Tu avales les mètres qui te séparent de la porte de la chambre de Sunday. Tu as le cœur qui tambourine, épuisé et un brin paniqué par la conversation avec ton père. Un mariage. Des enfants. Tu te sens dépassé, pris au piège. Tu n'en as pas envie. N'importe qui te dirait de dire non, seulement, tu ne peux pas. Et cette fois-ci, le prix que ton père exige que tu payes est inédit, bien trop élevé. Et comme-ci ça ne suffisait pas, te voilà avec un paresseux à secouer. Des enfants. Tu grognes dans ta barbe.

— Par Merlin, comme-ci j'en avais pas déjà six, des enfants à élever !

Tu te plantes devant la porte. La politesse voudrait que tu toques pour t'annoncer. Et puis quoi encore ? Ta patience est déjà hors de toute limite. Tu ouvres la porte. Certains te diraient que tu abuses, toi tu répondrais que c'est le privilège des aînés.

— Sun, il est déjà midi cinq, debout.

Tu observes dans la pénombre de la chambre la forme sous la couette. Tu soupires, passe une main fatiguée. D'un geste habile de ta baguette tu ouvres les rideaux et, avec beaucoup moins de grâce, tu viens tirer la couverture d'un geste sec.

— J'ai dit debout !

Poings sur les hanches, tu juges la forme recroquevillée sur le lit.

— À quelle heure t'es-tu encore couché ? Je t'ai déjà dit que tu as besoin de corriger ton hygiène de vie, ce n'est pas sérieux.

Tu viens tapoter sa jambe pour qu'il la bouge et tu t'assois sur le bord du lit.

— Je viens de parler à papa. Il est furieux. Comment lui as-tu présenté les choses pour l'énerver à ce point ?

Il a juste dit la vérité, probablement.

Tu joins les mains, tournes la tête vers la forme endormie de ton frère qui, enfin, te fait la grâce de se redresser. Combien d'heures a-t-il dormi ? 4h ? 6h ? 15h ? Il te semble que peu importe le temps qu'il passe a fricoter avec son oreiller, le résultat reste le même. Tu le juges, sévère malgré toi. Une partie de toi envie son flegme, une autre à envie de le secouer et de le mettre en face de son inconscience.

— Et quel est ce fameux projet d'avenir, hm ?

Tu embrasses la chambre du regard, lâche avec ce petit ton acide et méprisant. Le ton habituel.

— Dormir toute la journée, paresser le soir ?

Tu secoues la tête.

— Ça ne va pas être possible, Sunday.

Tu croises élégamment tes jambes sur le lit. Soupir. Bon, tu ne vas pas pouvoir tourner autour du pot bien longtemps. Ton père t'a demandé de prendre les choses en main.

— N'essaye pas de changer de sujet. J'irai parfaitement bien le jour où toi et les autres arrêterez de me donner matière à m'arracher les cheveux. Père est furieux.

Tu sens obligé de le préciser de nouveau.

— Et sincèrement, j'ai du mal à ne pas lui donner du crédit sur ce coup. Sunday, c'est une décision lourde de conséquence. Jamais aucun Stuart n'a arrêté ses études.

Jamais aucun Stuart n'a improvisé son avenir.

— Alors explique-moi, petit frère, montre moi comment "tu gères".

Tu hausses un sourcil, attends d'être impressionné en sachant pertinemment que tu ne le seras pas.

— Oh, alors tu comptes donc travailler ?

Tu abordes l'ombre d'un sourire qu'on pourrait croire satisfait. Puis tu regardes ton frère.

— En te levant à midi ?

Nuance, il ne s'est levé à midi que parce que tu l'as réveiller. Qui sait jusqu'à quelle heure il aurait dormi. Treize heures ? Quatorze heures, peut-être ? Tu n'as pas envie de lui retirer le crédit de sa bonne volonté. Sunday est farceur, pas menteur. Sans doute croit-il sincèrement à son projet. Il n'empêche que la méthode te file de l'urticaire. Le manque de sérieux te consterne.

— Père n'est pas d'accord, il est consterné.

