Ce connard le méritait. Tu ne supportes pas leurs regards de dégout et de condescendance. Tu ne supportes pas grand chose Zadig, mais tu ne l'admettras pas. Dans ton petit monde parfait il est le gros chien qui n'a eu que ce qu'il méritait. Et toi dans tout ça... Tu ne veux pas te plaindre, lui donner l'opportunité de te trainer (traiter) en victime. Alors pour assujettir ton royaume, tu claques des doigts par ci par là pour avoir un café, et aussi pour changer de place le chauffage, joues de tes charmes pour qu'elles s'exécutent avec le sourire. C'est toujours comme ça, et c'est le fait qu'il a peut-être raison qui te fout en rogne. La beauté t'a tout apporté - a tout ravagé. C'est rageant de ne pas être perçu pour ce qu'on est vraiment.

Blair sort au bout d'une demi-heure. Tu le toises l'air de lui faire sentir qu'il est en retard et que tu détestes attendre. Il est bien le seul capable de te parler de cette manière - et pourtant quand il t'enferme de sa carrure tu t'enfonces un peu plus dans ton siège, irrité.

— « Dégage Stratford. Je suis pas d'humeur. »

Et même avec toute l'arrogance dont tu peux faire preuve, ton autorité n'égale pas la sienne. Alors tu jubiles Zadig, exprimes ton amertume au travers de ton insolence. Tu étires un sourire pour le narguer.

— « J'ai dis qu'elle se touchait sur mes photos. »

Tu attrapes ses poignets pour le forcer à lâcher les accoudoirs.

— « Elles le font toutes. »

Et le toutes était nécessaire.

Blair ne te fait pas peur. S'il pense qu'il a la moindre parcelle de pouvoir sur toi, il se trompe lourdement. Pourtant, alors que tu plisses les yeux pour le défier du regard - ta langue claque sur ton palais et tu te renfonces dans ton siège. Croises les bras sur ton torse et tournes la tête. Tu finis toujours par capituler le premier (du moins d'apparence) pour fomenter à la pire manière de te venger. Tu cherches la faille chez lui, la fissure dans laquelle tu pourrais t'engouffrer pour le faire exploser. Y'en a pas de visible. Tu es le seul chaos capable de se déployer. Si tu te mets minable il aura pas d'autre choix que de se pencher pour te ramasser.

— « Pardon ? »

Tu te relèves d'un coup quand il commence à programmer un journée infernale pour demain.

— « Tu peux programmer je m'en bas les reins. T'as cru que j'allais suivre ta petite thérapie là ? Non, je vais rester dans mes draps de soie à me prélasser et t'iras courir tout seul. Oublie pas que c'est moi qui te paie et c'est moi qui donne les ordres. »

Tu passes la porte, le bousculant au passage. Tes cheveux blancs pour flotter comme un halo derrière toi. Devant la voiture tu t'indignes.

— « Et pourquoi on voyage toujours comme des moldus ? Bordel, on se tape les embouteillages alors qu'il nous suffirait de prendre un balai pour traverser la ville, ou de transplaner. »

Tu pestes et montes dans la voiture. Tu détestes te mêler à ce monde. Tu vous sais supérieurs en ton point - les imiter, c'est s'abaisser à eux.

— « Qu'il aille se faire voir. Tous, d'ailleurs. Ils ont raté une chance d'avoir enfin un film qui dépasse le millier d'entrées. »

Tu souffles pour te calmer, croises les jambes sans attacher ta ceinture. Sors ton portable pour checker d'une moue lasse tes notifications.

Et pourquoi c'est lui qui bosse pour toi déjà ? Pourquoi est-ce que c'est lui que tu paies ? Tu dois bien admettre qu'avoir pourri la vie de tes anciens managers n'a en rien aidé ta carrière. S'ils se bousculaient au début pour s'occuper de toi, les rumeurs sur ta personnalité ne tardèrent pas à se répandre comme une trainée de poudre à Hollywood. Et les managers sorciers ne courent pas les rues. Tu dois maintenant collaborer avec cet arriviste de Blair Stratford. Te faire arriver au sommet, qu'il dit vouloir - et c'est des conneries. C'est son propre égo qu'il veut booster.

Assis dans la voiture, tu fixes ton téléphone en l'ignorant. Tu le laisses t'attacher, ne réagis qu'à peine quand ses doigts effleurent tes cheveux pour les remettre derrière ton oreille. Si tu n'as pas cillé, ton oeil, lui, a louché sur lui au moment où il s'est renfoncé dans la banquette de son côté. Rien à faire, tu n'arrives pas à le percevoir comme ton allié.

