Les trains arrivent et repartent de plus belle, que tu sois là pour les voir ou pas. Les voyageurs ne s'arrêtent jamais, ils avancent, ils courent, ils se dépêchent. Ne pas être en retard, ne pas rater le suivant, quitter cette fichue foule, trouver de quoi manger...
Tant de raisons de se précipiter.
Toi, tu n'as aucune raison d'être là sans parler d'aller te dépêcher ailleurs. Tu aimes juste le bruit abrutissant des trains. Le vent qui semble émaner de chaque être que les bêtes de métal recrachent. Comme si chacun était une particule d'énergie et qu'assemblés, ils faisaient une tempête. Une tempête qui pourtant ne parvient pas à te mouvoir.
C'est de cette gare là que part le train pour Poudlard. Tu n'as jamais refranchi le mur depuis ton dernier retour. Tu n'avais jamais regardé derrière toi - et tu n'es pas là pour le faire.
Peut-être que le bruit n'est toujours pas assez fort pour étouffer tes pensées ?

Bonsoir.

Quelqu'un s'est assis à côté de toi, sur le banc. Tu ne lèves même pas les yeux pour le contempler - tu ne t'en préoccupes pas. Ta cigarette est presque finie, de toute façon. Tu devrais bientôt rentrer pour sortir Marquis, avant qu'il ne décide de se sortir tout seul.

Tu lèves les yeux, surprit qu'on t'ai abordé. C'était relativement rare, ceux qui le faisaient. Tu n'avais pas l'air aimable pour un sous, après tout. Et c'était à raison - tu n'avais pas vraiment envie de parler. Mais dans le bruit assourdissant de la vie qui se déroule sans se préoccuper des états d'esprit de tout un chacun, la voix de l'homme à ses côtés est bien réelle.

Pardon ?

Les yeux se lèvent, contemplent le profil. Il n'a pas l'air d'ici, avec sa peau assombrie, son nez droits, ses traits étrangers. Même ses vêtements semblent d'ailleurs, et lorsqu'un train part du quai, tu peux légèrement percevoir une vague odeur d'encens semblerait-il. Agréable.
Tes joues rougissent lorsque tu réalises que tu as entendu la question et que ton cerveau ne l'a juste pas enregistrée.

Oh, bien sûr. Pardon. Voilà.

Te râclant la gorge, tu fouilles tes poches pour en sortir ton briquet - et le cendrier portable par la même occasion. Le posant entre vous deux et lui tendant le feu, tu souris légèrement avant de détourner les yeux. Une enfant se met à pleurer et tes yeux la cherchent dans la foule, ton sourire s'effaçant. Il faudrait vraiment que tu rentres.

Tu l'observes Earl, comme on observe les gens lorsqu'on fait preuve d'une grande impolitesse.
Alors lorsqu'il te rend le briquet, tu le récupères et détournes les yeux. Ta cigarette s'est consumée jusqu'au bout - le mégot est glissé dans le cendrier alors que tu soupires.
L'homme est sorcier. Tu penses. Tu en es presque certain. Il y avait cette sensibilité en toi, depuis ces incidents, qui faisait que tu te doutais de ce genre de choses. Que tu en ressentais d'autres.
Ils disaient que les cracmols ne pouvaient voir les détraqueurs. Tu les voyais.
Tu voyais les sombrals, aussi.
Le monde magique était fait de chair noire putride. En fin de compte, c'était sa nature invisible aux yeux d'autrui, qui reflétait le plus sa réalité.
La question de l'homme te tire de tes pensées et tu tournes les yeux vers la gare. Tu avais pris le train d'ici si souvent. Pourtant, le bonheur ne t'accompagnait qu'aux premières.

Oui. Mais je ne viens pas ici pour les réminiscences.

Non, pour cela il te suffirait de visiter le cimetière. Combien d'années depuis que tu y avais mis pied pour la dernière fois, Earl ?
Ton regard se repose sur l'homme, alors que tu penches la tête légèrement, essaye de décrypter son regard, en vain.

Les vôtres sont-ils bons ou mauvais ?

Les réponses de l'inconnu sont étonnamment logiques, à leur place. Elles sont même d'une évidence dure à nier - qu'est-ce qui permettait de jeter un jugement sur un souvenir en sa matière de bon ou de mauvais si ce n'était pas seulement l'avidité humaine à apposer son jugement sur tout ce qui était à portée ?
Le temps était une force inébranlable que tu n'avais jamais réellement considérée comme ton alliée. Le temps s'écoulait, voilà tout. Il n'y avait pas de jugement à apposer sur le soleil qui se lève et se couche. Sur la lune qui parfois prend sa place, parfois s'absente.

Mais parfois on oublie.

Un léger sourire se glisse sur tes lèvres. Tu en avais sûrement oublié des choses. Par-ci et par-là, quelques images s'étaient faufilées dans un gouffre de non existence. Comment les récupérer ?
Tu ne savais pas. Tu ne voulais pas, de toute façon. Ainsi, il y avait plus de place dans ton esprit.
Ainsi, tu n'avais pas à craindre oublier le présent.

Et les traces parfois nous empêchent d'avancer.

Combien de fois tes cicatrices avaient été un frein dans ta vie ? Tu soupires, secoues a tête, dépassé. Tu ne comprenais pas ce que tu faisais là, au final. Pourquoi tu étais resté.
Rien n'avait de sens, ces derniers jours. Rien.