— Putain de merde mais quel con ce fils de pute !

Le papier entre tes doigts que tu chiffonnes avant de le balancer rageusement sur le sol en bordel de sa chambre. Je vais régler le problème. Je ne rentrerai pas. Tu vas l'encastrer. Si tu le retrouves, parce que tu vas le retrouver cet enfoiré, tu l'encastres. Tu sors en trombe de sa chambre, dévale les escaliers si vite que tu manques de glisser sur la dernière marche avant de sortir en claquant la porte derrière toi. T'étais venu pour discuter -une demande de Romulus sur laquelle t'avais besoin de son aide et ça t'avait arraché la langue de simplement y penser. Mais t'y étais allé. Putain il se serait passé quoi si t'avais pas poussé cette porte ?

Tu serais pas là à le chercher, à courir, à transplaner. Tu serais au chaud sûrement. Un café, une clope peu importe. T'aurais pas franchi la ligne que tu t'étais juré de franchir seulement quand tu serais prêt. Bientôt. Bientôt mais pas maintenant. Putain mais quel con ! Et dire que t'as pas hésité une seconde toi non plus -c'est à se demander qui est le plus con des deux, hein ? Lui ou ta fierté ? T'as juré de lui faire la peau toi-même. T'as juré de ne plus le laisser tout gâcher autour de toi. Pas pour lui. Pour toi.

Pour Ezra.
Parce qu'Ezra s'en remettra pas si ce bouffon crève comme ça et tu le sais. Alors c'est pour Ezra que tu cours encore, encore et encore. Pour Ezra que tu franchis cette putain de ligne et, à mesure que tu t'approches, tu perçois une odeur familière à la brise du vent. La sienne. T'avais raison alors, il a tenté la mission suicide. Une part de toi espère qu'il l'a réussie et qu'il est simplement mort. L'autre... L'autre espère qu'il respire encore, que tu puisses trancher sa gorge de chien galeux toi-même dès que tu pourras.

Tu ralentis la cadence, reprends ton souffle. Chasseur qui se font dans la forêt, furtif, la baguette entre tes doigts. Tu avances lentement, suis les indices, l'odeur encore un moment. À la sienne se mélange rapidement celle du sang et tu fronces les sourcils, à peine. Le retrouve finalement quelques temps plus tard, au sol, rampant. Ta tête pour mimer une négative pleine de dédain alors que tu décides de trahir ta présence, après de longues secondes à l'observer, en craquant volontairement des brindilles sous tes pas.

— Alors tu prévois de te crever et tu réussis même à louper ça. Bravo.

Un cracha sur le côté, c'est pas lui que tu vises mais t'as besoin de sortir ton dégoût.

— C'était comment de revoir papa et maman ? Si t'avais prévenu j'suis sûr qu'ils t'auraient organisé une fête; mais vu ton état ils ont pas dû te reconnaître. Tu leur as fais peur, faut être plus délicat Noah, voyons.

Tu t'accroupis face à lui.

— Enfin moi j'te trouve beau comme ça, mais bon.

Le corps qui boue de lui en coller une.
T'es pas certain qu'il y survivrait dans son état, alors tu décompresses comme tu peux.

Si t'avais pas autant la haine tu sourirais de l'ironie de son rire. Tu rirais de la faiblesse de son corps, il a raison Noah, tu te sentirais puissant. La vérité c'est que tu l'es, présentement. Puissant. Tu pourrais l'abattre pour le forcer à se taire, dire que tu n'as rien fais parce que tu ne l'as jamais trouvé. Pourtant les secondes passent et il est toujours en vie, Noah, à te rappeler comme tu fais pitié. Ah, mon pauvre Hermès si tu savais ce que t'es con.

Bien sûr que tu sais. Alors il n'y a plus que ton regard dans le sien, haineux quand tes traits sont eux inexpressifs. Tu le contemples comme ça un moment, sans te soucier de ce qu'il pourrait ajouter ou non comme sel à vos continuelles plaies béantes. Tu le juges si fort, lui le grand Noah. Meilleur que toi qu'il dit. Va savoir, t'es fatigué de ces conneries.

— Tu penses vraiment crever ici alors, c'est marrant. C'est pas ce que j'avais imaginé.

Et tu te dis que s'il devait vraiment crever ici il serait déjà mort sans vraiment savoir si c'est une bonne chose pour toi ou non. Oui, bien sûr que oui c'est une bonne chose. Non.

