Le coeur pluie, Persy.
Plein de fuites dans ses tuiles qui ne laissent plus passer les éclaircies. Elle ne se souvient plus de la dernière fois où elle a ressenti le beau temps, où le ciel lui a semblé éclatant. Ou peut-être que si, et peut-être qu'elle a trouvé ça irritant.
Comme brilles-tu tant,
Quand en moi il pleut tout le temps ?
C'est injuste.
C'est stupide.
Elle et ses caprices d'enfant.

Pourtant elle sourit, Persy.
Elle sourit au ciel qu'elle déteste et à la foule qui la rebute, ravale l'envie de se rouler dans ses édredons et de s'y morfondre, de s'y laisser dépérir tout au fond. Jusqu'à ce qu'il n'y ait même plus de carcasse à retrouver; rêver de dormir sans jamais s'éveiller.
Mais elle sourit, Persy.
Parce qu'elle est le Soleil sous le mauvais temps.
Qu'il faut bien un astre dans les trous noirs béants.
Un guide lointain mais immuable.
Une façade stable.
Alors elle sourit, Persy.
Et tout le monde lui dit qu'elle est jolie.
(C'est joli oui, comme ironie.)

Et au milieu des poussières insipides elle voit une comète qui interpelle son nom - elle voit une lumière timide qui sait attendrir la chair de ses plaies. Une personne qui sait faire tourner son sourire mécanique en quelque chose d'un peu plus sincère. Qui donne un peu l'impression d'aimer.

▬ Croyance.

Ca sonne doux sur sa langue, ça glisse de ses lèvres avec tendresse comme quelque chose de précieux. Elle l'observe s'approcher, remet derrière son oreille une mèche dégagée. Elle a fait des efforts, Persephone. Elle ne sait pas particulièrement pourquoi, mais aujourd'hui elle est loin de ses habits du travail - l'élégance féminine rare qui pourtant lui sied, et sa chevelure qu'elle a pris plaisir à ornementer. Elle sent bon, aussi. Un peu moins le désinfectant, un peu plus la douceur du printemps.

Le compliment la fait sourire.

▬ Merci, c'est gentil.

Elle n'en croit pas un mot.
Pas qu'elle le pense menteur - juste qu'elle n'apperçoit aucune beauté en elle - chez elle. Il n'y a rien à complimenter. Rien à aimer. Rien qui ne vaille la peine d'exister. Mais c'est pas grave. Elle a le coeur léger, Persephone, malgré la pluie. C'est devenu un peu plus simple à porter, récemment.
Maintenant qu'elle compte s'envoler.

Un rire éclot derrière la main qui couvre poliment ses lèvres - une rare occasion qui se fait plus persistante au fur et à mesure des conversations avec son cadet. Parce qu'au fond, elle s'en veut, Persephone. Elle le laisse venir doucement en sachant qu'elle va partir. Mais quitte à être injuste, quitte à être une erreur, un monstre jusqu'à la fin, peut-être qu'elle peut s'autoriser à être égoïste un peu plus.
Quitte à faire souffrir.

▬ J'allais bien, mais je me porte encore mieux maintenant que tu es là.

Sincère, et ça se sent, comme toujours dans ses paroles mielleuses et dangereuses.

▬ Et tu sais bien que Melchior n'est pas sérieux... Mais il est toujours plein de surprises. Il n'a aucune intention de réellement m'épouser, ou de me draguer. C'est juste un ami.

Tout comme les rumeurs avec Stian ne sont pas sérieuses.
(Pourquoi elle se justifie ?)
Les rumeurs à son nom sont nombreuses.
Tout comme les rumeurs sur sa promotion non-méritée ne sont pas sérieuses. Des mérites de née-moldue qu'on lui refuse. Elle a l'habitude qu'on bafoue son nom au détour des couloirs et des cafés.
Le monde est ainsi fait.

