son cœur crevait d’envie d’attirer quelqu’un,
n’importe qui dans des valses jolies et puis folles si possible - semblait tirer sur ses liens en chairs et sang dedans sa cage d’os comme s’ils étaient des bras entravés, trop impatient d’aller étreindre il se cognait en attendant, s’abîmait contre ses barreaux blanc cassé à des tempos hystériques -
et Bellamy l’éprouvait, son cœur
crevant d’envie d’attirer quelqu’un, n’importe qui
au point qu’il l’entendait résonner à ses tempes,
aussi le sentait, goût métallique au fond des joues ;

parvenu à ton palier il manquerait presque de le cracher, son cœur, accompagné de ses poumons ainsi que tous ses organes peut-être.

dehors le soir se meurt.

il avait couru jusqu’ici la nuit sur ses talons l’air d’avoir le feu aux trousses - pas qu’il s’apeurait du noir mais un peu tout de même - c’était surtout la fièvre qui l’empressait autant. une semaine si ce n’est deux ou trois qu’il n’avait pas mis les pieds dessus le seuil de chez toi et désormais devant ta porte il toque à l’identique, deux ou trois fois - à dix reprises finalement
mais tu ne lui apparais pas.

planté là le souffle court et ses regards hallucinés il a fixé l’entrée close, quelques secondes avant d’y plaquer une oreille pour vérifier s’il y avait de la vie au-delà - seulement de l’autre côté pas un bruit, grand silence et il te suppose dehors encore, en compagnie du soir à l’agonie - soupire et se détourne, le corps s’attelant déjà à combler ton absence en faisant les cents pas.

au creux de ton immeuble il se figure seul au monde.

ça le trouble - ne fait qu’empirer son cas - où es-tu ?
qu’est-ce qui te prend à ne pas te languir de soi ? de lui qui s’est volatilisé à nouveau, des lustres quasiment mais tu le connais - il est comme ça - toujours quand il croit discerner des nuées d’oiseaux sombres, qu’importe qu’ils soient de bons ou mauvais augures lui se doit de les suivre, tu comprends ? on ne sait jamais
et tu sais, il pense avoir rencontré le volatile idéal,
celui qui le mènera non pas à des abris rapaces
mais au nid du Corbeau en personne - oh-
Balthazar il faut qu’il te raconte !

et pour cela il faut que tu lui viennes - intenable à même ton perron ça fait un quart d’heure maintenant que Bellamy tourne en rond comme un félin malingre, affamé sans un toit - perçoit soudain des craquements de bois, le signe que quelqu’un, n’importe qui emprunte enfin les escaliers et lui se fige, priant pour que ce soit toi ;

la silhouette qui surgit à ton étage
c’est toi - Balth’ ! exclamé tout de suite la mine pire qu’extatique, illuminé comme si toi de retour à la maison était un miracle spectaculaire - tu n'auras pas eu le temps de sortir ton trousseau de clés qu'il se sera saisi de ton bras - surplombé ravi, Bellamy t'admire tout droit dans l'âme. tu rentres tard - t'étais où ? il demande mais ne quémande aucune réponse, rien qu'un endroit où déborder - un cœur à parasiter - tu nous ouvres ? de son point de vue dérangé ça fait mille ans qu'il t'attend.

tu aurais aimé ?
qu’il termine éployé, ses côtes à découvert et sur le macadam ses viscères, dépliées, comme un origami sanguino-gluant - tu l’aurais aimé ? tu le préférerais ? une seconde les grands morceaux de ciel qui lui servaient de regard t’admirent, arrondis des airs de billes sinon d’abîmes insondables - et puis
et puis non,
quelle surprise de le revoir en vie bel et bien - Bellamy qui bat et qui respire comme il faut - et qui n’aime pas les surprises ? personne !
alors tu l’aimes toujours.

tout ce qu’il voulait t’entendre dire et dès lors il parait ne plus rien écouter, se contente de te laisser lui voler dans les plumes qu’il n’a jamais possédées - en lieu d’omoplates, des cicatrices d’ailes coupées, peut-être - quoi qu’il en soit lui ne cille pas lorsque tu t’écartes,
t’observe tandis que tu te fraies des chemins
jusque chez toi et sans attendre, il te suit ;
il te faudra compter sur un courant d’air :
Bellamy ne pensera pas à fermer après vous.

c’est qu’il a trop de songes qui s’emmêlent là dans sa tête - des années d’entrelacs sans dessus dessous que ces derniers temps n’ont pas arrangés, au contraire - pire encore ce soir et cela se voit : ses allures, conviées au cœur de ton séjour elles ne se posent nulle part. j'étais- où ça déjà ? tu demandes
et il était sur le point de te répondre partout ! partout !
reste debout pour tout t'avouer, en gestes indomptables
à droite à gauche - j'étais- oh faut que je te dise ! fait d'abord les deux trois pas qui séparaient de toi et puis il échoue, s'abandonne au creux du canapé à son tour quitte à te déranger, encore, j'ai rencontré Declan - Bergling, tu sais ? l'écrivain - en vrai de vrai je l'ai rencontré et il est même venu chez moi - il est venu chez moi ! pour de vrai ! il l'avait admis sans reprendre son souffle et tout en s'affalant de plus en plus - soudain se redresse, une fois qu'il inspire - te surplombe un peu désormais car il se tenait droit, mal, ses genoux piquants l'assise du sofa et les doigts d'une main agrippés au dossier. tu dépannes une clope ? et toi - t'étais où ? tu m'as pas dit ! à peine une minute qu'on était à la maison et il en souillait le paisible, avec le sourire et sans aucun scrupule - ce n'était pas fait exprès, jamais.
ce n'était que comme ça qu'il savait être.