— T'es vraiment qu'un emmerdeur Noah. À quel moment dans ta petite caboche de chien de la casse tu t'es dis que faire ça était une bonne idée.

Tu lèves les mains rapidement, t'empresses de corriger tes dires.

— Va pas croire, j'en ai rien à foutre que tu crèves mais vraiment, quitte à le faire fais le chez Ezra qu'il puisse te voir au lieu de faire ta dramaqueen à deux mornilles et te foirer. Parce que la seule chose que t'as fais, là, c'est les énerver tes enculés de darons.

Non tu ne lui demandes pas s'il les a tués, parce que tu sais que c'est pas le cas. T'as pas l'impression d'être si puissant en le regardant, simplement désespéré.

— Je vais te soigner. Ose seulement chouiner tes menaces de merde et je t'assomme, c'est clair ? Toi aussi tu vas les assumer jusqu'au bout tes putain de conneries abruti.

Il grimace, t'imagines sa douleur sans bouger le moindre doigts pour l'instant. Vos regards braqués l'un dans l'autre. Ras le bol qu'il dit. Il abandonne. À quel moment ce crétin a cru qu'il pouvait abandonner -à quel moment tu t'es rendu compte d'à quel point vous étiez liés, tous les deux ? Que sans Ezra t'es rien mais sans Noah... Sans Noah t'es vide. Ah bordel quelle ironie. Allons bon.

— Le champ libre de quoi couillon.

Tu comprends vraiment pas de quoi il parle. Le sous-entendu devrait être évident pourtant, non ? Pas pour toi. Aussi peu doué avec l'amour qu'avec les non-dits. Oh, te taire tu sais faire. Comprendre les silences c'est autre chose. Impossible, t'es trop con pour ça.

Il a pas envie de voir Ezra.
Et toi t'as pas envie d'être là mais c'est bien là que t'es pourtant.

— Personne t'a dit d'abandonner.
T'as pas le droit putain de connard.

Le murmure de colère qui s'échappe, sûrement n'y a-t-il pas fait attention vu qu'il continue alors que tu serres les dents. Il ne peut pas faire ça. Tu refuses qu'il le fasse. Atlas n'était pas là -tant mieux. Tu te retiens de lui rétorquer que tu l'avais deviné ça aussi, parce qu'Atlas ne l'aurait pas loupé cette fois. C'est pas avec une balle qu'il serait ressorti mais bien sans sa tête.

Tu le toises encore un moment, assez court avant d'affirmer que tu le soigneras. Les sourcils qui se froncent à son hurlement. Tu en étouffes la fin d'une main plaquée brusquement sur sa bouche pour éviter de vous faire repérer. Vu la flaque de sang que tu aperçois sous lui le transporter est impensable. Va falloir jouer les héros sur place.

... J'ai gagné.
Tu braques tes yeux dans les siens.
C'est violent.

— Mes couilles Noah. Il est hors de question que tu crèves ici, t'entends.

T'es le seul, Hermès.
Le seul.

— Le seul qui puisse te crever c'est moi. Moi Noah.

Tu analyses rapidement. Une balle dans le ventre, pas de point de sortie dans le dos. Un trou dans la jambe mais cette fois pas de balle. C'est une bonne nouvelle. Tout en parlant, autant pour le garder conscient que pour te livrer, tu l'agrippes pour le faire se tourner avec précaution. C'est pas beau à voir mais t'as même pas une grimace, concentré sur l'unique but de le sauver. T'arrache son haut vulgairement pour y voir plus clair, enlève ton t-shirt pour faire pression sur les plaies de sa jambe avant de faire apparaître une corde que tu enroules autour pour maintenir le tissu, comme un garrot.

— Tu sauras pas où, tu sauras pas quand. Plus tard. Tu t'y attendras pas. Ils seront tous morts tu sais. Tes parents, ton frère. Cain. Crevés comme des rats.

Le perfecto que tu glisses sous sa tête comme coussin, tu cherches ton pineapple pour envoyer un message à Persephone et lui demander de te rejoindre chez toi avec de quoi soigner et désinfecter des plaies par balles. Puis tu cherches un bout de bois petit mais assez épais sans cesser de parler.

— Je viendrais te buter moi-même peu importe ce qu'en dira Ezra. Tu crèveras pas avant.

Tu places le morceau dans sa bouche.

— Pour t'empêcher de te péter les dents quand tu hurleras à la mort que j'suis qu'un putain d'enculé.

