Imprévisibles sont les journées au sein de l'hôpital ; les patients défilent et leurs problèmes sont aussi différents pour certains que d’une banalité pour d’autres. Une sorte d’équilibre inégale, qui captive son entrain mais tire sur sa fatigue… Pourtant il s’y plaît bien. A sa pause repas, on vient le trouver : il faut un infirmier discret, alors il comprend qu’on vient chercher celui qui parle le moins. Pas un soupire, pas un sourire ; il se lève, referme son tupperware, lave ses mains avant de reprendre son service onze minutes en avance.

Il récupérera ce temps plus tard. On ne pourrait le lui voler, sinon comment vivre sans que ce détail ne parasite ses pensées ? Il entre dans la pièce, un regard pour le patient qui semble vouloir commencer une conversation d’une façon bien questionnable.

— Bonjour, pour commencer.

Il hausse les sourcils, avant de rejoindre le lavabo où il s’occupe de laver ses mains une fois encore, pour ensuite les désinfecter au gel.

— J’ai besoin de plus de précision pour ce genre de question, vous vous en doutez ? Je rencontre beaucoup de monde dans mon travail, si vous êtes déjà venu à l'hôpital il se peut bien que je me sois alors occupé de vous.

Il s’approche, une fois ses mains gantées. Son regard est fixe, ses expressions sont neutres.

— Mais qu’importe. Ça n'a aucune importance. Qu’avez vous ? Je vois votre épaule tombante, et vous m’avez l’air un peu pâle. Infection, perte de sang ? Dans tous les cas, nous ferons un bilan sanguin. Otez votre chemise s’il vous plaît.

Il patiente, les mains ouvertes, les paumes faces à son visage. Positionné comme un chirurgien, il se demande bien pourquoi on quémande discrétion dans le cadre médical… N’était-ce pas dans l’éthique de faire taire le nom de ses patients ?

Un début corrigé pourtant la suite de leur conversation le laisse penser que cette intervention sera… inutilement longue et accompagnée de bavardage. Alors la discrétion ce n’est pas simplement une question de silence… Il observe son corps, grimace soudainement lorsqu’il entend la raison de sa venue.

Son regard se perd, tantôt dans les yeux du patient, sinon dans la salle qui les garde de tout soupçon - une morsure de loup garou ? Un coup d'œil sur la cicatrice et il comprend qu’elle ne date pas de ce matin, alors que faisait-il tout ce temps ? Il soupire, garde ses mains en l’air, incapable pour le moment d’intervenir d’une quelquonque façon tant que dans ses esprits il n’y verra pas plus clair.

— Je. Je sais qui vous êtes. Je n’ai jamais travaillé pour le ministère mais plus important ; pourquoi venez vous seulement maintenant pour un fait aussi grave ?

Ses dents se serrent, il regagne son calme. Si d’ordinaire il était réputé pour être l’infirmier le plus inexpressif du personnel, c’était sans compter l’arrivée sauvage d’un individu qui croit son nom impactant, avec une cicatrice de morsure et qui a sagement attendu visiblement assez longtemps que la plaie se referme avant de songer à consulter un praticien. Intérieurement, tout cela gronde en lui : mais il se contente de se pencher sur sa cible, observant dans un premier temps les traces laissées.

— Vous êtes inconscient. Et je vais demander un bilan ; merci de me laisser faire mon métier. A preuve du contraire je ne m’occupe pas du vôtre. Vous allez d’ailleurs surtout  faire un examen complet.

Il se retourne une seconde, récupère de quoi désinfecter la cicatrice avant de s'y pencher pour vérifier qu'elle était propre et complètement refermée.

— Je ne comprends pas pourquoi on ne vous a pas redirigé vers Halloway. Et pourquoi avoir attendu avant de consulter ? Ça a du être assez profond pour une suture mais trop petit pour que ça soit utile. Ça n'exclu pas qu'il faille en prendre soin. Si je m'écoutais je vous mettrai en observation.

Il relève la tête, s'installe sur son siège roulant en laissant ses avant-bras tomber contre ses cuisses.

— Avez vous eu de la fièvre ? Des sensations étranges ? Avez-vous remarqué des changements dans votre comportement ?

Il récupère une fiche de soin pour y noter les informations de son patient. Au moment de remplir le nom de l’infirmier, il lève la tête, comme détaché du reste des évènements. S’était-il présenté ?

