Tu jettes un coup d’œil à ta montre, peste en silence contre l'heure qui tourne. Par Merlin, il va falloir dire à Constance de vous trouver un meilleur staff. La lenteur de tes employés te met en retard et dieu seul sait combien tu apprécies d'être ponctuel. Tu traverses les rues à grandes enjambées. Il n'est pas rare de voir des gens pressés fondre dans les ruelles sombres de l’allée des embrumes. L'affaire que tu t’apprêtes à conclure n'est pas essentielle mais tout de même, c'est une question de principe.

Alors que tu tournes à l'angle d'une ruelle étroite, ton regard accroche une forme bleutée que tu reconnais. Un patronus en forme de chat tonkinois. Tu fronces les sourcils alors que la créature magique bondit de toit en toit. Tu connais bel et bien quelqu'un qui a un patronus comme celui-là. Un peu par curiosité, surtout par acquit de conscience tu suis à la trace l'animal. Il semble surveiller l'entrée de plusieurs établissements. Oh, tu ne te fais peut-être pas que des idées, finalement. Tu te plaques contre un mur, passe discrètement la tête hors de ta cachette pour voir ce qu'il se passe. Le chat s'est posté en haut d'un toit, juste au-dessus d'une silhouette encapuchonnée dont tu ne doutes à aucun moment de l'identité.

Mais qu'est-ce que cet abruti fait là ?

Clovis (parce que c'est bel et bien lui) se remet en route. Tu considères pendant quelques secondes de ne pas le suivre. Le fantôme qui n'a pas daigné montrer signe de vie (comme c'est surprenant, n'est-ce pas ?) semble être en plein travail. Tu as tes affaires, lui les siennes. Tes affaires, justement, elles t'attendent dans un petit restaurant à l'autre bout de Londres. Tu regardes ta montre, regardes la silhouette de Clovis disparaître à l'angle de la rue.

— Par Merlin, l'abruti c'est moi.

Tu pianotes rapidement sur ton pinneaple un bref message d'excuse qui se traduit concrètement par un "je dois annuler, sincèrement navré", puis tu passes rapidement ta cape d'invisibilité avant de prendre le même chemin que ton ex meilleur ami.

C'est juste pour être sûr, c'est juste pour voir. Clovis avait toujours eu un don certain pour se mettre dans la panade. Outre ça, peut-être avait-il eu la délicatesse de se dire qu'il pouvait poursuivre sa quête de la chaîne sans toi ? Tu ne fais que vérifier. Plus loin, tu le vois se plaquer contre un mur, visiblement à la recherche de quelqu'un. Tu t'approches, considères l'espace d'une seconde de rester à distance (ce serait si raisonnable) mais déjà tes pas te portent vers lui. Tu fais glisser ta cape sur tes épaules en arrivant derrière lui, penches légèrement la tête par-dessus son épaule comme pour espionner ce qu'il espionne. C'est là qu'il se retourne, pointe sa baguette en bonne machine de guerre. Tu recules d'un pas, lèves les mains en signe de paix.

— Très perspicace, Boucle d'or.

Tu le regardes de haut en bas. Combien de temps cela faisait-il ? Des semaines, non ? Ton regard cherche la boucle d'oreille que tu lui as imposé avant de s'attarder sur son visage.

— J'ai reconnu ton patronus.

Tu anticipes déjà sa moue vexée. C'est fou comme il a conservé ses mimiques d'autrefois tout en étant un autre homme. Tu croises les bras contre ta poitrine, cale ton épaule contre le mur.

— Tu travailles ? Où sont donc tes larbins ?

Tu le fixes une seconde avant de froncer les sourcils.

— À moins que tu ne fasses cavalier seul. Curieux, pour le chef des Aurors. Nettement moins pour le chef de la famille Lestrange.

Il ne serait quand même pas en train de t’amputer de votre seule aventure commune, si ?

Ton regard accroche bel et bien la boucle d'oreille. Un éclat possessif dans le regard, comme un amant jaloux qui lui en aurait voulu de ne pas assumer de porter sa marque. Tes yeux, en revanche, s'obstinent à ne pas regarder l'alliance à son doigt. Erreur dans sa tenue, bien le seul accessoire qui ne lui va pas. Tu ne dis rien, ne hoches même pas la tête. Tout passe dans le silence.

Tu joues des épaules pour faire bouger élégamment ta cape, tires une certaine jouissance à l'avoir pris par surprise, à bousculer ses plans. Un sourire étire tes lèvres avant que tu ne te forces à prendre un ton et un regard détaché.

