doucereux sont les sourires partagés avec aponi, quand elle se tue à rendre son travail le plus parfait pour simplement toucher du bout de ses doigts frêles, l’opportunité macabre de rejoindre la chambre froide… pour rencontrer l’art. mais pas aujourd’hui.

c’est pour cela que l’invité le plus exceptionnel de ces lieux avait tous les droits, lorsqu’il s’agissait de traverser les pièces de son cimetière le plus parfait. logé dans son bureau où il organise ses séances, voilà enfin que se montre l’artiste talentueux. ses affaires rejoignent les siennes, et les yeux d’alexander rejoignent ceux du maître. il n’y a plus aucune douceur dans les ridules de son visage car à cet instant, c’est toute la gourmandise d’un homme qui vient marquer ses pommettes d’un pervers rictus.

« beau, enfin. »

comme si l’attente avait été dure… mais il ment. occupé toujours occupé jamais l’ennui ne s’osait à ternir son temps. toutefois il avait véritablement attendue sa venue. elle est si spéciale. son corps se lève et il quitte son bureau, rejoint la main tendue de beau pour se saluer le temps d’une valse concise, presque romantique. il termine leur danse en le tirant dans ses bras, lui offrant une accolade tenace. « je vais terriblement bien, penses tu. j’ai la sensation que de grandes choses vont arriver. des choses si exceptionnelles que l’avenir se retrouvera chamboulé. ça me motive encore plus. d’ailleurs, je crains que je ne fasse quelques bêtises … » ils se séparent, et alexander s'assoit sur le bois vieilli de son bureau. « je suis heureux et mon sourire est affamé. mais, comme tu le sais, mes chasses sont bonnes, de nuit… quand bien même ce soir je pense laisser tomber ce passe temps idiot pour quelque chose de plus intense, de plus excitant… une traque. » car dans ses désirs infondés se répandent toujours plus de malice, plus de terreurs… et à ses yeux brillants l'on peut comprendre sans se duper : les chats ne l’intéressent plus, son appétit veut un Homme.

ascètes deviennent les sourires partagés avec beau, quand il le surprend, soudainement, à avoir peur des armes invisibles qui, il est vrai, planent au-dessus de nos têtes. mais alexander reste poli, courtois. il adoucit les bords abrupts de ses rictus gourmands, se retient du moindre des mals sur l’âme qui dépeint toujours si bien ses travers et ses beautés. non jamais ô grand jamais ses griffes ne pourraient planter sa peau… jamais son sang ne viendra couler dans sa gorge, jamais son foie ne finira dans son assiette. il y a des têtes quelques fois qui ne méritent pas d’être servies sur un plateau, et celle de monsieur cavendish était à sa place sur ses épaules.

« alors tu as peur ? »

il le toise, admire son corps qu’il n’éventrera jamais. c’est bien vrai, malgré lui ; il y a du divin dans ce qui est vivant… heureusement il existe une rencontre qui lui laisse errer dans la lumière… et si les ténèbres s’impatientent autant de le dévorer, alexander prend tout de même le temps d’apprécier le soleil.

lorsqu’il sort de quoi faire son art alors lui reprend le chemin de son siège, reprenant le travail administratif.

« jamais rien, beau. » concentré sur le papier qu’il annote, sans porter plus d’attention à celui qui sublime ses feuilles. « je ne suis pas si violent, tu sais ? enfin. » un regard au ciel durant sa réflexion, et le temps d’une interminable minute, le silence le gouverne. il reprend son écriture, et d’une voix calme, il ajoute ; « non, pas violent. précis, passionné, exigeant. de toute façon, j’ai toujours dit qu’il y avait de la beauté dans ma violence. » jusqu’à ce qu’il ne la maîtrise plus et qu’elle le gouverne. mais il croit avoir le temps ; il croit avoir la force de se dominer. si seulement.

il l’observe finalement, cessant de porter son attention sur lui-même. « j’espère que tu as du temps aujourd’hui. j’ai prévu que tu me dessines à l'œuvre. j’ai le sentiment qu’il me faut mettre en image, par tes doigts magiques, mes instants du quotidien… comme si un jour je les oublierai pour de bon. ridicule, n’est-ce pas?  »

qui craindre, réellement, beau ? si ce n’est la mort. et alexander a juré de la sublimer, de l’aduler. jusqu’au jour où il finira par la rejoindre, pour commencer comme un allié, et pour finir, comme une conséquence.

alors faut-il le craindre aujourd’hui ? le bonheur qui égaye son visage alors qu’il entend toutes les peurs qui s’incarnent en beau — ça doit vouloir dire oui.

« le monde ne te fera jamais rien… » soupire-t-il comme à lui-même, amusé de voir un homme si charismatique avoir peur de la moindre fatalité. ignore t-il qu'il s'octroie le droit ultime d'être le seul tyran de cette société ? il dépose son stylo, appose ses coudes contre le bureau. son regard balaye la pièce avant de se poser sur l’artiste qui vient le rendre immortel.

