in the

dark

L'été l'étouffe.
Dans la chaleur de sa maison, dans la quiétude de ses draps.
Dans le tréfond de ses rêves qui n'en sont pas.
Au fond de son lit, elle tremble. Derrière ses paupières closes se peignent des images, des souvenirs qui tournent en boucle comme un disque rayé qui n'a jamais su s'arrêter. Il fait chaud. Son corps entier lui fait mal. Ses poignets et ses chevilles la brûlent. Sa gorge lui donne encore l'impression d'être entourée d'une constriction. Elle voit la lumière danser sur le sol. Elle n'en voit plus la couleur. Elle distingue les tâches qui décorent le bois. Sur sa langue, le goût trop familier du fer et du sang, mêlé au sel de ses larmes qui ne semblent jamais s'épuiser. Tout lui fait mal. Tout n'est que douleur. Tout la tord. Tout est invivable. Pourtant, elle ne bouge pas. Sur le bois, elle est allongée. Elle n'arrive plus à bouger. Catatonique - elle ne sait plus si c'est la peur ou autre chose qui l'a figée. Les oiseaux chantent ; elle les entend, au loin. La porte s'ouvre dans un fracas - ses épaules sursautent, ses yeux glissent sur la silhouette qui vient de rentrer. Elle replie ses jambes contre elle, pose ses mains sur ses oreilles quand sa voix s'emporte. Encore et encore et encore et encore et encore et encore - les mêmes mots, les mêmes lamentations, la même colère qu'elle ne comprend toujours pas. Elle ne sait plus combien de temps ça fait. Elle ne sait pas combien de temps il lui reste. Peut-être qu'aujourd'hui est le dernier jour. Peut-être qu'elle ne verra pas demain arriver. Est-ce que ça serait si mal ? Plus personne ne doit la chercher. Tout le monde a dû l'oublier. Il s'approche d'elle - quelque chose brille à la lumière du soleil, un reflet. Elle devine une lame. Ah.
Une simple pensée, volage.
Sûrement ne verra-t-elle pas la fin de l'été.

Un sursaut.
Coincé dans sa gorge, un cri. Ses mains s'ensserrent autour de sa gorge alors qu'elle s'étouffe sur l'air qu'elle ne semble plus capable de respirer. Son coeur tambourine dans sa poitrine comme s'il allait en sortir. Elle est en sueur, sur sa nuque coule une goutte de transpiration. Des larmes roulent sur ses joues, ses mains tremblent. Tout son corps tremble. Devant ses yeux, malgré le réveil, des images dansent. Elle se roule en boule comme une enfant, ses poings enserrant ses cheveux - tapant sa tête comme pour en faire sortir les souvenirs. Sors ! Sors ! Sors ! Sors ! Elle ne veut plus penser à l'été. Elle y repense toute l'année - mais chaque saison qui revient, ça ne fait que s'aggraver. Un sanglot finit par sortir de sa gorge - elle cherche à le ravaler, mais ses épaules se secouent et elle finit par s'effondrer ; en silence, comme une enfant qu'il faudrait consoler. Elle tente de respirer, de retrouver son calme. La honte la prend. La culpabilité la noie. Ridicule. Combien d'années se sont écoulées ? Et pourtant, elle est là. Encore à ressasser. Encore à ne pas pouvoir avancer. Elle se disait, plus jeune - grandis. Grandis et l'été sera fini. Mais elle est grande. Et il est toujours là. Redoutable. Aride. Insurmontable. Et elle, malgré son corps d'adulte, elle n'est qu'une enfant coincée dans le temps. Et à chaque fois, elle se trouve ridicule. Un soupire sort entre ses lèvres tremblantes mouillées par les larmes. Ridicule, Persephone. Tu es ridicule.

