Ton regard se pose sur les traits tracés à la plume. "15h05, Cornwell", ton écriture fine et délicate, comme pour te remémorer le rendez-vous que tu attends pourtant depuis trente minutes maintenant. Tu refermes ton agenda, old-school jusqu'au bout des doigts. Préfère le tangible d'un carnet que l'éphémère d'un organisateur virtuel. C'est qu'entre tes mains l'agenda est lourd. C'est que dans ton crâne ça sonne comme plus réel, remplit, vrai.

Un coup d’œil rapide vers l'horloge murale du salon de ton bel et chic appartement. Bientôt. Bientôt. T'espères que l'énergumène est ponctuel, il t’intéresse, mais ta patience à ses limites.

Cornwell, tu caresses lascivement la couverture de ton agenda. Pas le brun, celui qui s'affiche tel un révolutionnaire fier d'avoir ruiné sa famille pour quelques moralités. Non, l'autre. La brebis galeuse, te semble-t-il. Le plus intéressant, de ton avis. La curiosité te pique, tu as dans ces phases où tu as grand besoin de te jeter sur de l'inédit, du curieux, du nouveau. À défaut de t'enseigner quelque chose d'utile peut-être cet homme sera-t-il une bonne distraction ? Nina trottine vers toi. Tu passes une main douce contre son crâne, dévisages un moment ses grands yeux vert pâle.

— Monsieur Cornwell Maîtresse.
— Fait le entrer.

Tu ne te lèves pas, tu croises au contraire les jambes pose tes mains sur tes genoux ton regard rosé braqué devant la porte du salon. Il te semble que la reine d'Angleterre reçoit de cette façon. L'idée te fait sourire, tu aimes profondément l'idée que ce petit homme soit impressionné, conscient de votre différence (il n'en sera que plus facile d'obtenir ce que tu désires). Un charmant sourire sur ton visage.

— Ulysse, je suppose ? Bienvenue.

Tu lui désignes un fauteuil confortable en face de toi.

— Je suis très heureuse que vous ayez répondu à mon invitation.

Une lettre, manuscrite, parfumée, arrivée devant sa porte il y une poignet de jours. A l'air du dématérialiser, tu savais que ça aurait son petit effet. Et tu avais une furieuse envie d'utiliser ce nouveau papier à lettre qui t'avait coûté une petite fortune.

Il marque des points. Tu notes sa posture fière. Tu notes sa politesse. Il fait montre d'une certaine éducation, de la base du respect. Il rend hommage sans s'écraser pour autant. Il s'impose sans écraser pour autant. Un savoir-faire subtil, le signe de parent qui ont justement accompli leur mission. Tu souris.

— Oh, j'ai plaisir à croire que ma calligraphie ne soit pas la seule chose agréable à regarder.

Lueur complice, sous couvert d'humour. Tu veux jauger l'attrait que tu dégages, savoir quelle carte jouer pour obtenir ce que tu veux. Des réponses. Un savoir nouveau. Et, peut-être aussi, un nouveau portrait de ta personne à accrocher dans ton salon.

— Puis-je vous servir quelque chose ? Boisson ? Collation ?

Tu tapes délicatement dans tes mains et Nina entre un plateau chargé de thé, jus, café, et quelques biscuit. Tu ignores les goûts de ton invité, alors tu as misé sur tout ce que les Anglais ont le cliché d'aimer.

Nina te sert pour ta part un café bien chaud. Tu es levée depuis l'aurore et tu peines à avouer que tu pourrais tenir ton rythme sans. Tu tapotes ta tasse du doigt, attends qu'il soit servit pour continuer.

— Je suis curieuse. Depuis mon arrivée sur vos terres, j'ai rencontré et me suis entourée de nombre de personnes étonnantes et fascinantes.

Tu lui adresses un sourire, bois une gorgée en prenant un certain plaisir à faire passer les secondes.

— Mais le clan Corwnwell m'était jusqu'à peu inconnu. Comme je vous l'ai dit, je suis curieuse et un artiste issu d'une noble lignée déchue a de quoi attiser ma curiosité.

Tu te penches, pioche un petit biscuit que tu fais tourner entre tes doigts.

— D'autant plus que j'ai du mal à saisir ce qu'on vous reproche... J'ai pensé que vous pourriez m'éclairer. Je déteste ne pas comprendre. Peut-être que cela pourrait s'accompagner d'une commande ?

— Hm, j'ai entendu parler de cela, oui. Votre frère... Votre cousin ?

Tu touilles ta petite cuillère dans ton café, un geste lent, chronophage.

— J'ai été éduquée dans des valeurs de loyauté et de respect envers les miens. Aussi, j'avoue ne pas vraiment comprendre et encore moins approuver qu'on puisse retourner sa veste pour se sauver soit.