« tristement immobiles, pourtant divines. tes toiles sont comme les morts, comment pourrais-je en être déçu ? » et alors le ciel de ses désirs soudainement se retrouve couvert d’un nuage de songes ; on y voit plus d’étoiles à admirer mais seulement quelques gouttes de pluie à travers ses yeux verts. il formule alors ce que la mélancolie lui inspire, espérant par cela chasser le mauvais temps qui le rend si fade. « dis moi. pourrais tu, si je te la décris du mieux que mes souvenirs me le permettent… faire le portrait de ma mère ? » quand le regard de beau se heurte au sien de surprise, il déglutit, mais continue sa requête la plus abstraite. « deux portraits, à vrai dire. le premier la représenterait comme elle était. une simple bonne femme. des couleurs tristes, de l’ordre du froid. rien de chaud. le second, serait… la dernière fois que nous nous sommes vus. c’est une scène morbide, son corps au sol, ses intestins tapissant le sol de notre salon… je veux que ce crime vive avec moi jusqu’à ma mort. »

que son crime reste omniprésent dans la pièce, qu’il puisse à ce jour admirer son premier plus gros travail, et, plus tard, admirer le premier souvenir dont il se sera séparé.

« une étrange requête je te l’accorde, mais tu l’as affirmé toi aussi. il y a de la beauté dans ma violence. »

demi aveu silencieux, son visage alors se ferme tandis qu’il se lève, glissant son pas lourd à travers la pièce pour rejoindre l’entrée.

« mais pour aujourd’hui contentons nous de rendre immortel ceux qui nous ont quitté de vieillesse, veux tu ? »

parfait. mais c’est faux. dans son coeur quelque part ne bat pas la vie mais la crainte, le remords. comme si ses oreilles avaient entendu son aveu, même à demi — et il se déteste, étrangement, que sa parole ait surpassé son silence. il déglutit, son ami si proche, se force à faire crever ces images dans sa tête qui s’amusent à mettre en scène le corps inerte de beau. alors il dit

détourner le regard

et tout son corps se décontracte, débarrassé d’une pression qu’il s’était infligée comme punition. mais le retour de bâton ne se fait pas attendre, et dans le regard de son ami il y voit son reflet, hideux par la folie, merveilleux par l’acting. un homme détraqué au sourire figé, perpétuelle relique de ce masque qui jamais ne doit se briser. mais beau la vu. la fissure, qui se confond en ridule. ce détail qui se niche, cachotier, discret ; cette fêlure qui ricane quand on la remarque mais qui s’est si définitivement installée qu’on ne peut que rester silencieux, de peur qu’elle s’étende pour mieux se moquer.

« tu as raison. »

il laisse apparaître le bout de sa langue avant de mordre sa lèvre inférieure, se retenant pour mieux choisir ses mots. lorsque leurs pas s’initient à la recherche de sa salle de miracle, il reste, pour la première fois depuis toujours : un homme silencieux.

ses mains accueillent paradoxalement le désinfectant qui le protège autant qu’il ne lui détruit la peau, quand la voix de beau retentit à nouveau avec le pouvoir divin, pourtant surprenant, de briser ce mutisme qui avait fuit son enfance pour l’envelopper aujourd’hui, fier adulte.

pour répondre à son ordre il lui fallait l’audace et la contradiction, mais le voilà capable d’un seul. « alexander. il n’y a qu’alexander. je n’ai plus les prénoms, de toute façon. j’ai oublié. » un sourire amical, entre la plaisanterie et l’honnêteté trop crue. comment s’appelait-elle ? il ne se surprend même pas à y penser. elle n’avait plus de nom. une fonction désuète, un corps abîmé. mais de nom il y a bien des années qu’il l’avait oublié.

il inspire, enfui dans un calme olympien cette étrange panique qui s’était frayée un chemin entre lui et cavendish. leurs rencontres toujours trop intenses pouvaient bien être taiseuses qu’elles sauraient se frayer un chemin dans les traumatismes les plus étouffés d’alexander.  mais s’il se tentait du mieux qu’il pouvait à se préserver des vices non désirés de beau, il ne pouvait ignorer leur amitié déjà bien douillettement installée dans leurs entrailles. si bien qu’en un regard il savait :

beau savait lui aussi.

« tu n’interroges jamais, beau. outre les commodités. tu t’inquiètes pour ton sort, ce qui est normal. mais tu n’interroges : jamais. »

il enfile sa blouse, se désinfecte une fois de plus les mains avant d’enfiler ses gants.

« et tu ne délivres pas grand chose non plus. mais tes peintures… tes peintures sont si honnêtes. »

il tire d’un frigo un corps recouvert d’un drapé.

