Les jambes croisées, Declan sirote son thé en soupirant d’aise. Le breuvage est divin, alors qu’il se relaxe en lisant le journal. Bien évidemment, on parle des actualités politiques, sociales, culturelles et économiques du pays. Et cela va sans dire que l’écrivain lit l’article d’un journaliste soutenant ses opinions, ainsi, il hoche de la tête et laisse un fin sourire apparaître sur son visage en découvrant le ton terriblement ironique de l’auteur.

Surveillant régulièrement l’heure, le polémiste attend une invitée au sein de cette demeure. Il ne doute pas qu’elle va arriver au bon moment, toutefois, la vie de ce pauvre homme est cadrée et il n’aimerait pas être en retard pour la séance dédicace de la soirée.

D’un mouvement maîtrisé du poignet, il agite sa baguette pour faire venir entre son fauteuil et celui en face de lui, une petite table sur laquelle se trouve une tasse de thé et quelques truffes au chocolat. Délaissant le journal qu’il fait voler par magie jusqu’à l’autre bout de la pièce, il s’étire la nuque avant d’aller ouvrir la porte lorsqu’il entend des coups.

- Ma chère Eytelia, je vous en prie, entrez.Dit-il en lui laissant de la place.


Refermant derrière elle, Declan la guide ensuite au salon, lui montrant le fauteuil poliment pour qu’elle s’installe face à lui.

- Alors, comment allez-vous ? Vous devez être exténuée avec votre métier et les imbéciles qui vous entourent.

Elle est parfaitement à l’heure, comme toujours. Certains considèrent la ponctualité comme une qualité, mais c’est à son sens une évidence, un signe de respect pour la personne que l’on retrouve, et elle n’en manque pas à l’égard de son hôte du jour.

Debout devant la porte, elle marque quelques instants de pause pour remettre de l’ordre dans sa tenue. Elle est venue en transplanant, et la méticulosité avec laquelle elle a ordonné ses cheveux avant de partir n’a pas apprécié le trajet. En quelques gestes précis, elle replace ses mèches - veinées de bleu, aujourd’hui - et retrouve son image impeccable. Après avoir revêtu un léger sourire poli, elle frappe enfin à la porte.

On la salue, on l’invite à entrer, on lui propose un siège, et son expression aimable se fait légèrement plus sincère tandis qu’elle s’installe dans le fauteuil faisant face à son hôte : venir prendre le thé chez Declan est toujours un plaisir.

― Exténuée, c’est le mot, répond-elle lorsqu'on lui demande comme elle se porte, en suggérant que son quotidien de juge n’est pas de tout repos. Je vous remercie grandement de m’avoir invitée, Declan : j’ai bien besoin d’une conversation avec une personne sensée pour contrebalancer toutes les idioties que j’ai pu entendre cette semaine.

Elle marque une pause pour récupérer la tasse de thé qui l’attend sur la table basse, et sourit en remarquant les truffes qui la voisinent : elle apprécie l’attention. S'enfonçant dans son siège, elle croise les jambes et sirote négligemment une gorgée de sa boisson, infusée à la perfection, avant de reprendre :

― Si j’étais magnanime, je dirais que ce doit être l’approche des fêtes qui amollit encore davantage l’esprit de ces idiots, mais je n’ai aucune raison de l’être avec ce genre de personnes : ce doit simplement être un penchant naturel qui ressort au grand jour. Autant d’ordinaire, bien que leur présence m’indispose, j’ai au moins plaisir à miner leurs arguments, mais en ce moment ils ne font que s’embourber dans des raisonnements boiteux, sans aucun intérêt intellectuel, et c’est terriblement ennuyeux.

Le soupir qui ponctue la fin de sa phrase est tissé de mépris et d’exaspération, et elle se penche pour piocher du bout des doigts un chocolat, le meilleur remède à sa mauvaise humeur. Ce petit éclat d’impatience lui passe rapidement, elle se reprend, adopte à nouveau son sourire courtois : jamais elle ne laisse tomber le masque. Certes, Declan, en tant que connaissance de longue date et allié politique, est une personne avec qui elle peut se permettre plus de libertés, mais elle a beau l’apprécier et l’estimer, ce n’est pas une raison pour se dévoiler.
Car on ne sait jamais ce qui se cache derrière un sourire.

