Tu quittes la maison seul ce soir-là. C'est le même rituel depuis des années, la même chanson dissonante qui se joue dans ta tête. Tu n'as pas la force de transplaner, aucune volonté. Sous les flocons de neige qui tombent, tu t'enfonces dans les bois - jamais prêt pour ce qui va arriver, malgré le fait que tu le subisses chaque mois depuis que tu sois né.
Tes pas s'enfoncent dans la fine particule de neige qui s'est déposée sur les feuilles mortes (enterrées) de la forêt. Escalades les racines, caresses les arbres. Tu ranges ton portable dans ton sac, et balances celui-ci en haut d'un hêtre. La bretelle s'accroche à une branche en hauteur et tu continues ton chemin pour t'enfoncer un peu plus loin - là où tu es sûr que personne ne viendra te trouver ou te chasser, là où tu sais qu'habituellement personne ne s'aventure de nuit.

Le soleil termine de se coucher et tu t'assois en tailleur au milieu d'un sentier. La lune ne tarde pas à devenir le seul astre visible, imposante dans le ciel et s'imprime à la courbure de ta rétine. Tu te perds de longues secondes, à la contempler - tu la sens s'immiscer dans chaque partie de ton corps, fait vibrer tes énergies. Ton souffle se coupe brusquement et tu baisses les yeux pour enfoncer tes ongles dans la terre. Tes os se brisent un à un et c'est une douleur que tu as réussie à dompter avec l'expérience. Pourtant ce soir elle est insupportable. Tu hurles, Teddy, et quand la fourrure a terminé de recouvrir l'entièrement de ton corps remodelé en Bête assoiffée de sang.
Tu t'abandonnes (toi) pour devenir lui (ce monstre).


Ses pas sont légers alors qu'il se traine dans l'obscurité, la langue pendante entre ses crocs saliveux. Le loup chasse, gambade entre les arbres à la recherche d'une proie. Mais ce ne sont pas les oiseaux ou les loirs qui l'intéressent, la bête a entendu des cris humains. La voix de Sage Black ne suffira pas à réveiller Teddy Hingsley cette nuit, profondément endormi dans les limbes de son esprit.

A mesure que le sang-pur s'enfonce dans les bois, le monstre le traque. Ses prunelles brillent d'un or précieux, dommage qu'elles ne le surveillent qu'au travers du prisme de la faim et de la violence. Sage est désormais tout près, c'est à pas de loup que la bête se rapproche, s'érige en cauchemar dans son dos. L'haleine frétillante de l'animal s'échoue sur la peau de l'humain, dans un grondement sourd et menaçant.

Il s'élance pour fuir mais le prédateur est plus rapide, il a juste besoin de bondir pour le plaquer la tête la première dans la fange. Les griffes s'enfoncent dans son dos pour le maintenir immobile, déchirent ses vêtements et se plantent à même dans sa peau. Les lèvres saillantes se rétractent pour laisser voir les crocs dégoulinant de salive et de stupre. Le loup gronde et hurle à la nuit, se jette sans attendre sur sa proie pour dévorer sa chair. Le sang tâche sa fourrure, alors qu'il mastique les résidus de muscle qu'il a arraché en mordant la cuisse. Qui sait pourquoi il a choisi cet endroit-là pour y enfoncer ses dents.
A défaut de le manger, il en a fait sa propriété.

Dans sa gueule ouverte se balancent des morceaux de chair filandreux. Le sang se mélange à la salive de l'animal qui coule le long de sa mâchoire. Il gronde de nouveau, réduit à ses plus bas instincts. Les yeux jaunes ne trahissent aucune humanité - ils fixent l'humain blessé comme une proie prête à être totalement dévorée. Avant que Sage ne lève sa baguette, il se penche au dessus de lui, déterminé à en mordre de nouveau pour en arracher une nouvelle bouchée.
Le souffle de l'explosion arrache à la bête une supplique étouffée. Il a heurté plusieurs arbres, projeté vers l'arrière. Le choc a presque réveillé Teddy, toujours engloutit dans le lit de son subconscient.

Quand le monstre se relève en glapissant, à peine a t-il le temps de se préparer à charger que des cordes l'entourent et l'étouffent. Il lui faut peu de temps pour lacérer les liens et s'en libérer mais l'humain a déjà disparu de son champ de vision. Le loup grogne et renifle l'air, guidé par les effluves du sang qui a tâché la neige. Il tourne en rond dans les bois à la recherche de sa proie blessée, mais décide de faire demi-tour pour aller s'en trouver une autre. La Mort elle-même l'appelle mais il ne tentera pas la sienne.

Sous les coups de minuit il s'en remet à la nuit.
Lui-même accusant le coup de blessures superficielles, il a le gout des bonnes choses qui hante encore son appétit.