— « Stratford. »

Le ton de ta voix n'est pas aussi sec qu'a pu l'être le sien. Mais tu ne souris pas, et alors que tu l'interpelles, tu relèves lentement le menton sans pour autant le regarder. Tu fixes droit devant toi.

— « Ne me traite pas d'enfant. Ça m'embêterait de devoir te dénoncer pour comportement inapproprié. »

Il peut le voir, du coin de l'oeil, à quel point les tiens brillent d'une lueur déterminée. Tu esquisses un léger sourire menaçant avant de retourner sur ton téléphone. Tu ne diras pas un mot de plus jusqu'à destination.
Quand la voiture se gare, tu fais déjà la moue - te forces à étirer un sourire quand tu descends sous les flashs de papparazzi. Quelle plaie, penses-tu. Tu avances vers la boutique sans leur adresser un coup d'oeil, privatisée juste pour toi. Une fois les portes fermées, tu souffles un bon coup. Blair se précipite pour récupérer un costume. Tu détailles les finitions d'un oeil expert.

— « Ouai. »

Tu lui prends des mains, files en cabine. Tu ne mets pas beaucoup de temps à l'enfiler. Décides cependant de ne pas sortir tout de suite. C'est dans ce genre de moment que tu demandes ce que tu fous là, ce que tu fiches à articuler ton corps comme celui d'une vulgaire marionnette. Ton besoin d'attention est saturé par une autre envie : celle de te mettre minable. Tu sors de ton sac une bouteille de tequila bon marché. Tu fais sauter le bouchon et en bois plusieurs gorgées directement au goulot. T'essuies la bouches avec ta manche - et le costume pue déjà l'alcool. Tu jettes la bouteille sur ton sac et tires le rideau.

— « Et me voici ! »

Tu tapes la pose, insupportable. Tu souris, fais des clins d'oeil à ton public inexistant.

— « Haha ! Je suis beau, hein ? »

Tu ne fais qu'étirer un sourire hautain quand il te dit que tu es beau. Evidemment que tu l'es. Tu prends plaisir à l'entendre, mais redescends rapidement de ton nuage quand il s'approche de toi. Ses doigts à quelques centimètres de son col, ton haleine alcoolisée s'échoue sur son menton. Quand il comprend tu ricanes, t'es vraiment une merde. Tu veux voir comment il va gérer cette nouvelle situation - sûrement mieux que tu ne la gères toi-même. T'es à l'image d'un enfant gâté, putain il a raison. Tu enchaines les conneries pour attirer l'attention.

— « Ouai ça me plait. Je l'achète. J'achète tout, en fait. »

Il sent ce que tu sens. Tu fronces les sourcils à ton tour, et quand il t'écarte tu recules un peu pour aller t'adosser au comptoir juste derrière vous. Tu l'observes rentrer dans la cabine. Tu essaies de te pencher pour le voir, même de loin. Tu écartes les bras pour t'étaler un peu plus et quand il revient tu le provoques un peu plus.

— « Mais je n'ai pas fini les essayages ! »

Tu passes une main à ton front pour encaisser l'élan de fièvre qui te monte à la tête. Cette tequila n'avait pas vraiment bon goût. C'est donc à ça que se tuent les pauvres et les jeunes ?

— « Ça serait dommage de rentrer maintenant, Stratford. On a encore du temps sur notre planning non ? »

Tu sors ton téléphone.

— « Je veux dire... Y'a pas mal à se faire un peu de bien. J'avais soif. Et je voulais pas déranger le merveilleux staff de la boutique. »

Clin d'oeil à la vendeuse qui ne peut pas s'empêcher de rougir. Ça devient grisant, c'est tout le temps la même chose.

— « Débride toi un peu Blair, et goûte-y si t'as besoin de te détendre. »

Ça t'enrage qu'on te materne autant. Blair est ton manager, pas ta maman de substitution. Et pourtant il se fait ferme, donne les ordres... à toi, au reste des gens qui vous accompagnent. T'as l'impression d'avoir aucun contrôle. T'as cette impression que tout t'échappe et que tu dois juste suivre sans pouvoir réellement décider ce que tu veux faire. Si tu veux te mettre minable, putain, c'est ton problème ! Tu t'enfonces un peu plus contre le buffet, le laisses s'emparer de ton visage - et la menace fuse encore dans le fond de tes yeux furieux. Tu ne la remets pas à l'ordre du jour, te constates de tourner la tête pour te dégager.

— « Arrête, c'est moi qui vais finir par croire que tu es mal luné. C'est bon t'as gagné on se casse d'ici. »

Tu déglutis quand il s'éloigne. Pendant une seconde ça t'a effleuré l'idée qu'il puisse s'inquiéter pour toi. Juste une seconde... sont revenues ensuite par assaut les vagues de haine et de rancoeur. Il a raison, tu veux juste te saboter.

