Face au miroir de la chambre parentale, tu observes ton reflet. Se sont creusées les cernes de la fatigue, et pourtant, tu entends encore la voix de Melchior dans ton dos qui te répète que tu es magnifique. Celle de Jasper est plus insidieuse, du genre à susurrer que tu es laid et honteux. Tu lui donnes raison, à ce murmure hostile. Tu lui donnes raison car face à toi il n'y a rien de beau. Tu te demandes d'ailleurs ce que Darya a pu te trouver aujourd'hui, car derrière les danses et les sourires se sont vite glissés les vices.

Tu cherches à déboutonner ta chemise, tes doigts tremblent. Dans la pénombre de la nuit tombée, tu ne crains plus le noir. La chaine est posée sur le petit secrétaire de la chambre. Tu ne supportes plus son contact mais l'empreinte sous ta peau reste bien ancrée, invisible aux yeux mais elle oppresse le coeur et l'esprit.

Tu n'arrives pas à défaire tes vêtements, trop agacé et anxieux pour réellement te concentrer. Des mains féminines viennent s'imposer. Tu relèves la tête et discernes le visage de Darya dans le miroir. Si tu la laisses d'abord faire, tu t'énerves bien vite et fais claquer ta langue contre ton palais.

— « Arrête, je ne suis pas un enfant ! »

Mais tu regrettes bien vite de t'emporter, baisses les yeux et marmonnes des excuses lorsqu'elle dévoile ta peau. Tu n'as jamais manqué d'assurance, que cela soit avec les femmes ou avec les hommes - alors pourquoi cette différence ? Pourquoi elle ?

Tu te retournes en ôtant ton haut, les jetant sur une chaise près de l'armoire. Prends le temps de la détailler, et ta gorge se bloque. Magnifique ; dit la voix de Melchior, mais cette fois ça ne t'est pas adressé.

— « Tu es... » Tu ne trouves même pas les mots. « ... très ... » ça commence à devenir gênant. « ... très. Ravissante. »

Sourire forcé, mais les rougeurs sur tes joues sont plus que sincères. Ton toi adolescent avait raison quand il scandait que les plus coincés avaient le plus à cacher. Et tu ne sais pas où elle cachait ça depuis des années.

— « Oui. Le mariage était réussi. Et je crois que les invités ont apprécié. »

Pas tous, mais tu n'es au courant.

— « Bon et bien. On se couche ? »

Merde.

Tu es fatigué ? qu'elle te demande presque avec innocence. Vous êtes des adultes, tu sais pertinemment ce que ça signifie. Mais pour ta tranquillité tu feras semblant de n'avoir rien compris. Pour peu qu'elle puisse y croire l'espace d'un instant. Tu hausses les épaules, tires sur la couette pour te glisser dans l'immense lit aux draps de soie. Elle fait de même et tu sens une tension étrange s'installer. Tu tuerais pour un bon verre de firewhisky, pour noyer ta gêne et oublier le manque d'alchimie.

— « On a eu une journée fatigante. »

Pour illustrer, tu mimes un bâillement. C'était avant qu'elle grimpe sur toi pour s'assoir sur ton bas ventre. Difficile de pas réagir. Tu t'enfonces un peu plus dans le matelas, l'observes d'en bas en fronçant les sourcils.
T'es hypnotisé par la vision qu'elle t'offre en sous-vêtement, définitivement déifiée.

— « Ouai. Ouai, on pourrait. T'as un pays où t'aimerais aller ? »

Tu attends sa réponse, bien que déconcentré par l'action de ses doigts sur ta peau. A être trop tendu, elle va finir par te casser. Le massage a des allures de torture. Tu te redresses brusquement pour capturer ses lèvres, glisses ta main à l'arrière de son cou pour la maintenir assise sur toi. Ton torse caresse et écrase sa poitrine, tu descends ta bouche pour effleurer son épaule du bout du nez, respires son odeur.

— « Hm. Pas ce soir. »

Tu la repousses en la forçant à reprendre sa place dans le lit, à côté de toi. T'as perdu ton sourire, t'as le regard sombre et presque éteint.

