Officiellement, tu t'étais perdu.
À suivre le lapin blanc de l'impertinence, au tic tac éloquent de tes pas, tu errais dans le Ministère. Bien trop souvent présent dans la bâtisse, tu t'étais lassé d'attendre toujours dans le même décor.
Non, explorer, c'était plus intéressant.
Le couloir que tu arpentes est vide, d'un vide qui fait ressortir chaque pas, chaque effleurement, chaque tissus mal positionné. Tes doigts comptent les carreaux ornant le mur.
Vingt-cinq depuis la dernière porte.
Certaines avaient cet avantage d'être vitrées - ou ouvertes. Les salles étaient tout du moins étonnantes de leur diversité, de leur étrangeté, de leurs occupants aussi. C'était le bon étage pour trouver des créatures.
Comme celle dont la voix résonne derrière toi en écho - et si tu n'avais pas entendu le faible bruissement de tissus annonçant son approche, tu n'aurais sûrement pas gardé ta baguette dans son harnais.
Ah. Hybride vampire.

Je crains que tu aies raté le troll que je viens d'entendre grogner...

Tu te retournes pour la dévisager.

Ah, c'est toi.

Un large sourire alors que tu penches la tête et croise les bras - avec elle, pas la peine de faire semblant. De toute façon, tu serais parfaitement incapable de prétendre l'apprécier un seul instant - hybride ou pas, elle te donnait envie de la mettre tête première dans un nid de frelons pour voir s'ils pouvaient sortir par son fion.

On est à court de cercueils dans le Ministère pour que tu te traines dans le couloir ?

Elle te tire la langue comme une enfant alors que tu avances vers elle, contemples la vitre qu'elle tapote de ses doigts. Tes traits se déforment, s'enlaidissent, tu hésites, laisse entendre un bruit de désapprobation, avant que ton visage ne redevienne normal - se tournant vers elle avec un sourire.

Non. De plus, j'ai dit que je l'avais entendu. Contrairement à toi, je n'entends pas que ce que je veux.

La grimace devient simagrée de sourire lorsqu'elle tourne sur elle-même - et ça t'effraie presque de voir à quel point elle semble humaine, tout en ne l'étant guère.

Tu es toujours aussi hideuse.

Pourtant tes doigts se tendent pour ébouriffer ses mèches, comme on ébouriffe un enfant.

Mais ça te correspond bien.

Pas un mensonge pour autant - il te semblait que cette coupe là était plus espiègle que la précédente. On ne pouvait plus ignorer désormais à quel point elle semblait à part - surtout qu'elle attirait le regard pour d'autres raisons que sa longue crinière d'avant.

Ah.

Ta tête se penche légèrement, la hanche s'appuyant contre le mur, alors que tu fronces les sourcils.

Tes terres genre... La Transylvanie ? Vous envoyez vos cercueils là bas maintenant ?

Ton rire éclate, bruyant, résonnant dans le couloir relativement vide en des échos moqueurs. Si profondément bête, qu'elle était - c'en était hilarant. Tu en venais à te demander si c'était dans sa nature ou dans son essence - si en réussissant à la débarrasser de l'héritage immonde de son parent non-sorcier, on réussirait à la rendre un peu plus futée.
Mais tu en doutais.

Dis-moi, ils ont vérifié ton QI en t'engageant ici, ou ils ont juste eu pitié ?

La main qu'elle agite vers toi te déplaît cela dit, et tes doigts viennent saisir son poignet pour l'immobiliser.

Contrairement à mes compatriotes américains, je ne suis pas dépourvu de la capacité à les situer, je t'en remercie.

Ton index libre vient tracer la veine saillante au creux de son poignet.

Mais que ce soit la France ou la Transylvanie, les suceurs dans ton genre sont chassés dans les deux contrées. Serais-tu passée sous des bureaux pour faire meilleur usage de ta bouche afin d'être épargnée ?

Tu ne voyais que ça comme possible raison de sa survie - après tout, à sucer le sang, elle devait bien sucer le reste aussi.

Un sourire amusé - elle avait tant de choses auxquelles se raccrocher pour prétendre encore un peu être une personne intelligente que tu aurais la bonté de ne pas la rectifier - de ne pas lui indiquer qu'elle avait sûrement beaucoup plus à prouver que toi, qui avait déjà établi ta place là, où tu la voulait.
Et elle t'expose ses dents - un réflexe si immonde, si relié à son espèce que tu en aurais presque un haut-le-coeur de dégoût.
Mais tu ne te permets pas de le montrer, ne te recules pas lorsqu'elle approche, la dévisageant toujours aussi froidement, toujours avec autant de dédain.
Lorsque tu lâches son poignet c'est pour mieux saisir son cou, sous la mâchoire, comme on attrape un chien qui glapit et qu'on veut faire taire.
Tu te doutes que ton souffle effleure ses lèvres lorsque tu te penches vers elle pour lui parler.

