Tu parcours les couloirs de pierres du sous-sol. Depuis combien de temps n'étais-tu pas venu dans cette partie de ta propre maison ? Tu te souviens, enfant, des heures qu'on y passait quand père avait le dos tourné, quand mère était trop occupée pour vous surveiller. On s'imaginait grand aventurier perçant de grands mystères. L'avais-tu amené là-bas, lui aussi ? Oh, il a dû y aller lui-même. Pour un rat les caves ne sont-elles pas un habitat naturel ?

Tu as pris ton temps. Quand on te l'a amené tu n'as pas esquissé le moindre geste. Tu t'es contenté de désigner du menton les deux bourses de gallions posé sur la table. Tu as attendu qu'ils s'en emparent, puis tu les avais invités à quitter les lieux. Après ça, tu avais attendu. Bercer par le tic-tac de la grande horloge murale, tu avais bu bien plus lentement que d'habitude ton verre. Tu avais profité de chaque seconde, avais trouvé un certain réconfort dans l'idée de l'imaginer, lui, piéger entre les quatre mur de la grande cave, entouré des Elfes de maison. Quand tu leur avais dit que vous alliez prochainement recevoir sa visite, ils avaient eu l'air... Presque heureux. Lentement, tu poses ton verre, t'extrais du fauteuil de ton père pour traverser le bureau, arpenter les couloirs, t'enfoncer dans les profondeurs du manoir. Tu te saoules du silence de plomb qui règne dans les tréfonds de la maison. Oh. Tu sais, il a dû avoir si peur du noir. Oh. Comme t’espères qu'il tremble comme une feuille, ton cher, si cher frère de cœur.

Tu retrouves deux de vos Elfes de maison devant la porte. Tu hoches la tête dans un sourire, les laisses ouvrir la porte. Devant toi, trône sur une chaise en bois, pieds et poings liés, le premier petit parasite dont tu dois te débarrasser.

— Bonsoir, petit frère.

Un sourire, tu tires toi-même une chaise pour te mettre en face de lui.

— J'espère ne t'avoir pas trop fait attendre ? Il fait frais, ici, je me suis dit que tu y serais bien, le temps que j'arrive.

Chuis pas ton frère

Ton sourire poli reste plaqué sur ton visage. Il n'est pas ton frère. Il aurait pu pourtant. Tu as encore en travers de la gorge cette sensation terrible de t'être fait floué. D'avoir accordé quelque chose de fort à quelqu'un incapable de l'estimer. Clovis. Valerian. Ça fait beaucoup. Beaucoup trop. Tu devrais t'émouvoir après autant de temps passer ensemble, tu devrais avoir un pincement au cœur de voir cette figure familière défigurée par la haine. Mais il n'en est rien. Quand tu vois Valerian tu vois un ingrat. Quand tu vois Valerian tu vois une trahison. Et contrairement à d'autres, tu n'as aucune culpabilité derrière laquelle te réfugier pour ne pas affronter la colère qui monte.

Des menaces, rien que des menaces. Tu tiques en silence à la mention d'Iphigenie. Tu pourrais te lever, lui en coller une, là, tout de suite. Mais tu veux faire passer le goût de l'insolence à cet enfant dissident et pour ça tu as compris qu'il allait fallait jouer d'une violence beaucoup subtile, beaucoup plus fourbe. Parce qu'on combat le feu par le feu. Parce que Valerian t'a appris qu'on combat les rats en en devenant soi-même un. Alors tu te forces à prendre un air sincèrement confus. Tu détestes ça, mentir, trompé, jouer la comédie. Tu t'es battu pour ne pas en arriver à manier les armes de ton père pour avancer. Mais l'idéalisme est mort depuis bien longtemps, on ne survie pas à coup de droiture et de bons sentiments. La leçon est dure, mais quelque part tu la dois aussi à ce frère qui crache en face de toi.

— Séquestration ? Ah ! Non, non, non, tu n'y est pas du tout !

Tu croises tes jambes prends un air plus aimable.

— J'étais très inquiet tu sais ? Tu étais sans ressources, malgré tout ce que tu as pu dire j'étais peiné de savoir mon si jeune et si fragile petit frère livré à lui-même. Alors je t'ai envoyé cherché. Je voulais te ramener à la maison, Valerian. Seulement, les gens que j'ai engagés on fait de l'excès de zèle, mais n'ai crainte, ils sont été réprimandés pour ça.

