Il est vrai qu’elle devrait se foutre des rumeurs. Après tout, des rumeurs à son sujet il y en a toujours eu. A poudlard, c’était à cause de son statut de née-moldue. Puis à cause de ses fréquentations, elle qui était étonnamment entourée par la haute sans pourtant avoir essayé. Puis les rumeurs sur sa santé, à son retour soudain après une absence inexpliquée. Et la boucle était repartie du début une fois à l’hôpital. Statut. Entourage. Avait-elle réellement mérité sa promotion à son jeune âge ? N’avait-elle pas abusé de ses connections ? Après tout, une née-moldue qui réussit chez les sorciers… Et maintenant, Stian. Leur supposée relation amoureuse qui, pourtant, était tout sauf de ce calibre.

Le problème, ce n’était pas les rumeurs.
Le problème, comme toujours, c’était elle.

Qu’on parle à son sujet, elle s’en fiche. Elle en a toujours eu l’habitude. Même avant Poudlard - ça vient avec la notoriété, avec le sport et les rivalités, avec la médiatisation… Mais que son nom puisse potentiellement ternir celui de son ami… Elle trouvait ça terriblement injuste. Surtout avec son statut de sang-pur. Bien qu’elle s’en fiche, d’autres non.
Et ça la rendait toujours aussi amère.
L’impression d’être un boulet qu’on traîne derrière. Elle soupire doucement à la malice de son camarade qui, malgré tout, l’amuse et amenuise un peu le poids sur ses épaules.

▬ Tu as raison.

Elle se prenait bien trop la tête.
Pas comme si c’était nouveau.

Elle ne pensait pas que s’épancher lui ferait du bien, mais un peu, au final. Elle qui avait toujours gardé tout ça dans un coin de sa poitrine, verbaliser ses souvenirs semblait les rendre plus tangibles et concrets. L’air de dire - oui, moi aussi un jour tu sais j’ai pu briller. Moi aussi, un jour, j’ai pu être aimée. Même si ce n’était pas une romance… C’était sûrement l’amitié qu’elle a le plus chérit dans sa vie.
Même si c’était fini.

A la place, elle se concentre sur Stian qui semble s’épancher sans trop avoir prévu de le faire. Les mots qui sortent comme pour elle - vivaces, naturels et prématurés. Comme s’il fallait que ça sorte. Comme s’il fallait avoir un témoin pour que, s’ils ne disparaissent, le souvenir puisse malgré tout être perpétué. C’est idiot pourtant.
Se confier de fantôme à fantôme, ce n’est pas très pertinent.
Et puis Stian, à son tour, se met à briller. A se raviver, comme un phénix renaîtrait de ses cendres. Dans ses yeux une candeur qui change de cet air espiègle qu’il porte au naturel. Qui change de son sérieux au travail. Comme s’il se laissait exister, l’espace d’une histoire qui eut un jour existée. Les balades en balais, le soleil qui se couche. Le rire. La compagnie d’un être cher qu’elle devine, à la douceur de son regard, comme une affection particulière. Peut-être un peu plus que de très bons amis.
Un ami enterré avec les autres souvenirs.
Son coeur se serre à la pensée.
Trop empathique pour son propre bien, ses sourcils s’arquent légèrement et si elle n’était pas aussi maîtresse d’elle-même, l’on pourrait voir l’ombre d’un brin d’humidité dans son regard. Un soupir qu’elle partage et plussoie.

▬ C’est vrai.

