Elle s’était levée aux aurores pour se préparer. Debout depuis le crépuscule, l’adrénaline pulsait dans ses veines au rythme de la musique que crachait son casque dans ses oreilles. Elle n’avait pas remis les pieds sur un terrain pour jouer depuis des lustres, elle en était même un peu nerveuse.

Habillée chaudement pour l’occasion, Vanille regrettait déjà d’être venue. Pas parce qu’elle avait peur de perdre non, parce qu’elle avait froid plutôt. Et cela, malgré le chocolat chaud qui la réchauffait un peu. Son balai flottait dans les airs à côté d’elle, presque avec fierté. Il le pouvait, vu le prix. La famille Artemisia, bien qu’aisée, avait économisé des décennies pour l’obtenir, normal pour un Fūjinko.

Sans doute le plus beau cadeau d’anniversaire de toute sa vie. Elle se souvint de la fierté de sa mère quand Vanille participa à son premier match pour la France. Elle se souvint des incroyables sensations qu’elle eut en vol avec ce bijou qu’on lui avait offert. Et ça lui avait demandé quelques semaines pour l’apprivoiser totalement. Mais elle avait réussi à maitriser la bête.

Puis elle se remémora le reste. L’accident, l’hôpital, le coma. La dispute avec sa mère ; en être venu aux mains avec elle quand elle voulut détruire son balai pour l’inciter à ne plus remonter sur les terrains. Un acte désespéré de plus d’une succession d’autres pour l’empêcher de revenir défendre les couleurs de son pays. Vanille, malgré son cœur tendre, n’avait jamais oublié ni pardonné.

Et à cet instant elle se demandait :
─ Mais qu’est-ce que je fous là moi ? Putain, moi et ma grande gueule. Suivi d’un hurlement à plein poumon : il caille de ouf dans ce pays de merde ! Mademoiselle était dans une humeur qui faisait presque peur.

Et puis le temps passa, Dorothy fit son arrivée.
Premier détail, Vanille la dépassait d’une bonne dizaine de centimètres, à la louche. Ce qu’elle ne manqua pas de lui faire remarquer, toujours avec délicatesse :

─ Oh… t’as l’air plus grande vu de loin. Parce qu’une journée sans une petite pique était une journée gâchée ; la française y allait de sa petite remarque avant de poursuivre avec enthousiasme : ravie de te voir en vrai, poupée, t’as l’air moins menaçante tout de suite, je suis même étonnée que t’arrives à tenir ta batte. Rire gras et moqueur alors qu’elle conclut en lui tendant sa boisson chaude et chocolatée : tiens, un petit chocolat chaud pour toi, t’inquiètes je n’ai rien mis dedans, je suis une peste c’est vrai, mais une peste honnête qui se frictionne à la loyale.

Et surtout, elle débordait de confiance en elle ; sur les terrains, c’était une tueuse. Et ça, tout le monde l’avait oublié, tout le monde pensait qu’elle ne jouait plus parce qu’elle n’en était plus capable. Et Vanille avait toujours détesté d’être sous-estimée.

Un sourire amusé plus tard et elle reprit, l’accent voluptueux certes, mais ce ne fut pas pour autant qu’elle calma le jeu :

─ T’sais que ce n’est pas la peine de me regarder comme ça, comme si tu voulais me bouffer ; j’suis venue pour m’amuser, détends ton string un peu poupée, tout va bien se passer.

Ah ça pour mettre de l’ambiance, une grande championne que nous avions là.  

Difficile d’avoir une atmosphère plus tendue que celle-ci. Devant le sourire amusé de Vanille, Dorothy n’avait que le dédain au visage, visiblement toujours autant en colère contre elle. Rien d’étonnant, la française avait tout fait pour se rendre détestable à ses yeux.

Pourtant, bien que ce fut difficile à croire, ce ne fut pas son intention. Vanille n’inondait pas de négativité rien que pour le plaisir de le faire. Dans ses commentaires il n’y avait que la vérité. Enfin plutôt, sa vérité. Autant dire qu’elle était tout aussi capable de faire preuve de mauvaise foi. Cependant, pour ce cas précis, elle était persuadée d’avoir raison, convaincue que son interlocutrice s’enflammait toute seule.  

