Comme toujours, après le chaos le calme revenait toujours si vite. Presque impudent. Narquois. L’air de dire que peu importe les calamités qui secouaient la terre, le monde continuerait de tourner. Elle en avait l’habitude mais c’était toujours aussi déstabilisant même dans une vie bercée par l’irrégularité.

Elle n’oublie pas, elle.
Vanitas.
Aurel.
Crystal.
Tout le monde.
Et puis évidemment la jeune Doyle qu’elle n’avait pas récupérée elle-même - mais comment ignorer la situation ? C’est l’hôpital, après tout. Tout s’y sait. Ce qui veut dire qu’elle sait également qu’Aurel veut lui parler. On est venu l’en prévenir, à sa surprise. Après tout, elle n’était pas en charge. Elle n’avait pas non plus fait quoi que ce soit d’extraordinaire sur le terrain - elle s’y était même sentie plutôt impuissante. Ce n’était pas sa première fois en dehors de l’hôpital, mais c’est toujours frustrant. On a toujours envie de faire plus que le champ des possibles. Mais elle avait fait ce qu’elle pouvait faire et ce qu’elle avait à faire. C’était ce qu’elle devait retenir. On l’avait même félicitée.
Elle n’en retirait aucune fierté.

Elle ne peut pas, cependant, ignorer la requête d’Aurel. Alors entre deux dossiers, quand elle a un peu de temps, elle fait signe à une infirmière qu’elle va y aller. Elle finit ce qui l’occupe et finit par ajuster sa chemise noire. Comme le reste de sa tenue, tout aussi simplissime. Chemise noire, pantalon noir, chaussures noires. Simple et pratique.

Dans les couloirs, elle salue et sourit comme à son habitude. Comme si la mort n’errait pas dans les couloirs et qu’elle ne la traînait pas à ses pieds. Elle s’arrête devant la porte et frappe pour prévenir de son arrivée avant de la passer - fidèle à elle-même, comme sur le terrain. Calme et avenante, le sourire maîtrisé et bienveillant. Sa voix est toute aussi douce.

▬ C’est exact.

Elle s’autorise quelques pas pour prendre place sur la chaise qui repose non loin du lit attribué à son patient pour les visiteurs.

▬ Vous ne me dérangez pas le moins du monde, allons. J’étais inquiète, en toute franchise. Mais j’ai entendu dire que vous seriez bientôt libre de sortir, vous m’en voyez ravie.

C’était signe de retour à la normale.
De rémission, de convalescence.
Un bon auspice.
Pourtant, elle se permet.

▬ Comment vous sentez-vous ?

Et elle ne précise pas, mais son regard ne dupe personne. Elle ne parle pas forcément de son corps. Elle sait bien que physiquement on peut se remettre de monstruosités à une vitesse étonnante. Non, c’est là-dedans qui l’inquiète.

Parce qu’elle n’oublie pas, elle.
Que la première chose qui a passé ses lèvres à son réveil c’était le nom de quelqu’un qui semblait lui être cher. Et que l’être en question ne semble pas avoir la même bonne étoile que le jeune Davis.
Elle ne mentait pas sur son inquiétude.
Les habitudes ont la vie rude.

Il a l'air heureux, Aurel.
Enjoué. Elle, est un peu sceptique. Elle ne se permet pas de commentaire pour autant. Les gens gèrent ce genre de situation différemment. Elle n'est pas psychologue. Elle n'est que médecin. Elle rêverait de pouvoir faire plus, mais comme toujours ses compétences sont limitées.
C'est toujours la même frustration.

▬ C’est normal de vouloir partir. C'est un hôpital, après tout.

Elle esquisse un sourire doucereux.
Il y a si peu qui la froisserait, il n'y a pas trop à s'en inquiéter. Elle observe le sourire qui s'adoucit sur les lèvres de son interlocuteur seulement pour taire la surprise qui vient l'étreindre à ses remerciements. Elle n'a pas l'impression d'avoir fait quoi que ce soit de spécial, vraiment pas. Et elle ne s'en cache pas.

▬ Ce n'est que mon travail. J'ai fait ce que je devais faire.

Sans la moindre fierté.
Sans la moindre joie.
Elle se permet pourtant d'ajouter.

▬ Mais si mon travail a pu vous aider, c'est que je l'ai bien fait. Tant mieux. Il n'y a pas à me remercier pour autant.

Mais elle n'est pas dupe.
Aider, oui. Sauver, non.
On ne sauve pas du deuil.
Elle ne rit pas à sa plaisanterie - n'abuserait de toutes façons pas de ses relations pour ce genre de choses. Ses yeux se détournent une seconde pour se poser sur ses mains abîmées aux trop nombreuses plaies et cicatrices. Elle sait qu'elle ne devrait pas faire ça. Mais l'inquiétude tapie dans sa poitrine finit par outrepasser son sens professionnel. Comme un peu trop souvent ces derniers temps.

▬ Je n'ai pas besoin de visibilité, mais il y a quelque chose que vous pouvez faire pour m'aider. Personnellement, pas dans le cadre de mon travail.

Une légère pause.
C'est que c'est un peu culotté.
Elle finit par relever ses yeux avec un sourire un peu plus tendre et sincère qu'à son habitude. Ah, Persy. Ta dévotion te perdra.

▬ Donnez moi des nouvelles, Davis. De temps en temps.

