— Plus JAMAIS je joue attrapeuse. JAMAIS.

Tu brandis ton verre avec une telle hargne qu'un de tes coéquipiers vient te le prendre et sagement le poser sur la table à côté de toi. Tu as trop bu. Trop pour ne pas avoir les joues roses d'alcool et un contrôle de toi-même balbutiant. Tu as dit à Gus que tu fêtais ta victoire ce soir. Tu as le souvenir brumeux de lui avoir également envoyé un sms lui disant que tu comptais fêter votre Saint-Valentin en rentrant. Les déclarations d'un être transit d'alcool.

Le match était passé et, comme le veut la tradition, s'ensuit assez rapidement une beuverie en bonne et due forme pour réconcilier les ego brisé et le triomphe des vainqueurs. Tu n'avais pas prévu d'autant te lâcher. Mais entre ta discussion avec Gus, le retour de The Crow, le départ de Teddy à gérer et tout le reste, le besoin de faire qu'un avec la fête s'était vite fait sentir. Tu avais fait promettre à Neal de te garder en vie et à Beckett de te ramener saine et sauve jusqu'au lit de Gus. Partant de là, tu avais décidé que tes gardiens joueraient leur rôle et que tu n'avais plus qu'à te laisser aller.

Tu cherches ton verre quand une main se pose sur ton épaule. Tu te penches en arrière, renverses ta tête rousse pour découvrir un menton. Tu fronces les sourcils, comme septique face à cette vue. Puis ton regard s'illumine.

— AH ! Astepi-Asclepi... Putain... ASCLEPIOS !

Tu lui offres un grand sourire avant de faire tourner dans un petit "whouuuu" satisfait ton tabouret.

— Il est imprononçable ton prénom quand on est bourré !

T'as ri à mi-chemin entre le tendre et le débile. Tu tapotes vivement son bras comme-ci t'avais balancé quelque chose d'hilare.

— Entre nous, c'est la dernière fois que je fais ça. J'admire vraiment, je suis sûre d'avoir des ulcères de ce match ! Mais viens t'asseoir !

Tu tournes de nouveau ton tabouret dans un autre petit "whouuo" et agite les bras comme pour chasser de la table tout ce qui gêne.

— Écartez-vous, faites de la place à notre ami Ascle-ASCLEPIOS.

Il a déjà une chope à la main, il n'empêche que tu poses devant lui à autre verre. Tu te balances un peu sur ton tabouret, soudain d'humeur plus joyeuse.

— Tu passes une bonne soirée ?

Tu te dandines sur ta chaise, ta tête se penchant au rythme de ton agitation. T'as un sourire joyeux, légèrement stupide sur le visage. T'éclates de rire en voyant ton remplaçant au poste de batteur s'effondrer sur ton derrière avant de revenir vers Asclepios.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Ça n'a rien à voir !

Tu le regardes avec un sérieux étrange étant donné tes joues rougies par l'alcool. Tu prends premier degrés un compliment, agites un doigt sous son nez.

— Le cognard c'est plus franc. C'est un salaud mais il répond à certaines règles. Votre vif d'or... Brrr, je veux même plus en entendre parler. Je ne comprends pas comment vous en faites pas des cauchemars.

Tu le regardes, hausse un sourcil. Un reste de logique te glisse qu'accepter des massages de la part d'inconnus n'est pas une chose avec laquelle tu devrais être à l'aise. Tu secoues la tête, solennel.

— Le seul homme qui peut me masser c'est mon copain.

T'as un sourire idiot. Ton copain. Parce que tu as un copain. Puis tu sembles réfléchir, compter sur tes doigts.

— Hm... Et Neal, en vrai. Et mon petit-frère. Et mon kiné...

Tu passes du coq à l'âne, observe le verre que tu viens de poser devant lui avec une certaine excitation.

— Oh, chic, tu restes !

T'applaudis, un nouveau rire te prend. Voilà longtemps que tu n'avais pas été aussi pompette.

— Mais avez bien jouer aussi ! C'était serré, on a eu vraiment chaud cette fois !

Tu balances tes jambes sur ta chaise, vide ton verre non sans satisfaction.

— Je suis contente d'avoir gagné... Mais j'ai hâte qu'on nous trouve un attrapeur, c'est vraiment pas mon rôle.

Tu pousses un soupir.

— Ce serait bien qu'ils arrêtent aussi de me parler plus de mes opinions perso que de mon jeu.

