Douce et savoureuse journée qui l'avait éveillé aux aurores, c'est avec un sourire et une chanson aux lèvres qu'Apo avait fait le tour de ses plantes pour entamer son activité, ouvrant les fenêtres, les portes, les volets, déverrouillant la terrasse pour laisser entrer l'air frais - et les clients éventuels qui finiraient par se pointer. Vêtu d'un boxer seulement, c'est toujours ainsi qu'il aimait commencer sa journée - librement.
Celle-ci avait continué paisiblement, sans incidents. Les plantes arrosées, nourries et retaillées, il ne lui restait plus qu'à se poser, attendre - et c'est en tissant un macramé qu'il accueille l'un de ses réguliers si particuliers.
Au moins, au cours de l'après-midi, il avait fini par enfiler quelque chose de plus couvrant.

Bonsoir.

Sa demande ne fait guère surprise face aux précédentes - mais Apolinary ne peut s'enlever cette sensation glaciale dans le dos, que tout de même, ce n'était plus la première fois, loin de là. Et alors qu'il se relève de son fauteuil à bascules abandonnant son tissage et allant tresser les fleurs, il se demande à quel point l'homme doit être torturé par le deuil.

Oeillets blancs ?

C'est avec douceur qu'il dépose la passiflore dans un carré de jute - repliant le tissus sur les pétales délicates. Mais la curiosité de son regard vend la mèche, et il sait qu'il ne peut se dissimuler davantage - alors il finit par céder.

Vous aviez... Une famille nombreuse ?

Le client semble mal à l'aise - cela fait que les mains d'Apolinary tremblent un peu plus qu'à l'accoutumée.
Oeillade dans le silence lorsqu'il finit par lui répondre, et il hoche la tête, soupirant doucement. Les familles nombreuses c'était toujours compliqué - pour milles et unes raisons. Il avait vu passer tant de gens qui semblaient malheureux de leurs liens et tant d'autres qui les chérissaient qu'il aurait pu penser que les choses étaient équilibrées.
Mais rares étaient ceux qui achetaient des cadeaux sans arrières pensées - surtout lorsqu'il s'agissait de fleurs.
De sous ses doigts la passiflore coule déjà dans les mains de son client, et sa phrase lui glace le sang.

... s'amuser, oui, bien sûr...

Il se râcle la gorge, détourne ses yeux trop curieux, s'empare de la toile dans laquelle il commence à composer le bouquet.

Mes plus sincères condoléances en tout cas.

Est-il entrain de pleurer ? Apolinary n’ose plus lever les yeux sur lui - le voyant seulement secoué. Avait-il manqué de tact à ce point là ? Il n’aurait jamais dû parler. Se contenter de vendre comme il le faisait. Mais non, sa curiosité avait mis son gros sabot dans un amas de débris, et il s’étonnait qu’un bout de verre en avait transpercé la semelle.
Vraiment, il était le roi des idiots.
Et lorsque l’homme en face de lui s’exclame, Apolinary tend les mains comme pour s’excuser, profondément navré - avant de reculer, surpris de son éclat, se demandant un instant si ça y est, il lui avait fait perdre l’esprit.
Le deuil parfois pouvait causer d’horribles dégâts dans la psyché des survivants, ce ne pouvait être nié - mais même sur ses derniers jours à Azkaban, ceux dont il se souvenait, il n’avait vu personne rire de pleurer la mémoire de leurs aimés.
C’est les muscles tendus qu’il finit de préparer le bouquet et le glisser vers l’homme en face de lui.
Jusqu’à ce qu’il s’exprime à nouveau. Et qu’Apolinary comprenne.

.... Vous…

Lentement, il se met à rire lui aussi - la tension retombant, l’anxiété reculant, le ridicule de la situation l’enveloppant. Un malentendu pareil, ça ne pouvait arriver qu’à lui - et il se passe une main sur la nuque, soulevant sa crinière de feu, pour essayer de reprendre ses esprits.

Je vous croyais simplement dévasté !

Un rire sincère alors qu’il secoue la tête et s’appuie derrière lui.

Bon sang, je suis désolé.

Un sourire sur ses lèvres malgré la sensation brûlante de s'être ridiculisé, il passe une main sur son front, soupire.

Il vaut mieux rire qu'être en deuil, oui...

L'amusement pointe doucement chez Apolinary à la remarque de son client, et il se permet un gloussement, le dévisage attentivement, penche la tête comme s'il l'analysait, comme s'il cherchait la réponse dans ses traits.

Peut-être sourire un peu plus résoudrait le soucis ?

C'est dit sur un ton taquin, amusé, et il finit de nouer le bouquet que l'homme semble prêt à saisir - et qu'il remet entre ses doigts.

Les goûts et les couleurs ne se discutent pas - mais j'admets que je me suis emballé et j'en suis navré. Je n'aurais pas dû conclure de pareilles choses aussi rapidement.

Il hausse les épaules, sort son livre de comptes et note la dépense.

Y a-t-il des choses que vous avez du mal à trouver ? Je peux peut-être vous aider à les dénicher, j'ai quelques contacts assez bien placés.

La remarque est bien placée, et Apolinary sourit, amusé, hochant lentement la tête, n'ayant rien à y redire. Il lui offre le bouquet avec un sourire, pensivement observant les traits si distingués de son client - c'était certain qu'un rictus sur ces lèvres là était une denrée bien précieuse. Combien avait-il volé de coeur et combien avait-il causé de tourments à ceux qui en avaient été les victimes ? Sûrement bien plus que l'herboriste ne saurait compter.
Mais il ne s'attend aucunement à ce que lui demande le client - et c'est en levant les yeux sur lui de son livre de comptes qu'il cherche à voir si celui-ci est bien sérieux.
Décision prise, ses doigts se lèvent vers la porte d'entrée dont le pan se ferme doucement.

Des ossements humains ? Prélevés du vivant, du mort, des tombes... Soyez plus précis.

Dans ses pensées, le visage de Tleyotl se dessine - un choix évident qui s'impose quand il s'agit de commerce louche.

Les usages importent aussi, mais n'étant pas le revendeur direct, je ne me permettrai pas de vous les demander.

Apolinary avait déjà entendu bien plus étrange comme requête au sein de sa petite boutique où l'odeur des fleurs se mêlait en une fragrance entêtante.

Je n'oserai vous donner de contact qui ne sauront pas faire preuve de précautions.

Un sourire sincère, une pensée en biais qui semble traverser le regard de l'homme alors qu'il passe devant le bureau pour ne plus instaurer de dynamique vendeur à client avec l'homme qui cherchait des services aussi spécifiques que cela.

Je ne suis que curiosité - mais je n'oserai jamais vous demander de m'en parler à moins que l'envie vous en vienne.

Un léger rire, un regard appuyé, avant qu'il ne détourne les yeux de nouveau, pensif.

Des ossements sorciers, donc, en grande quantité, propres et nettoyés, suffisamment inimportants pour ne pas susciter d'intérêt. Je pense que mon contact saura très bien vous trouver de quoi alimenter ce besoin. Moi-même j'en aurais des idées - mais je ne suis pas expert de ce genre de vivant là, ou plutôt devrais-je dire, de ce mort là.

Un amusement léger se dessine sur ses traits - Tleyotl serait ravi.