Tu lèves un regard doux vers lui, accompagné d'un gentil sourire. L'image de la compréhension.

— J'avais supposé que l'intention de ce... Vanitas, n'est-ce pas ? Vanitas, donc, aurait été de sauvegarder un maximum en sacrifiant un peu. Mais ça n'a pas l'air d'être le cas.

Tu lui adresses une moue désolée.

— Sachez qu'en ce qui me concerne, vous ne serez pas jugé avec malveillance. J'ai, au contraire, le plus grand respect pour ceux qui savent se faire fidèle.

Tu te lèves, lui adresse un sourire avant de te poser à la fenêtre. Tu observes la charmante cour au pied de l'immeuble. Peut-être iras-tu prendre un bain de soleil. Peut-être lui proposeras-tu de l'accompagner. Tu prends quelques secondes, finis par te retourner.

— Mon projet est le vôtre.

Tu l'observes, captes sa potentielle surprise avant de t'expliquer.

— J'ai un grand amour pour les arts. Et, surtout, je suis en constante recherche de jeune talent. J'aimerais vous passer une commande pour... Ce que vous voulez. Un portrait, une sculpture, un graffiti, tout ce qui peut vous stimuler. Qui sait, peut-être pourrais-je me faire votre mécène si vous arrivez à me convaincre ?

Vous m'en voyez ravis.

Tant mieux, le contraire t'aurais fortement déçue. Quand tu offres de telles occasions, tu aimes que la personne en face y soit réceptive et mesure l'honneur qui lui est fait. Tu laisses sur tes lèvres un sourire poindre. Bien, il est temps de parler affaires semble-t-il.

— Le nombre d'adversaires potentiel vous inquiète ?

Tu l'observes, le regard légèrement rieur. Prends le temps de quelques secondes avant de regagner ton siège et t'accorder une gorgée de café.

— Je trouve plus amusant de ne pas vous répondre.

Tu lui adresses un sourire, reprend le touillage de ta tasse en venant de poser plus confortablement dans ton siège.

— Alors dites-moi tout, Ulysse, quel genre d’œuvre allez-vous produire ?

Il y a ton aide à la clé, ce qui est un prix autrement plus attractif que tout ce qu'on pourra lui proposer. Dieu, Ariana, que tu aimes qu'on dépende de toi.

— Oh, je constate que vous ne manquez pas de confiance en vous... Voilà qui est appréciable.

Il n'y avait rien de plus insupportable qu'un artiste méfiant de son propre art. Rien de plus dérangeant qu'un adulte trop peureux pour relever un défi. Tu aimes, Ariana, que ce qui t'entoure soit aussi déterminé que toi. Tu aimes encore plus, écraser de ton pied ceux qui se pense indestructible. Mais, ça, c'est une autre histoire.

Tu poses ton poing contre ta joue, observes, rieuse et espiègle ce petit homme qui a pour mission de te divertir et de te surprendre. Tu songes, aussi, à tout ce que tu pourrais tirer de votre entrevue. Soyons franc, le défi n'est rien de plus qu'un prétexte. Sur le long terme c'est la maison Cornwell et sa position qui t’intéresse.

— Un tableau, donc.

Songeuse une seconde, avant de reprendre.

— Je vous en prie, ne m'en dite rien. Je ne veux pas savoir, je veux avoir la surprise.

Tu laisses tes doigts caresser tout ce qui passe à leur portée. Une date. Une date... Voyons...

— Hm, que diriez-vous de la fin du mois, hm ?

Tu lui adresses un regard teinté de provocation.

— À moins que ce ne soit trop tôt pour vous ?

— Si vous le dites...

Ainsi donc, l'individu est fier. Un homme plein d'ego ou de bonne volonté. Parfait, il n'y a rien de plus utile que la fierté d'autrui pour avancer. Un terreau fertile à la manipulation. Il ne sera que plus facile d'obtenir ce que tu veux de lui s'il s’épanouit dans le challenge et le défi. Alors satisfaite, tu l'es, Ariana. Ce charmant jeune homme vient de t'offrir bien plus qu'un simple tableau à ajouter à ta collection. Tu viens croiser tes jambes, assise à ton siège. Hoche doucement la tête, comme-ci il venait de répondre exactement à tes attentes.

— J'ai grande hâte de découvrir le résultat final, monsieur Cornwell.

Ton doigt glisse contre l'accoudoir.

— Peut-être ce tableau sera-t-il le début d'une collaboration fructueuse entre vous et moi. Voyez-vous, je sais être très généreuse avec mes amis.

Tu braques ton regard dans le sien, le jauges du regard.

— Et je pense que vous avez grand besoin d'amis, n'est-ce pas ?

Après tout, il cumule deux situations précaires : celle d'artiste et de paria.