D'un petit bonus de quelques gallions supplémentaires. Parce que tout travail mérite salaire et que tu admires les gens qui mettent du cœur à l'ouvrage. La conscience professionnelle est quelque chose qui se perd de nos jours malheureusement. Tu te penches légèrement en avant, plus mielleux quand tu prononces... Tu veux le terrifier une bonne fois pour toutes.

— En revanche... J'avais une question à te poser. Savais-tu que les faux témoignages et la diffamation, spécialement devant la justice, étaient des crimes très graves ? Quoi qu'en dise ta maturité ou ta taille, tu n'es plus un enfant aux yeux de la loi. Je me demande ce que ferait le ministère s'il découvrait que tu as ouvertement menti dans le cadre d'un procès...

Ton sourire perle encore quelques secondes sur ton visage avant de se faner lentement, plus sérieux.

— Je me le demande vraiment...

Tu secoues la tête, gentiment, l'air de t'excuser ou de l'excuser. Le voir passer par autant d'expression te conforte dans l'idée que ta stratégie est la bonne. Tu vas lui faire commettre une erreur, tu vas lui faire cracher la vérité, tu vas lui rendre la monnaie de sa pièce, lui apprendre les bases du respect que visiblement ses parents n'ont pas su lui inculquer à la naissance. Pensivement, tu viens tapoter l’accoudoir du bout des doigts.

— Hm, en es-tu certain ?

Tu laisses ton doigt glisser contre le bois. Puis tu finis par te lever, lentement, très lentement.

— Tu sais, le cœur est un organe qui ne répond que peu souvent à logique. Les sentiments ne sont pas rationnels. Après tout, il n'y a que te regarder pour le comprendre, non ?

Tu viens faire quelques allers et retours devant lui. Joue au lion qui tourne autour de sa proie avant de l'écorcher à coup de griffe. Les mains derrière les dos, comme-ci tu faisais une simple promenade dans les jardins. Du coin de l’œil, tu scrutes son visage, cherches à évaluer si tu t'approches de son point de rupture ou non.

— Nous qui avons pris soin de toi, tu as fini par nous haïr. Pourquoi l'inverse ne serait-il pas possible ? Contrairement à toi, j'ai su me faire des amis. Peut-être que ses nombreux amis, le choc passé, ont commencé à voir les nombreuses incohérences dans ton récit. Peut-être même que ses nombreux amis m'ont aidé ?

Tu t'arrêtes, t’accroupis devant lui, lâche, détendu. Ton regard de serpent s'approche, tu siffles entre tes lèvres.

— Peut-être avons-nous trouvé des preuves concrètes de tes mensonges ? Après tout, tu as l'air si peu sûr de toi, Val.

Alaric ! Il le clame, haut et fort, comme-ci ce simple nom avait le pouvoir de t'ébranler dans tes fondements. Ah. Tu n'y es pas insensible. Alaric avait été un ami. Il ne l'était plus. Pas tant la faute de ton père que de la tienne. Tu l'as laissé tomber. Tu l'as repoussé, rejeté. Pas assez digne de se tenir à tes côtés après la "mort" de Clovis. Pas de ses privilégiées telles que Vanitas ou Evonice. Tu souffles du nez, presque amusé. Dans le fond, tu payes ta négligence et dans un coin de ta tête tu ne peux qu'entendre raisonner ta conscience qui s'écrie "Bien fait !".

— Bravo, tu t'es mis dans la poche un sang-pur inutile et sans pouvoir. Qui d'autres as-tu donc rallié à ta cause ? La cousine germaine au septième degré de Darya Black ?

Tu secoues la tête, remontes un regard moqueur, souffle acide.

— Tss. C'est navrant. Si seulement tu avais étudié au lieu de dilapider notre argent...