Le conflit, c’était la zone de confort de la demoiselle à la chevelure rosée. Elle s’épanouissait dedans.
Face au mépris de son adversaire, elle n’afficha qu’une confiance suprême en elle ainsi qu’une bonne dose d’espièglerie.

Mais face à l’une de ses déclarations, ce fut l’incompréhension :
─ Une pouffe quoi ? Réflexion de quelques instants avant d’enfin se rappeler : ah oui putain ! C’est l’une des maisons de votre école là. Désolé je n’ai jamais mis un pied là-bas, je ne vois pas du tout de quoi tu parles. Après l’incompréhension, la surprise et l’agacement alors que la boisson si gentiment offerte valdingua par terre. Eh mais, ton chocolat chaud !

Une moue boudeuse, les joues qui gonflèrent et un long soupir. La joueuse des griffes elle ? Oh elle chauffait plus vite qu’une bouilloire là. Elle s’agitait au même rythme que sa batte, tuméfiant l’air de coups. Eh beh… elle est prête à en découdre la miss. J’y suis peut-être allé un peu fort avec elle ? Regarde-moi sa tronche, elle est prête à creuser ma tombe et m’y foutre dedans là. Pensée qui ne fit que lui arracher un sourire de plus, visiblement pas inquiétée pour un sou.

Vanille était là pour en découdre, certes, c’était une compétitrice maladive. Mais lorsqu’elle foulait les terrains, elle s’amusait aussi comme une folle. Mais ça… Dorothy ne semblait ni le comprendre et encore moins l’accepter. Quant à ses commentaires sur elle, c’était encore pire.

Mais face aux attaques de la batteuse, la défense de la française fut d’abord un sourire avant de riposter dans la foulée :

─ Oh poupée… tu me donnes bien trop de crédit si tu t’imagines que mes critiques peuvent entacher ta carrière. C’est ton niveau sur le terrain qui détermine cela. Autrement dit, si tu échoues, tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. Sur ce point… on pouvait difficilement lui donner tort. La réalité du terrain était plus importante que tout le reste pour un sportif. La réputation en dehors… Vanille s’en foutait. Elle ne voyait que le jeu, le jeu et rien d’autre.

Elle fit un pas de recul, en direction de son balai qui flottait fièrement dans l’air. Pendant qu’elle reculait, elle continuait de pousser le bouchon :

─ Mais tu as raison sur un point cela dit. Main sur le balai, elle appuya dessus pour le mettre à la verticale. Un pied sur le cale-pied pour décoller un peu du sol, elle maintint le balai à quelques centimètres de la terre et donna une petite impulsion pour s’approcher de la joueuse des griffes, se rapprochant d’elle en une fraction de seconde, histoire de donner le ton. Ouais, ça fait longtemps que je n’ai pas joué. Tu veux bien me réapprendre ?

Grand sourire aux lèvres, elle gloussa comme une gamine avant de conclure :

─ J’ai une idée si tu veux. Un petit jeu auquel je jouais avec ma mère quand j’étais petite. Une variante du chat et la souris, en mode Quidditch. Viens me rejoindre dans les airs poupée, je meurs d’envie de me nourrir de ton savoir.

Dit-elle alors qu’elle s’élança dans les airs comme une fusée, éclatant de rire dans le même temps. Dorothy pouvait faire ce qu’elle voulait ; même lui briser les os, sur un balai, la française ne connaissait qu’une émotion : l’extase.  

Ambiance, ambiance… comme elle était au beau fixe celle-ci. Non, pas du tout, entièrement faux d’ailleurs. Dorothy Martin était prête à arracher la peau de Vanille pour en faire un tapis sur lequel elle s’essuierait les pieds.



Et ça encore, c’était sans doute le meilleur traitement qu’elle était susceptible de lui réserver. Les insultes fusaient au même rythme que les tentatives de la batteuse pour se justifier de l’incidence des commentaires de la française sur elle et sa carrière.

