Ce n'est pas de gaité de coeur que tu prends la direction du département des mystères. Tu t'es laissé une partie du mois de novembre pour réfléchir. Entre Jasper et sa soeur, Margot, Canopus Black... Tu as eu besoin de prendre un peu de distance, de briser des promesses dans l'espoir d'en tenir d'autres. Tu sais que Rigel Black ne verra pas d'un très bon oeil la demande en mariage à sa cousine, alors avant de sceller des alliances qui pourraient se retourner contre toi, tu décides d'aller à sa rencontre le premier.

La porte de l'ascenseur s'ouvre sur un long chemin exigu, tapissé de carrelage couleur emeraude. Tu avances lentement, sentant la chaine vibrer à ton poignet à chaque pas. L'ambiance est lourde et instable. Tu te sens acculé d'une énergie mystérieuse et désagréable. Pendant un instant, la question te traverse l'esprit :
et si ... ?

Et si les réponses se cachaient ici.
Et s'il pouvait te les dire.
Et si tu pouvais le détruire ?

Merde.
C'est pas pour ça que tu passes la porte au fond du couloir. Tu le trouves assis à un bureau, disposé devant plusieurs portes. Il n'y a personne d'autres, parfait. Le planning était exact. Tu restes planté devant lui, relevant légèrement le menton pour te donner un air plus noble. Tu desserres ta cravate et fais quelques pas dans sa direction. Tu restes debout et étires un sourire poli.

— « Black. »

C'est solennel.

— « Ça faisait longtemps. »

Tu es tellement crispé que tu te lances dans l'humour. Vu sa tête, tu n'es pas sûr de faire mouche, mais tu essaies quand même. Tu n'as rien de plus à perdre, c'est pas comme si vous vous étiez quitté en bons termes la dernière fois.

— « Je vois que tu es revenu de vacances. »

Quasiment en même temps que toi.

Ça se voit sur son visage qu'il n'est pas spécialement heureux de te voir. Tu peux le comprendre, tu n'as pas spécialement pris de nouvelles de son côté - ayant plus de contact de l'autre côté de sa famille. Darya, Izar... C'est d'ailleurs au sujet de cette dernière que tu viens le voir. À bien le regarder il te vient la réflexion d'une déception... En effet, c'est dommage : vous aviez tout pour vous entendre. Vous partagez plus de points commun qu'il ne le pense. Tous les deux orphelin, tous les deux à la recherche de quelque chose, tous les deux responsables d'une famille à un jeune âge. Tu l'admires en un sens, même si tu considères qu'il a été préparé à ça toute sa vie.
Toi tu rames un peu pour le moment.

Tu décides de ne pas prendre sa mauvaise humeur personnellement. Tu hausses les épaules d'un air détaché et un peu amusé. C'est le sourire résigné de quelqu'un qui n'a pas envie de se prendre la tête. Tu t'assois sans lui demander si tu pouvais. Tu t'imposes, mais sans malveillance.

— « Je suis sûrement la dernière personne à qui tu as envie de parler, je le conçois. »

Tes yeux brillent d'un sérieux solennel, certes, mais la lueur traduit une certaine sincérité. Tu lui en es reconnaissant.

— « Merci. Merci de n'avoir rien dit. Je suis désolé de ce qui a pu se passer l'année dernière. Je n'étais pas vraiment moi-même. »

C'est un peu vrai. Carrément, même.
Maintenant que les excuses sont posées, tu te forces à te détendre. Tu croises les jambes et passes un bras par dessus le dossier de la chaise.

— « Si je suis venu dans un premier temps, c'est pour m'adresser au chef de la famille Black. Je me suis dit que ça serait une bonne excuse pour descendre ici. »

Tu préfères ne pas lui faire perdre ton temps.

— « J'ai décidé de demander Darya en mariage. »

Evidemment qu'il attend des retours sur ton frère, et toi tu viens l'aborder pour des questions de mariage et d'alliance. Quand il tique à ce propos tu arbores une mine plus peinée et compatissante. Tu revets le masque de celui qui comprend et qui en a quelque chose à faire. Pas que la réalité soit inverse (au contraire, tu sais ce que c'est que de perdre quelque chose) mais tu essaies de lui montrer que sa quête n'est pas vaine. Ainsi, tu rassures.

