C'est quoi ce plan foireux au juste ? Pourquoi est-ce qu'en un claquement de doigts tu as quitté les rues bondées de Londres pour te retrouver au beau milieu d'un domaine viticole ? C'est un cauchemar. T'es persuadé maintenant d'être actuellement puni par une entité supérieure pour avoir été un vilain garçon. D'abord la série avec Basile et Reyn en collègue, maintenant une séance de dégustation au milieu du potager. C'est quoi la prochaine pénitence organisée par Blair ? Un porno gay ? Putain.

Tu traverses les vignes, le nez froncé par les odeurs oppressantes de terre et de raisins. Le vin a intérêt à être bon, que tu puisses au moins te mettre une race et récupérer quelques caisses au passage. T'aperçois enfin une belle baraque au milieu des champs. Il semble déjà avoir des photographes et quelques invités. Quand tu arrives derrière eux, au bord de la terasse, t'es dégoulinant de sueur à cause du soleil et tes vêtements de luxe sont froissés. T'as envie de faire un meurtre, de choper l'appareil de l'un d'eux pour leur éclater sur leur crâne.

— « Zadig ! ZADIG MONTGOMERY ! Vous êtes là ! Regardez par ici ! Zadig ! »

Ils gueulent tous la même chose, en espérant que tu prennes la pose pour illustrer leur torchon débile que personne ne liera. Tu forces un sourire excédé et les écartes avec tes bras pour passer, grimper les marches et rejoindre Blair qui t'attend déjà. Tu lui siffles, mauvais.

— « Je te hais. C'est quoi cette trahison ? »

Il t'explique que c'est un viticole tenu par une famille sorcière de génération en génération. Leur marketing est très bon et a commencé à percer sur le magicnet. Si t'es là, c'est pour donner de la visibilité contre un beau cachet.

— « Génial, manquait plus que ça. N'empêche que ouai... t'as raison en fait. Je vais pouvoir me bourrer la gueule en toute légitimité... Et tu ne pourras rien me dire ! Merveilleux non ? »

Tu lui offres un sourire denté, avant de t'éloigner pour minauder auprès des autres invités. La soirée commence, et tu t'isoles rapidement. T'as besoin de prendre un truc plus fort pour te décoincer, tapotes tes poches à la recherche du petit sachet de poudre que tu étais sur d'avoir emmené. Devant les toilettes pour homme, tu étales la drogue sur l'évier, puis sors ta carte pour la segmenter en plusieurs lignes.

Quelqu'un rentre à ce moment là.

— « C'est occu... pé. »

C'est pas le responsable marketing qui a demandé un partenariat ? Qu'importe, il te dérange.

Beau gosse ? Il veut quoi celui là ? Tu le toises sans te gêner. T'es pas né avant la honte Zadig, et tu t'en fiches d'être jugé. C'est justement en agissant comme un coupable que tu le deviens. Si tu es chill à ce propos, ça passe crème. Tu le dévisages de la tête au pied, puis baisses la tête, un doigt sur une narine pour inspirer la poudre par le nez. Tu respires bruyamment, non sans une petite mimique à sentir la drogue coller ton palais.

— « Qu'est-ce que tu me chantes ? »

On toque violemment à la porte. Ok, tu commences peut-être à prendre la situation au sérieux. Dans un mouvement de panique, tu jettes la carte à la poubelle et souffles sur la poudre. La porte s'ouvre enfin sur le journaliste un peu irrité et tu pestes sans modération, les émotions aussi cuites que ton humeur instables.

— « PUTAIN ! »

Tu t'essuies le nez de la manche et lui emboites le pas. VIP signifie que tu seras seul, dégustation veut dire à volonté. Il te doit bien ça. Quand il n'y a personne pour vous entendre, tu fais deux grandes enjambés et poses ta main sur son épaule.

— « Tu me dois un bras pour cette came. Et c'était le dernier sachet qu'il me restait. »

T'aimes pas du tout son attitude de dandy décontracté. Il a l'air d'un clown triste. Tu sais pas vraiment si tu dois le noyer d'insultes pour rompre le malaise ou si au contraire vos personnalités pourraient matcher.