La vanne t'étire un sourire en coin, le premier depuis que vous vous êtes retrouvés. Alors tu décomptes avec lui, les mains et ton couteau propres d'un léger aguamenti du bout de ta baguette et tes doigts prêts à le sauver.

— À trois ok.
3...
2...
1-

Tu viens élargir sa plaie avec ton arme avant d'y plonger les doigts pour tenter de sortir la balle. C'est barbare et infiniment douloureux tu le sais, tu l'entends. Mais c'est le seul moyen pour le garder en vie.

Son rire pour t'arracher à la mécanique de tes gestes. Il a des murmures qui résonnent en toi, agonisant sur son lit de mort le voilà qui s'en amuse. Fabule. Tu m'aimes bien. Tu refuses de te convaincre que ça puisse être vrai, pas après tout ça. La haine intacte en réponse silencieuse alors que tu viens glisser le bout de bois entre ses dents. Sourire en coin, fier de ta vanne. C'est clair que t'es un enculé Hermès -mais un enculé sympa aujourd'hui, pas vrai ? À zéro tu tranches. À zéro il hurle. Le corps parcouru de spasmes, le corps tremblant, la peau en feu tu l'entends mourir sous tes doigts.

Tu le sens partir -inspires.
Pas maintenant, t'as dis.
Pas maintenant.

Alors qu'il s'évanoui tu finis par ressortir la balle qu'il logeait dans son ventre. Un soupir de soulagement alors que tu viens prendre son pouls et vérifier sa respiration après avoir compressé sa plaie.

Il est en vie.

— Putain de merde..

T'aurais presque envie de pleurer.

* * *
Tu l'as emmené chez toi. Allongé sur le divan, tu l'as lavé grossièrement, tu l'as soigné. Et puis, de manière un peu bête tu t'es mis à le regarder ce Noah endormi. Inconscient et désespéré, tu te demandes quelle tête il fera en se réveillant. Qu'il comprendra qu'il t'en doit une, une bien plus grosse que toutes celles que toi tu lui devais. L'idée te fait doucement sourire alors que tu te laisses tomber dans le fauteuil tout près.

Et que tu sombres, toi aussi.
Épuisé d'avoir bien trop existé aujourd'hui.

Le linge tiède que tu tapotes sur son front à heure régulière pour contrôler sa température, les gestes mécaniques que tu répètes encore et encore pour t'assurer que tout va bien. Qu'il n'y a pas d'infection, pas de complications que tu n'aurais pas su voir venir. Un regard sur l'horloge t'indique qu'il commence à se faire tard et c'est à la suite d'un soupir un peu las que tu le délaisses pour t'enfoncer dans le fauteuil tout près. La même routine depuis presque deux jours, du matin au soir, quand tu n'es pas au téléphone avec Ezra ou chez lui à donner des nouvelles.

Tu comprends pas pourquoi tu fais ça. Sur le coup ça t'avait semblé logique, la bonne chose à faire pour toi, pour lui, pour Ezra. Mais maintenant ? Maintenant qu'il n'y a plus rien à sauver, plus d'urgence autre que ce putain de silence dans ton appartement, tu ne sais plus vraiment. Il a jamais eu l'air aussi faible Noah, jamais aussi vulnérable qu'aujourd'hui, même alité chez Ezra après son enlèvement.

Tu pourrais le briser d'un claquement de doigt.

Pleurer un problème soudain, maquiller son meurtre pour te dédouaner. T'y pense à chaque fois que ton regard fatigué se pose sur sa silhouette inconsciente. Tu pourrais mais, étrangement, ça ne t'attire aucune satisfaction de l'imaginer là, définitivement mort devant toi.

T'as besoin qu'il se réveille.
T'en peux plus d'attendre qu'il se réveille.

Mais ce ne sont que tes yeux à toi qui se ferment à la place pour laisser passer la nuit et mener au jour suivant. Encore encore encore. Le linge, les bandages, la toilette. Les regards, les pensées -les souhaits. Tu finis par t'enfuir dans la cuisine pour te préparer un café quand pour la première fois depuis deux jours t'entends qu'on s'agite dans le salon. Sourire en coin à tes lèvres, tu te penches contre l'encadrement de la porte par réflexe. T'y restes pas bien longtemps, à peine trois secondes que déjà tu reviens t'assoir dans ton fauteuil ta tasse à la main.

Tu le regardes, silencieux.
Hausses les sourcils un peu.
Merde.
Tu juges.

Et putain !
T'étais certain que sa tête te ferait rire et ça manque pas. Tu peux pas t'empêcher de te foutre de lui à peine réveillé.