Plus Vanille écoutait et plus elle avait envie de lui remettre la tête à l’endroit. Pour elle, Dorothy enchainait amalgame sur amalgame et n’avait pas réellement conscience de ce que Vanille cherchait à faire. Elle n’avait pas conscience de la bienveillance de son comportement malgré la manière discutable de l’exprimer.

Lorsqu’elles furent dans les airs, Vanille lui fit face, toujours un grand sourire aux lèvres avant d’essayer de la mettre sur la bonne voie :

─ Oh… c’est moi qui te fous dans la merde. Intéressant. Ta situation est compliquée hein ? Mais de quoi on parle là en fait ? Moi je te parle de tes performances à chier sur le terrain. Le reste, ça ne devrait avoir aucune importance. Ne t’en prends pas à moi alors que tu en veux à ceux qui mélangent tout.

Première piste de réflexion alors qu’elle sortit sa baguette. D’un geste, un long foulard vint alors s’enrouler autour de sa taille, suffisamment long pour être à porté de main. Son petit jeu commençait à prendre forme et malgré les doléances de son interlocutrice, elle expliqua les règles comme si elle n’avait pas entendu ses insultes :

─ Donc, le chat et la souris, revisité façon Quidditch, à la sauce De Montalivet. Ouais, c’est le nom de ma mère. Alice De Montalivet. Si tu reconnais le nom, c’est normal, elle était poursuiveuse et capitaine de l’équipe de France de Quidditch. Petit indice de la ressemblance de Vanille avec son interlocutrice. Le principe est simple : la souris a un foulard attaché à la taille et le chat a dix minutes pour le lui enlever. Si le chat échoue, les règles se corsent pour la souris, on lui envoie un cognard à ses trousses en plus du chat, mais elle dispose de sept minutes pour lui échapper. Et si le chat n’y arrive toujours pas, on envoie un second cognard pour l’aider. En contrepartie la souris dispose de cinq minutes pour fuir.

Plus que la mesquinerie, une confiance absolue se lisait sur le visage d’une Vanille qui malgré la dangerosité de son jeu, n’affichait ni doute ni appréhension. Non seulement parce qu’elle y avait joué depuis sa plus tendre enfance, mais aussi parce de toute façon, elle était bien trop excitée pour songer au danger de jouer contre une personne qui voulait lui refaire le portrait à coup de batte.

Elle se justifiait alors avec un grand sourire alors qu’elle provoquait toujours plus la batteuse :

─ Ma mère a mis au point ce jeu quand elle a vu à quel point j’étais à l’aise dans les airs. Le but n’était pas d’uniquement choper le vif… mais de le faire en étant poursuivi ; sous la pression des cognards et des batteurs en prime. Se focaliser sur mon objectif tout en élargissant ma vision du jeu à tout ce qu’il se passe sur le terrain. Je vais être franche… au départ quand il n’y avait que ma mère, ça allait. Mais quand elle a commencé à inviter les batteurs de l’équipe de France, oh putain. Mes côtes s’en souviennent encore.

Des souvenirs qui la rendaient un brin nostalgique alors qu’en s’expliquant, elle faisait comprendre à celle qui l’accompagnait le genre de tarée du Quidditch qu’elle était. Une compétitrice maladive qui serait prête à crever sur un terrain. Elle lui faisait comprendre que même en échouant, elle réussissait. Et elle répétait cette maxime qu’elle avait apprise de son père :

─ « Il n’y a que dans le dico que la réussite vient avant le travail. » Tu crois que je prends le sport que j’aime de ton mon cœur à la rigolade ? Poupée… que je gagne ou que je perde, je vais te faire vivre l’enfer sur terre. Fous-moi à terre dix-fois, je me relèverai autant de fois que je tomberai. Dans l’adversité, je ne chiale pas sur mon sort. Je me bouge le cul pour prouver aux autres et moi-même qu’ils ont tort sur mon compte. Je ne suis pas qu’une fille de joueuse, je suis une joueuse moi-même. Et toi Dorothy Martin, t’es quoi au juste ?