Il sourit doucement en écoutant les propos de son allié politique, ne doutant pas une seconde de la véracité des propos de la juge. Les idiots remplissent le Ministère en ces jours, prônant une ouverture d’esprit et une tolérance qui n’a jamais eu lieu d’être. Les sorciers et sorcières sont supérieurs, c’est un fait indéniable. Pourquoi s’enlisser dans un progressisme social stupide et dangereux pour l’ordre naturel des choses ?

Les moldus sont dénués de magie, ils sont inférieurs.
Les cracmols sont dénués de magie, ils sont inférieurs.
Les créatures magiques ne sont que des bêtes, elles sont inférieures.
Les elfes de maison sont nés pour servir, ils sont donc inférieurs.

Ainsi est construit le monde, il serait tout bonnement idiot d’imaginer un autre monde.

- Je vous en prie, j’avais également bien besoin de m’entretenir avec une personne à l’esprit raffiné et fin.

Sirotant son thé en soupirant doucement, il vient prendre l’une des truffes qu’il mange avec élégance.

- Ah ! Encore ces êtres dépourvus d’une quelconque forme d’intelligence, s’imaginant pouvoir changer le monde en un coup de baguette. Je vous plains sincèrement, Eytelia, devoir travailler avec de tels énergumènes, cela doit être éreintant. D’autant plus qu’ils sont bornés et têtus, restant campés dans des positions idéologiques tout à fait insensées.

Declan reprend une gorgée, en observant amicalement son invitée.

- La Grande-Bretagne magique est en proie à une sorte de folie collective, les plus jeunes et parfois certaines personnes âgées aimerait chambouler tout ce que nous avons toujours connu. Quelle stupidité.

Sourire en direction d’Eytelia, poli comme toujours.

Et comme toujours, comme chaque fois qu’elle le voit, ses opinions se trouvent être en harmonie avec celles de Declan. Lentement, elle acquiesce face à son constat.

― C’est déplorable, confirme-t-elle. Et ces gens-là se plaignent de mauvais traitements, nous accusent de tous leurs maux, sans comprendre que le problème vient d’eux. Qu’ils se tiennent loin de la société sorcière, où ils ne sont pas à leur place, et tout rentrera dans l’ordre. Mais bornés comme ils ne le sont, persuadés d’être dans leur bon droit, ils sont incapables de comprendre cela.

Son ton s’est fait plus vindicatif, un brin amer. Elle est lassée par ce petit jeu, ce débat interminable qui commence à l’ennuyer. Elle n’a jamais été très patiente, et ses attentes commencent à prendre le pas sur le reste. Tout devient long, trop long. Elle aimerait un sursaut d’espoir, une avancée brutale, elle aimerait écraser leurs adversaires sans leur laisser d’autre choix que de se soumettre.

Une lueur écoeurée et flamboyante dans le regard, elle continue leur conversation :

― Vous me plaignez beaucoup, Declan, mais votre situation ne doit pas être bien meilleure. J’ai pu écouter certains débats et interviews que vous avez pu mener - pas tous, malheureusement - et certaines questions m’ont passablement agacée. J’aurais eu du mal à garder mon calme, à votre place.

Sa colère transparaît légèrement dans sa voix, et Eytelia se le reproche immédiatement. Ce n’est pas le moment de se laisser aller à ses émotions, aussi fulgurantes soient-elles. Son attitude est indigne d’elle, terriblement éloignée de sa façade de marbre habituelle.

Elle est arrivée en paix, mais converser avec l’écrivain réveille ce qu'elle enfouit habituellement loin du regard des autres, probablement car il est l’une des trop rares personnes avec lesquelles elle puisse partager sa rage. Un rouge profond ou un lie-de-vin correspondraient mieux à son humeur, à présent, plutôt que ce bleu serein qu’elle aperçoit du coin de l'œil.

Mais peu importe, elle garde contenance, suffisamment pour tromper un observateur peu attentif. D’une gorgée, elle termine son thé, et replace sa tasse sur la table basse. Son regard erre dans le salon, puis se pose de lui-même sur une couverture qu'elle connaît bien, fièrement mise en avant. Le temps des corbeaux.

― Peut-être que nos présentes difficultés à leur faire entendre raison sont la conséquence de certains actes manqués, soupire-t-elle, les yeux rivés sur les oiseaux de papier.