Dix jours depuis la nouvelle année, le ministère entier ne discute que d'un seul sujet et tu ne penses malgré tout qu'à tes petits (grands) problèmes. Tu vas devoir prendre une décision Atlas. Tu vas devoir t'occuper sérieusement de tes camarades dissidents, et réparer les erreurs fatales que tu as commise en les laissant s'échapper à chaque fois. Hyperion, Asterion Langley, Elijah Strauss. Ces trois noms te hantent encore la nuit, parasitent ton esprit de leurs visages grossiers dès que tu fermes les yeux, font bouillir colère et haine dans tes veines à chaque instant de la journée.

Le problème est le même et des dynamiques se sont crées malgré toi. Et tu as identifié la source du problème Atlas ! Ton appétit trop prononcé pour la souffrance, alimenté par le goût de la torture. A trop vouloir les garder prêt de toi, à trop chercher à exister dans leurs hurlements et leurs cauchemars tu as été négligents. Tu les as laissé filé sans les achever et tu n'as aucune idée de ce qu'il se trame actuellement dans ton dos. Tu n'as pas imaginé une possible alliance entre les trois - tout comme eux même n'ont pas soupçonné à un seul instant que tu réussisses à te lier à des gens partageant le même idéal que toi.

Et en ce lundi soir, tu sors du travail. Tu suis la même routine, portes les mêmes habits, arbores la même coiffure. Tu es plus à l'heure que ta propre montre, confortable dans cette routine où rien n'échappe à ton contrôle. Maitriser le temps, l'espace - te maitriser toi, c'est avoir une main sur les créations dont Dieu lui même s'est vu dépasser.
Au détour d'une ruelle que tu entreprends pour rentrer chez toi, une main se pose sur ton épaule. Tu te sens aspiré dans une autre dimension, et il suffit de quelque secondes à peine pour que le vent froid de la campagne gifle ton visage. L'odeur est insoutenable, tu n'as pas le temps de réagir et d'interpréter la voix de l'homme derrière toi que ton bras qui se tort t'arrache un cri, rapidement étouffé par une chute qui aurait pu t'achever. La terre, la gadoue, ça tâche ton visage et tes vêtements.

— « Hyperion ! »

Tu l'appelles clairement, serres les dents alors que ton coeur s'accélère. Tu essaies de transplaner immédiatement, et qu'importe si tu perds un membre derrière toi parce qu'il te les tiens. Mais rien, rien du tout. Tu comprends, amer, alerte (trop tard) que des sortilèges ont été posé. Ce n'est pas une impulsion auquel que ton frère aurait pu céder, mais un coup monté bien préparé. Tu ne dis rien, heurtes la porte en métal en pleine face dans un gémissement de douleur. Tu l'interpelles encore, avant qu'il ne l'ouvre.

— « Hyperion... On peut discuter. »

Mais tu n'as rien à lui dire, juste ta baguette à saisir. Coincée dans la poche interne de ta veste, tu te sens toi aussi bien à l'étroit. Privé de magie et d'échappatoire, il n'y a que les mots pour tenter de te sauver une dernière fois.

— « T'es mort. »

Et quand il ouvre la porte et que les silhouettes d'Hermès et Elijah se dessinent, tu rectifies - mais seulement dans ta tête.
Vous êtes morts.

T'encaisses non pas un mais deux sorts dans le ventre. Ça te fait plier en deux, et sans appuis t'as pas d'autre choix que de chuter vers l'avant. S'ils n'ont pas réussi à t'endormir, c'est dans un état de transe hypnotique dans lequel tu plonges malgré toi. Les vêtements déjà tâchés de boue se gorgent de poussière et de crasse, tu perçois le murmure d'Elijah à ton oreille et maudis dans tes rêves les plus fous son existence servile et versatile. Tu ne peux rien dire, tes bas instincts censurés par une voie mutique. On te prend ta baguette, on te crache au visage. Si tu avais été conscient, tu aurais sûrement étouffé un haut-le-coeur. La salive que tu revêts comme un masque suffit à faire vibrer tes narines et trembler tes lèvres. Tu vas gerber, c'est sûr que tu vas gerber.

Ton dos craque, on te marche dessus, on te traine comme une serpillère et peut-être dans ton rêve t'es aussi nu qu'un ver. Propre et lisse, immaculé et intact. Mais c'est que tu rentres dans un cauchemar et que l'odeur te prend tout de suite à la gorge. Tu fais tes adieux aux chroniques de la javel, embrasses malgré toi les effluves acides de pisse. Putain, c'est quoi ce bordel ? Ça peut pas arriver, tu peux pas être là. C'est juste un rêve, juste un rêve - rien de tout ça n'est réel et rien ne va t'arriver. Parce que t'es dans ton lit et que tu vas te réveiller.