▬ Merci de bien avoir voulu m'accompagner aujourd'hui. Je n'ai pas un planning rocambolesque à te proposer... Je pensais surtout faire du lèche-vitrine à vrai dire. Ca fait tellement longtemps que je n'ai pas eu un jour de libre que je ne sais pas trop quoi en faire.

Ca en dit assez sur son travail pour être inquiétant.
Mais c'est Persephone, alors c'est surtout normal.

▬ C'est probablement ennuyeux pour toi mais... Ca te gêne si l'on s'arrête dans une librairie ? J'aimerais quelques nouveaux livres...

Puis, un sourire plus tendre encore alors que sa tête se penche légèrement, laissant quelques mèches colorées d'aconit glisser sur sa joue.

▬ Evidemment, on pourra aller où tu le souhaites aussi. Tant que je peux passer du temps avec toi, je passerai une bonne journée après tout.

Et ce n'est toujours pas un mensonge.
Joli rossignol qui chante ses songes.

Elle ne se rend pas bien compte.
Elle a toujours eu la prose charmante, Persephone. Les paroles aimantes et le coeur dévoué. Peut-être que certains l'appelleraient fausse pour toutes les douceurs qu'elle peut murmurer avec tant de facilité, toute l'importance qu'elle semble porter sans souvent savoir ce qu'elle peut engendrer.

Mais elle n'est pas idiote, Persephone.
Elle ne sort pas de ses jours de congés avec n'importe qui, elle ne prend pas des jours de congés pour n'importe qui, et le beau temps lui importe peu, puisque pour elle tout est toujours gris. Au final, tout n'avait été que prétexte - un prétexte pour être avec lui.

Il est effrayant, Croyance.
Il rappelle des fantômes (peut-être parce qu'elle le voit si blanc) sans les subtiles nuances que peuvent percevoir les gens, dans son monde monochrome. Peut-être parce qu'il ravive une tendresse familière ; une unique, qu'elle n'a ressenti qu'une fois. Qu'elle a piétiné, même si elle semble vouloir se ranimer ces derniers mois.
Et elle ne sait trop quoi en penser.
Peut-être que ça l'effraie.
Parce qu'elle se souvient, Persephone.
Elle a joué à la conne ;
Mais il le lui a dit -
J'aurais dû t'embrasser.
Et elle avait répondu que oui.

Et quand elle regarde Croyance, quand elle voit la timidité dans ses yeux et qu'elle entend le murmure de son prénom qui la ramène à une certaine innocence qu'elle partage malgré tout, à un coeur qui bat qu'elle pensait pourtant crevé sur la route des années, elle se dit qu'elle peut peut-être éviter le gouffre pour une journée de plus.
Que sa compagnie lui en donne la chance.

Ca la fait sourire.
Un vrai sourire.
Pas ceux qu'elle adresse au travail, pas ceux qu'elle lui a octroyé tout au long des mois où ils se sont côtoyés - une risette avec le coin des yeux qui se plissent, avec cette affection et une légère malice. Un sourire qui manque à trop, et sûrement qu'il ignore le petit trésor qu'il arrive à obtenir sans le moindre effort. Juste en existant.

▬ Vraiment ? Peut-être que tu pourras me donner des recommandations, alors. Le libraire où je vais me regarde souvent de travers pour mes achats en bazar.

Il faut dire que passer de livres pour enfants à de la littérature classique aux recherches astrophysiques pour des écrits sur les plantes, ce n'était pas très ordinaire. Mais c'était Persephone ; un coeur de Serdaigle emprisonné dans sa chair.

Elle suit le mouvement, se permet une certaine proximité sans pour autant l'effleurer, juste pour ne pas être séparés. Elle ne touche jamais, Persephone. Au travail si ce n'est, parce qu'il le faut, parce qu'il faut être poli, parce qu'il faut travailler, parce qu'il faut faire semblant et sourire sans montrer qu'elle se jette sur le désinfectant la seconde d'après.
Et il se trouve laid, Croyance, avec ses balafres.
Mais elle a les mains en charpie aussi.