— Il faut bien, je ne passe pas inaperçu.

Tu passes une main dans tes cheveux, lève ainsi le bras pour lui laisser voir le costume sur-mesure qui épouse et sublime à la perfection les formes de ton corps. Tu as toujours ce regard fatigué qui te colle au visage mais le reste, lui, détonne par une propreté et un maintient qu'on ne voit pas souvent dans ces rues. Le compliment que tu te fais est à peine voilé. Tu considères avec dédains son goût du secret jusqu'à ce qu'il te cède quelques informations. Ton regard se fige, tu fronces les sourcils. Tu connais l'homme dont il parle, Jasper. Ah, c'était à prévoir qu'un jour ou l'autre ton business rentrerait en conflit avec le sien. T'ouvres la bouche pour en placer une, mais il te devance. La hargne et le reproche soudain dans ces mots. Ton regard se fait plus froid, plus incisif.

— Ah, nous y voilà.

Tu le toises avec la même volonté de soumettre qu'il te toise toi, avec la même lueur de reproche dans les yeux. Puis, soudain, tu esquisses le rictus narquois qui lui fera mal.

— Je n'ai pourtant pas le souvenir qu'on se soit baladé dans un champ de fleur, toi et moi, récemment.

Tu fais un pas vers lui, laisses les ombres de la rue se faire garante de votre jalousie respective.

— Vu que tu n'as pas daigné répondre à mes messages, j'en ai conclu que tu n'en avais rien à faire mais en vérité... Le sourire, toujours. Tu es juste jaloux.

Et cette conclusion te rend trop heureux pour ton propre bien. Tu pourrais continuer de le titiller dans ce sens mais tu es trop mauvais joueur pour lui accorder le droit de te faire la guerre. À la place, tu choisis de le prendre de cours, reprend un visage sérieux.

— Le type auquel tu veux t'attaquer est très apprécié pour ses services ici. Si tu t'en prends à lui tu vas te faire des ennemis, Clovis.

Tu fronces les sourcils, malgré la dureté ton regard trahi une certaine inquiétude. Il ne va pas abandonner, n'est-ce pas ?

— Je ne peux pas te laisser l'arrêter.

Évidemment, il n'abandonne jamais. Tu soupires.

— Toi et ta tête de mule...

Un claquement de langue agacé.

— Laisse-moi t'aider. Il finit toujours sa tournée par le Dissemdium. Je peux lui faire cracher tout ce que tu voudras.

Tu le jauges en silence, essayes de savoir si en plus de ses affaires personnelles, c'est le ministère que tu risques de te mettre à dos. Non pas que ta liste d'ennemies est vouée à se désemplir dans les rangs de la bonne société gangrenée par la suprématie des sang-purs et autres traditionalistes. Seulement, il y a une différence entre frustrer Clovis et frustrer la justice. Mais tu comprends à son regard que ce qui l'amène ici ce soir est autrement plus personnel. Oh, t'aurais préféré que ce ne soit que pour le travail, qu'il fasse cavalier seul te frustre. Tu veux bien lui concéder la bague qu'il a au doigt. Mais le reste ? Tu le laisses s'approcher, essayer de faire jeu égal avec ta taille. Tu ne résistes cependant pas à baisser légèrement la tête, comme pour lui concéder le luxe de t'abaisser de quelques centimètres. Tu souffles proches de ses lèvres.

— Je te suis déjà indispensable.

Tu tournes des talons, lances par-dessus son épaule.

— Suis-moi.

Traverse le labyrinthe des rues jusqu'à l'entrée de service du Dissemdium. Tu roules des yeux en découvrant la porte laissée sans surveillance. D'un pas rapide, tu pointes ta baguette sur la serrure et ouvre la porte d'un geste brusque. Derrière, bondit à de tes employés visiblement pris de cours. En voyant ton visage, il se décompose.

— N'es-tu pas supposé monter la garde à l'extérieur ? Ah, peut-être est-ce le terme extérieur qui te pose problème ?

Il secoue la tête, balbutie quelques justifications que tu balayes d'un revers de la main. Tu lui indiques du pouce de regagner son poste, ton établissement n'est pas un boui-boui de seconde zone dans lequel on peut pénétrer à aisément. Tu soupirs, passe un main lasse sur ton visage avant de faire signe à Clovis de te suivre. Tu traverses le couloir de service et entres dans le vestiaire du personnel. Tu le fais entrer, verrouilles la porte derrière toi.

