encore une fois et il ne l'avouera probablement jamais ; elle n’avait pas tort. c’était, sans doute, la plus belles des déclarations que son cœur torturé se donna de faire, tristement pour une inconnue. quand elle évoque l’amour, il pense au rire mesquin d’ariana - et son sourire alors aussi, devient mesquin. peut-être est-ce pour cela qu’elle échangea leur position ; peut-être voulait-elle le punir d’avoir scotché sur le visage une expression si légère alors que leurs mots étaient si durs ? c’est ce qu’alexander pensait, alors qu’elle soutient son regard, le coinçant dans la cage de ses bras frêles.

voilà maintenant qu’elle se tentait à lui offrir sa propre délivrance, parce qu’elle ignorait à quel point le fardeau de sa vie était immense, torturé, et assassin. il n’existait pas pour la faire souffrir, il existait pour souffrir - et s’il se hâte à vouloir brutaliser le monde qui l'entoure c’est uniquement pour ne pas être le seul dans ce monde à vivre dans la douleur. oui, alexander a toujours porté une attention particulière à ce que l’univers tout entier subisse sa propre douleur.

sous la menace et puis l’absence, il avait pourtant offert à cette amie incongrue un regard bien tendre, presque compatissant. il aurait aimé lui répondre : rien de t’en empêche. la voilà une fois de plus qui s’obstruait elle-même, de sa propre volonté, comme contrainte par ? le contrat social ? un pas en arrière de sa part et d’un geste brusque il retient son poignet.

« fais le. moi si je me retiens de te garder pour moi, c’est parce que je veux que tu aies envie de rester. fais le, mon inconnue : obéis toi. ne penses qu’à toi. » qu’elle le fracasse, il aurait la force de se relever ; qu’elle y goûte, à ce plaisir céleste, celui qui s'immisce dans les pensées furtives qu’on préfère taire… il ne la tira par vers lui car il voulu faire un pas vers elle.

ses doigts lacérant avec tendresse son poignet, il glissa sa seconde main contre sa joue, le pouce sur ses cernes. « ou viens avec moi. je veux être chase… je veux te voir retrouver ton passé, je veux te rencontrer avant que le désespoir ne t’ai tué. montre moi,  tu pourras toujours me frapper si cela te permet un retour à la réalité. » véritablement convaincu qu’en la servant il se sacrifierait plus hardiment, comme obsédé par sa propre déchéance avant celle de tout autre. peut-être était ce la faute du mal de crâne qui ne tarda pas à se faire ressentir.

souvent on se plaignait de trop l’entendre parler, mais étrangement c’était la première fois qu’on lui disait que ses paroles étaient étranges : comment ne pas en sourire gaiement. elle semblait être la seule à considérer ce grain de folie comme une chose insensée qu’on ne pouvait ignorer : elle était donc la seule à avoir conscience du danger qu’il représente…

pourtant elle ne l’évite pas, caresse même sa joue pour sournoisement venir lui tirer les cheveux… le danger était visiblement réciproque ; et cela ne pouvait qu’élargir son sourire.

« oh oh oh… »

elle relâche son emprise, le délivre de sa menace : s’il ne craint rien il serait tout de même surpris de ce que l’avenir lui réserve. après tout, le contrôle n’était ni permanent, ni parfait… surtout face à la tête brûlée qu’elle est. impossible de l’avoir dans ses filets, même si elle semble apprécier être à portée de main juste pour l’embêter.

quand elle annonce soudainement la fin. un compte à rebours lancé depuis leur premier contact, une histoire vouée à se clore et à disparaître : comme si demain les lignes de leur vie ne se seraient jamais croisées. il en perd le pétillant qui illuminait son beau visage, contraint à n’exister qu’un temps pour elle. c’est comme une nouvelle malédiction, plus terrible encore que celle qui lui colle aux pieds.

son visage mime la déception ; il se secoue de droite à gauche, inconsciemment : ça ne peut pas se faire ainsi. il ne peut pas naître une journée et mourir au couché du soleil, c’est impossible. alexander crevait chaque jour un peu plus chaque jour our exister dans la vie de chacun, le diable qui se niche en lui en a besoin pour se croire vivant : c’est qu’au fond de lui, il craint sincèrement la mort, sous toutes ses coutures.

