Il l'a observé de loin, contempler le ciel.

Il s'est dit, une fois encore, qu'il n'avait pas à rester à ses côtés, pas quand il risquait de ruiner sa carrière et sa réputation. Mais pourtant, il en avait tellement envie. Pour une fois, Rivage désire, désire égoïstement, au delà de sa mort, au delà de la souffrance qu'il infligera en partant.

Profiter de chaque seconde, les dévorer et s'accrocher à toi comme s'il n'y avait pas de futur. Et objectivement, quoiqu'il se passe de beau entre eux, il n'y a pas d'avenir. Il n'y a rien.

Rien que des fantômes et des larmes
Et pourtant, pour rien au monde, Rivage ne souhaiterait être ailleurs.

L'arrogant Lancelot devient doux, et l'humble Rivage devient égoïste.
Drôle de vie.

Élude la question, sur le bas peuple.
Trop tôt peut-être.
Pas envie de réfléchir à ça.

Et la bague qui tourne dans la poche de Rivage.
Elle est belle, argentée, délicatement ciselée et sertie d'une jolie pierre bleue.

Frissonne de ton rire et y joint le sien.

- La prochaine fois, je te ferais goûter les crêpes, y'a une dame dans une allée à côté qui en fait des délicieuses.

Évoquer la prochaine fois, comme s'il y en aurait une.
Alors qu'on sait tous les deux qu'on ne sait pas, ce qu'il y aura après.

Et maintenant ?

Qu'est-ce qu'on fait ? Est-ce qu'on reste ici, est-ce qu'on va se perdre ailleurs ?
Le soleil doucement commence à chuter derrière les bâtiments, colorant le ciel d'un rouge intense.

- Attends, t'as du chocolat.

Et du bout des doigts, essuie la commissure de tes lèvres.
L'impression idiote d'être un imbécile coincé dans un film à l'eau de rose.
Cache ses joues écarlates dans sa gaufre.

- E-et après ? Tu veux rester ici ? Ou ailleurs ?

Rivage, lui, il s'en fiche, il veut juste que ce soit toi, qui lui souhaite son anniversaire de vive voix le premier.

Et les mots se perdent contre toi.

Comme une urgence de te sentir, nos lèvres qui se joignent et s'aiment en silence. Se dévorent presque désespérées.

D'une main, Rivage tient sa gaufre, l'autre, il la perd dans tes cheveux de jais, caresse ta nuque.
Oui, c'est bien toi, ici, avec lui, au milieu de son monde à lui.

Oui, c'est bien toi, qui a dit avoir hâte à cette hypothétique première fois.

Oui, c'est toi qui vole ces baisers brûlants avec avidité.

C'est idiot, mais on croyait presque plus, que c'était toi, caché sous ta casquette, ton masque et tes lunettes. On avait la sensation d'une distance étrange.

Mais non.
C'est toi.

Se détache une seconde, respire à nouveau.
Nos corps toujours l'un contre l'autre.

- Viens chez moi.

Viens, dans ce cocon où il passe des heures, des jours, des semaines, à mourir à petit feu, à se prendre en photo, à penser à toi.
Viens, voir comme elle simple la vie d'une vague.

À peine arrivée, déjà repartie.

On mangera des gâteaux faits à la va-vite, on regardera des dessins animés. Peut-être même qu'on s'embrassera encore.

Mais Rivage te veut, égoïste, pour lui tout seul.
Sans ton masque et tes lunettes, sans les regards appuyés de la foule autour d'eux.

Il n'y a pas de mot, juste des regards qui s'accrochent pour ne jamais se lâcher.
Juste des envies égoïstes qu'on regrettera mille fois plus tard.
Juste finir ce qu'on avait commencé.

Tu sais, quand il se consumait entre tes bras.

Cherche du bout des doigts l'amulette dans sa poche, la serre contre sa paume et vous voila aspirés jusqu'à l'appartement.

La gaufre survivante s'échoue sur le sol à côté du lit. Le chat, toujours sans nom, dérangé dans son sommeil râle un peu et va la renifler, beaucoup plus intéressé par le chocolat dégoulinant que par les deux individus tombés sur le matelas.

Rivage étendu sur les draps, ton corps contre lui comme une bouée de sauvetage, il rit doucement, une main dans tes cheveux.

- Bienvenue chez moi.

Il n'a pas envie de bouger, te garder là, avec le chat qui mange une gaufre et le soleil mourant qui se glisse entre les rideaux mal fermés. Doucement, vient chercher tes lèvres encore une fois, sans se presser cette fois.

Comme si, ici, on enfermait le temps, comme si ici, demain n'existait pas.

Glisse les mains contre tes épaules pour te débarrasser de ton manteau qu'il repousse sur le côté. Il servira sûrement de lit au chat.