Quand elles viennent remonter la hance du sac sur son épaule, elle ne fait même plus attention aux dizaines de coupures encore fraîches et récentes, aux cicatrices trop vieilles qui grandissent de jour en jour, et celles plus blanches, plus ancrées dans la chair, qui à leur tour s'ajoutent.
C'est qu'elle retombe.
De plus en plus souvent.
Et peut-être que Fallen n'est pas au courant.
C'est que Persephone coule, et qu'elle n'est plus capable de crier le nom de qui que ça soit au milieu des torrents.

▬ Oh ! Bonne idée. Je ne dis jamais non à un café. Et puis on pourra parler un peu de nos lectures aussi. Ca fait tellement longtemps que j'ai pas eu ce genre de conversations...

C'est qu'elle parle beaucoup du travail.
Surtout du travail.
C'est facile et banal et ça occupe les vides.
Quand les autres ne les remplissent pas en se confiant de leurs soucis. Et puis elle s'arrête dans ses pas un instant, à son dernier commentaire. Quelque chose dans ses propos qui lui semble sincère (et ça lui fait bizarre) elle voit en Croyance cette certaine innocence qu'elle devine pourtant tordue par les vices de la vie. Quelque chose qui bat doucement dans sa poitrine quand elle avoue avec une timidité qu'elle pensait avoir perdu.

▬ Moi aussi, je suis contente. J'aime beaucoup ta compagnie.

Et elle ment beaucoup, Persy, mais pas aujourd'hui.
Alors elle retourne à ses côtés, d'un sourire presque légèrement solaire alors que sa voix hume d'une candeur rare;

▬ Je compatis, même si j'adore crouler sous le boulot... Peut-être que ça vaut le coup de prendre plus de pauses, si je peux passer plus de temps avec toi.

Oh, Persy.
Tes sourires sont souvent faux,
Mais au moins ton coeur ne ment pas.

Elle comprend, Persephone.
Elle a toujours eu les connaissances éclectiques. De l’escrime aux potions à l’astronomie (elle n’a jamais eu l’occasion) de chanter à qui que ça soit la beauté des constellations. Pourtant elle connaît tellement de noms. Tellement de dessins au milieu du ciel, qu’elle pourrait retracer leurs formes sur la peau de son ami en porcelaine.
(Un ami.)
Mais elle ne pense pas à toucher ses amis, Persephone. Elle ne pense à toucher que les exceptions. Les anomalies. Comme Fallen. Comme Stian. Comme Eamon. Comme Mads.
Comme Croyance.
Elle ravale la pensée.
Elle la noie au milieu de la voie lactée.

▬ Je me demande pourquoi… Est-ce que c’est si bizarre de vouloir tout savoir sur tout et n’importe quoi ?

C’est qu’il n’y a rien d’ennuyant ou d’inutile à ses yeux. Que si elle pouvait dévorer toutes les connaissances du monde, elle le ferait. Elle a le coeur grand, Persy, mais le savoir infini. Et pourtant jamais satisfait et jamais accompli.
Et c’est marrant, un peu.
Car elle n’est pas loup, mais à y voir moins bien on a les sens qui s’affinent au quotidien. Et Croyance a ce parfum qui se distingue même des produits de son laboratoire ou de celui des couloirs qu’elle apporte. Un parfum qu’elle guette au détour des couloirs.
Un parfum qui la fait se calmer au milieu des foules.
Un parfum qu’elle aime bien.
(Elle se trouve un peu stupide.)
A ne pas pouvoir lui dire qu’il a de beaux yeux, mais qu’il sent bon et que ça ne lui fait pas rien. Pourtant même avant, elle avait toujours eu quelque chose pour les senteurs. Croyance ne voulait plus penser au thé.
Elle, elle évitait désormais le citron.
(Si seulement ils en savaient les raisons.)
Puis elle cache à nouveau un rire derrière sa main. Elle n’a pas mis ses gants aujourd’hui - elle ne sait pas trop pourquoi. Elle avait l’impression que ça allait aller.
(Courageuse ou stupide, la journée le lui dirait.)