Vous sortez, il pose une veste sur ton épaule. La voiture est encore là, vous attends. Si vous remontez dedans, tu vas vraiment finir par péter un plomb. Pourtant cette fois tu ne dis rien et t'assois de ton côté. Tu sors immédiatement ton téléphone, furieux et ne dis rien de tout le trajet.
Arrivés dans ta rue, le chauffeur vous lâche et disparais au détour d'un virage. Tu changes d'appartement toutes les semaines, ce qui rend difficile pour les fans et les photographes de t'attendre en bas. Il n'y a personne devant l'immeuble. Tu n'attends pas Blair, pénètres l'entrée. Constatant que le hall est vide, tu transplanes ensuite directement au dernier étage, derrière ta porte, à l'intérieur. Soupires et te décales pour le laisser faire de même.

— « Tu sais, tu peux rentrer chez toi hein. T'as pas une femme qui t'attend ? Des gosses ? Une vie je sais pas. Je sors ce soir de toute manière. »

Il te répond comme un petit chien malheureux et seul, tu lèves les yeux au ciel. Pas que tu manques d'empathie mais t'as appris à pas t'apitoyer sur ton sort et celui des autres. Tu essaies de l'ignorer, allumant l'immense télé du salon pour détourner ton attention - pourtant ton regard retourne toujours vers lui. Merde, il te fait un peu de peine malgré tout. Tu joues avec tes doigts, un peu mal à l'aise qu'il t'inspire autre chose que de la tyrannie (presque de la sympathie).

— « Bouhouhou. Ta femme t'a quitté. Laisse-moi deviner.. »

Tu sais pas pourquoi tu prends tout comme un jeu. Rien n'est jamais sérieux avec toi.

— « ... Tu l'as trompé ? Non, pas ton style. Elle t'a trompé peut-être ? Genre t'étais tellement obsédé par ton boulot que votre couple en a pris un coup et elle s'est barré avec un autre ? »

Étires un sourire victorieux, ignores royalement sa question sur la boisson. T'es pas alcoolique Zadig, juste trop fêtard. Tu t'es convaincu de cette réalité et t'as pas du tout envie qu'il la remette en question. Pas aujourd'hui - car aujourd'hui c'est sur lui que tu veux en apprendre davantage.

— « Je suis sûr que j'ai bon. »

Tu sautes du canapé, fronces les sourcils en longeant le bar de l'autre côté. Tu le rejoins dans la cuisine en faisant le tour.

— « En même temps... Si tu t'investis à ce point dans la vie de tes talents, tu m'étonnes qu'elle est partie. Sérieux Stratford je peux me commander à manger, pourquoi est-ce que tu cuisines ?! T'es pas ma bonne. »

Et pourtant dieu sait que ça te fait du bien de pouvoir compter sur quelqu'un.

Tes provocations ne prennent pas. Il reste calme et serein. Il t'explique sa vie sans cesser de couper ses légumes avec minutie. Marianne, elle est maman, il ne le regrette pas. Tu ne comprends pas - mais tu comprends un peu quand même. Tu n'as jamais été très doué pour rentrer en empathie avec les autres. C'est seulement quand ça t'arrange que tu entends leurs peines et leurs chagrins, leurs aspirations. C'est quand tu peux jouer des tiennes ou prendre profit des leurs. Aujourd'hui, tu n'as rien à tirer de Blair et de son malheur.

— « Je vois. »

Ça t'en as bouché un coin d'avoir raison sur sa femme et sur le reste. Du moins, la vérité est beaucoup moins empoisonnée que celle que tu lui as susurré. Tu croises les bras sur le comptoir.

— « T'es putain de prévisible oui. Mais qu'est-ce que tu veux... C'est mieux comme ça en vrai. »

Ça peut paraitre rude mais c'est tout le contraire.

— « Elle est plus heureuse comme ça. Et toi tu... »

C'est la première fois que tu t'en inquiètes. Tu te tais, l'écoutes te témoigner sa passion pour le métier, pour ses talents. Tu hausses un sourcil quand il te qualifie de talent brut. Tu as ce petit sourire en coin, insupportable. Tu sais Zadig, tu sais qu'il te regarde comme les autres - avec un peu plus d'humanité.

— « Je sais. Que tu en as quelque chose à faire. »

Tu fais le tour du comptoir, te penches par-dessus son épaule.

— « Au fond, t'es juste passionné de cuisine et tu préfères te cacher derrière mon bien-être pour préparer un concours. »

Tu tires la grimace en voyant autant de vert.

— « Eurk, bordel tu comptes faire une soupe détox ou un bon petit plat ? God, Stratford, fais au moins l'effort de me DONNER ENVIE de manger. »