— Voilà le plan : quand il vient au Dissemdium c'est moi qui le reçois. On s'installe en salle VIP, je lui file une liste de clients potentiels, il me file des infos. Pur échange de bons procédés. Le rendez-vous en lui-même ne dure pas longtemps mais nous discutons toujours un peu, là, je pourrais tenter de lui arracher ce que tu veux savoir.

Tu ouvres un casier, en sors un uniforme de serveur. Tu t'approches de Clovis, lui colle contre le torse pour évaluer la taille.

— Ça fera l'affaire. Enfile ça.

Tu lui tends le vêtement.

— Chaque salle VIP à un serveur à temps plein. Tu joueras le rôle de ce serveur, ça te va ?

Au final, que ça lui aille ou non, ton offre est à prendre ou à laisser. Tu ne peux pas risquer de perdre ce collaborateur. Tu t'adosses contre un casier, près de Clovis. Tu le détailles quelques secondes sans la moindre pudeur avant de balancer.

— Alors comme ça, tu es jaloux. Culotté, tu ne trouves pas ? Je n'ai plus le droit de me faire une amie sans que tu te mures dans le silence ?

— J'ai l'air de plaisanter ?

Tu croises les bras, un rictus emprunt de cynisme au coin des lèvres. Ça t'amuse de le voir comme ça. Tu notes, non sans un certain attendrissement, qu'aussi aventureux soit-il, Clovis à ses limites. Jouer oui, mais si c'est pour se mettre dans le rôle d'un employé : non. Tu souffles du nez en le regardant se dépatouiller avec son déguisement. T'as assez de retenue pour ne pas te montrer trop instant, mais pas assez pour ne pas le déshabiller du regard. Cela fait trop longtemps. Alors qu'il boude, t'en remet une couche.

— Allons, que dois-je faire pour que tu cesses de faire la tête ? Te dire que tu restes beau, même dans la peau du petit personnel ?

Tu sais qu'il va te haïr, mais ce jeu de ping-pong de vos fiertés et sans doute l'échange le plus doux et agréable que vous aillez eu ces derniers mois. Tu lui adresses un sourire presque tendre en sachant qu'il va mal le prendre. Par Merlin, c'est hilarant.

Malheureusement pour toi, la plaisanterie est de courte durée. À peine déguisé qu'il revient à la charge. Soudain, tu te tends. Qu'il t'attaque sur ce terrain alors qu'il vous a mis misérables pour une donzelle et la perspective de bambins à boucles blondes te fait perdre immédiatement ton sourire. Alors qu'il tente une retraite stratégique (mais pour qui se prend-il ? C'est toi qui as inventé cette technique.), tu le coupes dans son élan en claquant ta paume contre la porte.

— Minute.

Tu fronces les sourcils, dans ton regard aussi pâle que le sien est puissant, passe pour la première fois de votre vie commune une véritable déception.

— Je te savais égoïste et injuste, Clovis. Mais pathétique ? J'avoue que ça m'avais échappé.

Tu cales ton dos contre la porte, bloquant ainsi toute option de fuite. Il sortira de cette foutue pièce quand tu l'auras décidé, pas avant.

Tu le considères à silence, le regard sévère, déçu. Tu sais au fond de toi que c'est ça qui le déstabilisera. Te blesser, il n'en a cure, te décevoir en revanche, pour toi qui l'a dressé en dieu vivant de ton existence ? Ça, oh, oui, tu puises satisfaction dans l'idée que, ça, ça risque de l'atteindre.

— Tu sais quoi ? Il y a à peine quelques semaines, je me serais probablement rendu malade à essayer de me justifier et de te convaincre. Mais plus maintenant. Parce que tu ne mérites pas que je me rende malade.

Tout ton se méprit envoyé en pleine face. Sa place de Dieu, n'est pas acquise. Plus aujourd'hui. Plus jamais. Tu croises les bras sur ton torse, relève le manteau comme pour le toiser de plus haut encore.

— Je connais mes torts, mais la trahison et le manque de loyauté n'en font pas partie. Contrairement à toi.

Tu secoues la tête, de la même façon qu'un père secoue la tête face à l'injuste de sa progéniture. Puis tu lui tournes le dos, sans un mot et ouvre la porte.