▬ Moi ? Faire battre ton coeur ? Oh, Croyance ! Mon pauvre, je ne pense pas être un très bon parti.

(Mais elle n’a pas dit non.)
Et peut-être que ça en dit long.
Ils sont stupides.
Stupides à deux, c’est toujours mieux.
Et à nouveau elle sourit et lui il fuit et elle a le souffle sucré et le coeur qui s’allège. Elle conjugue son nom à tous les tons. Toutes les émotions.

▬ Croyance… C’est gentil, merci. Ca me fait du bien, en vrai, je pense. De sortir un peu… Peut-être… Peut-être que j’ai un peu trop travaillé récemment.

Pourtant elle le regarde d’un air presque sévère.

▬ Mais je te retourne la chose ! Toi aussi, tu travailles trop. Viens me voir un peu plus souvent, je ne dis jamais non à ta compagnie.

Et puis elle hésite.
Juste une seconde.
Elle a toujours eu la vérité trop facile, Persephone.

▬ Même en dehors du travail, d’ailleurs… Ca me ferait plaisir.

A son tour le regard qui fuit vers le sol, caché derrière quelques mèches brunes, un embarras dans la poitrine qu’elle n’a que trop rarement connu. Elle passe la porte après un signe appréciatif de la galanterie qui lui est accordée et s'émerveille déjà devant les rayons qui s'offrent à eux. Avant de relever des yeux surpris vers un visage pâle et des cheveux de lune (elle ne peut plus le comparer à autre chose que des étoiles).

▬ Je...- ! Non !

Et elle s'empourpre très légèrement, Persephone.
Ca ne lui est pas arrivé depuis l'adolescence.
Même ivre, même au creux de bras familiers, même dans l'embarras le plus inavoué. Et la voilà à rosir, parce qu'il mettait pied dans son petit jardin secret. Et qu'elle se sent coupable d'avouer, une moue juvénile qui contraste avec son âge.

▬ Peut-être un peu de romance... Juste un peu. Voir les nouvelles sorties. Sinon, après, des trucs plus... matures.

Pas comme si elle les connaissait déjà.
Et qu'elle n'attendait que de les avoir entre ses doigts. Elle tente de se reprendre, de chasser les couleurs de sa peau, alors qu'elle met pied dans le magasin sans pour autant jamais trop s'éloigner.
(Et elle se retourne vers Croyance.)
Le sourire aux lèvres, fantôme d'une candeur que beaucoup croient perdue, parce qu'au fond elle s'amuse déjà. Et qu'elle se retourne aujourd'hui, comme elle se retournera demain, comme elle se retournera toujours.
Pour vérifier qu'il est bien là.
Et si elle ne peut pas le faire, l'esprit y est ;
Sa main sera toujours tendue vers toi.
(Car Croyance tu as peut-être perdu la foi)
Mais elle est une prière à ton nom.
Celle d'un astre plus brillant encore qu'Orion.

