— Bien, que comptes tu faire maintenant ?

Tu t'emploies à rester le plus droit et le plus calme possible. La question était attendue, pourtant elle t'agace. Deux mois. C'est peut-être déjà une éternité pour elle.

— Être patient, la précipitation n'apporte rien de bon.

Tu vois à sa moue qu'elle est déçue. Elle voulait des noms, des lieux, des indices, des esquisses. Un plan, qu'importe qu'il fut bancal, incomplet ou tout juste mauvais pourvu qu'il existait. Un plan, pour lui montrer que tu n'as pas abandonné, que tu ne vas pas te contenter de maintenir votre barque sur l'eau, que tu as encore l'ambition de faire de votre radeau un navire de guerre capable de mettre à genoux le ministère. Tu soupires, poursuis sur un ton égal. Comme toujours, tu t’efforces de rester calme.

— Grâce à mes investissements sur le chemin de traverses et l'allée des embrumes, nos finances ne seront pas inquiétées. Nous pourrons conserver notre train de vie d'avant les attentats et cela sur le long terme. Quant au reste, nous avons répudié publiquement les traîtres. La décision des grandes familles est compréhensible même si je ne l'approuve pas. Ce qu'ils ont fait est ignoble et impardonnable, mère. Ce sont des meurtriers, qu'ils eussent habités entre ces murs n'y change rien.

Elle sourit. Assassine. Délicieuse. Glisse ses mains contre tes joues, ses lèvres rouges carmins, elle ne porte plus que cette couleur depuis que père n'est plus là. Tu ne te rends compte que maintenant d'à quel point tu as sous-estimé sa puissance, son influence. Tu as toujours été trop focalisé sur ton père pour voir les forces cachées dans son ombre. Isabella était redoutable. Peut-être bien plus qu'il ne l'a jamais été.

— Mon chéri... Douce, ses élans maternels te glacent le sang. Impossible de dire s'il l'a aimé, ton père. Parfois, tu te demandes si elle vous aime. Ses lèvres qui s'étirent et tu te tends. C'est parfait, en mentant comme cela, même nos amis les Lestrange finiront par te croire.

On toc à la porte. Délivrance. D'un geste mesuré tu repousses ses mains, béni les coups légers et pressés d'Iphigénie. Tu l'autorises à rentrer, l’accueilles dans un sourire. À côté de toi ta mère repositionne une mèche de cheveux derrière son oreille avant de glisser jusqu'à la porte. Son sourire ne la quitte pas, jusqu'à ce qu'elle referme la porte du bureau derrière elle, tu ne la quittes pas du regard. Tu es tendue, tente de dénouer tes épaules en les faisant jouer.

— Ginny, approche.

Tu lui tires une chaise avant de t’asseoir près d'elle. Tu ne viens pas te poster derrière l'épais bureau de votre père, s'il y a bien quelqu'un dans cette maison avec lequel tu n'as pas besoin de mètres de distance c'est bien elle.

— Veux-tu boire quelque chose, petite sœur ?

Ses mains dans les tiennes que tu serres autant pour la rassurer que laisser couler sur toi la sensation des doigts de mère sur ton visage, son sourire doux (acide), ses mots qui t'ébranlent, tu hais comment elle agrippe tes doutes et contradictions pour les faire ressortir au grand jour.

Est-ce que ça va ? Elle te demande. Tu secoues la tête dans un sourire maigre.

— Ça va, mère est inquiète voilà tout.

Quant à savoir si c'est pour votre bonheur ou son propre prestige tu ne veux pas le savoir. T'essayes de te reprendre, votre monde est déjà suffisamment fracturé depuis deux mois. Les masques tombent, tout autour de vous se fait mensonge. Père si droit, si juste, assassine. Votre Oncle, si solaire, si rieur, fait hurler. Votre mère, si discrète, se fait vipère. Dans tout ce flot tu ne sais plus qui croire, quoi penser. Tu sais juste que tu dois tenir bon, parce que si tu baisses les bras tout s'effondre, parce que si tu abandonnes c'est à Iphigénie qu'on demandera de rendre des comptes et que tu lui as déjà assez fait payer le poids de ta propre lâcheté. Tu dois être le frère dont elle a manqué ces dernières années. Alors tu relèves la tête, courageux. Accentue ton sourire avant de quitter la chaleur de ses mains pour sortir une cigarette.

