Bientôt trois ans qu’elle attendait ça, trois longues années passées tout d’abord à se battre et se défendre face à une institution qui refusait d’écouter. Pire, qui refusait de perdre du temps. Une justice qui va vite ne peut pas être juste. Puis tout leur a échappé, l’emprisonnement, la distance, le poids de l’accusation et des familles. Sa famille. Les Lestrange, aussi. Bien trop de choses qui l’ont poussé, en parti, à se résigner et faire ce qu’elle devait faire pour son fils. Eliott Chateminoy, n’en déplaise à certains.

Durant tout ce temps, India a dû trouver en elle les ressources pour avancer, désemparée tout d’abord, elle s’est progressivement reconstruite, refusant de baisser complètement les bras ou d’abandonner son mari (ex-mari). Pour elle, faute de véritables preuves en ce sens, il n’a jamais été réellement coupable, dans son esprit. Ni parfaitement innocent. Elle voulait un procès juste, équitable. Simplement cela. Il n’y en a pas eu.

Faute de pouvoir le contacter ni même le voir à Azkaban (« Voyons, vous savez bien qu’Azkaban n’est pas un lieu qui se visite ! »), elle a beaucoup parlé de Tom à son fils. Lui rappelant combien il était fort, certaines des petits blagues ou des gestes qu’il avait l’habitude de faire, et rassurant Eliott autant que possible... « Bien entendu, ton Papa pense fort à toi... » Sans plus oser, cette dernière année, les « Il reviendra, tu verras. » Car elle n’en savait rien. Qui revient véritablement d’Azkaban ? Et dans quel état ? Elle sait qu’il a dû souffrir, dans cette redoutable prison.

Au fond d’elle, elle s’était faite à l’idée de se concentrer sur son fils et leur avenir à deux, avant toute chose, sans trop se torturer en rêvant d’une miraculeuse libération de Tom. Avec les événements de ces dernières années, avec cette plaie béante laissée par l’emprisonnement et ce divorce qui lui fait honte, rien ne la préparait à ce que Tom soit innocenté, finalement. Elle a été prévenue la veille de l’annonce et elle est tombée des nues. A la fois heureuse, soulagée et tétanisée. Ne sachant quoi faire, elle a d’abord longuement discuté avec son jumeau. Elle se souvient de la tête incrédule de celui-ci, dans sa cheminée. Puis elle a envoyé un premier message à Tom, se réjouissant de sa libération. Un message assez neutre. Peut-être trop. Elle ne savait pas comment gérer tout ça.

C’était en août, et ce mélange de sensations ne l’a pas quitté depuis. Tout d’abord, on lui a fait comprendre qu’il faudrait du temps à Tom pour s’acclimater à son nouveau statut d’homme libre. Et qu’en cela, il faudrait aussi un peu de temps avant qu’il puisse revoir son fils. Reprendre une vie « normale » après un événement pareil ne se fait pas en un claquement de doigt. Aussi, India en a peut-être profité... elle a respecté son silence, ne sachant pas quoi faire elle-même. Elle n’a tout simplement aucune idée de comment réagir, véritablement ? Elle a tellement de questions, tellement de choses qu’elle aimerait lui dire, savoir s’il va bien, savoir ce qu’il sait du divorce, s’il a compris...

Elle qui a passé plus d’un an à se reconstruire, qui est en pleine période de recrutement pour devenir Directrice du Département des transports magiques, la voilà revenue en arrière, ce fameux soir où on est venu frapper à sa porte en lui annonçant la (prétendue) mort de Clovis Lestrange. « Votre mari a été arrêté. » A la suite de cette annonce, un bourdonnement a pris place dans ses oreilles, une sensation de flou qui ne l’a pas quittée pendant plusieurs jours... Et maintenant, maintenant que Tom est libéré, c’est un peu pareil. Une sensation de flottement, de ne pas savoir quoi dire, quoi faire, et cette honte insidieuse qui ne la quitte pas. Elle aurait dû... Elle aurait dû se battre plus ! Attendre plus longtemps, espérer et faire front plus fermement encore. Elle aurait dû...

Elle n’aurait pas dû signer ce divorce.

India Avery ne projette pas l’image d’une femme qui s’enferme dans son passé. Est-ce bien la connaître ? Beaucoup admirent son courage et sa détermination. Ont-ils seulement raison ?

