C’est une affaire urgente ; une qui requiert absolument ta présence. Et c’est plus ou moins les seules informations que tu as : l’urgence et l’adresse. Néanmoins, tu ne te précipites pas ; rien ne sert de courir il vaut mieux partir à point. Ce que tu fais.

Le casque sur les oreilles, la tête qui dodeline au rythme des notes qui s’écoulent dans tes oreilles, tu marches vers le studio du musicien, curieuse de savoir ce qu’il s’y trame. Tu as beau chercher dans tes souvenirs, tu ne te souviens pas avoir déjà été invitée et certainement pas de l’avoir déjà visité.

C’est pendant cette petite randonnée vers l’endroit que tu t'imagines tous les scénarii possibles de cette invitation, espérant que ça ne sera pas un traquenard ─ que tu ne regretteras pas ta venue. Curieusement, tu n’imagines pas cela d’Ejike. Mais l’homme peut toujours te surprendre.

C’est une personnalité que tu apprécies, en plus d’être un artiste que tu respectes… peut-être même que tu admires. Après tout il a eu le privilège de faire un feat avec Shani ; le genre de truc dont tu rêves et que tu ne feras jamais ; la chanteuse ayant fait décoller sa carrière, s’étant envolé vers d’autres horizons.

Toi tu gardes les pieds sur terre, tutoyer les sommets te fait peur. Après quelques minutes de marche, tu fais ton entrée dans le studio ; il ne faut pas longtemps pour trouver Ejike, il t’en faut encore moins pour vouloir mettre les choses au clair d’emblée :

─ Bon ! Qu’est-ce que c’est que cette urgence ? Qu’est-ce qui ne pouvait pas attendre ? Normalement je dois déjà être en Italie pour fêter Noël avec mes parents… je te fais une fleur d’être là.

Et Dieu sait que cette période de l’année est ta préférée ; rien ne vaut un repas partagé avec le papa et la maman qui ressassent sans arrêt la même rengaine : as-tu un copain ? Comment se passe le boulot ? Tu continues la musique ? Tu as trouvé un copain ? Hein ? Hein ? Hein ?! Comme tu as hâte…

Rien que d’y penser, tu dodelines de la tête, essayant de chasser ces pensées parasites. Des regards qui lorgnent sur l’endroit, tu ne sais pas pourquoi… mais tu te sens comme chez toi, parfaitement à l’aise, comme si tu es née pour trainer dans ce genre d’endroits.

─ Whoa regarde-moi tout ce matos ! Je sens que je vais me plaire ici ! Bon par contre tu m’as rien demandé, mais comme tu m’as dit de venir à ton studio, j’ai pris ma guitare… mais j’ai pas d’idée derrière la tête hein ! C’est… c’est pas mon genre.

Oui, oui.
On y croit.
 

Tu t’imagines mal dans un rôle salvateur, mais le compositeur le croit, lui. Alors plutôt que de rechigner, tu décides de lui faire confiance. Comme toujours tu as tes doutes, tes épaules se haussent dans un réflexe alors qu’une moue dubitative se dessine sur ton visage.

Toi qui interprètes la sauveuse, voyons donc de quoi tu le sauves exactement. Après une inspection du studio et de tous les joujoux pour musiciens que tes yeux peuvent identifier, tu finis par trouver une assise proche de lui, l’écoutant avec attention.  

Ejike a besoin d’une voix. Pas n’importe laquelle et certainement pas pour faire n’importe quoi. Pas sûr que tu sois son premier choix, il le confirme d’ailleurs… mais rien que le fait qu’il pense à toi te flatte et il n’en faut pas plus pour que tes joues changent de couleur. Tu détournes le regard et pivotes la tête, passant une main dans tes cheveux afin qu’ils recouvrent la partie de ton visage qui rougit.

Il faut dire que tu apprécies l’artiste qui te parle ; tu le respectes et tu irais même jusqu’à dire que tu l’admires. Autant dire que le privilège de travailler avec lui est… difficilement déclinable. Néanmoins tu tiens aussi à ton anonymat. Si ce morceau fonctionne, comme c’est souvent le cas avec lui, tu pourrais te retrouver sous le feu des projecteurs. Et ça non merci.

Néanmoins, tu gardes un certain professionnalisme lorsqu’il te fait écouter les premières notes. Tu n’as pas signé pour être sur le chantier, mais… cela ne change pas ton enthousiasme.

─ Attends, avant de monter sur tes grands chevaux ! Je… je suis vraiment flattée que tu penses à moi. Vraiment, je le suis. Mais… je sais pas, je…

Un soupir, de nouveau, une moue gênée. Tu ne veux pas refuser une opportunité pareille, mais dans le même temps, tu tiens à une chose : ton anonymat. Et cela passe par-dessus tout. Même au-delà de l’envie furieuse de collaborer avec lui.