— On dit merci Noah, pas putain. C'est ce que font les personnes reconnaissantes tu sais ?

Légère pause.

— Être polies. Mais je t'en demande trop, c'est pas des mots que tu connais.

La nonchalance dans les gestes alors que tu portes ta tasse de café à tes lèvres. Soulagé. T'es d'humeur presque joviale tout à coup.

— À peu près deux jours.

Tu poses la tasse sur la table basse avant de te lever pour aller tirer les rideaux, faire un peu d'ombre. Les mouvements sont lents, le pas harassé couvert par l'allure tranquille que tu te donnes pour camoufler la fatigue. Tu te traînes jusque la cuisine pour remplir une carafe d'eau que tu ramènes avec un verre dans le salon. Le sers en chemin pour lui tendre le récipient en passant devant le canapé sans un mot. T'attends même pas un merci avant de retourner te vautrer dans ton fauteuil.

Raconte-moi, qu'il dit.
Y a rien à raconter venant de toi.

— Te raconter quoi. Que j'ai pris mon pied à te faire hurler pendant que tu te vidais de ton sang parce que tu t'es dis qu'un attentat-suicide c'était une option ?

Et encore, t'es gentil. Tu soupires doucement, reprends ta tasse de café pour en vider rapidement le contenu puis la reposer. T'as jamais pris ton pied à l'entendre hurler à cause de cette putain de balle.

— Toi raconte-moi.

Le ton n'a rien d'amical, pourtant bien loin d'être hurlant. C'est à l'image des ordres qu'il te donne et de votre lassitude commune, à l'image des deux imbéciles en pleins tourments que vous êtes. Tu veux qu'il te raconte non pas comme il a souffert mais pourquoi. Pourquoi au lieu de venir te casser la gueule comme il l'aurait sûrement fait des semaines avant c'est sa vie qu'il a choisi de sacrifier. Pourquoi au lieu de le laisser crever dans sa merde t'as bougé ton cul pour aller le sauver.

Pourquoi t'as respecté son souhait de ne pas ramener Ezra alors que t'aurais adoré envenimer les choses entre eux y a encore un mois de ça.

— Dans la chambre à côté, ligoté et bâillonné pour l'empêcher de te sauter dessus.

L'air de dire "t'es con un peu, non ?". Tu hausses légèrement les épaules, nonchalant.

— Il est chez lui à se ronger les sangs parce que t'étais presque mort et qu'il est interdit de visite. C'est ce que tu voulais entendre ? Tout ça parce que t'es qu'un enculé Noah.

Tes iris furieux que tu dardes sur lui pour accompagner la colère froide de tes mots. Tu le hais.

T'as un tic nerveux de la langue quand tu l'entends parler. Pas parce qu'il ait tort, mais il ne sait pas ce qu'il s'est passé dans ce club. Il sait rien du tout et il se permet de ramener sa grande gueule de victime -t'as envie de l'encastrer. C'était sûr que tu finirais par avoir envie de l'encastrer de nouveau. Pourtant tu restes là, bien encré dans ton fauteuil, à le regarder. Il est pas tout seul à être épuisé, s'il savait. Si seulement il savait.

— Même si je t'expliquais pendant des heures je suis sûr que tu comprendrais pas.

C'est clair, même toi tu refuses encore de comprendre.
Ou peut-être que si. Peut-être que tu comprends.
Mais ça fait si mal putain.

— Vous pourrez continuer de baiser quand vous vous reverrez, t'en fais pas.

On est pas ensemble semble en être la traduction. Pourquoi vous le seriez ? T'as encore du mal à réaliser que vous auriez pu si rien avait changé chez toi. Ou si tu avais remarqué plus tôt. Vous n'auriez rien gâché entre vous si t'avais remarqué. Tu l'aurais pas brisé, jamais.

Je suis fatigué.
De tout ça.
Tu l'entends.

La colère qui se calme à peine dans le regard, ton corps qui se fait à peine moins crispé qu'avant. T'es pas con Hermès, enfin si, mais tu comprends. T'imagine. Sa mère devait être aussi importante pour lui que ne l'avait été Rana pour toi. Sûrement, hein ? Parce que ça fait toujours cet effet-là de réaliser qu'ils ne reviendront plus jamais. Et puis, souvent, on a envie de crever.

T'es moins fort et moins beau qu'il dit.
— Plus riche ?

