Le 12 Grimmauld Place lui paraissait bien vide depuis la disparition de Regulus. Sombre, exempt d'une partie de lui-même. Bien que le reste des Black était (re)venu y vivre par son concours, c'est lui qu'elle avait le plus fréquenté entre les murs de la demeure. L'heure des repas et du thé lui semblent bien solitaires, désormais. Elle s'en accommode, pourtant : c'est son rôle et elle en a conscience, d'être là pour vous tous quand vous en avez besoin, et de rester en retrait lorsque ce n'est pas le cas. Le reste n'a pas d'importance. Ainsi vont les choses.

La disparition de Regulus a été une terrible surprise pour chacun d'entre vous. Elle a tout bousculé, a chamboulé l'immobilisme sombre de la demeure : non seulement une équipe d'aurors était venue, mais l'entièreté de la famille s'était retrouvée ce jour-là. Les passages à la résidence se font plus fréquents, désormais. Elle est à l'affût de chacun d'entre eux, tâchant d'assurer son rôle de son mieux auprès de chacun des Black. Aujourd'hui, c'est toi qui est là, elle l'entend depuis son étage privé. Des décennies à habiter ici lui permettent maintenant de reconnaître chacun d'entre vous à votre démarche et aux pièces que vous choisissez de visiter.

Ses pieds nus sur le parquet de l'étage n'émettent presque aucun bruit. Elle s'arrête dans l'encadrement de la porte donnant sur la bibliothèque, certaine de t'y trouver. Tu t'y tiens, en effet, le nez plongé dans un livre qu'elle n'identifie pas.

Sage, appelle-t-elle doucement.

Elle s'approche avec légèreté. L'ourlet de sa longue robe beige bat contre ses chevilles nues.

Comment te sens-tu ?

Il y a tant derrière ces mots simples. Tant de choses qu'elle sait et qu'elle aimerait aborder, sans bien savoir si tu le souhaiterais – ni même si tu serais prêt. Parce qu'elle sait, pour tes nuits passées dans la chambre de ton frère. Pour ces photos volées avec un garçon qui ne t'a pas laissé indifférent, à une époque. Elle sait. Mais elle choisit de ne pas en parler immédiatement, préférant te ménager. Les soucis pèsent sur tes épaules, en plus de ta nouvelle position, de ça elle a bien conscience. Alors elle commence simplement.

Je suis désolée d'avoir dû te tirer de ta retraite. Je sais que vous aviez un accord, Reg et toi.

L'ombre d'un sourire désolé point sur ses lèvres lorsqu'elle perçoit le léger sursaut que t'arrache le son de sa voix. Ta fatigue est palpable, tout comme l'inquiétude qui te ronge – elle le verrait presque, ce poids sur ton âme, plus que sur tes épaules, qui pèse tant qu'il te vole tes nuits au point que tu doives chercher un semblant de réconfort dans la chambre vide de ton frère. Elle sait, mais ne se résoudra sans doute pas à le dire, pour te préserver.

Tu esquisses un sourire sincère en la voyant, auquel elle répond de bon cœur. Note sans rien dire la présence du carnet aux côtés du livre, concluant que tu dois sans doute mener des recherches sur lesquelles tu ne souhaites pas t'épancher – en lien, suppose-t-elle, avec ta nouvelle fonction de langue de plomb, sans doute.

Certes, t'accorde-t-elle. Mais je sais à quel point cette retraite était importante pour toi. Pour vous. Je suis désolée qu'elle ait dû prendre fin dans de telles circonstances.

Et tu t'approches, la prend doucement dans ta bras. Ta tête se love sur son épaule, geste favorisé par la différence de taille entre vous. Une mine peinée se peint sur ses traits alors qu'elle te rend ton étreinte, te serre contre elle, va jusqu'à frotter doucement ton dos pour y insuffler un peu de soutien. Combien de fois t'a-t-elle pris dans ses bras, depuis la mort de ton père ? Combien de fois a-t-elle eu à chasser ta peine, essuyer tes larmes ? Tu as bien grandi, depuis ce jour, mais rien n'a changé pour elle ... Tu es toujours, d'une certaine manière, ce jeune garçon perdu sur lequel elle s'est promis de veiller.

Cette façon dont tu t'accroches un peu plus fort à elle, dont tu étouffes des sanglots qui ne viennent pas, ça lui brise le cœur. Elle donnerait cher, tu sais, pour que tu n'aies pas à connaître ce qui te pèse en ce moment.

C'est normal, murmure-t-elle en resserrant son étreinte. Il nous manque à tous, mais personne n'est en mesure de comprendre à quel point c'est dur pour toi. Vous partagiez déjà votre vie avant même de prendre votre premier souffle. Vous êtes liés au-delà des mots. Il est normal que son absence soit si difficile à vivre ...

Elle s'écarte doucement, pose délicatement la main contre ta joue.

Tiens bon, Sage. Il est en vie, je le sais, je le sens. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'on le retrouve. Tiens le coup, juste encore un petit peu ... Il est trop tôt pour que la Mort vienne vous chercher, tous les deux.