Où est-ce qu’ils s’étaient trompés ?
Qu’avaient-ils fait pour mériter ce qui leur était arrivé ? Pour qu’on leur dérobe tout ce qu’ils avaient ? Elle regarde Arsène. Pour elle, la réponse était évidente - elle se pensait évidemment en faute. Coupable récidiviste de tous les malheurs qui se sont abattus sur elle et sur son entourage. La seule fautive et pourtant la seule en réelle liberté, qui continue d’avancer.
L’ironie la tue.
Mais Stian ? S’il n’était pas un ange, elle ne le vendrait pas au diable. Des défauts on en a tous, comme des actions à la morale qui se questionne. C’est part de la nature humaine. Mais qu’avait-il fait pour mériter qu’on lui retire son soleil ? Pour qu’il ne reste dans ses yeux que du gris ; pas même de l’orage.
Juste du gris.
Des nuages à perte de vue et aucune éclaircie à l’horizon. La pensée la tordait de l’intérieur. Elle aurait tellement voulu pouvoir participer à son bonheur. Mais elle sait bien qu’elle en est incapable.
Après tout, elle est elle.
Se tenir loin d’un porte-malheur est préférable.
La question lui fait relever la tête, pas vraiment dupe au sourire que Stian force sur ses lèvres alors qu’elle se terre dans son impassibilité naturelle, bien contente de ne pas avoir à se forcer en sa compagnie. Elle est déjà si fatiguée. Encore plus de faux-semblants la tueraient. Elle hésite, pourtant. Son regard vacille et fuit sur le côté.

▬ Il… Oui, il est toujours dans le monde sorcier.

Elle réfléchit à ses mots, à ce qu’elle allait dire ensuite. Elle en savait bien peu sur sa situation actuelle, à dire vrai. Elle ne savait même pas où il habitait. Et elle doutait que ses souvenirs ne suffisent à comprendre l’homme qu’il était. A défaut d’avoir connu un garçon au nom similaire jusqu’à ses rires et ses colères. Elle soupire. Encore. Finit par souffler.

▬ On est plus vraiment proches, maintenant.

Pourtant dans son regard se terre toujours un éclat de douceur et de tendresse.

▬ On s’est perdus de vue pendant… douze ans...

C’était si long, douze ans.
Une vie entière creusée entre eux. Elle secoue la tête, comme pour marquer la fin de leur amitié comme une histoire révolue.

▬ Je l’ai croisé par hasard il y a peu et on a recommencé à parler, plus ou moins… Mais ça n’a plus rien avoir. Il a fait sa vie de son côté.

Et elle a continué de fuir la sienne.
Elle relève un sourire vers lui, tout aussi faux que celui de son compère.

▬ Toutes les bonnes choses ont une fin.

Elle hausse vaguement les épaules.
Après tout, ils se parlent au moins.
A défaut d’être un cadavre sur pattes, aucun d’entre eux n’est enterré. Elle devrait sûrement s’en réjouir. Pourtant elle rêve juste d’en finir. Ses yeux ternes et mornes se reposent sur Arsène qu’elle caresse pour s’apaiser. Bien qu’au fond il n’y ait plus vraiment de douleur. Il n’y a d’ailleurs plus rien. Même plus de quoi l’effrayer.

▬ C’est de l’histoire ancienne, ce que je t’ai raconté.

Un souvenir.
C’est tout ce que c’était.
Une histoire à conjuguer au passé.
Un conte déjà terminé.
Et la morale, elle continuait de la payer.

Elle sait qu’elle n’a pas à se plaindre. Eamon est en vie et il veut bien lui parler, de temps en temps. C’est honnêtement plus qu’elle ne pourrait demander. D’ailleurs, elle s’est bien dit qu’elle se contenterait de ça. Hors de question d’être à nouveau déraisonnable et de laisser son coeur être tenté par une réelle amitié. Elle avait déjà assez espéré qu’il lui reparle après l’avoir fuit… Ce serait abuser.
Pourtant.

(Arrête.)

Elle regarde ses mains abîmées.
Rapide retour à la réalité.
Les choses étaient bien comme elles l’étaient.
C’était mieux comme ça.
Plus simple, aussi.

Et quand elle partirait (parce qu’elle allait partir) ça fera moins de casse, moins de dégâts. Ca serait plus simple à oublier. Elle n’aura pas encore trop réécrit de souvenirs, il pourra être triste un temps et puis surmonter la chose sans problème.
C’était mieux comme ça.

Alors la question de son collègue la prend de court.

▬ Pardon ?