Tu avances dans le couloir de service avant de pénétrer dans la salle principale où se mêle musique, bruit de verre et discussions animées. T'es encore furieux et contrarié contre lui alors tu bénis, quelque part, sa lubie de l'enquête de te donner matière à te concentrer sur autre que lui, que vous. Tu grimpes les marches jusqu'au couloir plus calme et cosy des salons VIP. Indique à un employé de confiance de faire comme d'habitude quand votre homme arrivera. Tu passes la porte d'un salon décoré avec goût. T'assois sur l'un des deux grands canapés qui se font face, seulement séparés par une table en verre hors de prix. Tu croises les jambes, fait comme tu le fais d'habitude.

— Briefe-moi rapidement sur ce que je dois découvrir et sois un amour, fait moi un verre.

Tu as le regard rivé sur la porte.

Une nouvelle fois, ton sourire se dessine, condescendant, vainqueur. Tu lèves un regard presque innocent vers lui.

— Non, Clovis, toujours pas.

Une partie de toi rêve du moment où il te le fera payer. Comme une envie de bagarre pour vous pousser à la faute. Ton regard se tourne sur le morceau de parchemin et ce qui y est dessiné. Tu te frottes le menton, pensif, cherches dans ta mémoire un nom à mettre sur cette relique, cherche aussi à comprendre pourquoi ton cher et tendre la cherche.

Tu hoches la tête, comme pour lui dire que tu as compris. Tu évalues tes chances de succès comme étant bonnes, ce n'est pas un type d'information difficile à obtenir. Clovis revient avec un verre de ce que tu comprends très rapidement n'être pas de l'alcool. Tu portes ton nez au-dessus du liquide. Tu n'aimes pas les sirops, trop sucrés à ton goût. Tu fronces les sourcils, plisses le nez dans une mimique dégoutté.

— C'est un putain de diabolo à la menthe.

Tu te lèves, indiques d'un mouvement du menton à l'homme qui tient le bar de s'en aller. Tu refourgues l’infamie mentholée dans les mains de Clovis.

— C'est en faisant l'enfant que tu comptes me séduire ? Nous avons mission, on ne négocie pas avec une boisson pour gosse entre les mains.

Tu le bouscules d'un coup d'épaule avant d'aller toi-même te préparer un verre. T'en profites également pour en faire un deuxième, ce que tu estimes être le meilleur pour séduire votre invité. Tu as à peine le temps de poser les verres qu'on fait entrer votre cible. Tu te lèves, lui serres la main comme on serre celle d'un vieil ami. Tu l'invites à s'asseoir avant d'en faire de même. Tu croises élégamment tes jambes sur le canapé, te places dans la peau de l'homme d'affaires Fawley qui a fait tous tes succès. Ce même homme que Clovis n'a jamais connu faute de présence. Tu échanges habilement informations et anecdotes avec l’intéressé. Que Clovis puisse entendre tes propres découvertes t'agaces mais il faut croire que c'est le prix à payer pour un peu de son parfum près de toi. Vous en arrivez finalement à la fin de vos échanges. Tu te racles légèrement la gorge.

— Avant que tu ne partes, je voudrais te demander une dernière information.

Tu tends le parchemin.

— Un de mes clients a entendu parler de cette vente. Le type d'objet l’intéresse, il souhaiterait traiter avec le propriétaire d'origine aurais-tu son contact ?

Il fronce les sourcils, pour l'aider tu glisses quelques gallions.

— S'il te plaît.

Il empoche les gallions, souffle un nom. Mais au moment de se lever pour faire mine de partir il lève son regard vers Clovis, fronce les sourcils.

— Il est nouveau, lui ?
.
Il semble le jauger, sévère, méfiant. Tu te places devant Clovis, signe discrètement comme autrefois dans ton dos "ensemble" aka "je compte sur toi'

— Oui, un barman de talent.

Tu fais discrètement glisser ta baguette dans ta main

Tu pries intérieurement pour qu'il ne tire pas la sienne. Tu as besoin de beaucoup de choses, mais certainement pas d'un affrontement. Son regard passe de l'un à l'autre. Il secoue la tête.

— Je suis presque sûr de l'avoir vu quelque part ton barman de talent.

Tu te creuses les méninges cherche à toute vitesse une excuse. Tu lances un regard à Clovis. Tu crois savoir que votre homme n'est pas étranger au réseau de prostitution de l'allée. Est-ce que tu pourrais lui faire croire qu'il a déjà croisé Clovis, là ? Clovis va te tuer.

— Il est magnifique, mais ce n'est pas une raison pour se vexer à ce point.

Tu te racles la gorge, passe une main autour de la taille de Clovis pour le ramener vers toi.