— Elle veut que tout redevienne comme avant. Elle n'est pas la seule, mais malheureusement je ne peux pas faire de miracle.

Tu l'allumes du bout de ta baguette, tires une première fois dessus, sens tes épaules se détendre alors que tu renverses la tête pour souffler la fumer. Tu te doutes qu'elle n'aime pas ça, Iphi. Tu as commencé pour les mauvaises raisons après tout.

— Ceci dit, ça tombe bien que tu sois venue, je voulais justement te parler.

Tu te rends compte que tu as manqué à tous tes engagements. Elle est si douce Iphi, elle est là, toujours, pilier parmi pilier, qui jamais ne plie, qui jamais ne romps. Pourtant tu distingues que ses cernes sont toujours présents, que ses traits sont encore marqué des derniers événements. Elle a subi autant que toi, peut-être même plus. Tu baisses les yeux, sincèrement navré.

— Je voulais m'excuser pour commencer. Ces dernières années ont été un enfer pour toi et je n'ai été que trop peu là pour t'épauler. Idem pour le ministère, j'ai agi ou non agit sans penser aux conséquences que cela aurait sur toi. Après ta démission je voulais que tu te reposes, que tu prennes du temps pour digérer les choses mais ce n'est pas de ça tu as besoin, n'est-ce pas ?

Tu esquisses un sourire.

— Rosalia m'a, disons, très justement fait remarquer que j'étais un grand imbécile de penser que te laisser inactive était une bonne idée.

Plus rien ne sera comme avant. Ça aussi t'est bien sûr de pouvoir l'entendre et ça même si l'univers entier te le martel depuis des années. Plus ton monde mute, plus tu te plonges dans l'avant. T'avances parce que tu le dois, pourtant c'est toujours le regard tourné vers l'arrière. Tu t'es plaint, Jasper, t'as qualifié ta vie de plein de mots pourtant hier te sembles toujours plus beau qu'aujourd'hui et que demain. Tu vis dans la nostalgie constante, dans le rêve un peu fou qu'un jour, peut-être, tu te réveilleras dans ton lit, à Poudlard, pour te rendre compte que tout ça n'a été qu'un mauvais rêve. Tu admires Iphi, parce qu'Iphi ne rêve pas par facilité. Elle a cette force de caractère, elle est le roseau qui ne casse pas. T'es le plus grand, pourtant. Tu tires une nouvelle fois sur ta clope.

— Nous sommes d'accord. Peut-être pour ça que tu y mets un peu de fierté. Néanmoins on peut me reprocher beaucoup de choses et à raison. Je voulais que tu saches que j'en suis conscient, que je ne suis pas aveugle face à mes propres manquements.

Malgré tout les maximes du père on la vie dure, quand bien même lui-même n'a pas jugé bon de les appliquer. T'esquisses un sourire quand ton regard dérive sur le cadavre de la beuglante de Rosalia.

— Tu lui manques, tu sais. J'aurai bientôt assuré suffisamment nos arrières pour qu'on puisse se permettre de prendre quelques jours de repos. Je pourrai t'emmener la voir, si tu veux.

Ainsi vous pourrez vous extirper de cette maison, des griffes de mère, respirer un peu, boire l'horrible thé sucré de Rosalia sur son horrible fauteuil recouvert de son horrible plaid en patchwork. Comme au bon vieux temps. On y revient toujours. L'idée te plaît.