Tu balayes son amitié de la main, toujours ton sourire stupide plaqué sur le visage et tes yeux brillants. L'alcool te fait déconnecter de la tension quotidienne. Elle est toujours-là, tu la sens, mais elle te semble lointaine. Comme quand on se retrouve sous anesthésie. Tu as décidé que cette sensation était foutrement agréable. Les mots sortent sans prévenir, ils sont faciles à dire. Peut-être que tu devrais profiter de ton état pour appeler Gus. Non, probablement que sobre, tu regretterais. Ton esprit vagabonde, tu ne fais même pas attention. Quand il te demande de quoi tu parles exactement, tu reposes sur lui un regard qui oscille entre le doux et le joyeux. Tu agites ta main comme-ci tout ça était de l'ordre de l’anecdote.

— Bworf, sur le potentiel retour de The Crow, sur la lutte, tout ça. T'sais, j'ai fait partie des Foxes à l'époque. On s'était motivés à se la jouer Avenger à protéger la veuve et l'orphelin du grand méchant corbeau whouuuuuu.

Tu lèves les bras comme pour mimer un revenant avant de les laisser tomber lourdement contre la table. Tu soupirs, vient caler ta joue contre la paume de ta main. Étrange de te voir employer un ton aussi acide pour ce que nombre de gens considère comme "un acte héroïque".

— Quelle connerie. Ils se demandent si on va se reformer maintenant qu'on est tous dans la vie active. Ils me demandent si je compte prendre parti une nouvelle fois. Envoyer ma mère en prison ça ne leur a pas suffit, maintenant faut que je milite.

Tu fixes ton verre, une mine boudeuse.

— Alors que la seule chose que j'veux vraiment c'est aller rouler une pelle à mon mec et regarder le dernier épisode d'Inspecteur Merlock. J'adore les séries policières, pas toi ?

Tu secoues la tête, le regard qui part légèrement dans le vague à mesure que tes souvenirs de cette époque reviennent.

— Nop. En fait, c'est à cause de moi.

Tes doigts s'occupent en caressant la table, ta tête est lourde, mais l'alcool à cet effet libérateur qui fait que tu t'en fou pratiquement de tout. Après tout, c'est plus un secret ce qu'il s'est passé pour toi, pour vous.

— Quand ça a commencé à dégénérer après l'attaque sur l'école, ma mère a eu peur. Elle a voulu me faire quitter Poudlard et j'ai refusé. Quand je me suis engagée chez les Foxes elle a flippé davantage. T'sais, à l'époque le corbeau était puissant, les gens commençaient à se dire qu'il pourrait renverser l'ordre établi, changer les choses. Ma mère s'est dit qu'il fallait se trouver dans le bon camp, c'est tout. C'est pas tant qu'elle soutenait, juste qu'elle voulait s'assurer une place sûre pour nous. Alors elle a financé. Elle a utilisé sa place de personnage public pour appeler les gens à ne pas essayer de combattre.

Dans le fond, tu te dis que si tu avais été mère, si tu avais été à sa place, peut-être que tu aurais fait de même. À l'époque, ça te paraissait impensable, les convictions avant tout, mieux vaux mourir debout que vivre à genoux, les conneries de ce genre. Aujourd'hui, la peur au ventre qu'on te prennes tout de nouveau, tu nuances. Vivre à genoux pourquoi pas, parce que tant qu'on vie, y a des opportunités à saisir, des choses à construire. Tu t'étires soudain en soupirant.

— Comme tu dis ! Faut toujours se justifier de tout, si seulement les gens pouvaient s'occuper de leurs culs plutôt que de ceux des autres la vie serait beaucoup plus belle !

Tu le regardes, la mine militante soudain. Tu finis par hausser les épaules à sa question.

— Hm, ça dépend. En vrai j'ai de la chance, on est assez soudé dans l'équipe. Neal s'arrange pour changer de sujet quand les journalistes se la jouent indiscrets, Beckett fait des blagues, Mimosa tape du poing sur la table. Teddy, lui, bombait le torse et regardait méchamment les gens. En général tout le monde baissait les yeux et j'étais tranquille. Arf... Il me manque Teddy.

Elle n'était pas mauvaise, ta mère. Probablement. Certainement, même. Dans le fond, elle avait fait ce qui lui semblait juste quand même c'était discutable, quand bien même c'était mal. T'es pas bien sûre d'être bonne pour la juger, toi aussi t'as fait des choix plus que discutables, après tout. Tu secoues la tête. Ta mère, tu lui en veux autant que tu t'en veux.