— Il était connu pour d'autres services avant que je ne lui donne un poste ici. Je suis assez... Possessif.

Il va tellement te tuer, sur ta nuque perle une goutte de sueur.

Si ça passe, c'est un miracle. Si ça échoue, arf, au moins auras-tu eu la satisfaction des bras de Clovis autour de ta nuque, de ses lèvres sur ta joue et surtout de son odeur sur ta peau. Béni soit-il de mettre de côté ses très certaines pulsions assassines pour jouer le jeu. Tu te souviens qu'il n'aurait jamais mis en péril une mission pour son ego lorsque vous étiez encore jeunes et insouciants. Tu comprends, non sans soulagement, qu'il en est encore ainsi. Pour camoufler un peu plus son visage, tu lèves un bras possessif pour venir plonger ta main dans ses boucles blondes. Masse avec délicatesse le cuir chevelu, fait montre, volontairement, de gestes intimes et tendres dans l'espoir que votre cible se satisfasse de ton mensonge. Il t'observe, t'es quasi sûr de voir une pointe de dégoût dans ses yeux. Qu'importe, il peut ne pas t'aimer sur le plan personnel tant qu'il continue de servir tes intérêts. Il finit par tourner des talons et partir. Tu laisses tomber ta main contre ta hanche et te laisses aller à un soupir soulagé. Mais tu ne peux pas débriefer ici. Alors tu glisses à Clovis d'attendre dans les vestiaires. Tu le laisses gagner les lieux, t'attarde de ton côté un peu dans la salle VIP comme après chaque rendez-vous pour souffler, fumer une demi-cigarette histoire de faire illusion et enfin partir. Dans les vestiaires, Clovis t'attend de pied ferme.

— Tu ne perds pas ton temps.

Tu pousses un soupir, ferme de nouveau la porte derrière toi avant de t'y adosser en croisant, toi aussi, les bras.

— Birus Podington. Le nom me dit vaguement quelque chose, il me semble que c'est un vieux collectionneur. J'ignorais qu'il trempait dans la revente au black de relique ceci dit.

Tu tapotes ton doigt contre le creux de ton coude, un geste que tu as quand tu pèses le pour et le contre, quand tu doutes. Un geste aussi vieux que toi.

— C'était chaotique et en grande partie improvisé, mais j'ai aimé faire équipe avec toi.

Tu lèves les yeux vers lui, le défi de te faire croire qu'il ne l'a pas ressentit, lui aussi, le doux sentiment de la nostalgie. Tu soupires, secoue la tête.

— Si tu ne veux pas me dire pourquoi tu t'es embarqué dans tout ça, tant pis. Ceci étant dit... J'ai envie de faire un caprice.

Ton regard se fait plus brûlant à mesure que tu le regardes.

— Je t'ai fait gagner un temps monstrueux en t'aidant, j'estime donc avoir le droit à quelques récompenses. Un peu de ton temps me suffira. Après tout, c'est une denrée rare depuis nos retrouvailles, n'est-ce pas ?

Le reproche à peine voilé. De même que tu lui rappelles que tu as une pléthore de temps libre quand le sien est devenu si limité. Mais c'est de sa faute, il a choisi. Tu aimes le punir en lui montrant à quel point la voie dans laquelle il s'est engagé est insipide, meurtrière pour lui. A quel point il finira pas s'en extraire, parce que ce sera plus fort que lui.

Viens en au fait.
D'accord.

— Reste avec moi.

Pas de demande larmoyante, pas de témoignage doux, juste un ordre. Reste. Tu le sens hésitant, le simple fait qu'il hésite te dresse en vainqueur et en conquérant. Reste. Et tu le vois se draper de fierté pour maquiller sa faiblesse. Tu veux bien le lui pardonner, qu'il se drape de ce qu'il veut.

Tu le vois batailler avec sa cravate et une vive bouffée tendre te prend. Tu t'approches, écartes ses mains dans un silence de plomb pour venir pincer entre tes doigts le tissu qui pend à son cou.

— Pff, tu ne sais toujours pas t'y prendre correctement.

D'un geste expert, tu remets en place sa cravate, commences à faire le nœud. Ça aussi, c'est un rituel emprunt de nostalgie. Tu l'as fait peut-être un millier de fois.

— C'est pourtant pas compliqué.