— « T'es le marketeux c'est ça ? Où tu m'emmènes pour ta dégustation ? On s'éloigne de la terrasse là. »

Il t'entraine dans les vignes. Tu mimes une mine dégoutée, agites ta main devant toi pour chasser les mouches et les guêpes, attirées par ton outfit coloré. Tu te demandes où est-ce que ce mec t'entraine... C'est louche au point de suspecter une tentative d'homicide. T'aimes pas du tout la manière avec laquelle il se croit tout permis avec toi, mais en même temps sa désinvolture te déstabilise. Il arrive à museler tes lèvres, trop crispées pour oser balancer une flopée d'insultes cinglantes. Sous le soleil, tu finis par pester, bien trop tardivement à ton goût pour ceux qui ont l'habitude.

— « Mais tu vas me tirer à l'autre bout du vignoble ou quoi ? »

T'abuses clairement. Vous apercevez encore la terrasse et la maison d'où vous êtes. Cependant, le contre-bas vous assure l'absence de vis-à-vis. Vous êtes seuls et tranquilles et tu n'as aucune idée de ce que ça signifie pour lui. Tes oreilles sifflent quand il mentionne un potentiel premier date. Tu te racles la gorge, nerveux et balances d'un ton volontairement piquant.

— « C'est quoi ce traquenard ? »

Méfiant, tu t'installes sur la chaise. Hors de question de lui partager ton malaise. Et tu ne dis pas non à un verre de vin hors de prix. Le problème Zadig, c'est que les alcools durs ont ruiné ton palais et t'es incapable d'apprécier. Tu ferais pas de différence entre un grand cru et de la piquette.

— « C'pas mal ton truc. »

Tu le toises un instant. Fais non de la main quand il propose du fromage. Par cette chaleur, ça te repousse un peu. Et tu surveilles ton haleine.

— « T'es pas un rendez-vous tout court. Te fais pas d'idées t'es pas mon genre. »

Pourtant t'es moins agressif qu'avec n'importe quel autre mec. Excepté peut-être Sol.

— « Du coup vas-y dis-moi c'est quoi le plan. Sorcière Hebdo t'a engagé pour me séduire et faire un article bouillant sur ma sexualité supposée ? »

Chéri. Tu hausses un sourcil, scandalisé. Pas encore prévu de t'épuiser. Est-ce un sous-entendu graveleux ? Tu fronces désormais les sourcils, visiblement confus. Avec n'importe qui d'autre, tu te serais déjà emporté dans une bagarre cinglante et sanglante. C'est que tu sais adroitement jouer des mots pour faire mal, autant que tu joues de tes poings pour la même raison. Tu pousses un soupire et portes une main à ton front, épuisé par avance de devoir faire la conversation à ce type.

— « Mais de quoi tu me causes l'ami ? »

Il semble persuadé de la chose. C'est ce qui te vexe le plus - que ta parole ne soit pas mesurée, quand bien même elle est piquante.

— « Je les préfère femme, avec des seins, un gros cul, des longs cheveux qui leur tombent dans le bas du dos. A ce que je sache, tu correspond pas aux critères. Alors range ta queue. »

Il balaie ta théorie. Apparemment, il ne serait pas l'instrument d'un complot visant à te discréditer. Tu portes le verre de nouveau à tes lèvres, puis le bois cul sec sans même l'apprécier.

— « J'ai compris que tu cherchais à m'insulter mais je te jure que si tu continues tu vas me trouver. »

Merde. Il te déstabilise. Il a pas les airs de grands méchants comme Reyn, ni l'allure de victime facile à soumettre comme Basile. Il ne transpire aucune malveillance dans ses propos et c'est sûrement la première fois qu'on arrive à te blesser aussi indirectement. Tu déglutis, tu refuses d'y croire. T'es dans le déni Zadig.

— « Cherche pas, c'est l'effet semi-vélane. Ça fait ça à chaque fois, à tout le monde. À tout ceux qui kiffent les hommes. »

Tu fronces les sourcils.

— « Sucer des queues m'apporterait bien plus de rôle que tu penses. Crois-le ou non mais ça plait aux meufs. Ça dégoute. »

Mais tu précises pas ce qui te dégoute : les gays ou les meufs qui bavent devant. Le deuxième assurément, mais tu laisses planer le doute.