— « Bonne nuit Darya. »

Et tu te couches dos à elle, les yeux grands ouverts. Aussi mauvais que tu puisse l'être quand t'es amer.

A peine tu lui tournes le dos que tu l'entends renifler. T'es tellement désabusé que ça ne te fait ni chaud ni froid. C'est plus supportable pour toi qu'elle aille se cacher pour pleurer. Pourtant tu te sens un peu coupable quand le froid vient se glisser sous les draps lorsqu'elle les quitte. Elle passe la porte et tu te retournes légèrement pour jeter un regard vers là où elle est partie. Tu te recouches ensuite sans réussir à fermer l'oeil. Pas même lorsque Darya est de retour, le coeur écorché.


Le lendemain matin, c'est le soleil en pleine figure qui t'arrache à ton sommeil léger. Les rideaux tirés par votre elfe de maison, c'est bien évidemment Creepy Crawley qui profite de chaque instant que dieu lui donne pour prendre un malin plaisir à te pourrir la vie. Tu grognes et t'étales (te retournes) par réflexe avant d'écraser Darya. Tu pousses un cri de surprise, n'étant pas habitué à partager ta couche. Tu te redresses alors que tu t'autorises une caresse tendre sur son épaule.

— « Oh par merlin, je suis désolé Darya ! »

Tu as presque envie de rire, mais la situation est trop dramatique pour te le permettre. Tu jettes un regard noir à Crawley.

— « Va préparer le petit déjeuner, toi ! Non tu sais quoi, demande à Midas de s'en occuper. »

L'elfe disparait dans un ricanement moqueur, vous laissant seuls.

— « Tu.. Tu as bien dormi ? »

Au moins une qui aura bien dormi ! Tu as eu du mal à fermer les yeux une fois que tu les avais bien ouvert. Tu réalises qu'elle non plus ne ronfle pas, ne bouge pas, ne prend pas trop de place. Toutes tes craintes purement égoïstes et dépendantes de ton confort, envolées. Tu dois bien avouer que tu n'as pas grand chose à lui redire dans ces conditions.

— « Non. Tellement discrète que j'avais oublié ta présence ce matin et j'ai failli t'écraser. »

Tu ne te rends pas trop compte de la teneur de tes mots et d'à quel point, lâchés avec nonchalance, ils peuvent peut-être blesser. Darya te parle de Crawley et tu laisses éclater ton agacement.

— « Cet elfe de maison sert les Lestrange depuis que mon père était enfant. Je suis sûr qu'il est au courant de certaines choses mais refuse toujours d'en parler. Il n'a jamais pu me blairer de toute façon. Et c'est réciproque. »

Tu as le regard ailleurs, déterminé à ne pas trop loucher sur le corps dénudé de ta propre femme - tu ne remarques donc pas de prime abord les cicatrices qui décorent son dos.

— « Pourquoi est-ce que tu t'embêterais à aller le chercher ? Midas peut le faire. Midas ! »

La porte couine et un jeune elfe de maison passe la tête, enthousiaste. Il a la voix nasiarde mais douce.

— « Oui maitre ? »

Tu tires la couette et t'assois au bord du lit, t'étires.

— « Ramène le petit-déjeuner dans l'anti-chambre pour Darya et moi. »

Midas hoche la tête et refermes délicatement la porte pour s'y atteler. Tu espères qu'il ne se battra pas trop en bas, Crawley semblait déterminé à t'empoisonner ce matin.
Lorsque Darya te demande de l'aider à refermer sa robe, tu tournes enfin le regard vers elle. Tu te lèves pour la rejoindre, et délicatement remontes la fermeture éclaire - cette fois tu remarques les cicatrices avant qu'elles ne soient recouvertes de tissu. Tu fronces les sourcils, un peu bête d'un coup. Pourquoi tu n'y a pas pensé avant ?

— « C'est lui qui t'a fait ça ? »

Canopus Black ?