— Je ne peux pas aller la voir.

On t'as pas proposé. Tu n'as pas demandé. Lâcheté. Tu l'as envoyé là-bas. T'as trahi la famille et elle est là-bas, maintenant. T'as pas l'audace de faire la demande. Pas tant qu'elle ne demande pas elle. Tu peux pas être droite dans tout.

— Un jour, peut-être. Sa peine est pas à perpétuité, elle finira par sortir.

T'as aucune idée d'en quel état. T'as aucune putain d'idée d'en quel état d'esprit. Tu chasses depuis le jour de sa condamnation celui où elle devra sortir. Trop peur d'être confrontée à sa colère. Trop peur de devoir assumer tes propres choix. Alors le changement de sujet est bienvenue. Ton sourire s'étire, contente de trouver quelqu'un qui comprend la difficulté de votre situation.

— E X A C T E M E N T !

Tu agites un doigt devant son visage, ton verre à la main.

— C'est toujours la même chose, sous prétexte que notre métier se fait sous les caméras faut qu'ils se mêlent de tout. Le principe de la vie privée, du respect, tout ça, non, pas pour nous. Mais bon, il ne faut pas se plaindre, après tout on l'a voulu tout ça hein ? Aaaaaah, par Merlin comme ça m'énerve !

Tu grimaces légèrement quand il parle de Teddy. Tu essayes de modérer la force de l'alcool sur ta langue.

— Teddy a trouvé un contrat ailleurs, il suit sa carrière quoi.

Et parce que Teddy est un ami et qu'il est hors de question de sous-entendre des tensions dans votre groupe, tu relèves le menton fièrement.

— Et il a bien raison !

Tu soutiens son regard quelques secondes avant de reprendre.

— Qui sait, il nous reviendra peut-être. J'espère juste qu'on va pas perdre au change avec le nouvel attrapeur qui nous rejoindra.

Et comme-ci c'était pas assez clair.

— Parce que moi, je passe mon tour. Je veux plus jamais jouer à ce poste.

Tu hoches furieusement la tête. Ce qu'il dit est très vrai. On ne peut plus vrai. En fait, on ne peut pas faire plus vrai que ça. Mais surtout, tu te retrouves dans chacun de ces mots. Assez bourrée pour te révolter plus que d'habitude de tout ce qui fait le sel d'avoir une image publique. T'aimerais bien que le monde entier puisse vivre en surveillance constante des autres, juste pour qu'ils se rendent compte.

Tu rougis néanmoins de plaisir quand il te complimente. Tu n'avais pas aimé jouer attrapeuse. Le rôle est beau sur le papier, mais t'avais apporté plus de frustration que d'amusement. Il n'y avait pas à dire, le poste qui te convenait le mieux était celui de batteuse. Néanmoins, se voir approuver par un expert était du miel pour ton ego. Tu t'agites sur ta chaise, visiblement ravie. Viens poser une main sur ta joue, toute en fausse modestie.

— Bworf, tu dis ça pour me faire plaisir, j'ai pas été si incroyable que ça.

Tout transpire le "DIT LE ENCORE". Tu lui adresses un sourire. Considère les verres à côté de toi avant de relancer la conversation.

— Et toi, t'as jamais joué à d'autres postes ? Ou eu l'envie de le faire ?

Tu redresses le menton non sans fierté.

— Tu devrais essayer la batte, un de ces jours, c'est très défoulant !

Roooh qu'il parle bien. Tu aimes vraiment te faire complimenter et qu'importe que ce soit pour te taquiner. Tu te dandines sur ton siège, faussement timide, viens caler une de tes paumes contre ta joue.

— Oulala, quel charmeur tu fais.

Un éclat de rire alors que la conversation reprend. Tu te fais intéressée quand il parle de sa propre expérience, le quidditch étant de loin un de tes sujets de prédilection. Tu hoches la tête pour ponctuer son discours, montrer que tu suis malgré ton taux élevé d'alcool dans le sang. Tu ris de nouveau lorsqu'il te parle de sa propre expérience batteur. Tu ne comptes plus le nombre de tes blessures, mais tu sais que pour rien au monde tu ne changerais pas de poste.