- J'espère que t'es pas allergique aux poils.

Et ça pétille dans sa cage thoracique de te voir là, de te voir dans cette pièce.
Sourire.

- Merci.

D'avoir dit oui, ou de n'avoir rien dit.
D'être là.
D'être égoïste avec moi, d'être doux pour moi.

Et les lèvres qui viennent enflammer sa peau, ravir son sourire à même la source.

C'est si doux, c'est tellement beau, rien ne semble pouvoir nous atteindre.
Non rien, vraiment rien.
C'est notre moment à nous.
C'est joli nous.

Et ça éclate en morceaux avec la sonnerie du téléphone.
Rivage sursaute. Dans sa poitrine, son cœur tressaute, se serre.
Et Lancelot qu'on dévisage avec appréhension parait tout aussi tendu.

Arrachés au rêve, ramenés à la réalité alors seulement qu'on venait se s'autoriser à lâcher prise.
La sonnerie se meurt et le silence devient assourdissant.

Et dans tes yeux, Lancelot, il pleut. Il y a comme des éclairs aussi, désir, colère, tristesse. Rivage ne voit pas bien dans la pénombre.

Le travail, que peut-il faire contre ça ? Que peut-il dire quand le monde attend Lancelot Avery ?

- Alors cette fois, ça sera toi Cendrillon ?

Il essaye de rire, mais il a encore la main agrippée à ton tee-shirt, les lèvres rougies de tes baisers.

Cette main qui vient enlacer ta nuque alors que son front se pose contre ton torse. Ta chaleur, s'en gorger autant qu'il peut. Parce que tout ne tient qu'à un fil ici et même quand on imagine avoir le temps, la bulle éclate.

- Tu vas partir maintenant ?

Ou peut-on encore grappiller quelques instants ? Quelques secondes ?

Rivage sourit.

Des talons, il en a en plus, cachés dans un de ses placards. Pour des photos, ah si Lancelot savait ce qu'il fait dans la vie, lui qui est déjà offusqué de le voir vendre son corps à d'autres que lui.

(il sait)

- Je te montrerai, je marche très bien avec.

Je cours aussi.
Après toi, après nous.
Qui t'échappe avant même d'exister.

Te contemple dans la pénombre, de ta peau à tes yeux, en passant par tes lèvres qu'on voudrait dévorer.
Le monde t'attend.
Pas Rivage.

Il se demande ce que c'est, lui déception familiale par excellence, ce que c'est de remplir les espoirs, de provoquer les sourires et l'admiration comme ça.
Il se demande, t'envie sûrement un peu.

(t'envierait moins s'il ne mourait pas demain)

Hausse un sourcil.
Vraiment Lancelot ?
Te retenir.

Te repousse dans les draps, te surplombe, les cheveux noirs si noirs et si longs qui glissent contre toi.
Épingle tes poignets au dessus de ta tête d'une main.
Tu sens trembler ses doigts, un rien le ferait lâcher.

Le monde t'attend.
Et Rivage s'arroge le droit de te retenir ici.
Quelle arrogance.
Quel égoïsme.

- N'est-ce pas dangereux de séquestrer quelqu'un d'aussi important que toi ?

Se penche contre ton oreille.

- Tu devais me souhaiter mon anniversaire ... tu peux pas partir maintenant.

Les mains qui s'échappent rapidement pour se glisser contre ses cuisses.

Arrogant Rivage, s'imagine presque qu'il a déjà gagné, que Lancelot va rester, ignorer les appels de celle qui compte le plus pour lui ... juste pour, l'obsession (passagère) qu'il représente.

- Alors, c'est un accord.

Sérieux, il l'est aussi. C'est un accord, hein Lance ? Cette soirée devait être la nôtre et rien que ça, juste une parenthèse arrachée au hasard.

L'anniversaire, minuit.
Tu te rappelles hein.

Les doigts qui s'enfoncent dans la peau. Comme une lutte interne entre deux mondes, celui de la lumière et celui des secrets. Rivage sent alors la situation lui échapper. Il commence à comprendre.

Basculement, et le baiser qui achève cette étreinte a un gout d'échec.
Sur fond de sonnerie stridente, Lancelot se redresse et Rivage n'a même pas la force de le retenir. Il le contemple, allongé sur le matelas, les lèvres rougies par leurs baisers et les cheveux décoiffés par les caresses.

- Je t'attendrai.

Et il a attendu Rivage, toute la nuit.
Toute la foutue nuit.
Il a ignoré les appels de Sol, qui lui souhaitait son anniversaire.
Ignoré les messages.
Roule un joint pour passer le temps, puis un autre et encore un autre.

Dans le silence enfumé, seul le chat ronronne.
Et Rivage, encore une fois, réalise qu'il a trop espéré.

Joyeux anniversaire Rivage.