─ Je ne veux être mentionnée nulle part. Comprends-moi bien, je ne fais pas de la musique pour être connue et encore moins pour gagner de l’argent. Si tu me garantis mon anonymat… alors d’accord. Sinon je… tu n’arrives même pas à croire que tu vas le dire et pourtant : sinon je me verrai obligée de décliner.

Et pourtant les premières notes t’inspirent immédiatement. Tu ne manques pas d’idée et certainement pas d’audace pour les proposer. Alors évidemment, avant même qu’il n’accepte ta condition, tu prends les devants :

─ Ça m’inspire plein de bonnes choses. Mais tout dépend de ce que toi tu veux en faire. Déjà tu veux absolument un morceau pour les fêtes ? Et le cas échéant, qu’est-ce qu’elles t’inspirent ? Que je te prête ma voix c’est une chose… je veux savoir ce qu’on va dire aussi.

Car la musique que tu écris, que tu joues, que tu écoutes, tout se fait avec le cœur. Il domine tout, même la raison.

 

L’artiste respecte ton choix, mais n’en demeure pas moins entreprenant quant à ses propositions. Pas un seul instant il ne se voit occulter une compensation pour ton labeur. C’est tout à son honneur et ça te fait plaisir de le voir conciliant. Une collaboration qui démarre sur les bons rails.

Il ne t’en faut pas plus pour plonger à pied joint dans ce partenariat ; hâte de voir ce que tu peux apporter, confiante de bonifier un morceau qui démarre bien. Tu as l’humilité de te dire que tu n’es qu’une artiste parmi des milliers d’autres sans pour autant faire la timide sur le talent que tu as.

Ce genre de mélange n’est pas étonnant compte tenu de ton éducation. L’arrogance et l’absence d’introspection ne font pas bon ménage avec tes croyances également. Ce n’est donc pas étonnant de te voir écouter avec attention ton homologue et ce que la période de l’année représente pour lui.

L’on voit alors les horizons différents chez toi comme chez lui. Pour lui, les fêtes de fin d’années n’auguraient rien de glorieux ; tout le contraire de toi. Son visage qui se ferme, l’air chagriné qui s’y dessine, difficile de le manquer.

C’est là qu’on voit ce que tu peux apporter.
Le courage que tu peux lui donner, tout comme l’espoir.
C’est d’ailleurs ce que tu fais de mieux ; la lueur dans l’obscurité qui jamais ne faiblit.

Ça commence par un sourire enjoué et une conversation relancée avec douceur et enthousiasme, pendant que ton menton vint se poser sur ta paume, l’air altier imprimé sur tes traits.

─ Je trouve ça amusant. Ton univers et le mien sont si… différents. On a plus l’impression qu’ils vont entrer en collision comme deux météorites que se mélanger comme l’eau et le sirop.

La métaphore t’arrache un ricanement au son cristallin. Tu ne cherches pas à te moquer, tu fais simplement un constat qui t’amuse. Derrière tu ne peux pas t’empêcher de partager ton expérience :

─ De mon côté les fêtes de fin d’années se passent toujours en famille. Maman, Papa, les grands-parents, les oncles, les tantes, les cousins. C’est les moments de l’année ou non seulement on fait l’effort de se voir, mais d’être agréable envers les uns et les autres. Tu pouffes de rire puis reprends la foulée : cela dit, je ne peux pas me plaindre, j’ai la chance d’avoir une famille unie, qu’on qualifierait de normale s’il existe vraiment un baromètre de la normalité.

Subjectif sans doute, objectif tu y crois déjà moins. Le constat est sans appel, deux univers et deux vies différents. Deux opposés qui doivent s’attirer pour créer quelque chose. Tu ne vois pas ça comme un obstacle, mais un challenge. Que tu es prête à relever.

─ C’est une bonne chose. Que Dieu donne du talent à des personnes aux origines et horizons différents. C’est à nous de le cultiver derrière, à nous de prouver qu’il ne nous l’a pas donné pour rien. Je me vois mal dénaturer ton univers et mettre de côté le mien.

Alors il ne reste qu’une solution :

─ Laissons-les entrer en collision. Que les deux usent de l’un comme l’autre pour s’enrichir même s’ils se confrontent.

Tu te rapproches un peu de lui, le sourire aux lèvres, puis une moue inquisitrice :

─ Pour ça il va falloir partager un peu nos expériences… tu penses que tu peux le faire ?

Tu comprendrais qu’il refuse, tu ne lui offres que la promesse d’une réussite après tout… aucune garantie.