La Pomme d'Or,
Lieu peu recommendable, lieu peu recommendé pour quiconque tient aux images de haute société.
Pourtant les larges épaules d'Hephaistos se faufilent entre les silhouettes, se laissent tomber sur une des banquettes sans hésiter. Ses lèvres se trempent dans les verres emmenés; et son regard se pose sur le spectacle. Des corps déhanchés; sur cette scène faite pour agripper,
passionner.
Et si on lui demandait ce qu'il faisait ici, il n'aurait pas su dire; pas totalement. Entre ses amis, à rire et à plaisanter, à commenter; il se laisse bercer par l'ambiance du cabaret; il se laisse influencer, pour oublier.
Oublier qu'il était maintenant fiancé à une parfaite inconnue; oublier, oublier, oublier,
par pitié.
Et si lui ne cachait pas son visage ni son identité au milieu de l'allée des embrumes, c'est parce qu'il gardait toujours cette droiture qui laissait perplexe; qui étonnait, au milieu de ceux qui n'avaient rien à perdre.
C'est parce qu'il contrôlait assez son regard, assez ses pensées pour ne pas se laisser aller à une réputation abimée qu'il se permettait d'être Hephaistos; qu'il se permettait d'être Greengrass même en cette soirée. Il n'avait pas peur de lui-même; rien ne pourrait vraiment le compromettre, ici.
Au moins en était-il persuadé.Pourtant ses yeux s'arrêtent sur une silhouette,
une en particulier.
Pourtant il se sent perdre pieds, il se sent tomber.
Peut-être l'observe-t-il un peu trop, trop longtemps.
Peut-être qu'il n'aurait pas dû, être si passionné, par ce masque d'or, par cette chevelure dorée.
Si captivé. Électrisé; il ne l'avait plus lachée du regard. Pas une seule seconde; pas un seul instant.
Le moindre faux pas lui était interdit; pourtant il se lève, finit par s'excuser auprès de son groupe d'amis, parce qu'il sait - parce qu'il n'est pas d'accord; parce qu'il est d'accord, parce qu'il doit s'en assurer; se rassurer.
Lui parler.
S'avancer.
Parce qu'il sait.La reconnait,
peut-être.
Un peut-être qui diminue en même temps que ses doutes à chaque pas; un peut-être qui finit par disparaitre quand il arrive à sa table; car un masque ne suffirait jamais à la dissimuler - pas à lui, jamais.
Au moins se cache-t-elle; au moins se protège-t-elle. Mais était-ce assez ?
Quelle ironie - et ses doigts frottent une seconde son front, comme si ça l'aidait à remettre de l'ordre dans ses idées embrouillées; un verre lui suffisait à ne plus penser assez droit pour se sentir délicat.
C'est l'incertitude de savoir comment réagir; qui l'immobilise une seconde. C'est hésiter entre Greengrass ou frère, c'est hésiter entre admiration, amour, compassion; et devoir.
Des sentiments qui se bousculent dans son esprit, qui se font un peu flous avec l'alcool - pas trop pourtant, pas assez pour qu'il n'en oublie pas qu'elle se cache quand lui est à découvert - qu'il ne doit pas la connaitre.
Pas ici. Alors il se contente de s'asseoir sur la banquette à ses côtés; proche mais pas trop - juste ce qu'il faut pour accrocher son regard océan.
- Ce n'est pas un endroit très recommendable, mademoiselle; vous devriez pourtant le savoir. Et son sourire se fait pourtant sincère, un peu en coin, un peu hésitant - car n'est-il pas admiratif, de la voir ici; n'est-il pas incroyablement épaté, amusé, fier - de la voir si libre; n'est-il pas immensément en colère; qu'elle se mette en danger ?
Je t'offre un verre ? @Cassandre A. Greengrass