Maladroitement, elle descend de son lit. Ses pas sont muets sur le sol, comme à son habitude. Elle se fait discrète. Elle ne veut pas réveiller Fallen dans la chambre d'à côté. Elle tâte les murs, sa vision encore floue - tout semble grésiller, comme si elle allait s'effondrer. Avec difficulté, elle fait son chemin jusqu'à la salle de bain. Quand elle allume la lumière, elle se sent agressée. Elle refuse de fermer les yeux, pourtant. Sinon elle va encore être emportée. Porte fermée, elle ouvre le robinet. L'eau coule. Elle en récupère dans le creux de ses mains, toujours agitées de spasmes, et la jette sur son visage. Une inspiration. Une expiration. Elle tente de se reprendre. Elle a l'habitude. Elle sait faire. Il lui faut juste du temps. Juste un peu de temps. Elle passe une main sur son visage, rabat ses cheveux loin de ses yeux. Un demi-tour et elle s'observe dans le miroir. Elle y appose une main, observe les traces des larmes sur ses joues. Quelle tête elle fait. Ridicule, c'était peut-être un euphémisme. On dirait une gamine qui a fait un cauchemar dans le noir. Quel âge tu as, déjà, Persy ? Tu es trop grande pour ces conneries. Elle voudrait soupirer. Elle voudrait se sermonner.

Mais ses yeux la trompent.
Derrière elle lui apparaît l'ombre d'une silhouette qui ne cesse de la hanter.
Sa respiration se coupe brutalement dans sa poitrine. Ses yeux s'agrandissent sous la surprise. Non. Non non non non non non- Elle panique. Elle a peur. Ca monte brutalement en elle - ce réflexe si humain de vouloir courir ou abattre ; et elle qui se fige si souvent, c'est son poing qui frappe. Un fracas monstrueux dans le silence de la nuit. Elle est à court de souffle et pourtant elle n'a pas bougé - à ses pieds, les morceaux du miroir qu'elle vient de casser. Certains finissent de tomber du cadre. Ce n'est pas réel. Elle tente de se persuader. Elle tente d'y croire. Il n'est pas là. Il ne peut plus être là. Il est mort et enterré. Il ne pourra plus jamais l'attraper. Pourtant, malgré ce raisonnement qu'elle connaît, son coeur tambourine et ses jambes lâchent alors qu'elle ne tombe au sol. Rapidement, les larmes reviennent décorer son visage, l'innonder. Sa main est salement amochée - pleine d'ouvertures, on peut presque deviner le contour de certains de ses os. Sur certains de ses doigts, la peau pend ici et là. Elle a mal. Ca monte à son cerveau, doucement. Pourtant l'adrénaline ne descend pas et elle n'en ressent rien. Elle se croit folle, recroquevillée sur le sol de sa salle de bain à une heure indécente du milieu de la nuit, à sangloter comme une dégénérée. La panique la fait planer - l'impression d'être décédée, ou si proche d'y arriver. Elle va mourir. Elle le sent. Cette impression trop familière qu'elle connaît par coeur. Elle va mourir. Quelque chose va arriver, et elle va mourir. Au creux de sa main, elle prend un morceau de verre, l'enfonce dans le creux de sa chair sans regard pour la plaie qui se dessine dans sa paume. Malgré le flou des larmes, elle voit le sang qui perle. Si elle peut encore saigner, c'est qu'elle est en vie. Elle appuie un peu plus fort, la fait doucement glisser vers son poignet.

L'été l'étouffe.
Tout le monde l'a oubliée.
Plus personne ne doit la chercher.
Elle est prête à s'envoler.

in the

dark

Dans le silence de la salle de bain, sa respiration semble lui revenir comme un écho dissonant. Tremblante, fébrile, incertaine. Elle se perd dans la panique, s'accélère seconde après seconde, prête à déraper une nouvelle fois dans les méandres de l'incontrôlable. Malgré le rouge dans sa main, elle est prête à continuer - elle pourra en verser autant qu'il le faut, si ça peut la ramener. Elle a l'impression de partir tellement loin, que personne ne pourra la récupérer. Pourtant, au milieu des méandres du chaos qui règne en elle, son nom résonne. Comme un rappel à la réalité, tentant de l'arracher des ténèbres qui l'embourbent. Lentement, ses yeux se relèvent sur la silhouette de son amie. Elle a l'air perdue. Elle a l'air confuse. Comme si elle ne se souvenait pas de ce qu'elle venait de faire. Comme si tout cela lui échappait. Comme si c'était quelqu'un d'autre qui, l'espace d'un instant, s'était emparé de son corps - l'instinct. Le même qui était sensé la préserver, mais qui était complètement détraqué. Parfois, il la faisait glisser sur des pentes abruptes dont elle n'était jamais sûre de revenir. Dans sa voix, c'est une interrogation.