Il est aveugle à ce point alors ?
Tu corriges, sans prendre la peine de t'énerver plus que tu ne l'es déjà. T'es pas riche Hermès.

— Ezra.

Toujours Ezra.

— Ezra c'est le seul qu'il me restait. Le seul qui est jamais parti. Tous les autres sont partis, y avait plus que Ezra. Mais lui aussi il est parti.

Ça t'arrache de le dire. T'es pas sûr de vouloir continuer mais tu sais que tu te le dois. C'est pas pour lui, aucun d'eux. C'est pour toi. Tu déglutis avant de reprendre, les poings serrés posés sur les accoudoirs, ton regard encré dans le sien.

— C'était ça, l'autre soir. Des putain d'adieux Noah. Y a plus rien, il est parti. "Je reste. Mais toi t'as besoin de partir." Si c'est pas sacrément culotté.

C'est une façon de partir, de pousser l'autre à le faire.
Pas vrai ?

— Il a toujours tout prit sur lui. Il a tout fait pour toi Noah, et il veut encore être là pour toi. Alors pour une fois arrête de jouer les putes jalouses en manque d'attention et accepte-le.

Un peu comme aveu.
T'as gagné, j'ai plus rien.

— Tss. T'es vraiment qu'un gros con.

Quand il se fout de ta gueule. T'as jamais supporté qu'on le fasse, lui moins que les autres. Pourtant tu réagis pas plus que ça, tu restes assis dans ton fauteuil -t'as même pas envie de le frapper. Parce que quand tu le regardes Noah, tu ne vois rien. Rien qu'une ombre, un fantôme. T'aurais peut-être dû t'épargner la galère de le sauver et de le laisser crever finalement.

Tu parles.
T'es passé par là toi aussi, pas vrai ?

À cause de lui. D'Atlas. Mais là où Atlas s'en tire plutôt bien, Noah le paie tous les jours depuis. Ça n'enlève rien à la haine que tu lui voues mais le peu d'estime que t'as pour lui te force à ne pas trop en faire aujourd'hui. À rester plus sage que tu ne l'es vraiment, pour une fois. Pour une fois mon cul. T'es toujours resté trop sage pendant que ce bouffon s'octroyait tous les droits. T'as jamais voulu blesser, tu t'es toujours caché. C'est fatiguant. Usant. T'en as marre de rester terré, alors tu te lèves finalement.
Je crois que j'en ai plus grand chose à foutre.
Silencieux.

Ça reviendra.
C'est revenu pour toi.

Le pas lent qui te mène à la cuisine, tu récupères un couteau à viande avant de revenir vers lui. Debout face au canapé, les bras pendus (perdus) le long de ton corps. À quoi tu joues Hermès ? Tu le regardes. Une seconde. Deux. Trois. Tu le regardes, simplement, avant de lui tendre le manche du couteau. Qu'il s'en saisisse s'il en a vraiment rien à foutre de tout. Qu'il en finisse.

— C'est ta seule chance, Noah.

La seule que tu lui accorderas.
Un conseil cependant, sincère malgré le morne de ta voix.

— Mais à ta place j'éviterai.
On s'en remet, tu sais.

Jamais totalement mais juste assez pour pouvoir respirer et vivre de temps en temps.

Il ne le fera pas. Parce que se tuer demande un courage bien plus grand que celui dont il a besoin pour continuer à respirer, et tu sais qu'il ne l'a pas, ce courage. Peut-être l'a t-il eu un jour, mais aujourd'hui il ne l'a plus. C'est bien pour cette raison qu'il ne le fait pas. Que la lame reste en suspend contre son poitrail sans jamais y pénétrer. Qu'il est toujours en vie. Qu'il respire. Pour ça que tu restes immobile et silencieux -pesant.

Et les secondes passent, s'écoulent sans que le sang ne soit versé. Tu ne penses à rien, Hermès. Rien d'autre que ce que tu vois en face de toi. À Noah et ce couteau, même pas Noah et ses démons.

Tu attends.
Encore.
Encore.
Encore.
Tu attends.

Qu'enfin la lame s'envole à travers la pièce pour en heurter le sol. Tu n'as pas cillé, à peine esquissé un sourire à tes lèvres. Tu le savais, t'en étais sûr pas vrai ?

— Bien.

C'est soufflé après coup, comme en réponse à ses mots que tu n'as absolument pas écouté. Prononcé pour toi plus que pour lui tandis que tu t'éloignes pour récupérer le couteau avant de t'éclipser. Pas un regard pour lui -il n'en a pas besoin.