— « AH ! »

Tu cherches d'abord à bouger la tête, geins en sentant la lanière de cuir presser ton crâne. Se réveille ensuite une douleur étrange au niveau de la nuque. Ça te gratte à un point où tu voudrais t'arracher la peau. Alors naturellement, tu cherches à bouger tes mains, puis tes jambes. T'es sanglé comme un putain d'animal. Tu gardes d'abord contenance mais la respiration se saccade progressivement alors que tu observes, détailles, analyses, conclues, sur chaque recoin de la pièce, sur chaque accessoire disposé, sur chacune des techniques qu'ils pourraient entreprendre pour te faire hurler, sur chacun des protagonistes qui se tiennent là devant toi. Sous la pression, à peine, déjà tu craques.

— « HAHAHAHA... ! »

Tu éclates d'un rire sonore et fou. T'as le regard d'un désaxé, alors que tu tires de toutes tes forces sur les liens qui te maintiennent immobile. T'en baves presque, Atlas, tellement tu ris, ou peut-être que ce sont des restes du crachat d'Hermès. Tu rigoles tellement que tu finis par t'étrangler et t'étouffer tout seul. Tu tousses bruyamment, et si ton visage est prisonnier, tes yeux eux, s'agitent dans tous les sens.

— « Haha... Alors... Alors c'est vrai ? Vous vous êtes vraiment alliés pour me coincer ? C'est excellent... excellent. Vous êtes quoi ? Les trois mousquetaires ? »

T'as tellement peur que ta seule défense c'est de perdre pied. Tu réalises pas tout de suite, tu dissocies. Comme tu le fais toujours. Ton frère se veut menaçant et tu prends un malin plaisir à le remettre à sa place.

— « Tu fais peur à qui ? Hein, tu fais peur à qui Hyperion ? Prend pas trop goût à la liberté, tu manques aux chiennes en bas. »

Tu cherches à regarder derrière lui, tes dents claquent car tu commences à trembler. Tu fermes brusquement la mâchoire pour te forcer à te calmer. Inspires, expires. Et te voilà redevenu maitre de leurs cauchemars. Tu ne laisseras pas les leurs entrer. D'abord Hermès.

— « Je vois qu'on t'a recollé. J'aurais dû les jeter au feu quand j'en avais eu l'occasion. Et ta langue m'insupporte toujours. J'aurais du la couper elle aussi. »

Et tu finiras sur Hermès. Ignores royalement Elijah, et même si vos regards se croisent, tu dévies le tien rapidement vers ton frère. Cette pourriture. Elijah ne mérite rien, seulement ton indifférence la plus cruelle, qu'il aille au diable lui et ses grands discours. Tu sais comment torturer chacun d'eux, tu es devenu expert en la matière. Tu les as traqué sans relâches, a analysé leurs cris et leurs pleurs - tous si différents. Ils ne craquent pas au même moment, mais souvent pour la même chose.

— « Tue-moi. »

Tu ne veux pas souffrir.

— « Allez, tue-moi. C'est ce que tu voulais non ? »

Tu ne veux pas mourir.
Mais plus que tout au monde, tu ne veux pas perdre.

Tu attends la sentence comme un enfant incompris (qui ne comprend pas). Tu es encore hilare, glousses par intermittence à chaque fois que ton regard se pose sur eux. Si tu as conscience du danger, tu baignes encore dans l'illusion fantasmée d'avoir le contrôle sur chacun d'eux. Tu t'es érigé maitre de leurs cauchemars, croquemitaine de leurs nuits (vies) - et rien ne pourra changer ça. Ils auront beau te faire hurler, ils ne guériront jamais. Ils auront beau se recoller, te démembrer, se reconstruire, te détruire : les marques auront beau cicatriser, ça ne sera pas comme avant. Jamais.
Parce que ce que tu leur as pris (leur intégrité) tu l'as écrasé sous une montagne de déchet. Tu n'as rien à rendre Atlas, rien.

Alors que tu défies Noah de te tuer, le regard aussi ferme que fermé - Elijah lui passe devant pour se ruer tel un animal sur toi. Tu serres les dents, te retiens de lui offrir ne serait-ce qu'un hurlement quand il plante ses ongles dans tes joues. Tu te contentes de le maudire, lui et son foutu pacte, lui et ses paroles insensées, lui et sa monstruosité. Ils ne vont pas te tuer qu'il t'affirme. L'hypothèse d'une lente agonie se rapproche de plus en plus, salissant ta psyché malade d'un jet de brutalité.