Elle ne s'est jamais rendue compte de la facilité qu'elle avait à ébranler les âmes. Aveugle à sa proper lumière, éblouie elle-même par le soleil que portent les autres. A aimer tout le monde, elle s'oublie, et oublie qu'on peut la chérir. Alors l'idée trop folle qu'on tienne à son égard des sentiments de tendresse lui est bien étrange et inconnue. Malgré les déclarations de son ami à foison, malgré cette réalisation qu'elle a pu aimer dans sa jeunesse, elle se pensait différente. Et surtout, indubitablement seule au milieu d'une foule toujours plus grande. Elle est entourée, Persephone. Entourée d'astres qui flottent en apesanteur à une distance qui la laisse sereine, seulement quelques planètes autorisées dans son orbite, imprévisibles et pourtant elles aussi ancrées à des routines pour la plupart.
Et elle se sent seule, Persephone.
Ca fait douze ans qu'elle se sent seule.
Bientôt treize.
Un anniversaire qu'elle déteste.
Inévitable, pourtant.
(L'été qui revient trop étouffant.)
Elle se voit déjà dégringolé dans les chaleurs de juillet à repenser à sa naissance et à sa mort (parce qu'elle est morte) et qu'il n'y a que son corps qui continue de marcher.
(Est-ce qu'on me trouverait si charmante,
Si on le savait ?)
Sourire aux lèvres avec douceur.
Sourire aux lèvres avec douleur.
Parce qu'elle se sent seule, Persy.
Entourée de tous et si isolée qu'elle en crèverait. Mais il y a une petite lumière au milieu de la matière noire, aux filons d'argent et au sourire pleine d'une certaine candeur qu'elle devine fallacieuse.
Personne n'est réellement candide.

▬ Tu m'en vois ravie.

Toujours plus de compagnie.
Toujours plus de conversations.
Pour éviter de penser qu'elle est seule et tourner en rond. Il a le sourire beau, Croyance. Différent de Melchior qui l'aveugle ou de celui trop rare d'Eamon qu'elle ne chassera jamais de ses pensées pour avoir pu trop l'aimer. Quelque chose de frais et d'acidulé ; de précieux qu'elle devine comme à chérir et choyer. Comme le citron.
(Et elle est conne à retomber dans le même panneau.)

▬ J'entends toujours dire que la romance n'est que pour les adolescents... Contente de voir que l'on partage les mêmes goûts.

Encore une fois.
C'est que ça s'accumule.
Ses paroles la font sursauter une seconde (un soubresaut dans sa poitrine) qui manque le coche alors qu'elle redresse des yeux surpris vers lui (et se sent stupide, évidemment) car il n'y a bien que les bouquins pour être charmants dans cette boutique. Alors elle retrouve son calme et sa contenance, observant avec attention la couverture du livre qui lui est présenté et comme un papillon elle est attirée par la lumière des étoiles. Elle s'approche doucement, laisse ses doigts nus et parsemés de plaies parcourir le livre avec curiosité.

▬ Quelle beauté.

Un soupir, un murmure.
Adressé à la figure juvénile qui observe l'espace de son petit perchoir. Elle se souvient, Persephone, avoir lu ça dans sa jeunesse de rat de bibliothèque. Se dit maintenant qu'elle y trouverait sûrement des messages bien différents.

▬ Ca fait longtemps que je ne l'ai pas lu, celui-là. Je crois que la dernière fois c'était...

A Poudlard.
Ou à la maison.
Pincement de lèvres.
Elle reprend son sourire et le relève vers la Lune.

▬ Tu aimes les livres illustrés, Croyance ?

Elle détourne les yeux sur les rayons, s'autorise quelque pas pour flâner sur les lectures envisageables.

▬ Maintenant que j'y pense, ça fait tout de même un moment que je n'ai pas consacré du temps à la lecture d'ouvrages qui ne sont pas scientifiques...

Entre les rapports, les études, les comptes-rendus et les recherches... Son temps était déjà bien occupé. Elle attrape un livre au hasard, le retourne pour en lire le résumé. Finit par souffler ce qui l'a toujours traversée en lisant ce genre d'oeuvres.

▬ Je me demande ce que ça fait, d'aimer.