Quand les premiers rayons du soleil se reflètent dans les poils longs et gris de ta fourrure, ton pelage disparait peu à peu pour laisser place à une peau humide de sueur, de lymphe et de muqueuse. Tu trembles, recroquevillé nu dans la neige de l'hiver. Tu détestes cette saison, tu détestes cette période - c'est une torture qui s'ajoute déjà à celle que tu dois vivre pendant la nuit. Tu reprends lentement conscience, vis par procuration et par flashs des souvenirs de la veille. Qu'as-tu fait, qu'as-tu senti, qu'as-tu vu, au travers d'une mémoire partielle et incomplète.

Bombarda Maxima !
Tu rouvres les yeux, pris à la gorge. Tu te redresses, tremblant et transpirant - surveilles autour de toi. Tu as croisé un humain, tu en es persuadé.
T'as encore le gout du sang dans la bouche. Tu relèves tes mains à hauteur de ton buste et détailles avec horreur les résidus de chair et de terre sous tes ongles. Déglutis, Teddy, ça ne peut pas être réel. Pas encore.

Tu inspires et expires longuement, le corps en souffrance face au vent glacial de décembre. Tu cherches tes affaires, désorienté, retrouves après quelques minutes d'errance le sac à dos perché en haut d'un arbre. Tu grimes pour le récupérer, enfiles maladroitement tes vêtements. Au fur et à mesure, les souvenirs surgissent plus violents, plus traumatisants.

Incarcerem !
Et ses hurlements de douleur, mais qui était-ce ? Serait-ce possible que ce ne soit qu'un rêve ? Tu n'arrives pas à identifier le visage du voyageur - une âme errante s'étant possiblement trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Tu prends peur, soumis à une vague d'angoisse qui te fait monter la fièvre. Tu cherches dans ton sac ton portable éteint, cours dans les bois à la recherche d'une odeur de sang. Tu ne mets pas longtemps à la trouver, et ça confirme toutes tes craintes. Tu avais commencé à composer le numéro de Neal mais quand tu vois le corps étalé de Sage Black dans la neige. Le portable tombe sur le côté, ayant surement déjà lancé l'appel - mais la voix lointaine de ton ami ne te parvient pas aux oreilles.

— « Sa... Sage ? »

Tu constates avec horreur la profondeur de sa blessure, les traces de dents, le sang, et c'est comme des coups de marteau qui résonnent dans ton esprit malade.

— « Qu'est-ce que... Non... Pas toi. »

Tu restes debout, incapable de faire quoi que ce soit - paralysé par la peur de voir tout tes pires cauchemars se matérialiser en cynique réalité.

— « Qu'est-ce que j'ai fait...? »

Tu restes figé, horrifié par la vision de son corps mutilé. Tu n'aurais pas cru recroiser la mort aussi vite (tu savais que ça finirait par arriver). Dans ton esprit se bousculent des visions funestes, les parents de Neal morts lacérés dans leur salon, les pleurs de ton ami face à leurs cadavres. Est-ce que tu es à l'image du monstre qui a fait ça ? Est-ce que tu vas devoir porter une dépouille de plus dans tes bras ? Son rire macabre te glace le sang. Tu comprends qu'il a compris. Tu ressens son agonie et elle t'emporte dans une fièvre qui manque de te faire tourner de l'oeil.

— « Tu... »

Tu n'arrives même pas à parler. Tu voudrais juste disparaitre, Teddy, mourir à sa place. Quand il te demande, lucide, de le ramener à la maison - c'est le coup de fouet nécessaire pour te faire bouger. Tu tombes à genoux dans la boue, essaies de le relever de tes grandes mains. Tu serres les dents à la vue de la morsure. Tu sais qu'il peut te claquer dans les bras, et s'il survit, c'est à quel prix ? Il deviendra comme toi (un monstre) mais préfère t-il mourir que de se détruire ?

— « Merde ! »

Tu glisses tes mains sous ses fesses. Serres les dents.

— « Je peux pas transplaner dans cet état. Je risque de te tuer sinon... »

Tu gardes la tête froide, cherches maladroitement ton pineapple tombé dans la boue. Tu constates que t'es en appel. Tu hurles littéralement dans le téléphone, pris de panique.

— « NEAL ? Neal... Y'a eu un accident... Non, c'est pas moi. C'est pas moi je te dis ! Je dois... Rejoins-moi sur le terrain de Quidditch à la lisière de la forêt. MAINTENANT ! »

Tu raccroches, jettes le pineapple dans ton sac et souffles pour porter Sage avec délicatesse. Tu sens son muscle déjà atrophié au bord de la déchirure. Tu déglutis, et préviens d'une voix étranglée.

— « Ok, à trois je soulève. »

Répètes dans ta tête, les bras tremblants.

— « Un... Deux... Trois. »

Tu tires à la force de tes abdominaux, le portes contre ton torse en tenant fermement sous ses fesses pour ne pas que la blessure s'ouvre davantage. Alors que tu marches rapidement au travers des arbres, une question te brule la lèvre. Tant pis pour la maladresse, tu dois pas le laisser s'endormir.