Tu t'extirpes de ton fauteuil, toujours ta cigarette coincée entre tes lèvres. Avant de parler vacance, il y a des choses dont tu devais t'assurer. Tu tires d'un de des tiroir un porte-document en cuir noir que tu finis par lui tendre. Dedans, des photos d'un local modeste sur le chemin de traverse accompagné de divers papiers. Tu lui laisses prendre connaissance des documents. Croise les jambes assis sur ton fauteuil, bien moins droit maintenant que mère n'est plus là.

— Je sais que tu n'iras pas te contenter d'un poste de figuration. Alors j'ai réfléchi et je crois avoir trouvé quelque chose.

Tu tapotes distraitement tes doigts contre l’accoudoir, de l'autre main tu joues avec ton mégot, tires, souffle, scrute sur le visage de ta sœur la moindre de ses expressions. Tu laisses quelques secondes le suspense faire avant d'enfin expliquer.

— J'ai acheté ce local sur le chemin de traverse peu avant les attentats. Le projet initial était de faire un appel à projet pour voir comment l'exploiter de la meilleure des façons mais je suis prêt à te le céder si tu en as envie. Tu pourras y faire ce qui te plaît. La seule chose que je te demanderai c'est un loyer tous les mois une fois que ton activité sera lancée.

Tu finis par écraser ta cigarette.

— Bien sûr, les travaux te seront avancé quelque qu'ils soient. Ce ne sera sûrement pas facile, tu es fille de terroriste après tout mais si tu arrives à lancer ton affaire cela pourrait nous être utile. Les grandes familles sont une chose, Ginny, l'opinion publique une autre.

Et cette opinion publique même le père Lestrange n'a pas eu l'audace de la sous-estimer.

C'est vrai, elle a même son permis, maintenant. C'est qu'à force de te retrancher sur toi-même t'avais perdu de vue le fait que, elle aussi, elle avait grandi. Tu viens faire reposer ta tête sur ton poing, l'observes, son sourire contagieux.

— Bien sûr, bien sûr, pardonnez-moi mademoiselle l'adulte je ne voulais pas vous vexer.

Ton regard s'éclair, tu vois que le sien vient d'accrocher l'information primordiale. Son nom, sur le contrat. Pas encore signé parce que, comme elle l'a si bien soulignée, elle n'avait plus dix ans. Et tu ne veux pas être ce chef de famille qui décide pour les autres, imposes sans explication. Ce local ne sera peut-être pas son bureau chez les aurors, ce ne sera certainement pas la même adrénaline, la même reconnaissance publique. Mais c'est un bon moyen de mêler l'utile à l'agréable, de garder la tête haute, de leur montrer, à ces moutons hypocrites du ministère, qu'un Fawley ne s'arrête pas d'avancer à une humiliation près.

Tu hoches la tête, elle pose et répond aux questions, elle a saisi l'idée.

— Pas très loin du fleuriste. Pour le moment, le monde est choqué et ça se comprend. La réaction unanime de la population est logique, les tragédies soudent, spécialement depuis The Crow. Mais tu l'as bien vu toi-même, la solidarité ne dure jamais bien longtemps.

Passé le choc et le chagrin les mouvements solidaires s'estompent, les alliances se rompent. Les gens cessent de se voir en communauté et se font individualistes. C'est dans la nature humaine, tu penses. L'être humain est une espèce trop gâtée pour cesser de regarder son nombril. Tout l'enjeu était de savoir si vous alliez réussir à profiter du creux de la vague pour vous présenter en victimes de votre père et non en complices. Tes yeux brillent, elle pourra sûrement le voir Iphi, le signe que tu échafaudent des plans, le signe que tu mets en mouvement tes pions.

— Nous avons répudié publiquement notre Oncle et père, il va falloir maintenant s'employer à leur montrer que nous n'avons rien en commun avec eux.

Tu te lèves, soudain impatient, va te servir un verre, réfléchir, planifier, prévoir, les mêmes mécanismes mise en place des années plus tôt pour surmonter la "mort" (ça t'irrite toujours autant) de Clovis. Les mêmes mécanismes que tu mets en place maintenant pour surmonter la crise.