« et je sais que tu pourrais peindre l’entièreté de mon passé simplement en regardant dans le noir profond de mes pupilles. »

sans retirer le tissu, il se tourne alors vers son ami. « alors je me demande si tu devrais peindre la composition de mes souvenirs… peut-être devrions nous nous contenter d’un portrait aujourd’hui. » sans once de bonheur ses mots ternes semblent menacer autant qu’ils ne conseillent, alors il se tente à un peu de chaleur par le biais d’un sourire, quand bien même l’atmosphère était glaciale.

« c’est si facile de parler avec toi, petit monstre. tu finiras tué pour ça, tu sais ? le monde est si dangereux. et tu n’as pas l’air d’en avoir conscience… » dans ce tête à tête où jauchent des cadavres en guise de chandelier pour décorer leur rendez-vous… il retire enfin le draps pour lui faire découvrir le corps d’un jeune homme que l’on pourrait, oh aisément de loin, confondre pour beau.

« et si je prépare toujours tout de mon mieux, en m’attardant sur chaque détail… tu es toujours capable de semer le chaos. tant de pouvoir, cavendish. tu devrais devenir vilain. tu n’as pas l’aigre dégaine des héros. »

mais le charisme des ténèbres les plus séduisants.

« voici monsieur miller. »

haussement d’épaules soudain, disloqué de sa volonté toujours parfaite à maintenir les émotions exagérées. pourtant son corps avouait pour lui : il ignorait. est-ce vraiment l’instantané, le cruel ?

quand s’élève le désir pervers d’être un homme grand, mais que le passé ronge plus que les choix du présent. pour alexander seuls les images d’antan venaient troubler son coeur. les doutes qu’il avait, aujourd’hui, finiraient balayés par une pulsion nouvelle ; plus fugace que la peur…

alors quand tout ce qui l’ébranle mais qui le fascine, à ce jour, deviendra fleur fanée d’une terre oubliée — là. à cet instant. alexander prendra peur.

de son amour pour sa fiancée. de son obsession pour son médecin, de sa faim grandissante pour les morts.

un sourire pour répondre aux compliments qui l’érigent comme un art parfait; il ne pourrait jamais nier comme chacune de ses caresses sur le cadavre rendait son aura encore plus sacrée. entouré de vivants alexander serait hideux, sans saveur. dans son élément il est heureux — et quel homme pourrait être laid quand le bonheur lui sied si bien ?

« quelle drôle de curiosité tout à coup. mais, non, je ne viendrai pas toquer à ta porte pour mes peines… »

il s’est réservé à un autre pour cela. ses yeux ne quittent pas le dénommé miller, tandis que leurs paroles flottent dans la pièce. ses mains, graciles, manient dans une danse macabre outils et peau, et son dos se courbe pour mieux observer les tréfonds d’un homme qui n’est plus rien. ce que la chair recouvre : il en tombe amoureux, à chaque fois.

« bien. figure toi que je me heurte à un problème qui, je pensais, ne surviendrait que bien plus tard… ariana semble vouloir consommer son mariage avant même la cérémonie ! » son visage se relève pour lui montrer sa propre surprise ; c’est un détail qu’il ignore et dont il se sent presque trahi. il retourne à sa boucherie propre, creusant par ses mains gantées entre les entrailles du patient. « j’ai beau dire non, elle est insistante. mais comment lui dire que j’ai peur de lui briser les os, sans passer pour un monstre ? » visiblement perturbé par la pensée qui le traverse, il s'était déjà redressé pendant son dialogue, agitant doucement ses mains ensanglantées. il appuie alors sur l’une des côtes du mort pour détailler ses propos ; les muscles de son épaule semblent féroces sous la chemise, pourtant son emprise est délicate. retentit soudainement dans les lieux le bruit d’un craquement désagréable. « là ! tu vois ! aussi fragile que du verre. non. je ne suis pas prêt. » il grimace, dépose sur la table ce qu’il a cassé, avant d’en briser bien plus encore. « mais je me suis tellement retenu, tu sais, beau. je crois que je pourrais vivre sans la toucher. sa présence me suffit, nos conversations aussi. bien sûr j’aime la tenir contre moi, j’apprécie ses baisers. mais à chaque fois que ma bouche s'approche de sa peau, j’ai envie de mordre, si fort, je doute qu’elle apprécierait. »

quelques uns de ses mots accentués par les pressions qui fracturent la dépouille, voilà qu’il a terminé le plus dur de son art pour voler au mort, ce qu’il désirait tant : son cœur.

il le montre alors, tel un enfant fier, ses deux bras tendus vers l’invité d’honneur, comme pour lui offrir l’hideux organe.

« vois comme c’est magnifique, beau. faire l’amour ne me rendrait pas aussi heureux que cet instant là, tu sais. »