— « Je suis pas celui que tu crois. »

Tu l'es. Tu l'es mais tu refuses de l'admettre

— « Je crois. »

Il confirme donc ce que tu pensais. Il te drague depuis tout à l'heure. Mais pourquoi ? Dans quel but ? Le fait que ça soit complètement gratuit et décomplexé te rend aussi confus que biaisé. Tu fais toujours la gueule. Et sous pression. Évidemment. Ne comprend-il pas à quel point c'est fatiguant d'être toi ? Tu fais claquer ta langue sur ton palais.

— « C'est usant d'être Zadig Montgomery. Usant de devoir être toujours ce qu'on attend de moi : l'homme parfait, viril, séduisant, charmeur, à disposition de tout le monde. Les gens me bavent dessus et attendent de moi que je satisfasse leurs fantasmes crades et leurs lubies égocentrées. »

T'as craché ça comme si c'était la dernière phrase que tu serais en droit de prononcer sur cette terre. Tu n'aimes pas trop te sentir vulnérable face aux autres - encore moins face à un inconnu. Alors pour dissiper un possible malaise, tu passes une main dans ta chevelure immaculée, preuve ostentatoire de ta beauté maléfique.

— « Évidemment qu'ils m'aiment tous. Évidemment que les séries dans lesquelles je joue explosent. Je suis le fantasme incarné. »

Mais ta confiance en toi n'est qu'un masque que cet abruti de viticulteur s'amuse à t'arracher. Tu rentres les épaules, décontenancé. Il ne fait même pas semblant d'être impressionné. Tu ris nerveusement.

— « Mais je ne veux rien être ! Tu le fais exprès ma parole, t'es bouché. Je n'ai pas le choix d'être.. »

Tu t'arrêtes brusquement. Tu cherches la fin de ta phrase. Est-ce que ça vaut le coup d'être en boucle ? Il n'en a rien à faire de toute façon. Personne n'en a jamais rien à faire de ce que tu veux vraiment, et de ce que tu es. Même ton manager n'a pas bien compris.

— « Je veux juste être un connard, je crois. »

Tu tournes la tête vers lui.

— « J'aime tourmenter les faibles et rire au nez des lâches. »
Tu clignes des yeux.

— « Tu me trouves toujours attirant comme ça ? Même en sachant que je suis la pire des merdes ? »

Sois un connard alors. Hein ? Tu t'y attendais pas à celle là. Tu manques de t'étouffer avec ton verre de vin. Tu le reposes et grimaces. Fais chier. D'habitude, ton petit numéro d'ouverture morale et psychologique les fait fuir. Mais ce mec ça a l'air de lui plaire - le pire c'était que t'étais sincère dans ses mots donc maintenant va falloir que tu les assumes. Tu le hais de t'avoir volé cette victoire. Tout comme t'es mal à l'aise qu'il puisse te voir vraiment comme ce que tu es.

— « Pitié, mais t'es un cas toi. »

Tu le toises avec mépris, mais ta bouche se tord dans un rictus amusé. On sait pas si t'es vraiment en colère ou dépassé.

— « Je suis prêt à tout pour gagner, et ça même si je dois me salir les mains. Tu penses que c'est un défaut, d'être compétitif à ce point ? »

T'as trouvé un nouveau jeu : le dégoûter. Tu veux voir jusqu'où peut aller sa sainte tolérance.
Mais quand il te confie sa propre décadence, tu peines à te retenir de pouffer de rire.

— « Comment ça, idiot ? Et vraiment, toi ? Un connard ? Là tu m'intéresses, je veux des anecdotes, je veux des exemples, je veux des PREUVES. »

Tu te lèves pour t'étirer un peu. Te penches pour récupérer un cube de fromage que tu glisses entres tes lèvres. Autour de vous, les vignes s'étendent à perte de vue.

— « Je me laisserai toujours pas tenter par ta queue mec, mais écoute t'es plutôt marrant. Tu juges pas, c'est sympa. Contrairement à moi... Balance, je veux tout les détails de monsieur le responsable marketing le connard idiot. »