qu’elle soit sienne ou celle d’un autre Bellamy ne se la ressent jamais, cette insouciance d’une ampleur scandaleuse au point de frôler l’indécence - c’est comme la porte de chez toi, c’est comme la porte de chez n’importe qui, les frontières de ce monde qui parfois sont invisibles mais qu’un esprit sain n’oserait sûrement pas franchir avec son corps, parce que c’est immoral, voire inhumain - depuis toujours lui les discerne mal ces contrastes pire qu’évidents.
pour ça qu’à ses yeux malgré qu’ils soient immenses
effleurer les assassin n’est pas un crime en soi - il en frissonne à peine, sans peur aucune, maladivement - tout comme tes travers à toi ne lui semblaient pas sacrilèges. tu possédais un cœur, dedans du sang rouge comme le sien. aussi des doigts qui n’avaient pas encore cerné sa gorge. ainsi Bellamy ne voyait pas en quoi voleter près de toi posait un soucis quelconque.

il lui paraissait normal, quasi-naturel d’exister à tes côtés sans culpabilité du tout - sans s’excuser pour les verrous qu’on n’avait pas tourné, par exemple - il lui parait carrément rationnel d’y persister, là tout de suite en tailleur et d’y garder le sourire tandis qu’il te confie mine de rien, il est venu me raconter comment c’était, tu sais, avec Lui. quand il l’évoque on l’entendrait presque, la majuscule systématique, il m’a dit qu’il l’avait vraiment vu de près - de très très près - peut-être même qu’il l’a touché ? comme, pour Lui serrer la main, je sais pas - et après il a pris mes mains à moi ! comme si cela pouvait te le prouver il te les montre d’ailleurs, risette aux lèvres, il a pris mes mains dans les siennes, tu te rends compte ?? Bellamy se vautre alors tout contre le dossier, des allures d’agonisant dessous les maux d’amour - au passage tend le bras pour se servir, avant ton accord évidemment ;

toi pendant ce temps tu vivais la violence à la façon des routines, frappes fumes et puis te faufiles jusqu’aux étreintes de Morphée, il parait - la cigarette portée à sa bouche Bellamy te dérobe ton briquet sans te quitter du regard - occulte tes deux dernières questions car il les pensait résolues. crissement du silex. la nicotine grésille doucement. lorsqu’il expire son rire claironne colorié gris - l’intonation légère elle jure avec ses mots - t’as l’air tout triste Balth’ j’ai de la peine pour toi ! aussitôt se tait pour te fixer éhontément,
des fragments dévotieux dans le bleu des prunelles.
elles demandent en silence, je peux t'aider ?
dis-moi comment je t'aide !

dessus vous pas un idole, et dans les angles de chez toi, aucune plume qui ne traine - quand même, comme si Son œil se trouvait quelque part si ce n'est tout près de vous Bellamy s'esclaffe et se confond, te conteste aussitôt - non-
si ! je veux dire - oui,
je les ai lavées mes mains - mais,
non c’est pas que ses mains qui m’intéressent
tu sais - c’est lui, tout entier.
son sourire abrasif presque trop il l'embrase, se le ravage afin qu'il flamboie plus sage, un peu - la cigarette à sa bouche crépite rien qu'une seconde, seule touche de rouge sur rouge de ses lèvres pleines, toujours ensanglantées, la faute à ses airs sans arrêt très blafards -

étrangement, lui ne s'accorde pas quand toi tu te marres,
te moques de son petit souci prononcé légèrement ;
tu l'exagères, tu mens ? on dirait pas que tu mens -
lorsqu'il t'entend te dire pire qu'affligé, presqu'éperdu,
Bellamy ne ricane plus - ne se froisse pas pour autant - ses traits lisses tandis qu'il se penche pour cendrer comme il faut, zéro soupçon d'embarras dans sa voix qui fait l'écho, c'est à se demander s'il l'on est déjà parvenu à lui faire piquer un fard.
tu voudrais ?
qu'il te propose ces scandales dont tu lui parles,
j’en connais - des gens qui vendent ça et puis des filles, aussi - faut pas les appeler comme ça Balth’ elles aiment pas. tu dis juste des filles ou bien, des filles pour s'occuper de moi - c’est plus joli.
et malgré qu'il soit mal entouré au point de pouvoir te présenter du terrible beau-monde, je pense pas que ça te rendrait moins triste par contre. de faux paradis et des amours d'artifice, ce n'est pas ce qu'il te faut, il croit ;

tu joues les cyniques mais il y croit, à ton spleen - et promis, il ne te mentait pas : persuadé d'être sur la bonne voie il y songe un instant et cela lui redessine une risette à l'éther - est-ce que ça t'a traversé l'esprit à toi aussi ? l'horizon découvert, un monde où la vie ne pourrait que te plaire car elle ne t'y méprisera jamais - le bonheur à l'ombre de deux ailes noires ! ces mains convaincues de les avoir effleurées, Bellamy les appose doucement sur tes joues, au bout de ses doigts les fragrances de tabac il s'assure de les tenir à distance de ton visage - soigneux te le tient pour t'annoncer droit dans les yeux - ne pleure pas Balthazar !
les choses vont changer bientôt tu sais ?
c’est sûr, moi j’en suis sûr.
tu verras. je t'assure -
tu verras ! et là,
enfin des éclats de rire.