Il n’y avait qu’ainsi que Vanille pouvait faire comprendre la valeur de ses mots, de ses critiques. Que sur le terrain qu’elle était vraiment la meilleure version d’elle-même. Que sur un balai qu’elle exprimait toute l’ampleur de sa personnalité, sa détermination ahurissante. La petite Artemisia n’était pas réellement un prodige. Mais c’était un prodigieux bourreau de travail.

Jamais elle ne manquait une occasion de le démontrer. Face à Dorothy qui se trompait autant sur son compte que Vanille pouvait se tromper sur elle… il semblait alors que seule une explication musclée valait le coup.  

Ce n’était un secret pour personne à part peut-être Dorothy, mais Vanille aimait entendre le son de sa voix. N’oublions pas que la demoiselle était née française en plus d’avoir du sang transalpin dans ses veines. Deux pays bien évidemment réputés pour leurs habitants taciturnes… non ?

Quoi de plus normal d’être une vraie pipelette. Elle aimait discuter, chambrer, provoquer. Ça l’amusait plus que de raison, plus encore lorsque la personne en face d’elle faisait limite semblant de s’intéresser à ce qu’elle disait. Plus emmerdante qu’elle c’était compliqué à trouver.

Sans se vexer, elle prit toutefois mal le fait que son interlocutrice remettait presque en question son statut de fille de joueuse, le même que le sien. Ce qui la fit réagir au quart de tour :

— Bah quoi ? C’est vrai. Fais une petite recherche sur internet et tu trouveras rapidement des articles pour corroborer ce fait. J’en ai pas honte, c’est même une fierté !

Peu importe ce qu’elle pouvait penser de sa génitrice à cet instant, le fait d’être fille d’une joueuse qui avait porté haut les couleurs de son pays, c’était quelque chose dont elle se vanterait jusqu’à la fin des temps. Moins que son propre talent pour le quidditch, mais ça, la batteuse des griffes allait le comprendre bien assez tôt.

Parce que celle-ci s’impatientait. Et de quelle manière ! Motivée pour lui en faire voir de toutes les couleurs visiblement. Pour Vanille c’était du pain béni. Elle qui aimait chambrer et voir les gens s’impatienter, c’était exactement le genre de réaction qu’elle voulait.

« Parce que pour être tout à fait franche tu te justifies beaucoup pour quelqu'un qui ne juge que sur ce qui se passe sur le terrain. »
— Oh désolé poupée, mais va falloir que tu fasses avec. J’aime bien entendre le son de ma voix. Tu trouves pas que j’ai un bel accent d’ailleurs ? Ça vient de mon papa qui est italien. Elle marqua une petite pause, attrapant le ruban qui flottait dans les airs au passage avant de surenchérir : et puis te voir t’agiter et perdre patience c’est bien trop drôle, je peux pas me retenir de chambrer c’est plus fort que moi. J’ai ça dans le sang. Le trashtalking y’a que ça de vrai !

Pour beaucoup c’était juste de la parlotte, pour la demoiselle ce n’était qu’un aspect de la performance sportive. Parler, provoquer l’adversaire pour le faire sortir de ses gonds et de son match. Combien de fois cela avait fonctionné ? Tellement que ça justifiait chaque seconde que la native de l’hexagone le faisait.

Le chat remonté comme une pendule, la souris prête à lui faire vivre un cauchemar. Les deux jeunes femmes étaient fin prêtes et leur petit jeu commença. Et il dura longtemps… suffisamment pour que les deux en fussent presque exténuées lorsqu’elles rejoignirent le sol quand sonna le glas de leur confrontation.

Pour Vanille, peu importa le résultat, à la seconde où elle posa les pieds par terre elle exulta sa joie dans un fou rire qui dura une bonne minute. Elle s’était amusée comme une folle et comptait en informer son adversaire alors qu’elle se ruait vers elle. Une fois plantée devant, elle s’exclama presque en criant de bonheur :

— C’était génial ! J’ai adoré le moment où t’as anticipé mon mouvement pour me couper la course et que j’ai du réagir super vite pour esquiver, mais que t’as réagis tout aussi vite pour me coller aux fesses ! Elle débitait ses paroles tellement vite qu’on avait l’impression que quelqu’un avait appuyé sur un bouton d’avance rapide.