— Les côtes cassées, la base ! Sur ma première saison à Poudlard, je me suis pris un cognard dans le dos. J'ai dû rester allongée trois jours à l'infirmerie, j'ai jamais trouvé le temps aussi long. Arf, et les sirops de l’infirmière. Quelle horreur...

Tu tires la langue, dégoutté du souvenir du breuvage âcre. Tu secoues la tête pour chasser le simulacre de goût qui pollue ta bouche. Tu viens rincer ton palet d'une petite gorgée d'alcool avant de continuer.

— Du coup t'as été gardien... Hm, ouais, j'avoue que c'est pas trop mon truc, mais j'admire le poste. Ça demande une concentration et une vision de jeu terrible.

Tu bats des pieds dans l'air. Puis, finalement, tu sautes de ton siège.

— Tu veux pas venir prendre l'air ? On étouffe un peu ici.

Vous sortez du restaurant. L'air frais balaye ton visage et te fait un bien fou. Tu titubes un peu, mais reprends contact avec la réalité. Juste un peu. Tu t'étires, te hisses sur la pointe des pieds pour t'étirer encore. Tu te tournes vers ton compagnon d'infortune.

— T'sais, j'aurai jamais dû finir sur le terrain.

Tu le fixes, un moment, joint tes mains derrière le dos.

— J'ai toujours aimé jouer au quidditch, mais je ne voulais pas en faire mon métier. Je ne voulais pas qu'on me compare à ma mère. À l'origine, je visais un poste au département de la justice.

Puis t'as arrêté tes études en cours de route et tout s'est cassé la gueule.

— Et finalement me voilà !

T'es curieuse de connaître ce qui a bien pu le pousser, lui, à vouloir tenter sa chance. Certains rêvent de célébrité, certains rêvent d'argent. Lui, tu te demandes ce qui l'a mené là où il est aujourd'hui.

— Pourquoi t'as passé les sélections, toi ? Pour l'argent ? La gloire ? Le plaisir du sport ?

Tu hausses les épaules, sans la moindre grâce.

— Hm, c'est loin tout ça. Puis, regarde mon salaire ? Faudrait être particulièrement con pour aller sur un métier plus barbant et qui paye nettement moins.

Tu souffles du nez, l'argent n'est pas ta principale motivation mais tu ne peux pas nier que le confort qu'il t'offre est salvateur. Bientôt, tu pourrais acheter une énorme maison à ton père, financer ses projets pour qu'il puisse vivre la vie plus simple et apaisée qu'il mérite tant. Tu pourras acheter les meilleures fournitures à Tommy, lui offrir toutes les expériences qu'il pourrait vouloir faire. Tu ne veux pas avoir à dire à ton frère "non" par manque de moyens. Tu ne veux pas lui demander de sacrifier ses envies parce que les caisses sont vides. Ta carrière n'a que des avantages en comparaison du reste. Tu passes ta main à l'arrière ton crâne, agites un peu tes cheveux dans un geste maladroit.

— Puis, tout ça c'est une lubie d'ado. Je voulais devenir avocate pour devenir quelqu'un d'important sans qu'on puisse me comparer à qui que ce soit. C'était dans le package crise d'ado. Genre "Ah ! t'es doué Dorothy ! T'es bien la fille de ta mère ! Monte sur un balai pour me faire plaisir, en plus tu ne te sens vivante et heureuse que quand tu fais ça... ET BAH NON !"

Tu souffles, un léger ricanement s'échappant d'entre tes lèvres.

— C'était con. Au final j'aime ce que je fais, mais à l'époque j'ai préféré écouter mon esprit de contradiction.

T'as toujours énormément de mépris pour celle que tu as été. T'arrives pas à voir le positif que Gus te trouve. Mais tu comprends que tu étais une enfant. Et que, peut-être, il serait juste de te traiter en tant que tel. Un gamin qui se contredit pour le simple plaisir d'avoir raison, ça ne devrait pas te choquer autant que ça.

Tu tournes la tête vers lui. T'as toujours eu un immense respect pour ceux qui affirment leur propre choix. Tu souris, tu ne juges pas.

— Bworf, je suis une meuf vénale alors je vais pas te juger.

Tu lui donnes un petit coup de coude, glisse complice.

— Entre nous ça fait un bien fou de se faire acclamer.

Tu ris légèrement.

— T'es pas en conflit avec ta famille vis à vis du quidditch ? Fin, si c'est pas indiscret ?