— On ne peut pas compter sur les grandes familles, elles dépendent d'un fonctionnement trop rigide. Si certains nous croient, aucun d'eux n'osera pour autant le dire. Mais les sang-mêlés ? Les nés moldus ? Notre monde change, Magnus Lestrange est mort, les progressistes y voient une porte grande ouverte vers les réformes. On peut choisir de continuer à prendre la poussière comme le reste des sang-pur ou nous pouvons tenter de prendre la vague, d'avoir notre place dans ce nouvel âge d'or. Qu'en dis-tu ?

On fonce. Voilà ce que tu voulais entendre, l'excuse pour vous mettre en mouvement, pour agir, ne pas subir, ne pas rester passif parce que la passivité est très certainement ce qui t'aurai tué si tu l'avais embrassé. Et qu'importe que vos vies soient à la dérive depuis deux mois, qu'importe que la tienne n'est qu'apnée depuis des anées : tu ne veux pas mourir, Jasper. T'ignores si c'est une volonté qui fait ta force ou trahi ta faiblesse cependant.

Malgré tout, tu laisses le sourire poindre sur tes lèves, la sensation de ton verre dans la main, ce contact toujours rassurant, d'avoir ce verre à la main. Tu trempes tes lèvres dans le liquide âcre, c'est devenu tellement une habitude que des fois tu te surprends à réaliser que tu bois. Tu sens tes épaules se relâcher. Un plan. Un objectif. Une mission. Voilà ce dont tu as besoin pour exister. Dans le fond, Iphigénie et toi n'êtes pas frère et sœur pour rien. L'inactivité vous tue.

Mais elle pointe du doigt un point que tu ne peux pas ignorer. C'est vrai. Il en faudra, ne serait-ce qu'un. Le système est vieillot, sur le déclin mais il existe. Pour s'y faire une place il faudra soit le détruire lui et tous ses acteurs ou le modifier en profondeur. Mais vous n'en avez plus la légitimité, plus depuis deux mois. Soudain l'image de ce petit garçon blond et solaire s'impose. Pour toi y a encore de l'espoir, qu'il disait.

— Si les Lestrange pouvaient nous considérer victimes au même titre qu'eux...

Ça s'échoue sur tes lèvres, doucement. Il n'y a plus le vibrato de l'excitation, ton regard se perd dans le vide, dans la couleur ambrée du liquide. Tu ne la regardes pas quand tu lui poses la question, obstinément tourné de dos.

— Comment était-il ?

Tu ne lui fais pas l'affront de prononcer son nom. Elle sait. Plus d'un mois qu'elle t'as parlé de lui, plus d'un mois que tu fais semblant de n'avoir rien entendu. Tu te souviens encore du regard que tu lui a lancé, de la supplique muette, ton cœur trop agité pour entendre ce nom de nouveau, pour le visualiser vivant, sa peau chaude, son regard perçant, son rictus insolant, alors que cela fait quatre ans que tu te persuades de l'imaginer éteint, mort, définitivement absent. Le simple fait de sentir son nom résonner dans ta tête rend ta gorge sèche. Tu laves son nom interdit par une première gorgée, laisse l'alcool brûler, comme-ci il pouvait effacer toute trace de sa présence. Tu tournes la tête vers elle, oses essayer de comprendre ce qui passe dans ses yeux. C'était son frère à elle aussi. Tu laisses de côté le futur incontournable du chemin de traverse l'espace d'une poignée de minutes. Il est temps de parler des absents.

