaître. Si nous étions là, c’était surtout parce que j’avais remarqué que tu étais de – très – mauvais poil ; malgré tout tu avais la chance de bénéficier de ma patience et toutes les bonnes volontés du monde dont je pouvais faire preuve.

Dès que tu ouvrais la bouche, c’était pour cracher du venin. Je n’en fus pas surpris, encore moins décontenancé ; j’avais connu bien pire. Tu me demandais ce que je voulais, je n’eus de réponse qu’un haussement d’épaules, rien que pour le plaisir de t’emmerder.

Sans surprises, ce fut l’indifférence de ton côté également. L’attention captée d’un serveur, la commande passée et bien évidemment la petite pique à mon égard ; quel plaisir que d’être en ta compagnie ma chère – ironie !

Cela dit, maintenant que nous avions son attention, autant en profiter :
─ Une bouteille de blanc, sucré. Une légère pause, puis une doléance avant de le voir partir : pour le whisky, laissez la bouteille aussi on va se débrouiller.

Gentleman. C’était moi qui invitais. Je me doutais bien que je n’aurais aucune reconnaissance, au mieux un coup de pied dans les noix, mais j’étais joueur. La furie dans tes yeux posés sur moi ; le regard aurait pu me faire tressaillir si j’étais fais de mousse, mais non. Au contraire, ce fut un sourire goguenard que j’opposais à ta mine de déterrée.

Puis il y eut ce pourquoi fatidique. Il devait arriver tant il était légitime. Car après tout, nous étions loin d’être les meilleurs amis du monde et j’ai carrément dû te trainer ici pour te voir daigner me suivre. Pourtant c’était amusant, malgré toute la réticence et la mauvaise volonté de l’univers, tu étais là avec moi. Rien que pour ça, ça valait le coup ; même de me faire insulter mes morts si cela devait arriver.

─ Parce que ? Moi ? Te rendre chèvre ? Mais alors là, pas du tout. Je plaidai non coupable, votre honneur. T’en tires une tronche, t’as la mine plus sinistre que le plus suicidaire de tes patients. Le rire gras et moqueur, le tact aux abonnés absents ; la définition même de jouer avec le feu. Je nage en plein doute, Rose. Toi, tu viens d’une famille de sang-pur c’est ça ? Donc normalement et à moins d’une surprise de taille, tu dois avoir plus de thunes que moi ? Et pourtant c’est moi qui invite. Je crois que ça mérite un effort de ta part ; et si tu essayais d’être moins… comment dire…

J’eus pleins d’adjectifs en tête, mais aucun de réellement satisfaisant. Pourtant avec toi, il était inutile d’y aller avec des pincettes ; j’avais déjà fait l’expérience de la brutalité de ton caractère. Mais là il me semblait que nous atteignions de nouveaux sommets. La montagne à gravir me semblait interminable. Mais à force de patience et de persévérance… qui sait.

─ Bah déjà si t’essayais d’avoir l’air moins dépitée d’être là. Tu consommes gratuitement et en excellente compagnie ; j’en connais plus d’un qui aurait déjà hypothéqué leur manoir froid et lugubre pour un moment avec moi. Ah bon qui ? Hem, bref. Vous les femmes, vous pensez toujours qu’on a quelque chose derrière la tête à chaque fois qu’on vous invite quelque part. Ne te méprend pas, tu es séduisante, attirante et tout le tralala… mais avec une gueule comme la tienne, je crois que même un troll y réfléchirait à deux fois avant d’essayer de te pécho.

Je disais quoi déjà par rapport au tact ? Ah oui, inexistant.

─ Bois un coup pour commencer, essaye de te relaxer un brin, profite de l’ambiance, des gens qui s’amusent, imprègne-toi bien de celle-ci. Et si tu essayais de me dire ce qui ne va pas ? Sans rentrer dans les détails, je sais ô combien vous tenez à votre vie privée, vous autres les purs-sangs.  

Mads, Mads, Mads. Oh oui, j’adorai quand tu prononçais mon prénom même si tu voulais probablement me dire de fermer ma gueule. Et sans surprises le moulin à paroles poursuivit sans s’interrompre ; j’avais réussi à te faire réagir, une petite victoire.