▬ Fallen... ?

L'incompréhension règne dans son regard trouble. Qu'est-ce qu'elle a fait ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Ses yeux retombent sur sa main qui la lance, subitement. Aux morceaux de verres qui l'entourent et à celui dans sa paume, elle comprend, doucement, ce qu'elle vient de se faire. Fallen lui retire son arme, délicatement. Elle ne peut s'empêcher de regarder la plaie qu'elle s'est faite - circonspecte. Il n'est pas là. Ses larmes ne s'arrêtent pas sur ses joues. Bien sûr qu'il n'est pas là. Il ne peut pas être là. Elle le sait. Elle le sait si bien. Elle n'a jamais vue sa tombe, mais elle se souvient parfaitement de la voix de l'officier de police qui l'a appelée il y a quelques années. Elle se souvient parfaitement des mots qu'on a utilisé.

▬ Pas là... Il n'est pas là...

Elle répète, comme pour se convaincre, comme pour rendre la chose plus concrète. Le moment lui semble irréel, encore. Son esprit est embrumé. L'impression de flotter - l'adrénaline qui redescend en chute libre, la douleur dans sa main qui s'agite de spasmes sans jamais s'arrêter de saigner. Elle repeint le sol de sa salle de bain à une vitesse stable. Fallen s'en va et elle, elle se contente de rester assise, béate. Comme une enfant. Elle se balance légèrement d'avant en arrière, une main sur son poignet légèrement amoché. Pas là, il n'est pas là. Elle pense et répète tout bas, dans des murmures, comme un psaume qui la bercerait. Sur ses épaules vient se poser une texture familière - douce, chaude. Réconfortante. Ses yeux semblent se rajuster, doucement mais sûrement, à la réalité. La voix de Fallen est encore loin, mais elle se concentre dessus et obéit sagement. Elle compte, dans sa tête. Stabilise sa respiration avec des inspirations et des expirations de plus en plus maîtrisées. Elle sent la douleur grandir, l'ancrer dans la réalité. Yeux clos, elle se concentre autant que possible sur la présence à ses côtés. Il n'est pas là. Fallen l'est. Fallen est toujours là. Fallen ne l'abandonnera pas. Fallen est venue la chercher. Elle ne l'a pas oubliée. Elle peut rentrer, maintenant. Pas besoin d'avoir peur. Elle est en sécurité. Lentement, ses yeux s'ouvrent. Ses larmes se sont arrêtées, un court instant. Elle regarde le miroir en face d'elle qui ne la reflète plus. Puis les débris au sol. Puis sa main difforme. Puis sa paume. Puis son poignet.

Et abruptement, c'est la réalisation qui vient la noyer.
Livide en quelques secondes, elle perd des couleurs à vue d'oeil. Ses yeux s'embuent à nouveau et les larmes se remettent à dévaler sur son visage dans la panique plus diffuse qui vient la saisir. L'horreur se paint sur son visage. Mais qu'est-ce qu'elle a fait ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Ses mains recommencent à trembler, à s'agiter bien plus qu'elles ne le devraient. Un ah tremblant s'échappe de ses lèvres, noyé dans un sanglot. La honte peint ses traits. La culpabilité semble la tuer. L'impression monstrueuse d'avoir fait une bêtise. Ses yeux remontent sur Fallen comme une enfant prise en flagrant délit. C'est de sa faute. Elle a encore dérapé. Elle aurait dû savoir se contrôler. Ca fait tellement longtemps. Mais elle a recommencé. Encore. Encore et toujours. Elle est anormale. Elle est cassée. Quelque chose ne va pas chez elle. Elle est adulte pourtant, elle devrait savoir se raisonner. C'est comme si rien ne pouvait la sauver. L'impression d'être un jouet cassé dont on ne veut plus. L'impression d'être foutue.

▬ Fallen..- Sa voix meurt dans ses sanglots, cassée. J-Je suis désolée...- Je voulais pas te réveiller-

Encore une fois, c'est d'avoir dérangé les autres qui l'inquiète.
Plus que sa propre santé.
Elle bégaye, tente de trouver les excuses qui pleuvent dans sa tête par milliers sans pouvoir les trier.