— « Qu'est-ce que ... Qu'est-ce que tu branlais la putain ? »

A peine angoissant - il peut littéralement te claquer entre les bras à chaque instant. Tu ne relèves pas, ne préfères pas être pessimiste. Tu peux pas avoir tué quelqu'un, tu peux encore moins avoir tué Sage Black. Tu ne PEUX PAS. C'est injuste cette situation, c'est pour te malmener que la vie a décidé de te l'envoyer lui. Tu le gardes tout contre toi, espères et pries pour que Neal ait couru le plus vite possible pour te rejoindre. Vous n'habitez pas très loin du terrain, juste en face pour être exact. A croire que ton existence avait tout prévu - dans le bon comme dans le mauvais.

Alors que tu accélères un peu le pas, manquant de trébucher malencontreusement sur des racines, tu tentes de faire la conversation pour ne pas le laisser s'endormir. Il a l'air d'avoir lutté déjà si fort pour ne pas fermer les yeux, la chaleur de tes bras ne sera pas son linceul. Tu te mords la lèvre quand il retourne ta propre question, d'un ton accusateur qui ne te plait pas du tout. Tu es mal à l'aise, mais qu'importe, tu réponds.

— « Je suis allergique. »

Tu trouves cette excuse aussi ridicule qu'indécente. Jamais tu n'avais eu à te justifier auprès de qui que ce soit, auparavant. Tu te permets d'ajouter, pour ne pas que cette explication lui fasse croire que tu es simplement inconscient.

— « J'ai pris pour habitude de ne plus en boire car à chaque fois je suis malade à la limite d'en crever... »

Tu étires un sourire triste et désolé, sourire qui s'éteint quand la lumière d'un soleil naissant perce la frontière de la forêt. Tu as un air plus grave quand il parle de son frère.

— « Mais..? »

Tu ne lui diras pas que ça n'a aucun sens. Qu'est-ce que Regulus ferait dans ces bois à cette heure de la nuit ? Un soir de pleine lune ?
Tu as un mauvais pressentiment, mais qui reste bloqué dans ta gorge. Tu n'as pas les détails du piège qui s'est renfermé sur vous. Tu n'as pas idée de la toile d'araignée dans laquelle vous vous êtes emmêlés - c'est beaucoup plus grand que vous.

— « Dictame, poudre d'argent... on a ça à la maison. A positif, oui... »

Tu répètes dans ta tête, claquant des dents quand le vent glacial se heurte à ton visage.

— « NEAL ! »

Tu le vois planté là, non loin du terrain. Tu te précipites vers lui, l'air aussi déplorable qu'éploré.

— « Neal... J'ai fait une connerie... »

Ta voix tremble, en rythme avec le reste de ton corps meurtri et frigorifié.

— « La maison... du dictame, de la poudre d'argent... Neal aide-moi je t'en supplie... »

Neal arrive en catastrophe. T'as la peur et la honte imprimées sur le visage. Tu ne cherches même pas à discuter ni à te justifier, tu expliqueras plus tard. Ton seul objectif est d'atteindre la maison pour suivre les inscriptions données par Sage pour le sauver. Neal porte devant et tu maintiens l'arrière, les bras sous les aisselles et les mains sur ton torse. Ta voix tremble, contrairement au reste de ton corps qui se domine le tenir correctement.

— « Je veux pas qu'il me claque entre les doigts. Plus vite, je t'en supplie. Fais gaffe à sa cuisse, ça peut se réouvrir à tout moment. »

Vous atteignez enfin la maison, grimpez les escaliers extérieurs pour rejoindre la porte de l'appartement. Logement à l'anglaise, vous passez tout de suite devant le salon pour rejoindre la chambre de Neal. Vous déposez le corps du sang-pur sur les draps. C'est à ce moment là que tu fronces les sourcils, impuissant.

— « Putain mais déshabille le, on s'en branle on a pas le temps ! »

Tu défonces la porte de la salle de bain, ouvres l'étagère cachée derrière le miroir.

— « C'est où le dictame ?! Neal ! Ah. J'ai, c'est bon. »

Tu ramènes les ingrédients, les déposes en vrac sur une chaise que t'as tiré du bureau. Tu fouilles sans gêne dans les affaires de ton meilleur ami pour dénicher un chaudron qu'il utilisait à l'école.

— « Toi tu prépares. Moi j'appelle la banshee. »

Tu sors ton téléphone de ton sac, pianotes nerveux sur l'écran pour enregistrer le numéro que t'a composé Sage. Tu t'éloignes dans le couloir pour passer l'appel. Tu reviens, quelques minutes plus tard.

— « C'est bon. »

T'as une mine fermée sur le visage, regardes Sage un peu de haut, les mains dans les poches pendant que Neal s'applique. La vision que t'as de lui maintenant te pétrifie - tu préfères avoir l'air d'un connard insensible que de te mettre à chialer.
Etires un demi-sourire rassurant, l'air de dire ça va aller ; tu lui as promis qu'il vivrait.

— « Je suis désolé, Sage. »