Tu ne l'arrêtes pas lorsqu'elle parle elle-même à Midas. Il est vrai que vous avez engagé son elfe de maison à elle aussi. Tu espères sincèrement que Weeny s'entendra bien avec les autres membres du personnel et qu'elle se sentira bien au manoir Melrose. Midas, lui, hoche vivement la tête et s'éclipse pour rejoindre les cuisines.
Tu te retrouves donc avec Darya, sa fermeture éclaire et ses cicatrices. Si tu avais voulu la préserver de toutes les ténèbres qui t'habitent aujourd'hui, tu n'avais pas soupçonné qu'elle puisse en cacher aussi.

((Les Black portent bien leur nom après tout.))
C'est mu d'une colère vive et que tu t'accroches au tissu de sa robe. Tes doigts massent sans tendresse ses épaules et marquent involontairement sa peau. La malle, les sévices corporelles. Tu en avais vu vent à l'époque - des murmures de tableaux, le regard triste d'Izar. Tout prend un sens seulement maintenant.

— « Pourquoi tu t'excuses ? Darya, pourquoi tu t'excuses ?! C'est moi qui suis désolé putain. »

Tu la lâches et baisses la tête - serres les poings. Uriel avait été incapable de la protéger, cet abruti ne devait pas le soupçonner à un seul instant. Et s'il le savait, c'est encore pire. En cet instant tu te réjouis de sa mort Clovis, parce que tu aurais été capable du pire le concernant.

Lorsqu'elle se retourne, tu frissonnes. Ses doigts effleurent tes joues, puis les mèches blondes de tes cheveux. Lorsque de son pouce, elle dévoile la boucle d'oreille accrochée par Jasper, tu sens ton coeur s'arrêter.

— « Ah. Ouai. »

Tu ne sais pas quoi dire d'autre, complètement figé - puis la repousses finalement avec douceur.

— « Et si on rejoignait l'anti-chambre pour manger hein ? »

Tu n'as peut-être pas à être désolé mais tu l'es quand même. Elle ne veut peut-être pas de pitié de ta part mais tu lui en imposes quand même. C'est plus fort que toi - la violence infantile ça te fait trop mal Clovis. Des claques de ton père tu t'en es prise mais tu les as toujours encaissé avec le sourire parce que tu savais que tu aurais pu avoir pire. Et le prix en valait la chandelle, en échange de quelques torgnoles tu étais libre de pouvoir vivre ton enfance comme tu le voulais vraiment. Tu pressens qu'elle n'avait pas eu cette chance, et tu comprends mieux, Clovis, pourquoi et comment elle avait pu devenir celle qu'elle était devenue.

— « Soit. Je suis juste révolté que cette ordure n'ait pas fini à Azkaban. On devrait sanctionner les parents qui maltraitent leurs enfants. »

Tu manques de t'étouffer quand elle parle des vôtres. Ceux que vous n'avez pas encore, ceux que vous devez concevoir, ceux qui n'existeront que si tu te résous à la toucher. C'est vrai que tu dirais pas non à des enfants mais t'as peur qu'ils arrivent trop tôt.

Vous vous dirigez vers le petit salon, toujours au premier étage. L'anti-chambre c'est là où vous jouiez avec Mnemosyne pendant les vacances. C'est un grand espace avec une télévision et des canapés. Tu t'assois dans l'un d'eux et t'étales un peu, la fixant pour qu'elle puisse faire de même sur le canapé d'en face.

— « Souvent ? On fera ça autant que nos plannings le permettent. Je travaille la semaine. »

Tu souris.

— « On peut se promettre d'essayer tous les dimanches si tu veux. »

T'auras une raison de rentrer, une obligation à ne pas te laisser tenter de partir.

— « Izar ? Ah. Il devait venir avec Iphigenie ? »

T'es presque soulagé que ça ne se soit pas passé comme il l'espérait. Mais ça tu peux pas le montrer, alors tu te contentes de sourire d'un air crispé.

— « Oui, je peux me libérer un midi. Ça serait quel jour ? »