― Tu aimes ? Je pourrais essayer d’en imiter certains pour les fêtes, si tu veux.
Les études finies et l’héritage me donnent simultanément le temps et les finances pour cuisiner des plats plus audacieux que mes réalisations du quotidien, alors il faut en profiter. Et préparer quelque chose pour mon frère donnait toujours un intérêt supplémentaire au fait de mitonner un bon petit plat.
Puis, ma tirade finie, j’hausse les épaules face à sa réponse : j’ai cessé de plaindre ou d’envier les autres depuis bien longtemps. Seule ma vie compte, et tu es pour une fois d’accord avec moi.
― Ne compte pas sur moi pour aller leur conseiller d’arrêter, ils sont ma meilleure source de revenus.Tu avais des réflexions sociétales plus pointues en tête, mais ce n’est pas toi qui dirige ce soir, et mon goût pour ce registre se limite au constat moqueur. Mieux vaut retourner à la fascination distante que j’éprouve devant une tenue, belle ou affreuse, plutôt qu’au désespoir en l’humanité que cela semble systématiquement générer chez toi.
Un costume un peu plus extravagant et réussi que la masse uniforme qui s’étale autour de moi m'alpague la pupille, brusquement, mais Ejike rattrape mon attention au vol et me glisse deux phrases qui accrochent bonheur sur mes traits et soulagement dans mon cœur.
Rassurants, ces mots, et ce sourire qu’il arbore. Même si je me concentre avant tout sur profiter du gala, il reste encore en fond l’inquiétude qu’il se soit forcé à m’inviter ce soir uniquement pour me faire plaisir, et qu’en réalité il ne profite absolument pas de la soirée. Parce qu’il en serait parfaitement capable, ce gros idiot.
― Moi aussi, et je suis encore plus heureuse de savoir que ça te plaît aussi, je lui retourne avec un ton plus apaisé que d’ordinaire.
Pense bien à remercier Shani de ma part de nous avoir trouvé ces invitations, et tu sais déjà à quel point je te bénie de m’avoir invitée… Je n’aurais pas vraiment apprécié devoir user de ma botte secrète pour m’infiltrer ici.Le sujet est glissé sur le ton de la plaisanterie mais une gorgée de champagne n’est pas de trop pour le faire passer plus facilement. Gorgée avec laquelle je manque au final de m’étouffer lorsqu’il change de sujet.
― Oula, tu me surestimes un peu… Les richoux et les célébrités, ils ne viennent pas voir une modeste créatrice toujours un peu débutante pour leurs tenues de gala.Et en disant cela, je passe outre le fait que nous sommes nous-mêmes plutôt des richoux depuis août dernier et que je suis la cheffe d’une famille, certes sur le déclin, mais demeurant un semblant importante. J’aurais d'ailleurs sans doute plus de soutien et de demandes si je me présentais en tant que Cadence Derehan et non en tant qu’Autumn, mais Ejike paraît toujours oublier notre nom ‒ ou tout du moins, ne pas désirer y être associé ‒ et je ne peux pas lui en vouloir, alors je joue le jeu et garde le silence sur ce fait.
― Mais j’en ai quand même réalisé un, je complète, sans trop savoir si je dois être heureuse ou amère de cette fierté ridicule (ça, c’est sans doute toi qui m’y incite silencieusement).
Uniquement parce qu’il s’agit d’une habituée qui a eu la "chance" d’obtenir une de ces miettes accordées par le Ministère, mais c’est déjà ça. Je ne l’ai pas encore aperçue ; compte sur moi pour crier et aller la voir quand ce sera le cas. Si tu croises le fantôme d’Odette, du Lac des Cygnes, c’est elle !Toujours un plaisir de caser une référence moldue au milieu de cette bande de momies récalcitrantes.
― Outrée que tu ne m’ais pas demandé de faire le tien, d’ailleurs. Tu t’es bien débrouillé, et j’adoucis là mes termes par égard pour mon frère, j'aurais été plus salée à l'égard d'un inconnu,
mais ça aurait pû être tellement plus...Car il en faut
toujours plus.