Et toi aussi. Tu n'arrives pas à comprendre d'où lui tien cette naïveté et cette confiance aveugle dans tes projets tous plus suicidaires les uns que les autres. Et tu ne sais pas ce qui t'effraie ou te démoralise le plus. Qu'il arrête ses études pour... Du vent ? Ou qu'il soit si confiant dans sa décision. Tu le regardes, une partie de toi aurait envie de tendre vers la douceur. Sunday est le rayon de soleil de votre fratrie. Il serait mentir de dire que tu es insensible à ses sourires. Ton frère te touche, te rend tendre, presque laxiste as-tu envie de dire. Il serait si simple de passer outre les remontrances et de se laisser berner par ses sourires. Mais tu ne peux pas. L'éducation requiert de la fermeté. Aussi cruelles soient vos vies, tu n'es pas arrivé où tu as grâce à la tendresse de ton père. Tu fronces les sourcils, redresses les épaules avec cet air dur et impérial qui est le tien lorsque tu t'apprêtes à jouer ce rôle qui n'est pas le tien.

— Très bien. Tu es visiblement sûr de toi et la confiance en soi est une qualité primordiale à la réussite.

Un compliment, de ta part c'est toujours inquiétant.

— Ne t'y trompe pas, je connais tes capacités et je souhaite que tu vives une vie adulte épanouie. Que tu fasses le métier que tu aimes et que tu puisses jouir de ton indépendance.

Et le couperet tombe.

— Et puisque tu souhaites vivre en tant qu'adulte, en tant qu'adulte tu seras traité.

Le sourire que tu lui décroches est à glacer le sang.

— Tu ne toucheras plus un mornille de cette maison. Si tu souhaites gagner ton argent, il va falloir le faire par tes propres moyens.

Tu claques tes paumes contre tes cuisses et te lèves, t'es aussi souriant que quand tu proposes une balade à cheval.

— Mais je ne doute pas que ce soit un problème. Après tout tu es un jeune homme motivé et débrouillard. Tu vas trouver rapidement un petit boulot, n'est-ce pas ?

Sourire pincé.

— Mais puis-je te suggérer de te lever à une heure un peu moins tardive ? Conseil d'adulte.

Tu tires un petit rictus satisfait quand tu vois son visage se décomposer et son regard témoigner du fait qu'il a enfin compris. Pas un sous. Pas une pièce. Rien. Pas tant une punition, qu'une juste leçon. Il faut qu'il apprenne que les choix ont des conséquences et qu'être adulte consiste justement dans le fait de les assumer. Tu te tiens droit, les mains jointes dans le dos alors que tu approches de la fenêtre pour observer l'extérieur.

— Pourquoi aurais-tu besoin d'argent de notre part, Sun ?

Tu de détournes de la fenêtre, arpente la chambre. Tu viens désigner une part une les choses devant lesquelles tu passes.

— Tu as tout ce dont tu as déjà besoin. Des vêtements pour sortir travailler, un lit où dormir le soir, un accès au magicnet et toutes ces choses qui constituent tes loisirs. En quoi l'argent te serait nécessaire dans l'immédiat ?

Tu te tournes vers lui. Glisse un sourire.

— Ce n'est pas non plus comme-ci tu avais des dépenses fixes et importantes comme un loyer ou des factures à payer... Oh, en voilà une idée.

S'il ne trouve pas rapidement et qu'il ne se comporte sérieusement, tu pourras toujours le presser en lui imposant un droit d'hébergement. La balle est dans son camp, tu n'éprouves pas la moindre culpabilité.

— Sun, ce n'est pas contre toi, c'est juste la réalité du milieu. Te verser de l'argent pour que tu puisses subvenir à tes besoins à Poudlard était une chose, le faire maintenant que tu joues les chômeurs, non.

Tu le regardes, intransigeant.

— Si tu trouves un travail rapidement comme tu sembles si motivé à le faire, ce petit changement ne te posera aucun soucis.

— Une période transitoire ! Allons bon !

Tu roules des yeux et te claques les cuisses. Ça y est, il t'épuise. Tu ne comprends pas comment cet enfant fait pour déployer des trésors d'ingéniosité que lorsque qu'il s'agit d'être irresponsable au possible. Tu avais déjà trouvé l'adolescence de Thursday dur à passer. Mais au moins lui se montrait sérieux. Tu portes la main à ton front en secouant la tête, plus père que frère à présent. Tuesday te dirait que ce n'est pas ton rôle. Il aurait raison.