Et sans prévenir, son pineapple dans la main, elle vint se coller à son adversaire d’un jour avant de lever le bras, une photo imminente des deux pour immortaliser le moment :

— Un petit regard à la caméra et on dit quidditch. Quidiiiiiiiiitch ! Pour le meilleur ou pour le pire, la photo était faite alors qu’elle appuya sur le bouton, les lèvres posées sur la joue son adversaire. Oula, t’as l’air épuisée poupée. Elle aussi, mais elle faisait semblant d’avoir la forme de sa vie.

Elle s’écarta rapidement sachant que Dorothy avait encore sa batte dans la main et bon… un « accident » pouvait vite arriver hein.

Et pendant qu’elle tapait un long texte sur son appareil, elle débitait toujours aussi vite son feedback sur leur petite joute :

— Comme quoi tu peux te bouger le cul quand tu veux poupée, il te faut juste un petit coup de pouce. Ravie d’avoir pu jouer le rôle du némésis c’était un vrai plaisir ! Alors qu’est-ce qu’on disait déjà ? Ah oui, petit commentaire sur les réseaux pour dire que finalement tu sais te servir d’un balai et d’une batte, je poste ça sur le Witcha et bim. Ça y est t’es de nouveau devenue légitime aux yeux de tout le monde. T’es contente ?

Ironie, ironie.

— La prochaine fois j’espère que t’auras pas besoin qu’une minette vienne te casser les couilles sur les réseaux pour jouer comme tu peux le faire. J’en serais très, TRÈS déçue.

Dit-elle alors qu’elle vint enfin croiser son regard de nouveau. Concluant avec malice :

— Ça te dit qu’on aille se poser quelque part pour souffler un peu ? Grailler un morceau fin je sais pas quelque chose quoi. T’as l’air au bout de ta vie poupée.

Dit-elle alors qu’elle avait les jambes qui tremblaient.  

Elle était aussi épuisante qu’épuisée. Elle faisait bonne figure à l’instant, mais si elle pouvait s’écrouler par terre et dormir pendant plusieurs heures dans l’herbe, elle le ferait. Au lieu de ça elle proposa à son adversaire de passer du temps avec elle.

Sans doute que Dorothy pouvait trouver cela singulier alors qu’elle avait donné beaucoup d’énergie pour la critiquer, elle et sa façon de jouer. Mais voir la batteuse beaucoup moins agressive que tout à l’heure lui avait comme donné un second souffle.

Plus encore lorsqu’elle accepta de trainer avec elle, prétextant qu’elle n’avait pas le choix alors qu’en réalité elle pouvait tout aussi bien la rembarrer si elle le voulait. Vanille lui répondit dans un grand sourire malicieux, toujours aussi mutine qu’à l’accoutumée :

— Ah ça serait cool hein ? De pouvoir me faire taire aussi facilement. Navrée poupée, faudra que tu m’arraches la langue si tu veux que je la ferme. Et lorsque Dorothy l’intimait de se calmer, c’était presque si elle rendait les armes et suppliait d’être épargnée par cette fougueuse Française à la langue bien pendue. Celle-ci baissa un peu le volume, mais répondit toutefois avec franchise : je ne peux rien te promettre, mais je ferai de mon mieux.

Un doux sourire pour accompagner ce semi-mensonge alors qu’elle collait aux talons de la batteuse, l’accompagnant dans les vestiaires. Ce n’était pas tous les jours qu’elle avait un accès pareil. Le genre d’endroit prompt à lui rappeler de bons comme de mauvais souvenirs. Ah… les causeries d’avant et d’après match, les célébrations des victoires, les défaites qu’elle ruminait, les scènes de liesses, d’allégresse, de détresse.