Naturellement, tu n’avais rien écouté. Ou tu t’en fichais éperdument. Tu relevais mon vocabulaire, pas à ton goût… tu n’étais pas au bout de tes peines très chère. Mais oh ! Un sourire ! Incroyable. J’en sauterais presque de joie si l’on n’était pas si bien installé dans notre assise.

─ Comme ça que je drague ? J’en pouffai de rire. Poupée, as-tu envisagé un seul instant que tu n’étais pas mon genre ? Objectivement, tu es séduisante, désirable, même un aveugle le verrait. Mais peut-être que tu ne m’émoustilles pas ? Hm ?

Spoiler : c’était faux. Moi et la gent féminine comme masculine, c’était un peu comme un gosse et les prises électriques : tant que je n’avais pas mis les doigts dedans je voulais savoir ce que ça faisait.

Mais tu me proposais un défi de taille : te séduire. Le haussement de sourcil pour manifester ma surprise. Sérieusement ? Pauvre de toi. Tu allais amèrement regretter cette demande.

─ J’ai menti, je te fais des cochonneries quand tu veux. C’est assez clair ou je peux mieux faire ? Non attends, ne dis rien, je peux mieux faire. Tiens, je vais te complimenter, tu vas adorer.

Spoiler : c’était faux. Mais si avec ça tu voulais rester avec moi… alors la soirée s’annonçait des plus prometteuses. J’en vins d’abord à me rapprocher. La distance me fut convenable dès l’instant où nos cuisses se touchèrent.

Le menton soutenu par mes phalanges, j’en vins à te sortir la meilleure réplique pour manifester mon intérêt pour ton joli minois.

─ J’irais ramper nu sur du verre brisé, pour sucer l’érection du dernier mec qui t’as sauté. Ah oui quand même. C’est bon ? C’est assez incisif pour toi ou t’en veux encore ?

Ce n’était pas vraiment répondre au défi que tu proposais, mais si avec ça tu n'avais pas compris que je voulais m’amuser…  

Loin d’être insensible à la flatterie, ce ne fut pas l’arme ultime cependant. Et j’aurais pu m’enfoncer dans mon mensonge, prétendre que tu n’avais rien d’attirant… mais quelle erreur cela aurait été. Si j’avais la moindre chance de te sauter, fallait tenter le coup.

Pas très gentleman, loin de là même ; mais si tu voulais des manières, tu n’avais qu’à tenir compagnie à tes semblables, il y en a bien un qui te ferait la cour comme on disait chez les ringards. Une telle médisance ne me ressemblait pas pouvait-on penser.

Je me considérais simplement comme l’offenseur de tous les statuts. Un amas de chairs restait un amas de chairs, peu importe le nom dont on l’affublait et toutes les parures qu’il revêtait. Celle qui m’accompagnait était un amas plus attirant que d’autres… aussi simple que ça.

De la même façon que moi, tu pensais que la meilleure défense, c’était l’attaque, ce ne fut pas étonnant de te voir chercher un contact, même un simple frottement de cuisses. Silencieuse au point de ne pas me donner la réplique, sans doute que mon trait d’esprit se suffisait à lui-même, pas besoin d’en rajouter.

Ou peut-être que tu en demandais plus ? Ceci expliquait cela. Les corps qui se joignirent, le susurrement dans l’oreille ; oh, Rose, tu savais y faire quand tu le voulais.

─ Quelle déception, j’aurais adoré que tu me susurres des cochonneries dans l’oreille.

Sans doute qu’à la faveur des boissons alcoolisées et désinhibant, mon souhait se réaliserait aussitôt. L’espoir, tout ça.

En parlant de celles-ci, voilà qu’elles étaient amenées par le serveur. Le vin délicat pour monsieur et l’alcool fort pour madame, de quoi déconstruire les clichés. Un simple « merci » glissé et j’eus enfin un geste galant, te servant ta boisson, trinquant avec toi :

─ Aux folies de la soirée et l’amnésie du lendemain !

C’était ainsi Rose, que je voulais te libérer d’une quelconque culpabilité. Tu pouvais t’amuser comme jamais tu n’avais osé, car je n’étais pas celui qui jugeait. Au contraire, si je pouvais t’entrainer avec moi… je le ferais sans hésiter.

─ Tu veux goûter ?

Au vin hein. Pour le reste… on verra ça plus tard.