Deux jours que tu ne l'avais pas croisée. Pourtant, elle errait usuellement dans le Ministère. Alors tu ne comprenais pas.
Tu n'aimes pas quand certaines choses ne semblent pas être à leur place. Surtout lorsque les programmes n'ont pas changé, que les choses semblent censément pareilles.
Là où tout semblait habituel, Éléonore détonnait par son absence.
C'est par un concours de circonstance que tu l'aperçois passer dans le couloir.

Éléonore !

Ta voix n'accepte aucun refus. Tu te relèves de ton bureau, avances jusqu'à la porte que tu ouvres plus grand pour elle. En attendant qu'elle t'y rejoigne.
Toi qui n'aimais pas laisser la porte ouverte, tu n'en avais pas eu le choix - la pièce avait besoin d'être aérée après qu'une de tes bouteilles s'était éclatée sur le sol. Une très bonne bouteille, par ailleurs.
Mais cela n'était d'aucune importance désormais. Ce qui t'intéressait c'était la demoiselle au fond du couloir.
Tu t'étais trop attaché à elle comme un père à son enfant. À l'image de Croyance, elle représentait depuis un certain temps une constante dans ta vie. Alors tu avais besoin de savoir ce qui se passait dans la sienne.

Ta tête se penche.
Tu n'es pas dupe, Savoy. Et elle le sait aussi bien que toi. Sinon elle n'aurait aucune raison à une telle nervosité.
D'un signe, tu l'invites à rentrer dans ton bureau et ton regard ne supportera pas qu'elle te dise non. Tu fermes la porte derrière elle, soupires.
Tu aimes pourtant qu'elle te parle français. C'est un plaisir d'entendre ta langue ici, entre ces murs où tu te sens toujours encore parfois étranger.
Mais dans ces circonstances, c'est différent.

Léo, ma douceur, que se passe-t-il.

Tu ne parles pas français, l'invite à s'asseoir dans un fauteuil, alors que tu t'adosses à ton bureau pour la contempler.
Mais finalement, tu cèdes. Et ta langue maternelle s'écoule de tes lèvres.

J'irais mieux lorsque je saurais ce qui vous tracasse mon enfant. Maxine allait bien la dernière fois que je l'aie vue. Le temps est effectivement de plus en plus agréable et si vous avez faim je peux vous apporter une poche.

L'avantage de votre département était que le sang était toujours à votre portée - il suffisait juste d'aller le chercher.
Tu appuies tes mains contre tes genoux pour te baisser à son niveau et la dévisager.
Quelque chose a l'air de ne pas être comme d'habitude mais tu ne parviens pas à l'identifier. Et ça t'inquiète encore plus.

Il est plus aisé de te rendre inquiet que te rassurer. Et Éléonore vient parfaitement frapper là, où la crainte siège. Alors tu l'observes, l'écoutes sans rien dire, continues de la dévisager. Elle te ment, elle le sait, elle dissimule quelque chose.
Comment le savoir sans le lui arracher ? Il était bien plus simple d'être son supérieur, parfois, mais l'inquiétude finissait toujours par gagner le dessus.
On te disait trop souple, Savoy, trop gentil avec ceux qui peuplaient ces couloirs. Mais comment ne pas l'être quand ils se comportaient comme des enfants ?

Léo.

La douceur et l'inquiétude transparaissent dans ta voix quand elle se relève et que tu attrapes ses poignets, que tu viens chercher ses mains, sans te relever toi, comme un parent.
Décidément.

Je ne veux pas que tu fuis. Je ne m'inquiète pas pour ta faim, tu la gères très bien. Depuis quand as-tu des maux de tête ? En as-tu parlé à l'infirmerie ?

Tu soupires doucement, lèves la main vers sa joue pour l'effleurer du dos de ta paume.

Cela fait des jours qu'on ne te voit ni ne t'entends plus au détour des couloirs. Parle moi, je t'en conjure.

S'ils s'occupent si bien d'elle à l'infirmerie, pourquoi a-t-elle l'air d'être une autre ? Où est passée son élan, sa colère, sa fougue ?
Où est passée l'enfant qui courrait tout le temps prête à trouver une raison à ses déplacements ?
Tu l'ignores. Mais elle, elle sait. Et elle sait que tu attends la réponse, que tu n'es pas prêt à laisser tomber. À lalaisser tomber.
La douleur sur son visage te fend le coeur, alors que tu réalises qu'elle souffre au moment où elle semble se mordre la joue.
Puis tout devient clair - et pour toi devient rouge. Comment avais-tu pu laisser passer cela ? Comment n'as-tu pas vu ?
Tu sais pourtant, tu le sais Savoy, à quel point cette blessure là est difficile. Immonde, infâme, la pire des cruautés.