— Ah. Je suis Ronan Fitzgerald. J’imagine que j’ai la main sur votre dossier, étant donné que l’on m’a sorti de ma pause pour m’occuper de votre cas en toute discrétion ?

Question rhétorique. Il se hâta de remplir le reste des informations qu’il avait.

Il l’énerve. Chaque parole partagée, chaque mot qu’il énonce, le moindre souffle qu’il laisse s’échapper : tout en lui provoque chez Ronan un bouillonnement néfaste, qu’il ne saurait expliquer. Ce n’était pas simplement d’avoir chambouler le planning durement maîtrisé de sa journée, mais tout son caractère en lui-même qui rendait leur rencontre — qu’elle soit la première ou la dixième, la plus désagréable de sa vie.

— Si vous êtes si compétent dans tout ce que vous dîtes, pourquoi ne pas faire votre rééducation vous-même ?

D’un sarcasme qui n’en était pas; toutes ses questions étaient toujours sincères sinon rhétoriques. Il ne lève pas ses yeux alors qu’on lui adresse la parole, jusqu’à ce que son nom soit énoncé. Alors son visage se relève, son dos se fait droit. Il voudrait l’ignorer et retourner terminer son repas. Ou bien le laisser dans la douleur, le voir revenir maintes et maintes fois simplement pour lui répéter, à chaque fois, comme il avait été bête de ne pas consulter plus tôt.

Mais il avait fait une promesse à la médecine. Et elle, il ne la trahira jamais.

— Je ne m’intéresse pas à la politique. J’ignore ce que l’opinion publique attend de vous. Mais je suis sûr que l’on attend de moi que j'exécute mon travail à la perfection. Ce sera donc un bilan complet, dont une analyse sanguine. Pas d’observation ; je vous concède que c’est un peu exagéré de ma part et, je n’ai pas non plus particulièrement envie d’avoir à m’occuper de vous plus longtemps. Et des séances de rééducation. Elles peuvent être effectuées par un spécialiste, ou bien à l'hôpital. Vous saurez trouver n’importe quel infirmier pour cela, je vous demande donc de ne pas faire appel à moi.

Il termine d’écrire noir sur blanc les précautions médicales qu’il avait cité, avant de lui tendre le formulaire.

— Une contestation à faire Monsieur Savoy ? Si tout est clair pouvons nous passer à la prise de sang ?

Ses réactions physiologique le dépassent tant qu’il ne relève rien ; ni ces joues roses, ni ce regard de défaite qui rejoint le sol. Rien. Ronan ne pense qu’à sa tache, à ce détail qui l’a amené à être ici pour cet instant précis : à ses agenda qu’il devra raturer grossièrement pour y inscrire avec amertume que onze minutes lui ont été proscrites, pour le simple fait qu’il est un homme silencieux et peu sociable. En somme : une vaste blague.

Entendre ses excuses et ses inquiétudes lui suffisent alors à comprendre que cette consultation ne saura être écourtée ; c’est pourquoi il se recule, récupère non loin un tabouret sur roulettes pour s’y installer, récupérant au passage le formulaire signé.

— J’accepte vos excuses, mais elles ne me rendront pas la fin de ma pause. Je n’ai pas d’animosité particulière envers vous Monsieur Savoy, ci ce n’est pour votre ego qui semble vous faire croire que mon diplôme et mon expérience dans la médecine sont à la même hauteur que votre parcours en magicozoologie. Et je tiens à vous corriger : je n’ai pas “pas envie” de m’occuper de vous. Je n’ai pas envie qu’on se permette de couper mon heure de déjeuner pour m’occuper d’un mégalomane qui s’invite à l'hôpital avec ses exigences quant au choix du personnel qui devra prendre en charge une blessure qui, de toute façon, est déjà cicatrisée. La prochaine fois qu’un loup-garou vous mord et que vous vous débrouillez très bien sans l’avis médical d’un spécialiste, allez directement chez un kinésithérapeute.

Son flux de parole se vidant sans qu’il ne puisse en contenir un mot il pratiquait par la même occasion une simple relecture des documents remplis. Cela fait, et quand son monologue prit fin, il leva à nouveau les yeux, indifférent à l'amertume de ses mots, il ajouta même d’un ton presque paternel :

— Bon. On la fait cette prise de sang ?