▬ Je voulais pas recommencer, j-je jure je voulais pas, je voulais juste.. Je voulais juste...- Pardon, je suis désolée, pardon... !

Et les sanglots secouent ses épaules alors qu'elle ferme ses yeux qui ne cessent de s'écouler, comme un fleuve en crue qu'on ne pourrait calmer. Elle a l'air si petite, comme ça. Si fragile. Si éphémère. On dirait qu'elle va tomber en morceaux et se mêler au verre. Elle n'ose rien toucher, elle a peur de tout salir, de tout tâcher. Elle se sent sale. Ses lèvres murmurent des excuses par milliers sans pouvoir s'arrêter, le blâme la rongeant de l'intérieur. Elle ne sait plus s'arrêter. La peur au ventre.
Que Fallen puisse être en colère, ou pire - se mette à la détester.

in the

dark

Au milieu des torrents de sa vie, Fallen est une constante.
Là où elle a pourtant chassé tout le monde de sa vie, là où elle s'est séparée de tout ce qui lui était cher et précieux, de tous ceux pour qui elle aurait donné sa propre vie sans hésiter, avec qui elle avait passé des années à chérir et aimer, Fallen était encore là. Elle savait que ce n'était qu'un concours de circonstances. Elle savait que ce n'était qu'un hasard. Elle se doute que si celui qui lui a fait tout ça n'avait pas été un proche, Fallen n'aurait pas su. Fallen n'aurait pas pu comprendre. Elle aurait fini chassée, elle aussi. Interdite à ses côtés. Mais elle était reconnaissante, aussi bizarre cela puisse-t-être. D'autres l'auraient sûrement chassée pour sa parenté. Mais c'est ce qui lui avait permis de rester avec elle. Toutes ces années, Fallen avait été là pour ramasser les miettes qu'elle devenait et tenter de les recoller, au possible. Elle aussi, elle tentait de faire de même. Elle tentait de son mieux de la soutenir et de l'épauler, de chasser ses démons qui la hanteraient toujours et qui, ce soir encore, l'ont empêchée de trouver le sommeil.

Son amie la rassure, lui murmure les mots qu'elle a besoin d'entendre. Qu'elle comprend. Qu'elle pardonne. Qu'elle ne juge pas et qu'elle sait qu'elle fera de son mieux pour tenir debout (pourtant elle retombe et retombera toujours) elles le savent toutes les deux. Mais promettre, ça permet d'espérer un peu.

Et puis, doucement, des bras viennent l'entourer. Elle ne supporte pas le contact, depuis cet été. Mais avec Fallen, ça va. Pas tous les jours. Des fois c'est trop compliqué. Mais souvent, ça va. Ce soir, ça va. Ce soir, elle en a besoin. Et elle est contente de sentir sa chaleur et son parfum familier qui vient bercer son cerveau névrosé. Elle n'ose pas lui rendre son étreinte, de peur de la couvrir du sang qu'elle perd. Pourtant, elle se permet timidement d'enfouir son visage contre elle. Elle lui demande d'aller s'asseoir pendant qu'elle nettoie - oh... Elle devrait aider à nettoyer aussi... Mais elle n'est pas sûre d'aider avec sa main... Elle se sent un peu déçue de ne pas pouvoir être utile. Sa voix est faible, ténue. Fatiguée. Mais elle se force à répondre, quand même, pour prouver qu'elle est toujours là. Qu'elle est revenue. A nouveau ancrée au milieu d'une nuit d'été à ses côtés.

▬ Ok... Je suis désolée que tu doives t'en occuper... Oh, ne te préoccupe pas du sang sur le sol, on verra ça plus tard, ok ? J'ai de quoi le nettoyer même s'il sèche.

Ce n'est pas la première fois que ce genre de choses arrive.
Sûrement loin d'être la dernière également.
Fallen l'abandonne - elle se sent un brin seule, quand ses bras ne l'entourent plus. Elle revient vite pour entourer sa main d'une serviette - le contact la fait grimacer. La douleur est de plus en plus vive, depuis qu'elle s'est calmée. L'adrénaline redescend et son cerveau rattrape les événements. Elle a une très bonne tolérance, pourtant. Elle ne pleure pas, se contente d'une inspiration sifflée. Elle hoche doucement la tête. Un sourire un peu timide naît sur son visage. Fatigué, lui aussi. Mais sincère. Il n'y a que Fallen pour voir ce genre de choses.