T'as ton visage proche du sien, mais ton regard est concentré sur le nœud que tu mets en place. Tu te remémores chaque jour à Poudlard à lui ajuster l'uniforme en plein couloir, tous ces soirs où tu as remis en place ses costumes pour que son père ne vous tombe pas dessus. Tu lui as dit qu'il n'avait pas besoin d'apprendre, t'étais tout aussi efficace et nettement plus agréable qu'un elfe de maison. Tu serres le nœud en silence assez pour qu'il reste digne, pas trop pour qu'il puisse respirer, exactement comme avant. Tes doigts glissent contre le tissu pour gagner son col, le mettre en place. Tu ne résistes pas à frôler sa nuque, du bout des doigts.

— Et voilà.

Le silence s'installe, tes doigts toujours à cheval entre son col et sa nuque. Tes yeux se relèvent doucement. Tu aurais beaucoup de choses à lui dire, mais jusqu'à maintenant les mots ne vous ont pas rendu service. Quelques secondes à ne dialoguer qu'avec vos yeux. Puis doucement tu penches légèrement la tête de côté, approche tes lèvres des siennes pour capturer ses lèvres non sans douceur. Pas de mot. Juste le bruit de sa lippe que tu emprisonnes. C'est lent. Aussi lent que la main que tu t'autorises à glisser contre sa joue quand tu l'embrasses une seconde fois en fermant les yeux, cette fois. Un caprice, ton caprice.

L'espace d'un instant, tu t'attends à ce qu'il te repousse. Qu'il évoque son mariage, sa femme. Tu attends le moment où tu sentiras ton visage se déformer sous la jalousie et la frustration d'être relégué au passé, à la seconde place, au profil d'une étrangère qui ne l'aimera jamais autant que toi. Mais il ne fait, rien Clovis. Enfin si, il répond. Agréablement surpris, mais tu ne romps pas le baiser pour le lui montrer. Te contente de caresser sa joue du pouce, de graver le contact de sa bouche contre la tienne. Tu réalises que c'est peut-être la première fois que tu l'embrasses comme ça. Calmement, sans être désespéré de lui imposer quelque chose, de l'étouffer de quoi que ce soit. Tu romps le baiser avec la même douceur, ton pouce qui ne se lasse pas de glisser contre sa peau. Tu glisses tes doigts dans sa main libre, viens porter sa paume jusqu'à tes lèvres, sans le quitter une seule seconde des yeux. Il reste, qu'il te dit. Tu souffles, l'ombre d'un sourire sur tes lèvres.

— Bien.

Tu le félicites comme on félicite un bon élève, heureux que tu es de le voir céder, heureux que tu es d'avoir un maître à servir.

— Alors suis moi.

Tu passes ton manteau avant de reprendre sa main et de la glisser dans ta poche. Tu vous conduit en dehors du dissemdium avant de transplaner devant chez toi. Le manoir Fawley baigne dans le noir. Tu as envoyé ta mère au loin quelques semaines, Iphigenie ne sera plus là un petit bout de temps. Tu voulais être seul maître à bord, seul avec toi-même. Cette solitude est encore plus délicieuse maintenant que tu as réussi à agripper Clovis dans tes filets. Fut-il une époque être seuls chez vous ne voulez dire qu'une chose. Tu passes la porte d'entrée, le conduis dans uns des salons cosy du rez-de-chaussé avant de jeter ta veste sur le premier fauteuil venu.

— Pour information, nous sommes seuls.

Tu désignes d'un mouvement de tête la direction du jardin.

— Enfin, ma cousine est là mais elle reste cloîtrée dans sa dépendance. On pourra toujours aller lui faire peur si tu veux.

Tu ouvres le petit meuble à alcool dans un coin du salon. En sort deux verres. L'un plus rempli que l'autre. Tu tends le plus fourni à Clovis, garde l'autre pour toi. Tu trinques en même temps que tu glisses ta main libre contre sa hanche que tu caresses lascivement. Puis tu viens poser ton verre sur la table basse et te laisser tomber sur le canapé en reversant la tête en arrière, pousse le soupir du bienheureux.

— Reste pas planter là, Clo, fait comme chez toi.

Tu tapotes la place à côté de toi. Tu viens te mettre de côté pour lui faire face. Viens t'accouder sur le dossier du canapé et laisser ta tête reposer contre ton poing.

— Ce type, Birus, ça a un lien avec ton père ?

Pas tant un reproche quand tu le regardes, mais une légère déception.