Avec un grand A. L'amour, la romance. Elle qui avait passé des heures à en lire, elle qui l'avait embrassée une fois, elle ne s'en était jamais rendu compte, n'avait jamais communié avec les sentiments qu'elle portait. Elle les avait trouvés trop naturels, trop évidents, les avait acceptés comme une normalité commune qu'elle ne devait pas questionner. Où commence la romance et où se finit l'amitié ? Où les mains jointes deviennent tendres plutôt que douces ? Elle n'a pas les réponses, Persephone. Elle déteste son ignorance. Elle se pense toujours insensible aux maux du coeur. Le fait est qu'elle est toujours aveugle dans un monde de borgnes. La vue lui pèche toujours, sur tous les plans.

▬ Tu as déjà été amoureux, Croyance ?

Alors qu'elle relève la tête vers lui, pleine d'innocence.
Mais pas de candeur ; ça fait longtemps qu'elle a marqué son absence.

Il a quelque chose de sensible, Croyance.
(Et certains disent que c'est une faiblesse.)
Qu'il faut être le plus solide des rocs pour ne pas trop s'émousser contre la vie, qu'il faut la surmonter avec froideur et qu'il faut parfaire ses affres pour jouer une pièce dont tout le monde est ravi.
(Elle serait de ceux qui sont d'accord.)
Et pourtant ce sont les sensibles qui l'ébranlent le plus ; ce n'est pas qu'elle les aime, c'est qu'elle les chérit. Qu'elle veille dessus. Qu'elle veut protéger cette faille dans leur âme qui est si précieuse.
(Elle aimerait les rendre heureux.ses.)
Mais elle n'est que Persephone.
Les cris de son coeur sont aphones.
(Et une fois encore)
Elle dit qu'elle n'aime pas mais peut-être est-elle juste aveugle et elle ne le voit pas - que cette tendresse est plus tendre que celle qu'une amie devrait porter. Peut-être que ce n'est pas encore un véritable amour, mais c'est pour sûr un bourgeon prêt à fleurir.
Elle ne sait pas si elle doit en rire.
(Pourquoi m'ancrer quand je cherche à partir ?)
Pourquoi aimer la vie quand on cherche à mourir.

▬ Je vois, ça te va bien.

Elle aussi.
Elle aime les histoires. Les jolies, les tendres, les tristes, les tragiques, les romantiques. tout ce qu'elle n'a pas et n'aura jamais.

(Car après tout,
J'ai tout pour être heureuse, pas vrai ?)

Des mois après les mots de Lancelot sont toujours dans sa tête, cette vie trop rose qu'elle n'a pas droit de confronter aux autres pour ses méfaits.

(Il avait raison.)

Sa fuite en avant n'est que lâcheté et égoïsme, que caprice d'un enfant trop grand. Elle n'apprend jamais ses leçons (et je suis la reine des cons.)

Alors elle sourit, Persy.
(Regarde je suis jolie quand je fleuris.)
Sans se douter que les fausses fleurs ne peuvent jamais réellement faner. Elle est fausse depuis si longtemps qu'elle arrête désormais de compter les années.
(Au fond, ça importe peu, pas vrai ?)
Il n'y a plus personne à combler.
Elle les chasse tous.
En tous cas, elle devrait.

Pourtant sa poitrine fatiguée se fend en deux à la douleur qu'elle ressent (empathie qu'elle rêve de brûler) pourquoi je souffre pour les autres quand je ne suis même pas capable de marcher ?
Mais elle souffre pour lui.
C'est à n'en pas douter.

▬ Croyance...

Et peut-être qu'avec ses gants elle aurait pu poser sa main sur la sienne, mais elle les a laissés (regret) un de plus à ajouter.
Pourtant elle ne se décourage pas, Persy.
(Et déjà Croyance, tu vois,
Ca devrait suffire à te faire espérer.)
Parce qu'elle fait quelques pas vers toi, et qu'elle laisse sa main se poser à même ta peau. La sienne est laide, toujours plus abîmée à chaque journée, loin du cuir pour la protéger. Toujours au milieu de ses habitudes malsaines (et tu sais elle saigne) sous les bandages qui grattent et qui frottent sous son haut.