— C'est donc ça ton excuse ? Ton repas du midi pour assumer tes longues journées de recherches à déposer des cv ?

Tu n'y crois pas une seule seconde. Tu ne sais pas si tu es profondément lassé ou attendri de l'énergie qu'il déploie à te faire changer d'avis.

— Que te reste-t-il de ton argent de poche de ce mois-ci ?

Tu penches la tête, le juge, sévère.

— bNe me dis pas que tu as déjà tout dépensé. Nous ne sommes qu'au début du mois, Sun.

Tu attends une seconde, plisses les yeux. Se pourrait-il que ?

— Par Merlin, Sunday, tu as vraiment tout dépensé ?

Tu lèves la tête, pries des dieux imaginaires en fixant le plafond, excédé. Les mains sur les hanches tu souffles. Tu as envie de dire à Patty que tu jure que tu essaies, que tu fais de ton mieux, mais que Sunday à beau être le plus adorable de votre fratrie, par vos ancêtres des baffes se perdent.

— Tu n'auras pas la moindre mornille. Si tu ne sais pas gérer ton argent à 19 ans, il est alors grand temps de l'apprendre.

Tu le juges avec une sévérité sans pareil.

— Et n'espères même pas quémander à tes frères et sœurs. Je vais prévenir tout le monde. Mes consignes ont intérêt à être respectées.

Tu t'inquiètes. Qui ira le surveiller et s'assurer que tout se passe bien quand tu auras Ciara McDouglas dans les bras, le ventre aussi rond qu'une marmite de soupe ? Tu tapotes du pied. Tu ne seras rassuré que quand il aura de quoi s'assumer. Tu ne pourras plus être aussi présent pour lui. Les autres sont grands, indépendants, des adultes réussit. Et tu as juré sur la tombe de Patty de protéger Saturday et Sunday. Ils sont plus fragiles que vous, trop élevés dans la douceur.

— Sunday, je ne souhaite pas me disputer avec toi mais je suis profondément inquiet. J'ai l'impression que tu ne te rends pas compte du chemin sur lequel tu t'engages.

Tu viens t'asseoir à ses côtés. Comment fait-on pour parler à un jeune-homme de 19 ans sans avoir envie de hurler ?

— Tu ne m'as pas expliqué, pourquoi tu as décidé d'arrêter tes études.

Tu fronces les sourcils. Tu t'es tenu éloigné de Poudlard de façon trop conséquente depuis que tu as eu ton diplôme. Ton frère pourrait très bien mentir sur ses intentions. Maintenant, que tu y réfléchis, Sunday n'est pas assez stupide pour simplement arrêter sans une vraie raison.

— Est-ce que tu te faisais brimer par tes camarades ?

Faut-il que tu viennes les débusquer un à un comme tu l'as déjà fait pour tous ceux qui osaient vous faire du mal ?

Tu es bon pour donner des ordres, tout aussi bon pour blâmer, surveiller. Si Tuesday et toi n'êtes qu'une seule et même personne, alors tu es le mauvais flic quand lui est le bon. Tu penses que ton jumeau aurait su trouver les mots justes avec calme et simplicité. Pour toi, chaque discussion sérieuse est un problème d'état. Tu prends la situation avec un sérieux qui rend tout plus compliqué, plus solennel, quand tout ce que tes frères et sœurs demandent, c'est un peu normalité. Tes mains serrées contre tes cuisses, tu l'écoutes. Non, ce n'est pas ça, qu'il te dit. Tu tournes la tête vers lui, tes lèvres te démangent, tu as envie de lui dire "alors quoi ?" mais tu te retiens. Tu ne devrais pas le brusquer.

— Oh.

Tu ne t'attendais pas à quelque chose d'aussi... Normal. Tu te sens un peu perdu, voir dépassé. Tu n'avais pas vu les choses sous cet angle. Alors c'est tout ? Tu pousses un soupir soulagé, peut-être même mal venu.

— Par Merlin, j'ai cru que tu avais développé une phobie scolaire ou quelque chose d'approchant.