— Tu cherches sans moi... Et tu pourrais l'accabler de reproches, mais tu ne le fais pas. Quelque part, ça te lasse. Enfin, peu importe. Dois-je prendre toutes les initiatives, boucle d'or ? Je te pensais pourtant aussi maniaque du contrôle que moi.

En bon défaitiste, t'as envie de lui dire que la piste qu'il suit ne le mènera probablement à rien. Connaissant l'homme qu'était Magnus Lestrange, tu doutes qu'il ait pris le temps de vomir ses plans au premier partenaire venu. Mais, au moins, Clovis fait-il quelque chose pour lui. Pas pour elle, pas pour les Lestrange, juste pour lui. Égoïstement et même si tu sais la quête veine, tu as envie de le voir continuer. Faire ressortir sur la vase de vos vies le garçon d'autrefois qui se plongeait à corps perdu dans l'impossible juste pour prouver qu'il pouvait le faire.

— Je n'irai pas prétendre le connaître mieux que toi, mais Magnus ne m'a jamais donné l'impression d'être le genre de type à laisser des instructions pour désamorcer sa bombe.

Tu considères un instant tout ce que, toi, tu as trouvé, fouillé, épluché depuis que vous faites "équipe". À ton sens, la meilleure piste te semble de fouiller dans les archives. Magnus Lestrange ne peut pas être le premier sorcier à avoir créé un Horcruxe. Il doit y en avoir d'autres et peut-être avec eux le moyen d'en finir.

— Je vais continuer à fouiner et à traduire tout ce que je trouve sur le sujet. Quelqu'un a forcément réussi à détruire un Horcruxe avant nous. On finira par trouver, tu verras.

Nous. On. Tu vous place volontairement ensemble sur chaque tableau. Pourtant, tu hésites à t'avancer sur la suite.

— ... Mon père a demandé à être entendu à la suite des élèvements. Stop, je sais ce que tu vas dire, je te connais, mais écoutes moi s'il te plaît.

Tu brandis une main devant toi pour l'inviter au silence.

— C'est une raclure, nous sommes d'accord et crois moi partager la même gueule que lui est aussi une des raisons de ce pourquoi je bois. Mais Phileas n'est pas quelqu'un de désespéré. S'il a demandé à être entendu c'est qu'il a une carte à jouer. Tu devrais écouter ce qu'il a à te dire.

Tu aurais pu carrément demander de le voir toi. Mais tu as conscience que ce serait probablement poussé le bouchon un peu trop loin. Son rire étranglé te fait esquisser un sourire. Quand son visage se fait plus intransigeant tu n'en souris que plus. Plus aussi tendrement, ceci dit. Tu lèves les yeux au ciel, comme-ci tu peinais à croire ce que tu venais d'entendre. Tu secoues la tête, mimes des guillemets avec tes doigts.

— Tes "vœux".

Tu braques sur lui le même regard que tu braquais sur lui les rares fois où, dans votre jeunesse, il tentait de te mentir.

— Clovis arrêtons de nous voiler la face, tes vœux tu les as trahis à la seconde où tu les as prononcés.

Il n'a jamais juré fidélité sérieusement. Il le croit, parce que c'est dur de ne pas être le héros pour une fois. Mais tu es lasse qu'il dresse constamment Darya entre lui et toi. Comme-ci elle avait eu un jour sa place.

— Arrête de brandir ton mariage comme une sainte excuse, c'est ridicule.

Tu soupirs, secoues la tête avant de murmurer pour toi-même.

— C'est ridicule.

Tu redresses la tête, t'empare de ton verre t'as pas besoin d'en regarder longtemps le contenu pour deviner l'eau qui n'y était pas avant. Tu lui lances à regard à mi-chemin entre le gosse blessé et l'agacement. Tss, qu'il te materne à quelque chose de dérangeant. Tu poses ton verre d'un coup sec, reviens vers lui.

— Je veux les deux.

Tu te fais aussi royal que lui.

— Parce que tu as toujours été les deux, Clovis. Et je ne te laisserai pas être l'un moins que l'autre, c'est clair ?

Tu le provoques du regard. On se croirait face à vos défis stupides d'autrefois.

— Alors je répète la question puisque tu es visiblement sourd : Comptes-tu prendre l'initiative oui ou non ?

C'était à prévoir. Tu te penches en avant en joignant les mains, fixes le sol en venant tapoter du talon le parquet parfaitement ciré.

— Pour être totalement transparent, je ne sais pas si j'aurais accepté de venir si tu m'avais proposé.