Devant ton nez s'agite les crocs d'un vampire prisonniers d'un sachet en plastique. Si dans un autre contexte tu aurais pu te réjouir qu'une créature aussi vile et infâme ait reçu le châtiment qu'elle méritait (par la main d'un de ses pairs qui plus est) - la perspective qu'il te fait miroiter t'arrache un sursaut d'horreur. Tu enfonces un peu plus ta tête dans le dossier, forces sur la lanière pour légèrement la tourner, les traits déformés par le dégout et la peur.

A ton doigt brille encore la bague du calice, appelant sa jumelle cachée sous la mitaine. Tu gesticules les doigts, tes yeux s'y braquant avec la même lueur. Haine, écoeurement, haine. Tu ne lui réponds pas, te contentes de lui adresser un regard aussi apeuré que meurtrier. Si tu sors de là vivant, tu ne le rateras pas. Et c'est ce que tu te dis avec chacun d'eux - quand tu les vois s'improviser bourreaux ils te dégoutent. Quand tu les vois s'affirmer ils te rendent fou. Le seul qui vaille la peine, ça a toujours été toi !

— « Hermès. »

En écho. Tu te racles la gorge, ravales une gorgée de vomi qui t'est remontée direct de l'estomac. Tu frissonnes au contact de l'instrument, sens ton souffle se saccader. Dieu sait lui, à quel point il t'a créé parfait.

— « N'y penses pas sale chien... »

C'était comment avec Cain ?
Ton regard s'écarquille à la question. Tu ne saurais l'expliquer, mais tes yeux viennent directement se braquer dans ceux d'Elijah. Juste avant que tu ne les reposes sur Hermès. Ils ont toujours été comme ça ; Noah le premier. A te faire croire que tu n'as rien de séduisant, à te faire croire que le seul que tu es capable d'aimer c'est toi-même.

— « Si t'étais resté un peu plus longtemps, tu l'aurais entendu. »

La pince se loge à ton ongle et ton coeur s'accélère. Tu gardes les yeux grand ouverts, hypnotisé par un instinct malsain, celui de regarder. Tu adores regarder. L'ongle saute, et tu hurles. Tu ne pensais pas crier aussi fort. Sous le choc, c'est une douleur que tu perçois différemment que celle des os brisés. Elle est plus vive, et alors que le sang coule le long de tes doigts, de l'accoudoir de la chaise, tu n'as pas le temps de songer à pleurer que ton frère s'octroie le droit d'être le suivant. Tu articules ton doigt blessé, la morve au nez et les larmes aux yeux. Non non non ils vont t'abimer !

Noah fait le tour, récupères un chiffon imbibé d'eau et tu tentes une énième fois de te dégager. Ça ne dure que quelques secondes, avant que la douleur de l'ongle ne revienne calmer tes ardeurs. T'as la rage au corps, autant que t'as des bleus à l'âme.

— « HYPERION ! Hyperion ! Jane... Jane et Steven... Ils vont rentrer de leur voyage ce mois-ci. Ils vont me chercher, ils vont me trouver. Et tu seras mal, VOUS serez mal ! »

La menace est étouffée bien vite. Sous la force du tissu, tu paniques. Cherches à respirer et t'étouffes. L'impression de te noyer (et le pire c'est que dans ta transe ça a le culot de te donner des idées). Tu te débats avec plus de forces quand son plan t'arrive aux oreilles. Tu comprends mieux pourquoi il prend tout ses risques et pourquoi il se met autant en danger. Tu refuses ! Plutôt mourir que de devenir une bête. Plutôt mourir que de devenir comme lui. Tu réalises qu'il a touché juste, et que ces années de liberté que tu lui as accordé vont orchestrer ta perte.

— « Non... »

La gifle te fait rouvrir les yeux, tu recraches un peu d'eau par les narines et la bouche. Les poches rouges se dessinent déjà sous tes yeux, et dans le fond de tes yeux s'anime une nouvelle intention.

Les menaces ne marchent pas.
Le chantage ne marche pas.
La provocation, bien que satisfaisante, ne marche pas.

Tes armes déjà épuisées ce n'est que le début, que te reste-il ? Supplier ?
T'es pas loin Atlas, mais heureusement que t'as encore un peu de lucidité.

Supplier ne marchera pas.
Tes yeux baissés remontent lentement vers lui, débordent d'une haine viscérale. Il ne t'a sûrement jamais connu comme ça, parce que t'as jamais été dans une position aussi déterminante, aussi misérable.
Aussi ...

Très bien.
Tu vas confesser.
Papillonnes des cils, comme si t'abandonnais.

— « J'ai... Je t'ai sauvé la vie. Tu as désobéi à Steven. Tu t'es jeté dans la gueule du loup et tu t'es fait mordre. Je t'ai sauvé ! Je t'ai ... permis de vivre sous notre toit. Parce que tu fais parti de la famille. »

Confesses, encore et encore. Réécris la vérité pour le rendre fou.