Elle ne ment pas pour te rassurer : si Regulus avait définitivement disparu de vos vies à tous, elle l'aurait senti. Elle aurait perçu un changement dans l'équilibre des choses. Elle aurait crié. Rien de tout ça ne s'est produit, aussi vous pouvez tous garder espoir, toi le premier – et tu es sans doute celui qui en a le plus besoin.

Le temps d'un instant, malgré la peine et la perdition, vous revenez bien des années en arrière, lorsqu'avant d'être chef de famille tu étais avant tout garçonnet orphelin, abandonné à la demeure familiale et à ses secrets par la cruauté du sort. Un garçon qu'avec ton frère jumeau elle a étreint, rassuré, consolé d'innombrables fois. Elle a veillé sur vous tout ce temps, vous a regardé grandir tout en s'excusant pour Altaïr de sa froideur, vous a protégé du mieux qu'elle a pu. Sa tâche continue aujourd'hui, mais moins simple, plus terre-à-terre, maintenant que tu es devenu patriarche que l'existence t'a privé de ta moitié, t'a projeté au cœur d'une famille morcelée.

À sa main sur ta joue, tu apposes la tienne, et elle y perçoit de la fébrilité. Ses doigts bougent légèrement pour caresser l'angle de ta mâchoire, alors qu'un pli peiné se dessine sur son front.

Tu ne l'es pas. Tu fais tout ton possible pour le retrouver, chacun ici le voit. Je suis certaine que lui-même le sait, où qu'il soit. On n'érode pas un lien comme le vôtre.

Puis tu t'écartes doucement, désignes d'un frôlement le livre et le carnet que tu examinais lorsqu'elle est arrivée. Elle comprend à travers tes mots voilés de quoi il s'agit, mais ne s'en étonne pas réellement. Le désespoir a le secret pour rendre attirantes les choses les plus sombres. Vos regards se croisent alors que tu t'adresses à elle, et elle effectue un petit mouvement de tête pour t'assurer de sa compréhension. Remarque cette larme qui perle sur ta joue – c'est plus fort qu'elle, la main se lève doucement pour l'essuyer d'un geste du pouce, doux, presque maternel.

Les deux ne sont pas indissociables, Sage. Tu peux être son frère et leur patriarche. Tu dois écouter ce que te dit ton cœur, et il te dit que tu ne devrais pas, sinon tu n'hésiterais pas. Je suis certaine que Regulus désapprouverait, lui aussi. On va le retrouver, je te le promets, mais pas comme ça, par pas ce genre de moyens.

Esquisse un sourire timide qui se veut rassurant.

"Toujours purs", n'oublie pas.

Elle prend doucement ta main, son cœur esseulé avide de contact physique, comme cherchant à prendre pour elle un peu de cette peine qui pèse tant sur tes épaules fragiles.

Tout le monde magique est au courant de sa disparition. Il y a forcément quelqu'un qui sait quelque chose, qui a vu quelque chose. On va le retrouver, ce n'est qu'une question de temps.

Sans compter les autres membres de la famille qui y vont sans doute de leur enquête personnelle. Regulus n'est pas loin, elle en est convaincue.

Elle a pleinement conscience, tu sais, que ses propos t'apparaissent aussi justes que difficiles à entendre. Il est ardu d'écouter la raison quand le cœur est perdu, quand c'est la réalité qui déraisonne et qui prend sans se soucier des conséquences. Le vide dans ta poitrine est béant, ça elle le ressent, mais si un peu de ses mots peuvent l'atteindre pour en atténuer la douleur, elle aura rempli sa tâche. Elle resserre légèrement les doigts contre les tiens pour t'encourager à continuer de parler, à formuler cet aveu, patiente. Vos regards s'accrochent et dans le sien luit une douceur presque maternelle, à l'image de ce sourire tendre qui étire ses lèvres.

Je sais. Un aveu, à son tour. Je sais ce que vous avez fait. Je vous connais par cœur, je savais que la curiosité vous titillerait. Je ne vous ai pas empêchés pour autant ... Parfois, vivre c'est expérimenter. Je vous ai fait confiance, j'ai simplement fait en sorte qu'Altaïr ne l'apprenne pas.

Tu exhales un soupir, et elle caresse doucement ta main d'un geste du pouce, rassurante.

Mais ce genre de magie, ce n'est pas toi, Sage. Ce n'est pas Regulus non plus. Ça ne vous ressemble pas. Je sais que ton cœur t'empêchera de céder, et crois-moi quand je te dis que ton frère t'en sera reconnaissant.

Et tu lèves vos mains entrelacées à tes lèvres, y dépose le chaste baiser qu'un fils donnerait à sa mère. Elle te répond d'un doux sourire, puis appose son autre main sur la tienne.

C'est un poids que tu n'étais pas prêt à porter, c'est normal qu'il te paraisse trop lourd. Mais accorde-toi un peu de confiance. Altaïr a vu que tu avais ce qu'il fallait, et il avait beau être ce qu'il était, il ne se trompait jamais.