Une partie de toi en a envie, besoin, c'est indéniable. Tu sais te faire aveugle et sourd quand tu le veux mais même pour toi le déni est de trop. Pourtant, l'idée de le voir t'apporte autant d'appréhension que de rage. Tu n'es plus sûr de pouvoir lui faire face avec la même passivité qu'autrefois. Rose avait mis le doigt sur quelque chose que tu t'étais évertué à ignorer jusque-là. Il n'y avait plus de retour en arrière possible. Et l'inconnu avait toujours eu le don certain de te rendre frileux. Tu secoues la tête, lâche un soupir qui témoigne de la fatigue accumulée ces dernières années.

— J'aimerais comprendre, moi aussi. J'aimerais qu'il s'explique. Mais je ne sais pas si je serais capable de l'entendre et de garder mon sang-froid.

Tu tournes la tête vers Clovis, confesses, non sans redouter le jugement dans ses traits.

— J'ai commencé à me faire suivre. Pour l'alcool, lui ((toi)) entre autre. Et j'ai compris des choses le concernant qui font que je ne sais plus si je serais à même de rester maître de moi-même.

Tu avais pourtant dépensé tant d'énergie à lui trouver des excuses, autrefois. Quelque part, tu le détestes de t'avoir fait mentir, de t'avoir fait perdre autant de temps. Tu secoues la tête, un sourire lasse aux lèvres. Tu chasses son visage et son nom de ton esprit. C'est alors que ton regard s’écarquille quelque peu. Tu retiens l'envie soudaine de tourner brusquement ton regard pour le regarder lui. Il ne l'a pas touché.

— Oh.

Il a essayé. Tu secoues de nouveau la tête. Tu peines à réprimer un certain soulagement. Tu l'avais imaginé avoir déjà franchi ce cap, peut-être même se lancer à corps perdu dans l'appréciation du corps de sa femme pour oublier ses propres manques. Mais il n'avait encore rien fait. T'es pas naïf, tu sais qu'il y viendra. Mais cela adouci ton ego et soulage ton cœur quand même. Tu hoches la tête pour dire que tu as entendu et compris. T'es pas bien sûr de vouloir toi-même t'attarder sur ce sujet. Quand il se lève, tu lèves la tête à ton tour, le fixe d'en bas, royal, comme il l'est toujours, même encore maintenant.

Tu le laisses s'emparer de ta main, glisser des doigts entre les tiens. L'espace d'une seconde t'est fasciné, incapable de détourner le regard. Son arrogance n'a d'égal que sa sincérité. Tu comprends qu'avec tout ça t'en étais venu à douter de lui. Comme-ci Clovis pouvait se faire aussi menteur et fourbe que ton père. Et toi, tu n'as pas l'excuse de l'Horcruxe pour justifier tes propres failles dans ta loyauté et ta confiance pourtant censées être inébranlables. Tu esquisses un sourire maladroit face à ses confessions. Relève un peu plus le menton pour qu'il puisse t'embrasser avec plus de facilité, ferme les yeux face à son front contre le tien. Puis tu souffles du nez, y avais bien que lui pour dire avec autant d'assurance qu'il était à chier comme amoureux et comme amant.

— Je commence à comprendre pourquoi elles tombaient toutes pour toi à Poudlard.

Tu te lèves, gagnes son dos pour passer tes bras autour de ses épaules. Tu viens nicher ton front contre son épaule, le serrer brièvement contre toi.

— D'accord.

Tu redresses la tête, embrasses sa nuque.

— Mais accepte que je sois insupportable et présent jusqu'au bout.

Ça avait toujours été ton rôle, après tout. Tu viens te détacher de lui, venir lui faire face.

— Il n'y a rien entre Cassandre et moi.

Puisque vous en êtes à vous confier sur vos tentatives d'infidélité...

— J'avais besoin d'une amie et elle était là.

Tu passes une main dans tes cheveux, avant de soupirer.

— Même si maintenant que des rumeurs circulent, Caldwell va très certainement m'inviter à aller me faire voir. Inattendu qu'il ne l'ai pas déjà fait, d'ailleurs.

Tu fourres tes mains dans les poches de ton pantalon, attitude bien plus décontractée, du genre que tu n'as qu'avec lui. Tu détournes le regard pour fixer un coin de la pièce, exactement comme quand tu t’apprêtais à demander quelque chose que, toi, l'ombre, le chevalier servant, ne demandais jamais.

— Je voudrais que tu restes avec moi ce soir.

Tu fais un pas en avant, glisse ta main à sa taille.

— Dis oui.