« tu ne peux pas…? ce n’est pas raisonnable, voyons. je suis là dans l’ignorance la plus totale à te promettre de me dévouer corps et âme, et tu crois que j’accepterai de retomber poussières dès que tu auras rejoint morphée ? » il saisit ses mains, douceur exemplaire, mais il les serre ensuite, violence prononcée. « je veux t’élever plus haut que le ciel, que tu prennes conscience du pouvoir que tu as. ce n’est pas pour qu’à l’aube je disparaisse avec les étoiles. » alors il la tire contre lui, l’enlace, comme pour la dévorer toute entière. « dis moi comment était chase, laisse moi le devenir. je ne suis rien, pourquoi ne pas m’utiliser pour toi ? » il la berce contre lui au fur et à mesure que ses mots se perdent à leurs oreilles, avant de la lâcher, comme excité par une idée toute nouvelle. « attends ! tu voulais un chat ! ne bouge pas. »

il observa un instant l’environnement avant que ses pensées ne se fixent sur son appartement toujours en désordre, alors il disparu en transplanant pour rejoindre ce lieux si apaisant à son cœur. en fouillant dans son atelier (une pièce qui, d’ordinaire, aurait dû servir de chambre), il retrouva dans ses frigos quelques vestiges de son enfance. il prit une boîte, sans la choisir, pour ensuite revenir près de l’immeuble où se trouvait son inconnue chérie. là il déposa la boîte à ses pieds, restant accroupi face à elle. « je n’ai pas pris le temps de choisir, parce que je voulais surtout te montrer le soin que j’apportais à mes affaires, mais : voilà. un chat, ma tendre, un chat que si tu veux, je peux animer par la magie. comment était le tien ? »

dans sa démence il s’était convaincu que par un présent aussi morbide il pourrait, qui sait,
enfin attraper le fantasme tout entier qu’elle incarnait.

alexander déborde de bonheur pourtant ses oreilles entendent la menace : ne devrait-il pas craindre et fuir ? oh non ; il sait bien que la mort viendra à lui, mais pas par les mains d’une âme aussi frêle. son sourire ne pourrait disparaître tant il se réjouissait de se sentir vivant, fier d’être celui qui se tuerait lui-même : oui, ce plaisir il ne le laisserait à personne, et ils seront tous fous de ne pouvoir avoir planté leur lame dans son cœur pourri. voilà à quel point sa propre joie était corrompue par ses vices, et quel plaisir d’être ainsi ! vivre autrement ; ce ne serait pas vivre correctement.

« tu pourrais, tu pourrais » chantonne-t-il sur un air dubitatif. son regard sur le cadavre parfaitement conservé du félin, il lui offre même une caresse. « bien sûr que non. il n’y a que des fous pour égorger un pauvre chat perdu… » lui y mettait tant de tendresse : il aimait que l’on admire sa dévotion à travers la perfection de ses sutures. toujours, toujours alexander avait eu envie de bonifier la mort… de peur qu’elle ne l’effraie, peut-être. son attention toute dévouée pour ce cadeau qu’il lui avait offert, il ne pouvait que penser au passé, et à ces années étranges où sa folie oscillait entre le raisonnable et l'inacceptable…

quelle vie aurait-il eu aujourd’hui, s’il avait succombé à ce qu’on lui avait défendu ? misère, solitude… prison.