Tu as de quoi diriger cette famille, que tu y croies ou non. Elle en est persuadée. Ses mains libèrent la tienne, ne cherchant pas à te contraindre, et elle esquisse un nouveau sourire, un peu plus mélancolique, cette fois.

Je t'en prie. Légère pause. Tout va bien, je te remercie. Je me suis occupée de médiatiser l'affaire pour que tu n'aies pas à le faire. Je pense que tu en as assez vu pour le moment.

Une courte hésitation flotte dans l'air, avant qu'elle n'ose finalement reprendre prudemment :

En parlant de médiatiser ... Est-ce que ça va aller, avec cette histoire de photos volées ?

Non seulement, comme elle le dis, en as-tu assez vu pour le moment, tant cette affaire t'est malheureusement proche, mais surtout, ça ne te ressemble pas de t'exposer au regard d'autrui. Ce n'est pas ce qu'elle-même préfère le plus, à vrai dire, mais si elle peut te l'épargner, alors elle s'en acquitte avec plaisir. Toi et ton frère avez toujours été sages, comme tu le relèves avec une pointe de malice ; vous avez toujours été ces enfants droits et discrets élevés dans le giron d'une famille qui se préserve sans faire de vague. Ça ne te ressemble pas, de t'exposer au monde sorcier, et ça ne te va pas, aussi s'inquiète-t-elle d'une mésaventure qui au final ne semble pas tant t'atteindre que cela, à en croire le haussement d'épaules désinvolte que tu lui adresses.

Oh. Entendu.

Cligne un instant des yeux, surprise, mais n'insiste pas. Elle n'est pas sans savoir quels ont été (quels sont ?) tes sentiments à l'égard de Theodore Hingsley, et c'est bien pour ça qu'elle respecte ton désir de ne pas t'y attarder. Le cœur à ses raisons, et elle n'est pas tenue de les connaître, toute conseillère qu'elle soit.

Le sujet change et elle l'accepte. À la mention de Celine, elle écarquille légèrement les yeux : ce n'est pas sur la jeune femme qu'elle aurait parié pour paraître à ton bras, mais c'est un choix tout à fait respectable. Il convient d'entretenir les bonnes relations entre grandes familles, après tout. C'est là la décision d'un chef de famille. La pensée la fait se fendre d'un demi-sourire fier.

Oui, je serai là. Izar m'a demandé de l'accompagner. Je veillerai sur vous à ma manière, comme ça.

Sur ses lèvres, le sourire se fait un peu plus maternel. Voilà quelques décennies que le gala d'Halloween est une habitude pour elle, quelques décennies également qu'elle redoute quelque peu d'y être présente tant la concentration d'invités présente pour elle un risque de crier, si l'un d'eux venait à être en sursis. Mais c'est avec le même plaisir qu'elle vous y accompagne, et avec la tendresse dans le regard qu'elle vous regarde chaque fois de loin vous amuser comme vous le devez, à vos âges. Au sien, on commence à se lasser, mais il est bon de voir les jeunes esprits profiter.

As-tu déjà choisi ton costume ?

À tes mots, le sourire sur ses lèvres se fait encore un peu plus maternel. Impossible de vous mentir. Tu sais qu'à sa manière elle reste dans la discrétion et la retenue, préférant vous laisser toute la place de profiter – et toute à sa crainte liée à sa nature de banshee, que tu n'ignores pas. Néanmoins, elle fera l'effort, pour toi, parce que tu le lui demandes. Au coin de ses lèvres, la taquinerie apparaît et elle te répond, un brin malicieuse :

C'est promis, monsieur le chef de famille.

Au bras de nulle autre que Celine Greengrass ! Elle étire un dernier sourire mi-fier mi-taquin, puis reprend un peu plus de sérieux lorsque vient la question des costumes, une chose qu'Izar et elle n'ont pas encore étudiée en profondeur, eux non plus.

Pas encore non plus. Nous n'y avons pas encore sérieusement réfléchi. Cependant ... Si Celine et toi pensez à du Tim Burton, nous pourrions nous accorder. Ce ne sont pas les personnages correspondant au thème qui manquent.

Et il serait drôlement original que les membres d'une même famille respectent une même esthétique, non ?

Puis elle te voit pincer légèrement les lèvres, comme tu le fais lorsque tu réfléchis avant de te jeter à l'eau. Elle te laisse faire, patiente, affichant une mine douce et encourageante alors que tu fronces doucement les sourcils et lui exposes ce qui te préoccupes. La question est si innocente, à ses yeux maternels, qu'elle en sourit pleinement, exhalant un petit souffle amusé.

Non, tu ne te trompes pas. Pour être tout à fait honnête avec toi, je m'attendais à ce que tu y ailles avec Theodore Hingsley. Je sais ce qu'il représente pour toi.

Et sans doute est-ce la raison pour laquelle tu lui as préféré Celine. Pour te protéger, en quelque sorte. Cette pensée en tête, elle s'enquiert doucement, prévenante :

Mais vous vous verrez quand même au gala. Ça ira ?