Je n'oserais prétendre vouloir faire partie de tes collègues. Ta nature me dégoûte suffisamment à distance, je n'imagine même pas à quel point ce doit être... Délicat, que de travailler à tes côtés.

Ton visage se penche, tes yeux se baissent le long de sa silhouette, avant de remonter, se planter dans les siens comme tu aimerais planter les clous sur le pourtour du cercueil dans lequel elle dormait, pour t'assurer qu'elle n'en sortirait qu'une fois disséquée.

Dis-moi, tes élans sexuels, c'est lié à ton espèce ? Ou est-ce une question de leurrer les proies pour mieux les consommer ?

Un sourire, un peu fou, se glisse sur tes lèvres, impolitesse mêlée à la malsaine curiosité venant doucement poindre leur nez.

Il te semble ne faire que rire face à ses remarques plus que dérisoires. Sans sens. Sans intérêt. Elle est une moquerie sans signification - mais pourtant tu continues de l'écouter. Peut-être, y avait-il de l'espoir même pour les siens.
Pour les demi-vampires.
Tu avais autrefois considéré qu'ils étaient au-delà de toute rédemption. Que c'était l'hybridage de trop, qu'à ce niveau là, il n'y avait pas de salvation.
Face à son visage, si proche, tu te demandes si tu n'as pas eu tord.

Pourquoi ?

Tes doigts descendent de sous le menton, glissent le long de la gorge, de la trachée douce, se posent au creux, tes doigts enveloppés entre la nuque et l'épaule.
Pour la maintenir. Pour l'éloigner si elle te sautait au visage.
Ce que tu n'écartes pas comme possible. Après tout, n'était-elle pas sauvage ?

Tu ne leurs ressembles pas, tu n'agis pas comme eux, tu ne vis pas comme eux. Pourquoi te fondre parmi leurs rangs ?

Elle a un pouls, pourtant - que tu sens faiblement battre contre tes doigts. Elle était, quelque part, humaine. En partie, tout du moins. Peut-être y avait-il moyen ?
Tu aurais dû faire des études de médicomagie - c'était peut-être bien ton seul regret - mais aurais-tu dû te spécialiser en zoologie ?

Tes yeux se plissent en une mine amusée.

Quel est le dicton déjà ? Garde tes amis proches mais tes ennemis plus proches encore ?

Mais elle déraille, et toi, tu ne fais que la contempler, surpris. Déçu. Là où tu t'attendais à une conversation qui pourrait peut-être aboutir à quelque chose de constructif, elle s'avérait une autre... Déception. Un autre échec de tes attentes.
Faudrait peut-être cesser d'en avoir à son égard.
Tes doigts se relâchent de son cou lorsqu'elle saisit ton poignet - et tu ne cilles pas sous la pression qu'elle inflige de sa force bien plus grande que moyenne. De caniche qui ne sait qu'aboyer elle passait à doberman en un clin d'oeil - raison de plus de s'assurer qu'elle et les siens seraient isolés à défaut de guéris.
Comment faire confiance à un être aussi instable, après tout ?
Alors tu attends. Que le flot de mots s'écoule, que les lèvres cessent de bouger.

T'as fini ?

Tu arraches ton poignet d'entre ses doigts - vient le frotter de ta main, dédaigneux.

Tu n'es qu'à moitié humaine. On peut même pas t'en soulager, de cette ascendance. Elle s'est si profondément enracinée dans ta psyché...

Tu secoues la tête, la contemples avec un sourire navré. Si seulement elle pouvait être réparée - mais c'était sûrement trop demander aux bons dieux qui veillaient sur le monde sorcier.

C'est si dommage. Tu aurais moins de crocs, peut-être on aurait pu te les limer, mais j'imagine que des humains tu n'as hérité que de l'apparence.

Un frisson parcourt ton échine, et tu laisses une mine dégoûtée couler sur tes lèvres - sans t'en cacher.
Pourtant, elle est exagérée.

Plutôt te passer une corde au cou qu'une bague au doigt. Tu me diras, les deux sont des laisses, ça te correspondrait bien.

Un sourire, cependant, à sa réponse. Il était évident que son sang sorcier était important - sinon elle serait non devant la vitre mais bien derrière, étudiée et analysée comme les êtres magiques le sont régulièrement.
Bien qu'elle ferait sûrement un spécimen trop bête pour être utile pour la science.

Mais ton sang sorcier est bien la raison pour laquelle je fais l'effort de t'adresser la parole, voyons.

Ta tête se secoue avec amusement, mais elle ne s'arrête pas là - elle dépasse les bornes et va bien trop loin, là, où personne ne devrait s'aventurer. Et il est évident qu'elle doit s'en douter à l'instant où tes yeux noircissent qu'elle est allée trop loin, qu'elle n'aurait pas dû mettre ses pieds là.
Tu aurais des apparences à tenir, peut-être te serais-tu juste détourné d'elle, Asclepios. Peut-être même tu l'aurais giflée pour oser tenir ce genre de propos.
Mais tu ne te souciais guère de ce qu'elle penserait et dirait de toi - son importance t'était secondaire.

