Le soleil s'était couché, laissant un ciel zébré de violets et d'ors qui progressivement devenaient du bleu sombre. Cassidan aimait particulièrement cet instant, cet instant juste après le coucher du soleil, qu'autrefois il craignait tant. Désormais, il pouvait en apprécier l'entière beauté, se délecter de sa signification nouvellement acquise, et tout simplement en profiter.
Il lui avait donné rendez-vous à cet exact endroit. À ce banc, dissimulé de tous regards, que les buissons avaient cachés, que la nature avait rendu invisible. Cassidan avait dormi ici, autrefois, mais il n'y pensait guère désormais. Non, le lieu avait une autre signification. C'était ici qu'il l'avait vu pour la première fois, qu'il avait cru apercevoir un ange.
Oui, il avait longtemps cru que Raspoutine n'était que le fruit de son imagination, un ange gardien invisible qu'il était le seul à voir.
Maintenant, voilà qu'il arrivait - en chair et en os.
Cassidan se rassoit, jusque là allongé sur le dos pour contempler le ciel.
Il avait autre chose à contempler maintenant.

J'ai presque cru que tu ne viendrais pas !

Sa voix est claire dans l'atmosphère douce de la soirée commençante, sur le fond du gazouillis d'oiseaux et de l'eau coulant d'une fontaine.
Il tapote la place à côté de lui, relevant sur le banc un panier en osier où il a entreposé de quoi manger ensemble.

Comment s'est passée ta journée ?

De gestes doux, Cassidan retire un à un les petits mets préparés pour leur rencontre sur le banc entre eux, observant Raspoutine à la dérobée.

Je sais bien. Puis, tu es toujours là.

Un sourire, il hausse souplement les épaules.

Je m'oblige à un peu de repos.

Les journées étaient chargées à l'atelier, entre les commandes et les clients, et il peinait à prendre du temps pour lui, préférant se jeter dans la charge du travail comme un imbécile.
Après, courbaturé et épuisé, il regrettait lorsqu'il devait s'acheter des potions pour se remettre sur pied.
La question de Raspoutine le fait reposer le panier au sol, alors qu'il grimace, taquin, mais quelque part légèrement déçu que les premières questions de l'homme soient celles-ci.

On ne pense à moi qu'à ces moments là ?

Léger rire, il soupire, se concentre à ordonner les aliments sur la serviette tendue entre eux.

Tout va bien de mon côté. Je suis content que tu aies pu aider autant de personnes.

Cassidan sourit - car lui aussi aimait leurs rendez-vous au point que même en cas d'urgence il s'assurait de venir. Et lorsque l'homme complimente sa cuisine, il rit, bien que la taquinerie le fait s'interrompre, croiser les bras, et prétendre bouder.

Je ne comprends pas pourquoi tu continues de me rappeler cette histoire. Tu l'avais bien aimée, pourtant, cette pizza !

Il finit par lui tirer la langue, récupérant les baguettes du panier pour attraper un sushi.
Les paroles le font légèrement rougir, et il se dissimule un instant derrière ses cheveux, avant de s'accrocher aux détails pour rebondir.

Raspoutine Asenov est donc devenu une veilleuse. Je me demande ce qu'ils en pensent à ton travail -

L'hilarité se dessine sur les traits, alors qu'il récupère un grain de riz sur sa baguette.

Oui ! L'opportunité de Danse avec les Stars a fait crever le plafond à mes ventes. Je crois je vais bientôt devoir embaucher quelqu'un pour maintenir le rythme !

Il hoche la tête sagement Cassidan, prenant un california roll avec appétit - il l'avait tout de même attendu un sacré moment et son estomac exigeait d'être nourrit dans l'immédiat. Le grain de riz avait été une mise en bouche et désormais sa faim se réveillait vivement - alors il prend le temps d'avaler son sushi et se pare des baguettes à nouveau pour voler un maki.

Le pouvoir ne te monte jamais à la tête, dis-moi ?

Un rire innocent, alors qu'il sourit, lève les yeux au ciel taquin, repose le maki et pose sa main sur l'avant-bras de Raspoutine, attentif.

Par contre, tu sais, tu as le droit de me parler. Qu'est-ce qui ne va pas ? Je te sens pas dans la sauce - et je parle pas de la sauce soja !

Il était attentif même s'il n'en laissait rien voir - mais lorsqu'il était confronté à ce genre de situations, il ne pouvait résister à offrir une oreille attentive et une épaule solide sur laquelle les gens pouvaient s'épancher.
Se dire que Raspoutine aurait besoin de parler lui faisait un mal de chien.

C'est... Juste une mise en valeur des célébrités et de ceux qui les habillent, oui. J'ai été concepteur et couturier de plusieurs tenues. Je te montrerais quand tu passera à la boutique.

Un petit sourire en coin, il prend le temps de grignoter le maki avant de répondre.

Je ne sais pas. J'angoisse, j'avoue. Mais on verra bien.

Cassidan éclate de rire face à cette pourtant si simple réponse, si évidente, si claire. Il apprécie ce premier degré, cette honnêteté qui transpire de chacun de ses pores. C'est donc entre deux bouchées qu'il secoue la tête, finit par souffler du nez.

Ce n'est pas ce que je voulais dire - mais j'imagine que ça prouve bien que tu n'en fais pas plus que nécessaire. Je suis content que tu sois aussi investi dans ton travail.

Un sourire en coin - qui disparaît à sa question suivante, et Cass baisse son regard, ses doigts déchirant un bout d'algue tombée sur son genou.

Parce que je les apprécie ?

Il hausse les épaules légèrement, lui lance une oeillade timide, se mord les lèvres, pensif. Tant de questions auxquelles les réponses n'étaient pas si aisées que cela.
Tant de questions dont il se posait des variantes en permanence.

J'ai pas vraiment grand monde, tu sais ? Alors tu ne me fais pas perdre mon temps. J'aime le passer à tes côtés. C'est... Reposant.

Un sourire amusé, surtout à sa remarque.

Je suis sûr que je me déplace latéralement.

Clin d'oeil taquin, il tend la main pour effleurer l'épaule de Raspoutine.

Mais je ne t'abandonnerais pas derrière moi, ça je n'en doute pas.