Triste pour Alaric, mais une partie de toi, est rassurée que ce soit qui soit tombé dans le panneau et non quelqu'un d'autre. De tous les Lestrange il est le moins dangereux et... Hm. Tu as Evonice de ton côté malgré tout. Et Clovis, Clovis... Il sait mieux que personne la vérité. Tu évalues donc la menace. Valerian pourrait être une épine fatale à ton pied. Mais pour le moment la situation reste maîtrisée. Tu te redresses, t'approches doucement de la chaise, tapotes sur l’accoudoir de Valerian.

— Oh, je ne le nie pas et je ne cherche pas à le sauver. Pour qui me prends-tu ? Non. Je cherche simplement à rétablir une certaine vérité. Après tout, tu sais que j'ai horreur des mensonges et tu as beaucoup menti ces derniers temps.

Incisif quand tu souffles près de son visage.

— En tant que chef de famille je tiens à ce que tout le monde assume ses responsabilités... Toi le premier. Je pourrai te forcer à la faire en allant voir le ministère. Ou bien tu pourrais te comporter en adulte responsable et le faire ici et maintenant. Qui sait, je pourrais me montrer étonnamment clément. Alors ?

Il craque. Il craque. IL CRAQUE. Tu as autant de rejet que de reconnaissance envers la bouffée satisfaite et fière et monte dans ta gorge. Le sourire se dresse, tu le fais vite disparaître mais il a été là, une seconde. Coup bas, petite vengeance, de remettre à sa place cet ingrat qui a contribué à votre déchéance. Ce même petite ingrat qui veut tout te prendre alors que tu n'as rien fait. Hein ? Tu n'as jamais rien fait. Mais ambivalence, aussi, parce que tu n'aimes pas spécialement ce que ça dit de toi. Te réjouir de la faiblesse d'un autre, des fissures que tu creuses, n'est-ce pas ce que ton père faisait aussi ? Tu n'en es même plus sûr, l'impression de voir en cet homme familier un étranger. Tu le savais pourtant plus terrible qu'il ne le laissait paraître. Mais tu te demandes, Jasper, aurait-il apprécié voir Valerian ramper ?

Et il résiste, toujours dans l'opposition. Le coup part et tu te laisse surprendre (ça devient une habitude il faut croire). Encaisse dans un grognement alors que tu t'éloignes un peu, te tien le front. Le salle gosse. Il ne dit pas ce que tu as besoin d'entendre. Mais tu le sens proche du point de rupture, les réponses sont proches. Tu as besoin de l'entendre de sa bouche... Pourquoi ? Comment ? Deux questions. Deux réponses. Tout ce que tu attends de ce petit rat avant de choisir quel sort tu lui réserveras. A-t-il besoin d'encouragement ? Oh. S'il n'y a que ça. Tu peux être un grand-frère particulièrement encourageant quand tu le veux bien.

— Je crois que nous nous sommes mal compris.

Tu t'éloignes, viens tirer de nouveau ta chaise pour t’asseoir vraiment près de lui cette fois. Vos genoux se touchent, tu refrènes le frisson de dégoût que te procure le fait de toucher un traître. Refrènes l'envies de lui encastrer le crâne dans le bois de sa chaise.

— La mort est une délivrance et, à mon sens, une punition bien trop clémente te concernant. Non, j'avais en tête quelque chose de plus subtile et désespérant. Je laisse le soin à ton imagination de découvrir quoi.

Tu lui souris, très calme à présent. Craquer ne t'apportera rien. L'une des premières leçons de ton père. Les négociations sont de vastes partie de poker mêlée d’échecs. Et dans des négociations, la richesse, les mots et la posture sont des armes qui renversent le cours de l'histoire. Mais qu'importe que les mots, la richesse et la posture ne soient que mensonge.

— Mais je suis disposé à revoir mes projets si tu coopères. Crois-le ou non, mais je n'ai aucune envie de devenir le monstre que tu as décrit aux procès. Tu as trahi et menti. J'ai des preuves de cette trahison et de ces mensonges. Ce que je veux savoir c'est pourquoi tu l'as fait et comment tu en es-tu arrivé là.

Et tu ajoutes, juste pour clore le débat.

— J'ai déjà tout arrangé. Si par malheur je coule, tu couleras avec moi. Alors ?

on est frères toi et moi hein ?