— « Je t'ai rendu plus fort, clébard. »

Confesses, putain.

— « J'ai donné un sens à votre vie de merde. C'est grâce à moi que vous existez ! »

La douleur t'empêche de réellement appréhender la réaction d'Elijah, tu ne l'entends pas t'insulter au loin, le regard d'horreur figé sur ton frère. Tu es découragé, Atlas, désabusé par la teneur de son plan. Tu te débats plus fort, secoues le bout des doigts et tires sur tes chevilles. Tes genoux se cognent à mesure que tu cherches à te défaire de tes liens. Tes petites confessions morbides t'ont soulagé juste un instant. Détruire Hyperion pour le punir d'exister a toujours été ton passe-temps préféré depuis quelques années - tu essaies de chercher de la ressource au fond de toi Atlas (tu sais qu'il t'en reste malgré tout) pour continuer ce que tu as commencé. Il n'ont pas achevé de t'abimer, tu peux encore supporter. Encore.

Un regard vers Elijah devenu totalement fou. Lui aussi propose de te tuer. N'est-il pas censé te protéger ? N'est-ce pas le but du pacte du calice que de défendre sa putain de réserve de sang ? Tu perds espoir, Atlas, conforté dans l'idée que c'est peut-être bien la fin. Tu implores, au seul qui pourrait être ne pas rire de ton manque d'honneur.

— « Strauss... Je t'en prie. Aide-moi. »

Mais vu qu'ils ont l'air de faire la queue pour te souiller, te revoilà face à Hermès. Tu le fusilles du regard, ne lui offres que le mépris qu'il mérite et malheureusement qu'il cherche. Parce qu'il sourit Hermès, te lances un objet en pleine gueule qui t'arrache un grondement étouffé. Un peu sonné pendant cinq secondes, le monde flou se précise brutalement lorsque tu hurles de nouveau. Son poignard s'est planté dans le haut de ton épaule. Tu craches une gerbe de sang et trembles des paupières.

Il te provoque, ce sale clebs. Tu revois son visage déformé par la douleur, tu repenses à ses supplications oppressées par l'entonnoir. Tu éclates de rire quand Noah lui assène une gifle, l'encourages même !

— « C'est ça... Frappe-le plus fort. Cette sous-race essaie de me tuer. Remet-le à sa place. FRAPPE-LE... Encore... ! »

Tu tousses, la douleur te lance mais l'adrénaline t'aide à rester éveillé. Tu ne te confesseras pas Atlas, parce que tu n'as rien à leur dire, rien à avouer. Tes crimes n'ont jamais été que des missions déguisées en caprices. Tu l'as fait pour le clan, pour tes parents, pour le monde, pour toi.
Tu l'as fait parce que tu as jugé juste de débarrasser cette terre des atrocités qui la peuplent.

— « Ce que j'ai fait, je recommencerai. Et je te tuerai- »

Interrompu. Tu ne l'as pas vu venir celle-là. Les doigts de Noah s'enfoncent dans ta gorge et alors que tes yeux s'écarquillent, l'effet est immédiat. Tu sens le vomi remonter dans ta gorge, se déverser de ta bouche sur tes vêtements déjà bien encrassés de boue et de poussière. Rien que l'odeur t'arrache un haut-le-coeur. Ta réaction ne se fait pas attendre, tu te mets à crier.

— « NON ! NOOON ! ENLÈVE MOI ÇA ! ENLÈVE- ENLÈVE-ENLÈVE ÇA ! HYPERION ! »

Tu te confonds en sanglots. La folie à tes iris, défiguré par la terreur et la répulsion. Tu ne t'agites plus, figé et tétanisé sous la force qu'il met entre ses doigts. Tes dents claquent, et dans ton palais s'imprime le goût ignoble de ta bile acide. Tu répètes, moribond.

— « Enlève... Enlève... Non... »

Peut-être bien que c'est la première fois que tu le vois comme il est vraiment - à ton image. Chaque action en entraine une autre, égale ou opposée. Tu as été monstrueux avec lui, et tu as créé un monstre.
Sous l'annonce de ce qui t'attends, tu marmonnes.

— « Je vais te tuer, je vais te tuer, je vais te tuer. »

Tu lui hurles dessus, alors qu'il recule déjà.

— « JE VAIS TE TUER TU M'ENTENDS ! »

Le coeur qui s'affole.

— « Et lui... JE LE BRULERAI AVEC SA MAISON ! »

Tu vas les anéantir. Les enfermer dans une cage tous ensemble et y mettre le feu. Des esprits si faibles. Leurs cendres seront ta tombe et leur insatiabilité ton héritage.