les visages qui ne sont que des brouillons
les brouillons qui font peur
la peur au coeur
le coeur battant

tu connais l’illustre nom qui porte la couronne, elle porte ton odeur, ton parfum, elle est tâchée de sang et tu l’observes
tu l’observes d’un regard qui s’éteint, un regard qui se fait chaste quand il sourit, pas à toi, bien sûr, ce ne sera jamais toi. tes mains qui se crispent, tes doigts qui font des nœuds entre eux dans une danse mortuaire. sublime dans l’ombre qu’il dégage, cette ombre qui te rassure comme t'assomme de chagrin. il y fait chaud, on oublie ton nom, on oublie ta plume, sublime dans sa façon
à tout te voler

venu pour adresser la parole, tu le sais, tu n’y parviendras pas. et si par mégarde tu venais à lui serrer la main et qu’il venait
à te dérober un peu plus
il ne resterait rien de l’épave qu’est ton corps, vide de sens, vide de tout, vide de lui.

tu laisses le charme aux beaux, aux séduisants, tu t’enfonces dans les rayons, son nouveau livre sous le bras. vierge mais qu’importe, la marque du temps sera son unique salut.
tes doigts pour aider ta lecture, qui glissent sous les mots, sur le dos de l’ouvrage. une seconde de flottement. trop longue, sûrement, car tu ne remarques pas  qu’il est juste à côté quand sa voix te fait frémir, sursauter. tu voulais l’esquiver et plongé dans une lecture tu n’as même pas remarqué la statue de jade qui s’est approchée

un livre entre les mains tu plisses les yeux pour tenter de lire le titre de l’auteur. « torchon. »un mot répété alors que tu réalises l’odieuse vérité. il fallait que quelqu’un te le dise, personne n’a vraiment osé. venant de lui c’est une épée qui perfore ta poitrine
une flèche empoisonnée
un coup de  grâce demandé
depuis des années
et il a fallu que ce soit l’immense lion si fier
si talentueux
si
beau
qui te voles une dernière chose
ton souffle

« non je.. je connais déjà la fin. »tu mords ta lèvre en détournant le regard « de plus vous avez l’air de remarquablement bien .. l’apprécier. »tu ignores pourquoi ton cœur est si lourd et pourtant il bat si fort comme s’il venait pour la première fois d’éclore. A travers ses mots, ta parole se diffuse. mais n’est-ce pas peu vertueux ? n’est-ce pas plein de vices ? ta main tremble et tu n’oses soutenir son regard

Il y a de ces hommes qui ont le pouvoir dans les mots
la violence dans les idées
et la beauté aux lèvres
et toi tu es de ceux qui les observent, les rêves douloureux, pleins de leurs sourires.
Quand il cite les titres que ta plume porte tu ne peux contenir un semblant de chagrin. Jeté comme un déchet sur un tas d’auteurs aux espoirs vains. long soupire qui glisse le long de tes poumons

ombre qui se fait plus grande, main tendue, délicate et qui cache le sang sous les ongles. tu oses enfin déposer tes iris pleins de lierre sur l’écrivain, hésitant, passionnant, dévorant.  

« vous me connaissez déjà, Baron Stuart. » un léger sourire qui orne tes lèvres, un joli sourire qui ne porte que les plumes des amoureux.

il a lu les profondeurs de ton âme sans s’y noyer, il a sublimé les abysses, il en a fait un palais en son nom. il a foulé ton jardin abandonné, il y a arraché les rosiers, coupé les pommiers et maintenant il ne reste que l’odeur de son succès qui étouffe tout le reste.
t’as l’impression d’avaler du verre, ça reste en travers ta gorge pour mieux venir dépecer les cavités de ton estomac.

tu lèves ta main pour venir chasser les boucles brunes, suivant le précédent geste qu’il avait lui-même initié. délicate caresse pleine de regrets, tes doigts qui descendent, effleurent les cils par mégarde pour revenir tomber lentement

« le moment où vous signerez cet ouvrage je ne deviendrai qu’une page marquée par votre titre, possédé par votre grandeur. » un léger rire soufflé entre deux mots que tu ne pourras jamais prononcer, ravalés dans le fond de ton palpitant. ta poigne autour du livre se serre, comme si à tout moment il pourrait venir te le voler, déchirer les pages et faire brûler ta propre existence dans la passion de son existence.

Il est brûlant, cet homme, et tu le sais.

« Parlez- moi de cet aspirant pompeux, parlez-moi de la façon dont il a à vous stimuler, à faire s’élever vos idées et après vous pourrez poser votre sceau sur ma peau et à jamais me voir disparaître dans les pages de vos livres.  »

c’est que tu n’es pas doué pour t’exprimer
sur papier tout est plus simple
alors tu as tordu la réalité
étiré ses limites
pour en romancer ses complaintes, ainsi tu n’es qu’un mot, un coup de peinture, un rien qui se permet de jouer à l’héritier.

« N’est-ce pas le but même d’un poète ? révéler les secrets d’une intimité mensongère, prétendre être amoureux. »  comme glissé un peu trop vite, comme avoué trop facilement. Tu n’as pourtant jamais été doué pour faire semblant. Tu te devais de te crever le cœur pour faire couler le sang sur les papiers, pour vomir une peine sincère, un chagrin palpable. Trop proche du vrai, tu dérangeais, trop proche du dangereux, tu provoquais. tu provoquais les lâches qui détournaient un peu trop le regard sur le cimetière de leurs sentiments ou encore les timides qui en oubliaient leurs rêves.

une respiration volée alors qu’il t’arrache de tes pensées, une éloquence qui sera sûrement la cause de ta propre chute. il provoque un léger rire, un de ceux trop bas pour être réellement considéré comme tel mais qui ponctue la mélodie de ton palpitant. un rire pour cacher les douleurs qu’il fait remonter le long de ton dos, comme une main qui s’égare sur ta peau, glisse dans une étreinte pour venir comprimer tes poumons.

comme tu le craignais il s’approprie le livre, son visage est sûrement trop proche, le timbre de son murmure qui te fait plisser les yeux. Tu détestes la façon dont cette brume épaisse étouffe le rationnel.

Tu es loin de savoir, Beau, qu’entre ses doigts il tient un bout de ton titre, qu’il a le sang de cette famille en horreur ((en amour)) en fureur ((en passion)) en tuerie. tu ignores, tu te fais avoir, tu serres la poigne du diable, les yeux plein de tendresse.

ta main vient se poser sur son torse pour venir le repousser très légèrement, car tu le sais, tu ne veux pas qu’il remarque le printemps sur tes joues que d’un simple rapprochement il a fait fleurir.
fragile dans ta façon de vivre, maniable, temps variable, ciel dégagé, tu te laisses aimer, tu te lasses des aimés.

« Beau Cavendish. »

Tu as le nom d’un souvenir
Tu as le nom du regret
et les yeux d’un ange quand tu le couvres d’attention, de questionnement, d’une curiosité chaude et naissante.