Ce n'est pas une blessure de guerre, Léo.

Doucement tu portes une main à sa joue - cherchant dans ses yeux l'accord pour la toucher.
On ne brisait pas des crocs de vampire comme ça - et encore moins de façon aussi nette.

Pourquoi ne pas être venue m'en parler ? J'ai été magizoologiste, j'aurais compris... La douleur, comment fais-tu seulement pour ne pas y succomber ?

Tu ne sais même pas ce que tu pourrais lui donner - pourtant tu tend ta baguette vers ton bureau, attirant la trousse de secours. Au fond, des potions - tu lui en offres une pour la douleur.

C'est un membre du département qui t'a fait ça ?

Ton regard planté dans le sien - cherchant à savoir, à comprendre.
Mais ce n'est qu'une enfant.
Alors doucement, tu l'attires contre toi pour une douce étreinte, précautionneux de ne pas lui faire plus mal.

Elle s'est légèrement reculée, lorsque tu as tendu la main vers elle - effrayée. Comment pouvait-on avoir laissé cela arriver ?
Comment pouvais-tu avoir laissé ça arriver ?
Doucement, tu avais regardé ses dents. Avant de l'enlacer. C'est dans tes bras qu'elle semble se détendre davantage.

Non, tu n'es pas un animal, tu es Léo, l'implacable chasseuse. Je ne doute pas un instant de ta force, sors toi ça de la tête.

Tu te recules doucement, expirant. Tes mains prennent les siennes, et tu indiques la potion du menton.

C'est un anti-douleur - prends le, si tu as mal.

Elle te rassure que ce n'est pas un de vos collègues - et bien que ça te soulage, ça t'inquiète aussi dans une certaine mesure. Serait-ce un membre du Ministère alors ? Ou un étranger errant dans vos couloirs ? Fallait-il renforcer la sécurité ?

C'est important, oui. Pour éviter que ça arrive de nouveau.

Tu secoues la tête, la couves du regard.

Est-ce que tu as fait quelque chose pour les traiter ? Vu un dentiste ?

La potion semble la soulager - et heureusement. C'était une des tiennes, pour apaiser la douleur dans ton épaule. Parfaitement dosée pour soigner ce qui relevait de douleurs de ce genre. Que ce soit la morsure d'un loup-garou, ou la douleur dentaire d'un dhampire.
Cela dit, tu aurais préféré ne pas avoir eu à en être équipé. Et ne pas avoir eu à l'utiliser pour quelqu'un d'autre. Surtout pour Éléonore.

C'est quelqu'un du Ministère que tu protèges, Léo ?

Regard inquiet, regard préoccupé.
Tu secoues la tête lorsqu'elle essaie de te rassurer. Tu ne la crois pas - pas tant qu'elle ne te dit pas la vérité.

Combien de temps cela fait déjà ? Je vais te donner une journée de congé et tu iras à Sainte Mangouste, d'accord ? Tu...

Tu grimaces, serres ses mains. Tu as besoin de savoir. Est-ce qu'elle avait encore les bouts ? Les pointes de ses canines dont elle était si fière ?
Puis tu réalises que non, que ce ne doit plus être le cas. Pourquoi lui prendrait-on ses dents si ce n'est pour les revendre ?
Tu fermes les yeux, expires lentement.

J'ai besoin du nom, Léo. Je ne peux pas laisser ça ainsi.

Ce n'est pas quelqu'un du Ministère. Un certain soulagement se dessine sur tes traits - car elle te l'ai dit, et car ce n'est pas aussi grave que ce à quoi tu t'attendais. Un baiser sur son front, tu expires lentement, te recentres. Maintenant que cela était acquis, tu aurais le temps de pouvoir le gérer.

Merci.

Tu restes là, auprès d'elle, alors que tu attires à toi un des livres qui parsèment le bureau. Entre les pages, une information qui te permet d'imaginer comment l'aider. Peut-être.

J'imagine à ta mine que tu n'irais pas à Sainte Mangouste ?

Doucement, tu caresses son bras, te voulant rassurant. Tu veux que le Ministère soit un abri, pas une cage où les hybrides se font attaquer - alors tu prends la responsabilité sur toi. Tu avais failli - ça ne devait pas arriver de nouveau, et tu devrais tout faire pour qu'Éléonore n'en paye pas tous les frais.