Ton cœur déchiré par la colère coupable. Comment était-il ? Tu n'es même pas sûr de vouloir le savoir. Il est parti, il t'a laissé dans l'ignorance toi qui n'avais aucun secret pour lui. Il t'a laissé pleurant et meurtrit quand vous vous étiez promis de toujours veillez l'un sur l'autre, car c'était le monde entier contre vous. Il est revenu et ton sang a fait couler le sien. Il est revenu pour retrouver sa maison à moitié vide et c'était ton nom qui en était responsable. Même si toi tu n'avais rien à te reprocher, même si toi tu n'y étais pour rien. Tu t'étais senti coupable de la colère qui t'animait, sans jamais pouvoir vraiment l'abandonner pour autant. Clovis. Clovis. Clovis. Même encore aujourd'hui ton cœur s'anime.

Mais tu as posé la question. Tu n'iras pas te rétracter. Tu veux l'entendre de sa bouche, tu veux qu'elle confirme tout ce dont tu t'es accablé seul ces deux derniers mois. Clovis vous déteste. Clovis est vivant mais mort. Clovis n'est plus le soleil contre lequel tu iras te brûler. Clovis. Clovis c'est finit. Ainsi peut-être tu pourras l'oublier.

Il était froid. Distant, absent...

Tu fermes les yeux quelques secondes. Oui. Oui. Ça fait sens. Tu ne dois pas être déçu. Dans le fond ça t'arrange. Le regard d'Iphigénie se voile, mais t'essaye toi d'y trouver une forme de bien.

C'étai- ... Ce n'était pas Clovis.

Tu redresses la tête. Cette phrase t'ébranle. T'en veux à ton cœur de se sentir inquiet, tu t'en veux de te sentir si faible, encore prompt à tout lâcher pour peu que tu puisses être à ses côtés, l'épauler, comme tu as pu le faire des années durant, qu'importe que ça puisse mettre en péril tout le reste, parce que tu es ce cavalier, cette tour et ce fou du roi qui va et vient d'un bout à l'autre de l’échiquier pour sa seule victoire. Parce que t'es un gros con.

Il m'a fait peur, Jasper.

Tu prends sur toi. Étouffe ce qui monte. Sois fier, Jasper. Sois égoïste, Jasper. Tu détournes la tête.

— Il revient d'entre les morts pour découvrir une maison vide de presque la moitié de ses occupants et pour prendre une place dont il n'a jamais voulu. À quoi pouvais-tu t'attendre ?

Sur tes lèvres, s'échoue le liquide. Tu ne sais pas si tu bois pour calmer le tapotement nerveux de ton pied ou les relents d'une affection qui n'a jamais cessé de s'arrêter.

Tu peines à la croire. Tu as envie de dire qu'elle exagère sûrement, que ce ne sont que les contres coups attendus d'une épreuve comme celle que Clovis traverse en ce moment. À force de voir de la peine autour de soit on ne voit rien d'autre. Il y a l'affect à prendre en compte, aussi. Oui, tu voudrais croire qu'elle exagère, mais elle a besoin d'entendre le contraire, n'est-ce pas ? Et tu ne sais pas, Jasper, si ta réserve vient d'un sentiment sincère ou juste d'une tentative lâche de ne pas voir certaines réalités en face.

— Est-ce la conséquence des derniers événements ou tu soupçonnes autre chose peut-être ?

Elle s'approche, passe une main sur ton épaule. Tu fais l'effort de te redresser un peu, de lui sourire. Est-ce que ça va ? Non. Ça n'allait pas hier, ça n'ira pas mieux aujourd'hui. Seulement, on ne peut se laisser abattre. On ne peut se permettre de fermer les yeux, de faire du sur place. Chaque pas est une souffrance mais le moindre arrêt est mort. Et tu ne veux pas mourir, Jasper. Pas encore. Tu passes une main tendre contre sa joue, la caresses du pouce.

— Et toi ?

Tu ne réponds pas à sa question, tu n'as rien à répondre. Rien qui ne lui irait du moins. Si tu dis oui elle pensera que tu mens, si tu dis non elle se sentira coupable.

— Je peux essayer de contacter Evonice, elle sera peut-être la seule à ne pas jeter son pineapple au feu si je lui envoie un message. Lui demander des nouvelles de Clovis. Est-ce que ça te rassurerai ?