Est-ce qu’il sait cuisiner ?
Elle n’en sait foutrement rien.
La lueur dans le regard de Stian ne lui dit rien qui vaille et au fur et à mesure que les mots passent ses lèvres elle comprend où il veut en venir elle fronce légèrement les sourcils.

▬ Quoi ? Non ! Hors de question. Non, non et non.

Elle vient de lui faire toute une explication comme quoi c’était fini et lui il voulait relancer la balle dans le terrain ? Sérieusement ? Un soupir passe ses lèvres - c’était Stian, elle n’était pas surprise. Elle commençait à le connaître, il faut dire. Mais c’était d’Eamon, dont on parlait. De toute façon, peu de chance qu’il accepte. Noël, en plus ! Pour babysitter deux incapables qui savent pas cuisiner. Bien sûr. C’était tellement son genre. Nouveau soupir à l’idée.

Bon.
Elle lui avait acheté un cadeau.

Mais est-ce qu’il avait vraiment besoin de le savoir ? Après tout, vu que ça concernait le thé et qu’elle buvait du thé, ça pouvait être un cadeau pour elle-même, non ? Si elle s’en servait (bien qu’elle allait probablement le laisser soigneusement emballé dans une armoire pour les douze prochaines années) ça comptait pas forcément comme un cadeau, pas vrai ? Et Eamon n’avait qu’à ne jamais être au courant. Elle dirait à Argus que ça a été donné, vu qu’il ne sait pas de qui il s’agit de toute façon… Et problème réglé ! Et puis c’est pas comme si Eamon allait mettre les pieds dans son appartement sous peu.
Un vrai génie cette Persephone.

Evidemment, Stian la ramène à la réalité vite.
Un peu trop fort, même.
Sur son visage se peint la surprise avant que la culpabilité n’y retrouve sa place. Ses yeux fuient rapidement le contact, trouvant un échappatoire sur le côté. Elle sait que c’est du passé. C’est elle qui a coupé la corde. Qui a forcé la fuite. Qui a claqué la porte. Elle sait. Mais ça pique toujours autant de se le faire rappeler.
Pardon.
Elle ferme les yeux.

▬ De quoi tu t’excuses ? D’être honnête ? D’avoir raison ?

Inspire.
Emmêle ses doigts, ses ongles venant machinalement tirer les cicatrices et les croûtes de ses plaies, prêts à les rouvrir. Elle rouvre ses yeux, bien plus fatiguée.
C’est vrai, pourquoi elle se retenait ?
Même si elle l’invitait à Noël, c’est pas comme si quoi que ça soit allait changer. Eamon a grandit, aussi. Il a fait sa vie. Il n’était plus le même garçon qu’elle a connu. Il avait probablement reconstruit, encore plus solidement qu’avant, toutes les barrières qu’elle avait pu un jour franchir. Ce n’était pas elle qui le ferait faillir. Ce n’était plus elle. Alors à quoi bon se retenir ? Il allait sûrement refuser. Et si jamais, ce n’était que pour un soir sans trop d’importance où ils ne seront pas seuls. Son cadeau sera une politesse collective sans signification particulière et le lendemain ils retourneront à leurs habitudes, un comptoir pour les séparer. Des trivialités. Pas de confiance. Pas de contact.
Sans jamais se rapprocher.
C’était mieux comme ça.

▬ Je lui proposerai. Mais je garantis pas qu’il accepte. Ou qu’il cuisine.

Après une brève respiration, elle se force à reprendre quelques couleurs, à lâcher ses mains aux tendances destructrices et à remonter son regard sur Stian.

▬ Je te préviens, je te l’ai déjà dit mais il mâche pas vraiment ses mots.

Son air s’adoucit un peu.

▬ Et s’il cuisine… Vu qu’il fait jamais rien à moitié, je suis sûre qu’il doit être très doué.

Toujours aussi fière de lui quand elle en parle.
Elle peut pas s’en empêcher, c’est plus fort qu’elle.
Ah, Persy. C’est mieux comme ça, pas vrai ?
C’est beau de se persuader.