Le vestiaire était parfois le théâtre de moments loufoques, surtout lorsqu’elle était dans cette pièce à faire vivre l’enfer à ses coéquipiers. Là, c’était Dorothy qui en avait fait les frais. Et encore, elle n’avait eu qu’un petit aperçu de la tornade qu’elle était.

Son attention se focalisa soudainement sur la batteuse alors qu’elle ôtait sa tenue. Vanille, toute poisseuse et dégoulinante de sueur, ne se fit pas prier pour en faire de même, posant ses tenues, sportives et civiles côte à côte ; elle-même pas pudique pour un sou. Quelques petits regards discrets jetés à son interlocutrice pour admirer les formes, sans pour autant faire de commentaire, elle avait surtout envie de se jeter sous la douche pour profiter de la chaleur de l’eau.

Sans faire d’histoire, elle l’accompagna en fredonnant un air qu’elle aimait bien. Vint alors quelque chose auquel elle ne s’attendait pas : un compliment. De quoi la déstabiliser l’espace de quelques secondes, pensant pendant un instant qu’elle avait mal entendu.

— Merci, toi aussi tu te débrouilles bien. Elle vacilla, mais n’en perdit pas sa repartie pour autant. Quant à la question de Dorothy, elle eut une réponse à la fois sincère et évasive : t’étais aux premières loges pour me voir jouer poupée. Tu penses sincèrement que le fait de me voir absente des terrains a quelque chose à voir avec ma forme physique ?

L’eau qui coulait sur sa peau, un soupir de plaisir alors qu’elle sentait la chaleur se répandre partout dans son corps. Ce fut bienvenu après avoir affronté le froid de l’extérieur. Il ne se passa pas longtemps avant que la Française ne clarifia son propos :

— Mes réflexes et mes prises de décisions sont encore un peu balbutiants cela dit. Le manque de pratique s’est fait ressentir ; mais au moins je t’ai donné du fil à retordre et toi aussi. Tiens d’ailleurs, loin de moi l’idée d’être indiscrète, mais… c’est moi ou t’avais bien besoin de te défouler un peu ?

Comme l’impression qu’elle lui avait un peu rendu service en ce sens, que la faveur était même mutuelle. Vanille et son cruel besoin de refouler un peu les terrains, Dorothy et le besoin d’évacuer quelque chose dont la jeune femme n’avait strictement aucune idée. Elle pouvait tout aussi bien faire fausse route, mais la joueuse des griffes avait le même genre d’attitude qu’elle lorsqu’elle venait d’évacuer son stress par un intense effort physique.

Elle qui fit apparaître son joli minois dans le champ de vision de la batteuse alors qu’elles venaient toutes les deux de se rhabiller ;  lui demandant avec facétie :

— Poupée, vu qu’on a partagé et qu’on continue de partager des moments un peu intimes, pourquoi t’en profiterais pas pour m’appeler Vanille au lieu d’Artemisia hm ? En plus il est joli mon prénom non ? Pas la modestie qui l’étouffait visiblement. Mais elle essaya d’appâter la demoiselle en passant une main dans la chevelure de celle-ci, jouant avec l’une de ses mèches avant de reprendre toute mielleuse : demande-moi ce que tu veux en échange si tu souhaites absolument une contrepartie.

Aux antipodes de son comportement d’avant. Elle ne cherchait plus à vexer, seulement à taquiner.  Car elle n’oubliait pas l’essentiel : au fond, elle n’avait rien de personnel contre son adversaire de tout à l’heure, l’idée était seulement de lui donner un bon coup de pied aux fesses pour voir de quoi elle était faite. Et elle n’avait pas été déçue cette fois.  

La batteuse avait vu la native de l’hexagone sur un balai, elle avait vu à quel point elle se déplaçait bien ; à quel point elle était talentueuse bien qu’elle n’avait pas foulé les terrains depuis des lustres. Bien qu’elle n’avait pas joué avec autant d’intensité depuis longtemps.