balaye sa mélancolie par un sourire jovial, il regarde alors son amie éphémère, amusé par son caractère. comment pouvait-elle sembler si rebutée et à la fois presque attendrie ? quelle belle timidité avait-elle, cette bécasse. il saisit son poignet, d’un coup sec il déposa sa main contre le corps rigide et glacial de la bestiole. « il ne va pas s’enfuir tu sais ! » l’humour pour passion, véritable échappatoire de toujours. il se redresse, marchant jusque dans son dos pour glisser tendrement ses mains sur ses petites épaules. « un petit rituel et il pourrait vivre, tu sais. » pourtant son rire témoigne d’à quel point ce conseil sonnait sordide ; il lui chuchota finalement à l’oreille. « chase ceci, chaise cela… j’accepte tous tes caprices, je m’y plie même volontiers. mais chase, lui, connaissait ton prénom, au moins… » finalement il se défile, retournant dans l’ombre des bâtiments qui les couvre : satané soleil tournant.

« c’est assez prétentieux de me demander d’incarner un homme si tu refuses que j’ai toutes les cartes en mains. t’ai-je déçu ? » son visage balance ; il dit non. « mais tu continues à vouloir me faire gravir des montagnes, peut-être pour qu’à la toute fin je m’écrase… il n’y a que les tyrans pour ne négocier. mais tu le sais… » sinon pourquoi exigerait-elle autant sans le féliciter ?

inconnue voulait retrouver un monde perdu sans dire merci ; voilà ce qu’alexander voyait dans ce rendez-vous incongru. c’est qu’il en souhaitait des milliers d’autres, lui ; de tête à tête sordides… mais pas au prix de ses ailes.

il lui les faut, pour gravir l'everest de ses requêtes.

il ne voit pas le chaos arriver. il ignore tout du désastre de ses actes ; de cette vie qui ne lui appartient pas. alexander sait comment jouer avec les morts, alors il n’est pas surpris d’être hasardeux avec les vivants.

elle a l’air ailleurs, cette jeune âme. son regard est vitreux, peut-être que son coeur lui aussi ne sait plus s’exprimer. toutefois elle est doucereuse, maternelle. elle garde dans ses bras le présent qu’il lui a offert, ce corps inerte qui ne donne ni amour ni réconfort. elle a contre elle tout ce qu’il chérit le plus, mais ne témoigne d’aucun entrain, d’aucune joie. il est perplexe, mais c’était le risque, quand on veut s’exhiber aux yeux des éternels insatisfaits.

mais il ne pouvait pas prendre le titre de tyran ; ça jamais. il souffle, sourit. il ne faut ni courage ni plaisir, pour devenir le monstre qu’elle nomme… peut-être pouvait-elle se satisfaire de cet éloge, mais lui n’en voulait pas.

ses lèvres s'entrouvrent ; encore pour laisser son venin marquer ses songes l’espoir léger qu’avec un peu plus de mots elle finira par lui offrir son prénom… mais il est sot, alexander. croit que le destin sera toujours en sa faveur, quand bien même elle le tuerait. toutefois elle lui refusait bien cette femme, et il ne saurait s’y résoudre.

mais elle s’éloigne, abandonne. son corps disparaît pour rejoindre la foule qui les avait rapproché, et, il n’hésite pas. ne bouge pas. il est las, fatigué de tous ses efforts. de récompense, il avait l’impression de n’en avoir eu aucune ; pas même un merci. son ego est en berne et sa gourmandise l’agresse, il n’y a plus de sourire pour illuminer son visage, mais bien de la colère.

il faudrait courir, la rejoindre… l’attraper, la garder, lui ouvrir la poitrine pour trouver ce qui ne va pas dans son corps à moitié mort. mais il s’en fiche.

on ne peut pas courir après des rêves
on doit les attraper quand ils se croient en sécurité dans le creux de la nuit…

viendra un nouveau jour, où elle tapera dans son dos. alors en se retournant cette fois-ci alexander ne dira pas oui à ses caprices ; mais il lui forcera les siens.