Tu viens embrasser son front, essayes de sourire encore.

— Laisse le temps faire son œuvre.

Même si le temps n'a fait que vous torturer.

Penser à toi, tu n'en as pas le loisir, pas pour le moment. Le poids est lourd et permanent pour qui porte la couronne. Elle le sait ou du moins elle s'en doute. Tu ne peux pas, il sera toujours temps de penser à toi, de prendre soin de toi quand les premières retombées de la trahison de votre père seront réglées, qu'un semblant d'avenir sera possible pour vous. C'est un véritable marathon, une véritable guerre d'usure qui s'opérait en coulisse. Toutes tes ressources sont mobilisées et ne peuvent l'être ailleurs. Néanmoins tu lui concèdes, espérant que le mensonge soulagera sa conscience.

— Je prendrai du temps pour moi quand j'aurai réglé les derniers détails de mes affaires, tu as ma parole.

Tu vois à sa grimace que la perspective que tu contactes Evonice la gêne. Ce serait pourtant le plus simple. Tu n'es pas naïf, Clovis ne se laissera aider ou approcher que s'il en a l'envie. Tu ne l'as pas revu depuis son départ, trois ans plus tôt, mais tu sais d'avance qu'il n'ira ni tendre la main, ni prendre celles qui lui seront tendues. Surtout les vôtres. Tu détournes brièvement le regard. Elle ne sait pas, Iphi, c'est navrant, mais elle finira par apprendre.

— Tu confonds vitesse et précipitation. Le temps peut te sembler lent, mais tu n'as pas le pouvoir de le faire plier, Ginny, ni d'affecter la perception que peuvent en avoir les autres. À vouloir forcer les choses, c'est toi qui t'en retrouveras blessée. Modère-toi pour le moment, cela vaudrait mieux pour toi et pour nous.

Un peu cruel, d'impliquer le nous dans cette histoire. Seulement, tu sais que c'est bien le seul argument de poids qui ira la pousser à la tempérance. La question qu'elle te pose ensuite te surprend. Tu écarquilles brièvement les yeux avant de te recomposer un visage impassible. Le voir ? Toi ? Sous le tissu lisse de ton costume impeccablement porté, le cœur s'accélère. Elles reviennent à l'assaut, cruelles, les images ancrées dans tes souvenirs. L'éclat de ses yeux, le sourire insolent, la chaleur qui perce de toutes les fibres de son être, le côté cruel et égoïste qu'il pouvait avoir parfois, mais qui ne t'a jamais fait t'arrêter de marcher dans ses pas. Brutale est ta réponse lorsqu'elle tombe.

— Non.

Tu te rends compte trop tard de la violence de ton ton. Tu te corriges, rapidement ta main vient trouver la bouteille et tu te verses un nouveau verre.

— C'est la dernière chose à faire. Clovis n'est pas Evonice. Tout contact avec les Lestrange pourrait se retourner contre nous. Pour le moment nous avons encore trop peu d'information sur la position de Clovis. Je n'irai pas mettre en danger cette famille plus qu'elle ne l'est déjà.

Tu bloques dans le fond de ta gorge les réflexions qui te viennent. Tu n'as pas besoin de l'accabler davantage, tu n'en as pas l'envie. La vérité, c'est qu'elle souffre autant que toi mais que le rôle qui est le tien, la situation qui est la vôtre, te force à la museler par la force. Car Iphi ne voit pas, ne sait pas combien la partie d'échec que tu joues est désespérée. Combien vous êtes proche de voir votre roi tomber et des conséquences qu'aurait la défaite sur vos vies. Elle est encore si jeune, elle a tant d'années à vivre. Si tu n'as que peu de considération pour ta mère, ta grand-mère ou même ton propre avenir, tu as à cœur celui de ta sœur. Tu lui dois l'excellence pour espérer qu'elle puisse connaître la paix et l'épanouissement. Tu n'aimes pas te montrer cruel et tu aimes encore moins la manipuler. Mais tu es prêt, Jasper, prêt à tout car c'est tout qui est en jeu et que tu te refuses de tout perdre.