Reflux acide, tu profites de la pénombre pour te tendre en silence, empêcher ton poing de percuter ses dents. Il te semble que tu l'as aimé, un jour, ce gosse. Il te semble, qu'à une époque pas si lointaine, tu avais à cœur qu'il s'intègre, qu'il se sente chez lui, qu'il prenne part aux activités de la famille. Tu avais admiré ton père pour prendre un cracmoll dans votre maison, tu avais profondément été fier de ce que ça disait de vous. Qu'on aimait son sang sans distinction, car la valeur d'un homme ne se mesure pas à la qualité de son sang, ni a celle de sa magie. Tu te surprends à voir combien le mépris avait tout remplacer. Quand tu le regardes, tu ne vois pas un frère, tu ne vois pas un regret. Tu vois l'échec, tu vois la naïveté. L'ennemi était entre vos murs depuis le début. Et tu as horreur, Jasper, de donner sans rien recevoir en retour. Tu l'avais déjà trop fait. Pauvre Valerian, qui paie le prix de toutes tes frustrations.

— Frères... ?

Tu refrènes le sourire emprunt de dégoût. L'acide qui monte, brûle la gorge. Tu prends sur toi. Tu dois rester maître de tes émotions.

— Bien sûr. C'est parce que tu es de mon sang que j'aimerais que tu coopères, Valerian.

Tu as envie de lui dire, que tu as répudié l'homme à qui tu devais fidélité et obéissance, celui-là même qui devait régir ta vie jusqu'au jour de sa mort. Tu as envie de lui demander : si j'ai pu faire ça à père, qu'est-ce que je pourrais te faire à toi ?

Il y a des idées bien trop tentantes et bien trop sanglantes qui te viennent à l'esprit. Depuis quand, Jasper, considères-tu le pire avec autant de facilité ? Il serait fier, ton père. Il dirait probablement que tu as enfin quitté l'enfance. Tu joins les mains. Tu n'as pas longtemps à supporter, tu le sens.

— J'attends que tu parles, petit-frère. Que tu m'expliques pourquoi cette trahison. Que tu m'expliques comment tu l'as mis en place. En résumé : je veux la vérité, ta version des faits.

Tu pèses chacun de tes mots, calmement.

— Tu vas tout me raconter, de ce soi-disant jour où tu as entendu parler des attentats au jour du procès. Je t'écoute.

Il ne sait pas.
Ton sourire se fige, une risette agacée.

— Tu ne sais pas ?

Tu répètes calmement, alors que sur son siège, il pleure. Grosses larmes de crocodile, il pleure comme un enfant Valerian. Tu pourrais ressentir de la pitié. Tu devrais ressentir de la pitié. Mais il clame qu'il ne sait pas, il clame qu'il a tout inventé. Tu t'en doutais. Tu le savais. Et pourtant. Pourtant, ça te met hors de toi. Tu te lèves d'un bond renverse sa chaise sans la moindre délicatesse. Qu'il heurte le sol, qu'il s'écrase le crâne contre le sol s'il veut. Tu réajustes ta veste, l'énervement te fait perdre de ta superbe.

— Nous t'avons accueilli, nous t'avons nourri, nous t'avons donné un titre, une réputation, une famille.

Tu tournes, véritable lion autour de sa proie. T'acharne sur tes manches, comme-ci elles avaient besoin d'être remises en place.

— Quoi que, tout cela n'a rien de surprenant.

Tu viens t'accroupir face à sa tête, dans la pénombre tu le fixes, déçu, Jasper. Car il a encore moins que tu ne le pensais.

— Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ? Tu ne m'apportes rien d'intéressant, hormis ce que je sais déjà. Tu comprends bien que je ne peux donc pas rester là sans rien faire, n'est-ce pas ?

Tu le fixes, pensif. Qu'est-ce lui ferait le plus mal ? Aazkaban, assurément, serait une bonne et juste punition.

— Il faut croire que je vais devoir appeler mes "amis" pour t'envoyer chez les aurors. Tu salueras mon père pour moi, dis ? Je suis sûr qu'il sera heureux de te voir...

Tu te lèves, va pour quitter la pièce. L'espoir un peu fou qu'il sorte de sa main une carte gardée secrète jusque-là une révélation dont tu ne savais rien. Ton dernier coup de bluff avant de chercher une solution définitive à cet épineux problème de frère.