Parce qu'elle se doute que ça ne va pas.
On ne peut pas être parfaitement en forme quand on perd quelqu'un, encore moins quelqu'un d'important. Et elle ne sait rien, Persy. Mais elle est incapable de laisser quelqu'un seul si elle pense qu'elle peut aider. Qu'elle peut être là. Ne serait-ce qu'une fois. Même si elle n'est qu'une assurance au fond de la tête qui ne sert jamais vraiment. Que quelqu'un est là. Qu'on est jamais vraiment seul. Même si elle n'est que ça, ça lui va.

▬ Je ne suis pas une amie, j'en ai bien conscience et je dépasse ma qualité de médecin en vous demandant ça. C'est pourquoi c'est une requête personnelle. Même si ce n'est qu'une fois ici et là, j'aimerais savoir comment vous allez.

Parce qu'elle s'inquiète, encore toujours.
Avec sincérité.
Elle est ainsi, Persephone.
Incapable de se sauver, mais prête à aider toute la Terre si elle le pouvait. Irrécupérable comme jamais.

Elle a une vague impression.
Une vague de nostalgie.
Dans un sourire qui traverse les nuages et les pertes avec bravoure ou stupidité, elle ne saurait dire. Un sourire inébranlable qui pourtant parfois rêve du réconfort de la pluie, de se laisser aller à repeindre le monde d'une rosée humide.
Le souvenir d'une jeunesse à Poudlard.
D'un monde fait autrement.
En couleurs.
(L'amertume dans la poitrine,
Le sucre aux lèvres.)

▬ Comment puis-je refuser, si l'on met du thé dans l'addition ? Vous savez déjà comment obtenir mes heures creuses il semblerait.

La prose toujours si agréable.
L'âme toujours si charitable.
Elle est belle Persy avec son sourire tendre et sa sagesse, sa maturité et son côté stellaire. Immuable elle flotte avec légèreté et pourtant donne l'impression d'avoir la solidité du marbre d'un pilier. Elle est là, Persy, et elle donne l'impression que ça ne va jamais changer.

▬ Mais bien sûr. Avec joie.

Elle mentira.
Se perdra en mondanités brèves.
En soucis éphémères.
Une amitié d'orfèvre, méticuleusement façonnée pour paraître plus vraie que nature. Et si les sentiments sont toujours sincères, elle est poison, Persephone. A faire croire au monde entier qu'il est précieux mais à prendre la fuite dès qu'elle le peut.

Il s'étire et elle le regarde faire, son dos droit et sa tête portée avec dignité. Ignorant les longues heures de travail qui rendent ses épaules douloureuses et pesantes, ou la sensation pénible dans ses pieds qui ont traversé l'hôpital pendant de longues traînées. Elle n'envie pourtant en rien le confort du lit des patients.

▬ Non, vraiment, ça me ferait plaisir.

Elle insiste, pourtant.

▬ Et je ne vous ai pas sauvé, bien que l'intention y eut été. Je n'ai fait qu'accompagner les aurors. C'est eux que vous devez remercier pour votre rescousse, en toute franchise. Si vous devez votre vie à des gens, c'est à eux. Pas à moi.

Elle n'est ni sauveuse, ni précieuse.
Elle n'est qu'un simple docteur.
Qu'une jeune femme malheureuse.

Il a un beau sourire, Aurel.
Elle se rend bien compte qu'il s'agit d'un jeune homme charmant, que son rire est plus éclatant que le blanc de l'hôpital qui l'entoure, qu'il a cet éclat de vie qu'elle manie habilement en mascarade tous les jours alors qu'elle lui répond d'un sourire tout aussi faut que sa jovialité ; se contente de répondre avec modestie et umilité.

▬ Oh, j'ai pour règle de ne sous-estimer personne, monsieur Davis.

Car elle sait, Persephone.
Que derrière toute la douceur du monde il peut y avoir des tempêtes folles. Ca ne l'empêche pas d'aimer le monde, ça ne l'empêche pas d'aimer les autres, mais ça lui souffle doucement de garder le pied dans l'entrebaillement de la porte pour pouvoir la fermer avant qu'on ne revienne l'attraper pour ne jamais la laisser repartir.
Elle sait, Persephone.
Elle joue seulement la bouffonne.
A rire doucement au clin d'oeil qui lui est adressé.
Et on lui dit qu'elle a une part de responsabilité dans le bien-être d'autrui (et elle voudrait y croire) pourtant c'est la culpabilité qui la pèse - elle en a sauvé un, mais pas les autres. Et elle ne sauve qu'en apparence, Persephone ; qui lui dit que quelqu'un n'aurait pas mieux fait ? Alors elle sourit, Persy. Elle agite légèrement sa main comme pour passer au sujet suivant, tout sourire. Comme si tout lui faisait plaisir.

▬ Je suis ravie d'avoir pu contribuer à la chose, dans tous les cas.

C'est le sérieux qui devrait la désarçonner.
Pourtant elle reste là, avec son joli sourire de poupée et la douceur dans ses traits. Elle a l'air si aimante, Persephone.
S'il savait.

▬ Evidemment.

Que oui, absolument.
Elle sous-estime et sous-estimera toujours le bienfait qu'elle peut faire à autrui ; car après tout elle n'a des mains faites que pour détruire (et être détruite).
Elle finit par jeter un coup d'oeil vers l'horloge dans la chambre, son regard se reposant sur son patient calmement.

▬ Aviez-vous besoin de moi pour autre chose, monsieur Davis ?

Car l'heure tourne et qu'elle imagine déjà les gens qui s'affairent dans le laboratoire. Un bordel notoire.