▬ Je suis sûre qu'un jour tu trouveras la tendresse que tu mérites.

Parce que l'amour, il l'a déjà trouvé.
Malchanceux. Elle connaît.
Aveugle toujours, pourtant, sans savoir qu'elle n'est pas si loin de la vérité. Ses doigts caressent légèrement la peau comme une brise avant de la retirer (mais pour une fois elle n'a pas l'impression de s'être brûlée) juste une démangeaison désagréable, mais sûrement que ça finira par passer.
(Surprise elle-même)
De son courage stupide et du résultat inopiné.

▬ Je sais que tu penses le contraire ce n'était pas bien difficile à percevoir mais des âmes aussi belles que la tienne, j'en ai rarement rencontrées.

Et elle ne pense pas être mal entourée. Mais les pépites sont rares et elle a l'oeil vif. Ce n'est pas qu'elle entame les mauvaises rencontres, c'est qu'elle choisit qui a le droit de l'entourer. Et ses normes ne sont pas reconnues par la société.
(Elle la brûle, aux enfers la société.)
La même qui l'a détruite et que ses frères ont poignardée.
Elle sourit Persephone.
(Au moins je ne suis pas en prison.)
Elle trouve des raisons pour s'excuser d'une douleur trop grande à confronter. Elle est pathétique, s'il savait.

▬ Je me demande s'il vaut mieux ne pas aimer que d'aimer et souffrir. Sûrement qu'éviter la douleur est préférable pour beaucoup...

Et elle repense.
Car maintenant, elle sait.

▬ Moi aussi j'ai aimé. Une fois. Il paraît. Je ne savais pas et on me l'a fait réaliser.

Un amour candide.
Loin de leurs jours sordides.

▬ Mais c'était il y a longtemps.

Presque une vie à y penser.

▬ Ca m'a fait mal aussi.

Et c'est dur à avouer.
Parce que c'est de sa faute.
Elle s'est blessée toute seule.
Comme une idiote.
Comme toujours.
Ce n'est ni la faute d'Eamon,
Ni la faute de l'amour.
Juste elle.

▬ Je ne sais pas si les sommets en valaient la chute.

Ca fait mal d'atterir sans parachute.
Pour un sourire maigre au coin des lèvres.
(Elle est stupide.)

▬ Mais je n'ai pas de regrets. Stupide, pas vrai ?

Stupide, elle l'est.
Elle tourne la tête vers lui, soutient son regard. Et peut-être qu'au fond du sien, c'est de la douleur qui se laisse apercevoir.
(Tu sais au fond Croyance, là où je suis, il fait tout noir.)

▬ Je ne devrais pas dire ça, mais j'espère que tu retrouveras l'amour, et que cette fois l'amour t'aimera aussi et te laissera aimer en retour.

Au coin des bouquins, peut-être.
Un simple détour sans vautour.
(Juste deux âmes en quête d'amour.)

Elle s'en fichait aussi.
De l'amour, des chutes, des remontées, ça ne lui disait rien. Elle aimait corps et âme sans rien demander, sans rien étiqueter. Et sûrement qu'elle a fait souffrir plus qu'elle n'a souffert, mais c'est ainsi qu'elle est. Impardonnable.

▬ L'amour je ne l'ai connu que dans livres. Il m'a effleuré une fois, et je ne l'ai même pas vu. Enfin, si. Trop tard. Beaucoup trop tard. Si bien qu'on ne peut même plus appeler ça de l'amour, juste une amourette de jeunesse qui n'a pas eu fruition. J'étais trop bête.

Puis un soupir pour elle-même dans lequel s'échappe l'espoir.

▬ Je me demande si les choses seraient différentes si je m'en étais rendue compte.

Peut-être qu'ils auraient pu être heureux.
Peut-être qu'ils auraient eu une triste fin.
Peut-être qu'ils auraient pu se soutenir.
Peut-être qu'il lui aurait dit.
Peut-être qu'elle aurait pu parler.
Peut-être.
Peut-être.
(Peut-être.)