La même chose quand elle insiste sur Clovis. Tu ne peux pas. Tu ne dois pas. Elle chante la vérité sans se rendre compte qu'elle te tue. Ou peut-être le sait-elle ? Il t'a toujours semblé qu'elle en savait bien plus qu'elle ne voulait le dire. Tu t'obstines à fixer ton verre, boire à grande gorgée le liquide parce que la brûlure âcre de l'alcool, la douce anesthésie qu'il provoque est la seule chose qui t'empêche de pleurer en cet instant.

Tu as besoin de lui, non ?

— C'est bien ça le problème.

Les mots se bousculent. Tu détestes chacun d'entre eux. Faille que le cœur laisse ouvert alors que tu te fermes, chaque muscle, chaque fibre de ton corps qui crie que tu n'es pas prêt, que tu ne veux pas en parler, qu'il y a trop de sentiments contraires pour en tirer quoi que ce soit de constructifs. Un mélange d'amour, de passion, de haine, de reproche et de frustration. Il a fallu que ton père y ajoute la culpabilité. Quand tu penses à Clovis, t'as envie de crever.

— Cesse de regarder en arrière, Iphigenie. C'est pathétique.

Toi qui ne fais que rêver d'hier. Toi qui blesses parce que tu ne supportes pas demain. Dur, alors que tu poses ton verre, d'un geste sec, vient t'enfoncer dans le siège de votre père. Sourcil froncé, visage de glace, regard brûlant. Aussi effrayant que ce soit, tu es son portrait craché en cet instant.

— Clovis est parti et nous a infligé son deuil pendant trois longues années. Notre père a tué le sien. Peut-être es-tu naïve ou peut-être as-tu juste du mal à accepter la situation mais le fait est que les choses ont changées et que Poudlard ne reviendra pas.

Poudlard ne reviendra pas.

— Je ne souhaite plus discuter de cela avec toi. D'ailleurs, je t'interdis formellement de fréquenter Clovis Lestrange ou n'importe quel membre de sa maisonnée jusqu'à nouvel ordre. Concentre-toi sur ton futur commerce et laisse moi gérer le reste. Ce sera tout, sort d'ici maintenant.

Hermétique. Tu te drapes d'indifférence, tu t'enfonces dans ton siège, te laisses recouvrir des épines de la violence comme une barrière contre le monde, comme une barrière contre elle. Et ça fait mal, si elle savait. De la voir s'agiter. De la voir s'énerver. Mais tu ne veux lui accorder aucun pouvoir, aucun crédit. Par lâcheté, par peur aussi. Alors tu te drapes, d'épines, les faits plus nombreuses, plus meurtrières pour la tenir à distance. Car c'est ce que tu sais faire le mieux face à tes problèmes. Disparaître. Faire disparaître. Parce qu'on t'a appris à servir, pas à demander de l'aide. Parce qu'on t'a appris à défendre, pas à combattre ensemble. Tu lèves, un regard morne sur elle.

— Tu as fini ?

Comme d'habitude, tu intériorises, laisses le flot d'émotion être souterrain. Tu la déchires consciemment, tu te persuades que c'est pour votre bien.

— Ce sera tout.

Tu désignes du menton la porte avant d'ouvrir un dossier au hasard, faire semblant de te plonger dans le travail. Sa dernière réflexion t'arrache un tremblement. La porte claque et tu poses le dossier, fixe devant toi, fixe l'entièreté du bureau de ton père. Devant toi la tâche claire qui trahit la présence de son ancien portrait. Brûlé comme toutes les autres traces de son existence et pourtant, tu le sens t'observer, encore.

— À qui la faute ?

Murmure. Lâche.