Alors forcément, la question se posait d’elle-même : pourquoi se contenter de commenter les matchs alors qu’elle était en mesure de jouer ? Et pas seulement participer, l’esprit Coubertin, Vanille elle n’en avait rien à foutre ; participer, et puis quoi encore ? C’était gagner qu’elle voulait. Et elle le faisait avec le sourire alors qu’elle chambrait ses adversaires au même titre que ses coéquipiers, pas de jaloux.

Mais non, au lieu de jouer pour les couleurs de son pays natal, elle était reléguée au rang de commentatrice, de consultante, parfois d’influenceuse. Tout naturellement, Dorothy chercha à comprendre. Sans obtenir satisfaction :

— Pourquoi ? Eh beh disons que dans la vie on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Je suis motivée pour revenir défendre les couleurs de mon pays, mais ça ne dépend pas que de moi. C’est… une hésitation de quelques secondes, puis une suite nébuleuse : c’est une affaire de famille.

Et l’ancienne gloire française ne souhaitait pas en dire plus à la joueuse des griffes. Après tout… elles ne se connaissaient pas encore assez bien pour lui confier ce genre d’information. Alors plutôt que de parler d’elle-même, elle chercha à comprendre ce qui se tramait du côté de Dorothy. Elle n’eut le droit qu’à quelques réponses évasives elle aussi ; mais elle en entendit assez pour se faire ses propres idées, ses conclusions.

Peut-être qu’en poussant un petit peu, elle pouvait en apprendre plus. Il lui semblait que son interlocutrice pouvait s’ouvrir un peu à elle si elle insistait davantage ; ou si elle se montrait plus maligne pour l’amener là où elle voulait.

Raison pour laquelle, lorsqu’elles furent habillées chaudement et après avoir taquiner une mèche de la chevelure de la batteuse, Vanille en profita par la même occasion pour faire bras dessus, bras dessous avec elle pendant qu’elle ricanait de sa dernière intervention :

« Fait moi plaisir, la prochaine fois que tu m'insultes fait-le en été. » Ce à quoi elle répondit dans la seconde, clarifiant le fond de sa pensée :
— Oula beauté, tu vas un peu vite en besogne là. Neal et toi vous avez fait la même erreur. Ce n’est pas toi personnellement que je critiquais, mais la façon dont tu jouais. Je dissocie toujours la joueuse et la personne. Dans n’importe quel autre contexte que le Quidditch, j’aurais été toute mielleuse avec toi. Sauf que voilà, quand on parle de ce sport, je ne rigole pas du tout avec.

Mais elle réalisait aussi quelque chose en évoquant cela : qu’elle avait sans doute poussé le bouchon un peu trop loin avec elle. D’un côté ça lui avait permis d’obtenir ce qu’elle voulait, de l’autre il lui semblait qu’elle avait fragilisé la confiance que Dorothy plaçait en elle-même, si bien qu’elle se demandait si le problème était bien plus profond que ses performances et l’impact de sa vie personnelle sur celles-ci.

Alors pendant qu’elle l’entrainait délicatement avec elle, la française fit son mea culpa dans la foulée, délivrant ce qui ressemblait fortement à une excuse en bonne et due forme :

— Néanmoins… j’ai l’impression que tu m’as mal comprise et que tu voyais ça comme une attaque personnelle sur toi et de ce fait, tu t’es méprise sur mes intentions. Ne croyez pas que je prends un malin plaisir à vous voir échouer pour vous taper dessus derrière. Si je t’ai provoqué, c’était pour voir ce qui se passait si on te secouait un peu, si dans l’adversité tu étais capable de te motiver pour mieux jouer qu’auparavant.

Si ça paraissait un peu tordu… c’était sans doute le cas. Mais la Vanille au cœur tendre, refusait d’envisager de détruire une carrière juste parce qu’elle chambrait, peu importe à quel point si ses commentaires étaient caustiques. Elle en profita pour clarifier davantage son propos :

— Dorothy, si tu joues tous les matchs avec la même hargne que contre moi, tout le monde sera forcé de reconnaître que t’es pas là par hasard. Je peux me tromper, mais… j’ai vraiment l’impression que tu manques cruellement de confiance en toi. Cela dit, je peux comprendre que la pression est parfois difficile à supporter. Et si je t’aidais pour l’évacuer, ça suffirait pour me faire pardonner ?