— « J'ai deux brigades qui se relaient dans l'enquête de la disparition de Regulus. Si nous avons du nouveau tu en seras le premier informé. »

Mais malgré la sympathie il y a un peu de froideur, un détachement émotionnel qui ne te caractérisait aucunement. A croire que les disparitions familiales ça t'a rendu blasé Clovis. Qui pourrait encore disparaitre chez toi que tu pleurerais ? Tu as trop pleuré.

Viens la question du mariage, tu hausses un sourcil. Tu te doutais que la manière dont tu l'avais annoncé n'était peut-être pas la meilleure mais tu ne savais pas comment te lancer. Tu t'installes plus confortablement dans ton siège, visiblement tendu.
Il parle de culot et tu ne lâches pas du regard, ne cilles pas une seconde.
A force qu'on te le répètes est-ce que ça va finir par rentrer dans ton crâne Clovis ? Tu tentes de ne pas penser à Jasper à ce moment-là, serres le poing sur ta cuisses et relèves légèrement le menton pour le prendre de haut sans t'en rendre compte.

— « Je ne sais pas encore si elle sera d'accord. Je ne lui ai pas proposé, comme je te disais j'attendais de t'en parler en premier. »

Tu soupires. Si elle te dit non, tu arriveras à ce moment là à un stade de ton existence où tu te fais frapper sec par le karma.
Sage omet une condition et tu te montres plus attentif et sur la défensive. il pointe du regard la chaine à ton poignet et exige qu'elle soit détruite avant. Tu te sens parcourir d'un frisson d'effroi, du bas du dos jusqu'à la naissance de la nuque. Tu te forces à étirer un sourire confiant malgré la déglutition. Tu baisses les yeux pour détailler le bijou.

— « Et ça... ça c'est en cours. Je suis dessus. »

En cours depuis trop longtemps.

— « Je mets tout en oeuvre pour m'en débarasser. »

Non, tu pourrais faire encore plus.
Encore mieux.

C'est étrange pour toi, Clovis, de devoir parler mariage avec quelqu'un de plus jeune que toi, qui n'est certainement pas concerné par ce devoir (pas encore). Tu pensais auparavant y échapper toute ta vie, refusant catégoriquement de te lier à une seule personne toute ta vie. Fonder une famille et t'enfermer dans une routine, ça n'a jamais été dans tes plans. Il faut croire qu'on s'y résigne tous un jour, et tu espères qu'il n'y sera pas confronté (lui) trop rapidement.

Quand Sage évoque une autre condition, tu inspires profondément pour souffler par le nez. Tu baisses les yeux un instant pour réfléchir avant d'étirer un sourire un peu plus triste que ce que tu n'aurais voulu.

— « Et bien... son bonheur ne dépendra pas que de moi. Cependant, je ferai mon possible pour ne pas la rendre malheureuse oui. »

Attentif, quand il mentionne une boite dans laquelle Canopus Black l'aurait enfermé. Est-ce une métaphore ? Oui, évidemment que ça l'est. Tu chasses ces idées sombres de ton esprit et hoches vivement la tête pour lui confirmer que c'est bel et bien quelque chose que tu souhaites aussi pour elle. Manques de t'étrangler quand il affirme que tu n'es pas son genre.

— « Je suis mille fois plus beau que mon frère, il est... »

Tu t'arrêtes.
Réalises que tu ne peux plus le vanner. Il n'est plus là pour pester.

— « Il était... bref. Elle ne perd pas au change. »

Le trait d'humour n'arrive même pas à te réconforter. Tu allais pour relancer la conversation, sur le mariage peut-être, ou même annoncer un départ - quand il te pose une question qui te scie les jambes.

— « Hm ? »

Tu baisses les yeux sur la chaine et poses tes mains sur tes cuisses pour ne pas lui laisser le temps de l'analyser d'avantage. Tu sembles hésiter, Clovis, et regardes autour de toi pour vérifier que vous êtes bien seuls. Personne comme témoin.

— « Magnus Lestrange. »