En cet instant, drapée d’une élégante robe grenat, portant à ses oreilles des boucles qu’il lui a offerte il y a plusieurs années, elle attend. Elle est arrivée en avance dans la brasserie Jameson’s, à quelques pas d’une place que Tom doit bien connaître, vu qu’ils s’y sont souvent donnés rendez-vous à leurs débuts. Ne pouvant supporter plus longtemps ce silence et cette situation d’inconfort qui dure depuis plusieurs semaines, elle lui a finalement envoyé un autre message il y a quelques jours.

« Tom, j’ai besoin de te parler. Nous avons besoin de parler, je pense. »

Et cette invitation, en ce début de soirée, à la rejoindre dans cette brasserie. Volontairement, elle s’est assise à une table dans un coin de la salle, suffisamment visible pour qu’il la reconnaisse en arrivant, mais assez isolée pour qu’ils puissent parler tranquillement.

Lorsqu’il entre dans la brasserie, à pas hésitants, le regard d’India est comme aimanté. Elle observe cet homme qu’elle ne connait que trop bien et distingue rapidement les changements opérés sur son corps, son visage. Ses traits sont plus émaciés, et même s’il a toujours pour lui cette carrure caractéristique, ce n’est pas le même charisme qui s’en dégage... Il lui semble bien plus, maigre. Moins lumineux, et au fond d’elle elle s’en veut de se faire cette remarque. Que croyait-elle, après tout ? Trois années à Azkaban, cela marque forcément un homme. Le constater de visu souffle une sensation de froid dans son échine. Une tristesse qu’elle a déjà ressenti quand l’absence de son mari se faisait trop forte et qu’elle l’imaginait seul dans cette tour sombre. Elle s’en veut.

C’est irrationnel, sans doute, mais le voir ainsi lui rappelle l’absence, la distance et surtout l’injustice. Tout ce qui les accable aujourd’hui est le fruit d’une justice injuste. Il n’est toutefois pas le moment d’y penser, pas de suite. Ses yeux sombres restent plantés droit vers lui, sa bouche s’assèche, et elle réalise que ce qu’elle a attendu depuis si longtemps va enfin se produire : elle le revoit, elle va pouvoir lui parler. Quand il est enfin devant elle, à portée de voix, il parle et c’est un fin sourire qui naît à ses lèvres.

Comme souvent, elle ne sait pas mentir et souffle un « J’aimerais te dire que toi non plus... ». Les premiers mots qu’elle lui adresse ne sont certainement pas ceux qu’elle a pu imaginer mais pourquoi se mentir ? Le temps qui a passé les à fait souffrir, irrémédiablement. Et s’il en est le plus grand bouc émissaire, meurtri dans son âme, son corps, sa famille, sa réputation et son travail, India et Eliott en sont aussi deux victimes collatérales. C’est leur famille entière, leur petit cocon de bonheur qui en a sauvagement pâti.

Elle sent bien qu’il ne sait pas trop comment se comporter, et elle-même le laisse s’installer en face d’elle. Il y a un moment de silence et finalement, elle étend la main, comme par réflexe, et agrippe doucement celle de son mari. Ex-mari. Elle a besoin de le toucher, se dire que ce n’est pas qu’un mirage, se dire qu’il est bien là, et que les Détraqueurs n’ont pas complètement eu raison de lui. C’est un geste anodin, qui n’interpelle sans doute personne au sein du bar, mais pour India, c’est un soulagement immense. Elle sent les larmes monter à ses yeux et les retient autant qu’elle le peut, consciente qu’il suffira à Tom un simple regard en sa direction pour déceler son émotion. Ce n’est pas grave.

Elle fixe leurs mains et murmure : « Tu m’as tellement manqué. Je suis contente de te voir. » Pourquoi est-ce que cinq minutes plus tôt, il y avait tant de choses qui lui passaient par la tête et que là, maintenant qu’il est face à elle, c’est si difficile de trouver les mots justes ?

Sentir sa peau contre la sienne, c’est un soulagement énorme. C’est se dire que celui avec qui elle a partagé sa vie est bel et bien là, vivant. Différent, oui, marqué, bien sûr, mais présent.

« Je n’ai jamais cessé de me dire que tu serais libéré. » C’est vrai. Si elle n’a pas eu d’autres choix que d’arrêter de se battre et de réclamer justice, elle a espéré. Longtemps. « Est-ce que... est-ce que ça va, Tom ? » Prononcer ce prénom à voix haute, face au concerné, voilà qui lui avait également manqué.

C’est quand on nous les arrache que l’on réalise combien de petites choses ont leur importance, dans notre quotidien.