Ose encore dire un mot sur ma famille et je m'assurerais que ton cadavre pourrira sur une table de dissection avant même qu'ils ne trouvent qui t'a butée - si seulement ils se soucient de le savoir pour un hybride comme toi.

Tes lèvres forment un rictus - mais il n'a rien d'un sourire. Au contraire, il est presque menaçant, glacial - au précipice de la folie.
Oh que tu aimerais qu'elle perde le contrôle pour lui montrer à quel point sa nature réelle ne faisait que quémander d'être de sortie.

Je croyais que les chauve-souris ne faisaient aucun bruit, tu devrais plutôt prendre exemple sur tes pairs et te taire.

Tes sourcils se baissent, obscurcissent ton regard.

C'était donc ton père la créature ? Dis-moi, au moins ta mère en avait envie de coucher avec un truc pareil ?

Il était évident que oui, une sorcière se serait défendue sinon - et dans tous les cas n'aurait pas gardé la chose dans son ventre.
Mais si tu peux vérifier ce que la pique, Éléonore, tu irais planter l'aiguille là, où c'est indécent de toucher.
Tout vient à point qui sait attendre.

Montre moi, ne soit pas timide - j'aurais une raison de t'y amener, à cette morgue. Peut-être que je garderais tes crocs en souvenir - un autre que je porterais autour du cou.

Sinon quoi.

C'est presque infantile, à ce stade là. Un besoin impétueux de pousser la bête qui rugit, de la tendre, de l'irriter, jusqu'à ce qu'elle explose, jusqu'à ce qu'elle prouve qu'elle n'est rien de plus qu'un animal sauvage qu'il faut enfermer.
Un animal qui dégoûte et qui doit être arrêté.
Alors lorsqu'elle parle de ta mère, tu éclates de rire. Elle n'avait aucune idée, lançant des paroles en l'air sans savoir ce qu'elles signifiaient. Sans savoir à quel point ta mère t'avait désiré.
Pas pour toi, certes. Mais tout de même.
Son poing s'écrase contre le mur, te faisant à peine ciller. Tu t'y attendais - mais le coup n'est pas tombé contre toi. Et tu aurais presque été surpris.
Presque.
Ton dos craque en heurtant le mur, lorsque sa bouche de sangsue vient te marquer de sa putréfaction. Tu pousses un cri - bref.
Après le sien, ça finirait par attirer l'attention. Ou pas. Tu ne savais pas ce qui était le mieux à ce stade là.
Peut-être que tu pourrais la disséquer à même le couloir si personne ne passait par là.

Regarde-toi - aussi monstrueuse que dans le déni.

Et tu la repousses violemment, seulement pour brandir ta baguette en sa direction.

Incarcerem !

Un coup de poignet et les liens se resserrent.
Tu n'ignorais pas le français - bien que tu étais surpris de l'entendre le souffler.
Tes doigts se portent à ton cou, reviennent maculés de sang. Rien d'étonnant jusque là - tu observes le liquide rougeoyant s'étaler sur la peau.
Tu devrais sûrement jeter ton haut.

Tu vois, Éléonore.

Tu portes tes doigts à tes lèvres, emplissant ta bouche du goût du fer.

C'est ça, ce qui va pas chez toi. Cette sauvagerie.

Tu t'avances vers elle, venant essuyer le coin de ses lèvres de ton pouce - brusque. Elle aurait pu être belle, mais elle était hideuse à t'en faire regretter de voir.

Mais ça pourrait se soigner. Ne voudrais-tu pas t'en débarrasser ?Être humaine, au lieu de monstrueuse ?

Un pas en arrière. Tu l'observes, la dévisages, comme on contemple un animal dont on ne sait que faire.
L'achever ? Le libérer ? L'envoyer là, d'où il vient ?
Tu pourrais ouvrir une des portes, la pousser à l'intérieur d'une des pièces, de préférence où un animal plus dangereux qu'elle rôderait.
Mais tu n'en avais plus tant envie.

Allez. Je peux comprendre. Tu n'es pas responsable de cette moitié là et je t'ai provoquée. Si tu t'excuses, je fermerais l'œil.

Elle pourrait être sauvée - d'elle-même, de toi. De tout. De cette fatalité de son sang et du tien coulant d'entre ses lèvres.
Il suffisait qu'elle s'excuse.
Et en preuve de bonne foi, tu portes une main à ton coeur.

Je suis navré d'avoir parlé de ton père. C'était un coup-bas. Tu m'avais énervé - je n'aime pas que l'on parle mal de ma famille, mais ça ne justifie pas que je me comporte ainsi.