Il n’y a rien de plus sinistres que les corps las qui s’écorchent ; le sien se lamente et s’effondre parfois. Il a fallu pourtant se faire à l’idée que rien jamais ne changerait - le temps glissait le long du derme fragile et la douleur s’efforce dans l’esprit. Il était tonitruant de l’oublier car elle rongeait ; et quand il croisant toujours son regard c’était détonnant - milles perles de craintes intérieures (elle savait pourtant ce qu’elle créait) auquel il répond adroitement.
De crainte idéalement. Tout ce qui crépite autour d’eux est taraudant - Ashe le corps lourd et l’esprit morcelé. Qu’il reste assis maladroitement, comme une silhouette trop lourde pour être soutenue ; il y a longtemps qu’il ne trouve plus d’épaule sur laquelle pleurer ni même de silhouette sur laquelle s’appuyer.
Elles s’étaient toutes effacées ; peut-être qu’il était responsable, au final.
Alors tous les couverts ainsi superposés sur la table lui semblent trop flou, le monde à son tour lui semble bien lointain. Il est là sans être là, tout aussi lointain que ses idées noires sont proches.
Et elle aussi, reste toute proche. Peut-être ne l’a-t’elle jamais vraiment quitté, depuis longtemps qu’il se retourne au moindre pas qu’il perçoit derrière lui ; elle a créé une méfiance permanente mais jamais il ne s’est assez battu pour pleinement la confronter.
Pourtant, en y repensant Olenka avait peut-être raison ; il était le seul à avoir manifesté ses horreurs, le seul à pouvoir les effacer. Peut-être partiellement. Peut-être à jamais. Son regard en a été marqué la première fois, mais il le savait maintenant - avec la crainte qui grondait déjà en lui, rien ne pouvait vraiment être pire.
Mais cette nouvelle plume a suscité une plus grande crainte encore - jusqu’où pourra-t’il avancer de la sorte ? Quelle sera bien la leçon finale, si ce n’est une réussite ou bien une défaite littérale qui lui couperait les ailes ?

Peut-être valait-il mieux en réalité, ne pas trop se poser de questions car le temps y répondrait mieux que quiconque. Peut-être qu’il fallait garder l’esprit insensible aux conséquences et simplement agir ; peut-être qu’ils auraient besoin d’un peu plus se salir les mains - et les siennes étaient si tâchées déjà.
Puis il repense à Olenka ; les mots résonnant ternissent son visage.

— Kumiho ? Qu’il laisse résonner. Il ne l’a pas prononcé depuis longtemps, c’est elle qui appelle. Elle qui s’ordonne, elle qui s’exprime. Prononcer son simple nom était terrifiant ; parce qu’il rappelait tout ce sang versé et ses poings qui frappent - c’est ce qu’elle lui dit de faire. Ce que Oswin lui a répété, pourtant jour après jour il se détache. Jour après jour et nuit après nuit le soleil qui se couche semble ne plus se lever. L’Enfer aux flammes véhémentes paraissait bien sombre.
Qu’est-ce qui t'empêche réellement de te sauver de cette situation ? Est-ce vraiment les autres ? Ou était-il trop ridicule pour s’en sortir lui-même. Ou bien était-il trop effrayé pour daigner lutter une seconde fois. Tout ça n’avait pas de sens, il ne pouvait plus plier - plus ainsi tout du moins.

— Est-ce que tu penses.. Qu’il nous est toujours nécessaire de faire ça, avec Hua ? Elle a l’air d’aller mieux, en ce moment. En un souffle court, mais à la fois si long - il cognait le coeur contre ses tempes comme la formulation d’une monstruosité. Pourtant son ton se fait doux, c’était une possibilité. Il n’était pas certain qu’elle allait mieux, en réalité. Mais il savait qu’une nouvelle chose s’était formée dans son esprit, trop floue pour qu’il puisse la distinguer. Peut-être que Hua s’était éveillée, alors que lui encore avait l’esprit suspendu dans le vide.

Sursaut qui le fait blêmir comme son interrogation ; à quoi il pensait - à ce qu’il venait d’énoncer et rien d’autre. Il pensait à Olenka, il pensait à ses paroles, il pensait à ses poings qui cognaient toujours trop fort au point qu’il sentait son propre sang éclater à la surface. Il pensait aussi au Corbeau, à cette nouvelle plume, aux nouveaux risques qu’ils allaient tous prendre. Il pensait à Hua et son regard, quand ils s’étaient quittés la dernière fois et qu’elle semblait mieux aller. Enfin, il pensait aussi à Parsifal, parce qu’il y pensait toujours ; parce qu’il le voyait toujours si loin même lorsqu’il était si terriblement proche.
Frisson contre son échine lorsque ses doigts viennent frôler sa paupière fendue il y a un moment maintenant ; et ses paroles ne le font pas plus répondre - pire encore quand elle se saisit du couteau pour raviver de vieux souvenirs. Elle en serait capable, si elle le voulait ; elle lui aurait pris le suivant comme elle avait fait avec le premier. Et Ashe se taisait, Ashe se tassait il ne sortait jamais la baguette il n’utilisait jamais sa magie comme si elle devenait impure entre ses doigts. Comme s’il était plus impur que n’importe qui par sa seule existence.
Mais s’il veut se sortir de là il doit agir, il doit prendre des risques - s’il veut créer une nouvelle route, une nouvelle alternative alors il n’a pas d’autres choix. Il regrettera peut-être, mais il en est assez de lutter seul dans l’obscurité. Les ténèbres qui l’enveloppent sont froides et il y étouffe.

— Je ne te trahirai pas, je te l’assure.. Ce n’est pas ce que je voulais dire.. Souffle court que les mots sont plus réfléchis, qu’il s’essaie sur une route qu’il n’a jamais emprunté. Mais il sait très bien qu’elle ne se débarrassera pas de lui maintenant, il le sait et c’est bien plus terrifiant - car qui sait ce qu’elle était capable de faire, pour combler cette pulsion ?
Et la pointe du couteau comme si elle pouvait, à tout moment lui crever le second - alors il s’évertue de choisir les bons mots, de réfléchir et de ne pas briser les oeufs sur lesquels il s’avance.

— Simplement, est-ce que tu as déjà envisagé d’un après ? Quand Hua irait mieux, tu sais.. Simple questionnement soulevé mais qui cache une demande toute particulière, une suggestion qui traine. Il est évident qu’elle ne l’acceptera probablement pas, mais ça ne coûtait presque rien de s’y essayer, tant qu’il lui faisait comprendre qu’il resterait de son côté. Tant qu’il ne se brûlait pas, alors il devrait probablement lui rester fidèle jusqu’à pouvoir pleinement agir. Mais quand ?

— Que ça soit le cas ou non, je ferais ce que tu me demandes mais.. Je me posais la question, puisqu’elle va un peu mieux. Sourire maladroit aux lèvres, tant qu’il semble déchiré par l’éventualité que ça ne soit pas une bonne nouvelle pour elle - comment cela pourrait, après tout ce qu’il percevait dans son esprit ? Était-ce devenu la normalité, raison pour laquelle il en était presque habitué ? Raison pour laquelle il avait répété ces actions et que le rendu avait été le même pour lui ?
Et il n’ose suggérer rien d’autre, pour le moment. Parce que ça serait ingrat, pour quelqu’un tel que lui.