Le verbe était parfois agressif, acide. Mais le cœur lui était toujours tendre comme du velours. Vanille savait aussi mettre les formes quand elle le voulait.  

Et elle touchait là le nœud du problème : comment comprendre ses intentions avec un comportement comme le sien ? Vanille s’attendait à ce qu’on lisait en elle comme dans un livre ouvert. Elle s’attendait à ce que son unique franchise soit proprement interprétée.

En conclusion, elle demandait tout simplement l’impossible à son interlocutrice. Pire encore alors que Dorothy n’avait encore jamais eu l’occasion de la côtoyer, de comprendre comment elle fonctionnait. Même chose avec Neal et tant d’autres. Trop difficile à suivre, agressive et persuadée d’avoir raison ; ingérable quoi.

Gratuit, violent, pédagogie clairement à revoir, clairement la batteuse ne manquait pas d’éloges à son sujet. Dans ce genre de moment, une personne normale l’aurait mal pris ou aurait défendu son steak avec ferveur, indignation… bref ; pas elle. Pas Vanille. Non, elle eut une réaction fidèle à elle-même, un éclat de rire alors qu’elle l’entrainait avec elle pour sortir du vestiaire :

─ Question de point de vue poupée ! Tu serais étonnée de savoir que cette façon de faire fonctionne plus que l’inverse. Je te raconterai une petite anecdote pour ta gouverne, si tu es sage.

Dit-elle alors qu’elle était l’unique responsable de tout ce tintamarre. Depuis un bout de temps déjà, il y en eut une qui devait sérieusement douter de sa santé mentale. Pourtant, Vanille estimait, à raison ou à tort, qu’elle avait toujours de la suite dans les idées. Et dans un sens… avait-elle vraiment tort ?

Après tout, elle avait obtenu ce qu’elle voulait, malgré la manière purement tordue. Mais ça avait fonctionné. La preuve : accès VIP aux terrains des griffes, une remise en forme musclée avec une joueuse professionnelle ; de quoi se prouver à elle-même qu’elle était encore bien dans le game, en plus de le démontrer à son vis-à-vis.

Et cerise sur le gâteau : Dorothy était surmotivée pour lui démontrer que ses commentaires étaient non seulement faux, mais injustes. En somme, la forme laissait à désirer, mais le fond en revanche… ça revenait au même : elle sommait la batteuse de se bouger le cul pour jouer comme elle pouvait, savait le faire. Comme elle lui avait montré auparavant.

Et Vanille de son côté, pour reprendre les mots de sa « poupée », devait lui faire confiance pour lui donner tort. La jeune femme en guise de réponse sautilla sur place comme une gamine, extatique, fière de son coup, tout en précisant une fois de plus – de trop, son propos :

─ Ah bah tu vois quand tu veux ! Un bon coup de pied au derche et hop, ça repart à fond les balais ! Petit jeu de mots débile, au calme. Et maintenant le plus dur : faire passer la pilule. Prouver à la joueuse qu’elle n’était pas qu’une insupportable petite peste bonne qu’à démarrer les gens sur les réseaux. Après l’effort le réconfort donc. Une idée Vanille ? Hm… voyons voir. On vient de se la donner comme des folles, on est toutes fraiches après une bonne douche, ce n’est pas l’heure de déjeuner ? Un petit regard sur son téléphone et la décision était prise. Elle fit passer ça pour un éclair de génie cette malade : Oh bah voilà, je t’invite à bouffer ! Et tu sais quoi ? Je vais même faire mieux que ça. Emmène-moi dans le restau que tu préfères et en bonus, je te laisserai te plaindre pendant touuuuut le long du repas. Défoule-toi sur moi, dis-moi ce qui t’enrage et moi j’encaisserai ! Par contre si décides de me mettre une gifle, sois gentille et fais-moi un bisou magique derrière pour t’excuser.

La question pouvait se poser : tombait-elle un jour à court de batterie ? La réponse était simple, mais aussi désolante : eh bah non.