C'est maladroit. Tu tiques, il n'a probablement pas besoin de ça. Tu grimaces un peu, secoues la tête. Tu ne lui as jamais vraiment parlé, tu te rends compte que tu ne le connais pas tant que ça. Sunday était le dernier, celui qui devait fatalement en subir le moins. Tu sais que votre père a eu la main plus tendre (laxiste) avec les enfants de Patty. Mais il n'en restait pas moins un Stuart, avec tout ce que ça impliquait.

— Mais je comprends.

Tu n'as jamais rien fait de ce que tu ne voulais. Tu l'as encaissé en te disant qu'au moins, eux, feront ce qu'ils voudront. À quoi bon tes propres sacrifices si ce n'est pas le cas. Les enfants de Patty sont spéciaux, c'est peut-être bien les deux seuls sur lesquels tu es incapable de projeter complexes et jalousies. La différence d'âge, sans aucun doute. Tu lui tapotes le genou.

— Tu sais que je ne souhaite que ton bonheur, Sun. Je ne savais pas que... Ton avenir te travaillait à ce point.

Tu fronces néanmoins les sourcils.

— Je me fiche de ce que tu feras pour gagner ta croûte, la seule chose que j'exige c'est que tu fasses quelque chose qui t'épanouisse. Tu as de la chance d'être né dans cette famille, nous avons le réseau, les moyens, beaucoup d'enfants de ton âge n'ont pas d'autres choix que d’exercer par défaut. Ce n'est pas ton cas. Tu as le choix.

À quoi bon avoir travaillé dur sinon ? Tu reprends, sur un ton un peu plus ferme.

— Je comprends ta démarche. Je ne m'y oppose pas. Néanmoins, convient que ton attitude est tout sauf engageantes. Je te souhaite de trouver ta voie, mais Sunday ce n'est pas en te levant à midi et en restant dans ta chambre que tu y arriveras.

Maladroit. Toujours maladroit. Tu souffles, pourquoi il est si simple pour Tuesday et Thursday d'être tendre ? Pourquoi est-ce si difficile pour toi. C'est peut-être pour faire un pas vers lui que tu balances, un peu bourru.

— Je maintiens que je ne t’entretiendrais pas gratuitement. En revanche, si tu me montres que tu réfléchis sérieusement et que tu cherches, je te donnerai un peu d'argent de poche. Mais seulement si tu changes ton attitude, nous sommes d'accord ?

Tu sors tu pinneaple, cherches dans ta liste de contacts un nom inspirant, des ressources pour l'aider. À défaut de savoir le prendre dans tes bras pour le rassurer, tu peux lui trouver des solutions concrètes.

— Je peux solliciter mes contacts. Tu pourrais faire des genres de stage, pour te forger une expérience. Tu as déjà des pistes de corps de métiers qui t’intéresserait ? Je ne sais pas, le médical ? L'audiovisuel ?

La vérité, c'est qu'il n'a l'air de gérer rien du tout. Mais soit, au moins ses attentions sont plus clairs et tu crois qu'il a compris les enjeux. Inutile de l'accabler de question, ils n'ont pas les réponses et ne les auraient pas avant d'être allé sur le terrain. Tu hoches la tête, pousse sur tes genoux pour te lever.

— Très bien. Je te suggère te revoir tes CV et d'aller les déposer dès demain sur le chemin de traverse. Commence par des petits contrats à mi-temps, parle aux exploitants, pose des questions. Il y a des plates-formes en ligne où tu pourras trouver des ressources et des témoignages sur diverses professions. Fait tes recherches.

Tu t'approches de la porte, pose ta main sur le poignet.

— Pas la moindre mornille jusqu'à que tu es trouvé quelque chose. Si tu as besoin d'aide, tu sais où me trouver.

Tu ouvres la porte. Tu n'as pas trouvé de solution, ton père ne sera pas entièrement satisfait mais peut-être réussiras-tu à lui faire entendre que la situation est moins catastrophique qu'il ne le pense. Sur le pas de la porte tu te tournes légèrement pour l'observer.

— Sunday, je ne te le dis pas souvent mais sache que j'ai toujours été fier de toi. Toujours.

Tu te racles la gorge, tournes la tête et avant de fermer la porte tu lances.

— Que je ne te vois plus te lever à midi.