Je pourrais m'en occuper, si tu le souhaites. Pour que tu ne souffres plus - car tant que l'on ne refermera pas l'endroit où les nerfs sont à vif, je crains que ça ne s'arrêtera pas.

Tes yeux tentent de se plonger dans les siens.

Veux-tu que j'aille à Sainte Mangouste avec toi pour que ce soit fait ou préfères-tu que je m'en occupe ?

Tu ne peux pas la laisser ainsi.

Elle ira.
C'est ce qu'elle dit, du moins. Qu'elle ira.
Sauf qu'elle ne s'arrête pas là. Elle va bien au delà, elle te brise le coeur et tu as envie de tomber à genoux, de la bercer contre ton torse.
Que quelqu'un sauve cet enfant, que quelqu'un lui donne l'amour qu'elle mérite, que quelqu'un lui montre que le monde n'est pas fait que de monstres destructeurs qui ne méritent pas le moindre de ses regards.
Tu as envie de pleurer pour tous ceux qui, comme elle, vivent sur l'emprunt de bonté donné par défaut.

Éléonore... Léo.

Tu ne veux pas la paterner, mais tu ne sais pas comment lui montrer ton affection - alors tu te dis qu'au diable les conventions et tu tombes à genoux, attire sa menue silhouette contre toi, de toutes tes forces.

Personne n'a jamais vu les crocs, Léo. Tout le monde a toujours vu la chasseuse aguerrie, la fille inarrêtable, qui erre et qui rit dans les couloirs du ministère.

Tu te retiens si fort de pleurer - comme si c'était trop, comme si ces derniers temps étaient trop durs à supporter, comme si la charge émotionnelle exigée était celle que tu avais économisée toute ta vie.

Crocs ou non, tu restes Miss De Sade, la respectée et l'adorée. Que fera-t-on si la douleur t'empêche d'être celle que tu es ?

Tu te recules légèrement pour la regarder.
Ce qu'elle peut avoir l'air frêle, lorsqu'elle laisse le monde extérieur l'influencer. Tu as l'impression de voir tout s'effondrer autour d'elle - et entre tes mains ce n'est qu'un bout de brique que tu tiens, et qui n'a même plus la moindre place où aller.
Elle est effondrée, et tu es impuissant. C'est ça la vérité.
Quand est-ce qu'as-tu cessé de voir le présent à force d'être trop perdu dans ta vision de l'avenir, Savoy ?

Eléonore, ta performance au travail c'est la dernière chose qui me préoccupe...

Mais voilà qu'elle demande. Voilà qu'elle demande quelque chose qui n'aura pas lieu. Non pas parce que tu ne le laisserait pas arriver, mais parce que c'est impossible.

Ça... ça ne repousse pas comme ça...

Tu secoues la tête, soupires.

Il te faut de la magie pour aider à la repousse, mais tout seul... Tout seul ça ne peut pas repousser. Et là...

Tu fermes ta main sur une des siennes.

Si vous souhaitez qu'elles ressemblent à des dents mortelles, soit. Mais laissez vous soigner pour pas que la souffrance de vos nerfs à vif ne vous achève.

C'était une bataille perdue d'avance de toute manière - alors autant faire des compromis.

Sur ton visage se dessine sûrement bien plus que simplement ton désarroi. À ce stade, tu ignores que faire - comment agir afin d'aider cette jeune fille sous ta responsabilité - professionnelle comme personnelle - alors qu'elle refuse de se faire soigner.
Doucement, tu te redresses, t'appuies de nouveau contre le bureau. Tu hoches la tête - en réponse à tes propres pensées.

Amenez moi un justificatif d'un médecin vous déclarant apte à retourner au travail après la cautérisation, pour me prouver que vous n'avez plus mal - ou que vous avez une médication pour la douleur. Je ne peux laisser un agent blessé sur le terrain.

Un air de défi sur ton visage - qui s'efface pour un peu plus de douceur. Tu tends tes mains, la laisse libre de les saisir - ou non.

Je veux que tu me dises ce qui va pas, à l'avenir. Pas que je sois obligé de te courir après dans les couloirs.

Un instant, tu te demandes si elle a mis Maxine au courant - ou s'il faudra que tu le fasses, toi. C'est donc naturellement que tu siffles pour appeler ton hibou, prenant un papier pour y griffonner rapidement un rendez-vous - l'attachant à sa petite patte avant de le renvoyer.
Si elle n'est pas au courant, c'est toi qu'elle tuera.

Y a-t-il autre chose que tu aurais à me dire ?