▬ Une force ? Je n'en suis pas sûre. Forte, je ne l'ai pas souvent été.

Et aujourd'hui elle était faible encore.
A fuir en avant.
A fuir toujours.

Puis les souvenirs reviennent.
Elle se souvient, oui.
Comment oublier ?
Comment l'effacer de sa mémoire ?
Il était si jeune (trop) et elle aussi.
Sauvé était un grand mot.
Elle n'avait fait que son travail.
Un travail engagé, mais un travail.
Elle a un regard pour la peau cicatrisé qu'elle dénote trop souvent dans ses pensées. Au travail ou dans la rue, c'est dur de ne pas y penser. Et elle se demande, bêtement. Se demande qui lui a pris sa peur de mourir, à elle.
Est-ce que c'est les nuages ?
Est-ce que c'est les fantômes ?
Ou est-ce qu'elle est restée au fond d'une cabane que personne n'a jamais trouvée ?
(Et tu sais, Croyance, c'est drôle. Parce qu'au début tu pleures et tu pleures et tu pries que l'on vienne te trouver, que l'on vienne t'arracher à la douleur et à la peur. Et puis au bout d'un moment la peur s'envole et tu demandes à mourir. Tu demandes à ce que l'on t'enlève à la vie et presque tu supplierais que l'on tape plus fort pour que ça soit la dernière fois. Je ne sais pas où est passée ma peur, mais je sais où est passée mon envie de vivre, et je crois que personne ne pourra me la rendre. Je t'ai sauvé, mais je crois que je suis un peu jalouse, parce que même si les secours ont trouvé mon corps personne n'a retrouvé mon âme. Et elle vaque, elle erre, et moi je vagabonde dans un corps qui est immonde. Et j'irai le rendre à la terre peut-être demain ou bien hier. Mais j'irai. Parce que je n'ai pas peur.)

▬ Tu me donnes trop de crédit, mais merci.

(Et je ne te dirai pas que je n'ai pas peur, parce que je suis sûre que son manque t'effraierait comme ça l'a fait pour moi quand je t'ai trouvé. J'avais peur que tu deviennes comme moi. Je suis content que tu aies pu être épargné.)

▬ Je pense que l'amour ne te perdra jamais, Croyance. Tu mérites d'être aimé et choyé. Tu mérites beaucoup plus que tu ne peux le penser.

(Et moi je prends tellement.)
Bref sourire sur ses lèvres alors qu'elle observe les livres.

▬ Parle. Parle donc. J'aime t'entendre parler.

Et elle observe le livre que tu lui montres alors qu'elle fronce légèrement les sourcils en se rappelant du contenu.

▬ Ce n'est pas une histoire très gaie...

Elle vient passer ses doigts sur la couverture, légère.

▬ Moi je l'aime, j'aime les gens craquelés.

Ca donne envie de les rafistoler.
Ca donne envie de ramasser leurs miettes et de les aider. Ca donne envie de les aimer.

▬ Mais tu es sûr ? Peut-être que tu veux quelque chose de plus joyeux ?

Pour se remonter le moral plutôt que de s'investir dans les tréfonds émotionnels de quelqu'un. Elle cherche des yeux, Persephone, ce qui pourrait te plaire. Et elle trouve, à son tour, elle le tend avec un éclat dans ses yeux qu'elle n'a pour personne d'autre.

▬ Et ça ? C'est triste, mais il y a une fin heureuse.

D'un homme blessé et d'une femme qui l'est aussi, mais ensemble ils arrivent à trouver un semblant de stabilité. Sans être parfaits ou réparés, ils peuvent s'entraider. Ils peuvent s'aimer. Et c'est ce qui compte, au fond, pas vrai ?
Légère inspiration surprise.

▬ Mince, c'était du spoil...

Etourdie qu'elle est.