▬ D'accord... Tu viens vite, hein ?

Ses joues rosissent un peu, elle a honte de ce qu'elle va ajouter.
Elle baisse un peu les yeux, timide. Hésitante.
Elle finit par les remonter.

▬ Après tout ça... J'aimerais bien un... Hmm...

Zut. Elle n'a plus l'habitude.

▬ U-Un autre... Câlin... 'Fin, si tu veux bien...

Au fur et à mesure, sa voix se fait un murmure qui se perd dans le silence qui les entoure. Elle est une adulte ! Ca ne se fait plus, ce genre de gamineries. Mais elle en a vraiment envie, pour une fois. Et elle n'est pas sûre. Elle ne peut jamais être sûre à cent pour cent. Mais elle pense que si c'est ce soir, alors ça ira. Elle pourra la prendre dans ses bras. Elle se permet d'ajouter, même, gardant ses yeux rivés sur le sol alors que ses rougeurs viennent manger ses oreilles.

▬ Et... Et si t'es d'accord, j-j'aimerais bien qu'on dorme ensemble, après.

Ce n'est pas une première non plus, entre elles.
Elle dormait le mieux comme ça, après tout.
Elle se sentait tellement en sécurité quand Fallen était là.
Comme une enfant. Au fond, elle n'a jamais pu grandir il faut dire.
Son coeur s'est arrêté à ses seize ans, il n'y a que son corps qui a continué.
Elle finit par se relever, un peu chancelante avec tout le sang qui ne cesse de couler et la fatigue qui vient la submerger, mais elle fait attention à ne pas marcher sur les éclats de verre. Une fois dans l'encadrement de la porte, elle se retourne, un dernier regard inquiet vers son amie.

▬ Hmm, devrait y avoir des gangs dans le tiroir de gauche. Mets les pour ne pas te couper avec les débris, j'ai pas envie que tu te blesses aussi...

Sur ces mots, elle se dirige dans le salon. Il est encore plongé dans les ténèbres, alors elle s'empresse d'allumer la lumière qui l'aveugle légèrement. Elle regarde sa main et se sent assez stupide, comme ça, après coup. Un bruit la surprend. Elle tourne la tête vers Salem qui semble s'être réveillé. D'un pas plus léger, elle le rejoint, le regardant d'un air apaisé.

▬ Coucou toi... Désolée, on a fait du bruit hein... Et puis en plus j'allume la lumière. Promis après tout ça je te laisse te reposer.

Elle se détourne du serpentarium, s'autorisant à aller allumer la télé pour avoir un bruit de fond. Des dessins animés. Rien de trop sérieux ou de trop bruyant. C'est bien comme ça. Elle ne sait pas rester en place, alors elle va s'occuper, d'une main, à mettre de l'eau à bouillir et prépare deux tasses. Cette nuit, elle est particulièrement contente d'être ambidextre. C'est bien pratique. Elle fouille dans les sachets qu'elle collectionne. Un au citron pour elle. Noir pour Fallen. Elle sort le sucre et le lait. Dès que l'eau finit de bouillir, elle verse et laisse infuser. Trois sucre pour Fallen, une goutte de lait pour elle. Comme d'habitude. Tour à tour, elle les apporte à sa table à manger et finit par s'asseoir, déposant sa main enroulée sur le plastique - elle n'est pas à ça près, un peu plus de nettoyage ne va pas la tuer - et appose son visage dans l'autre, regardant la télé d'un air vaguement somnolent. Un bâillement la saisie. Ca lui a pris toute son énergie, cette histoire. Heureusement qu'elle n'a pas à travailler, demain. Les joies du week-end. Peut-être que Fallen et elle pourront faire la grasse matinée... Et aller prendre un déjeuner en ville. Elle sourit en y pensant.
La nuit n'a pas été follement joyeuse.
Mais si Fallen est avec elle, elle peut penser à autre chose.
Penser à demain ne lui semble plus si impossible.

in the

dark

C'est anodin, comme remarques. Mais ça suffit, dans ce genre de soirées. De simples petits mots murmurés. Un sourire rare qu'elle sait apprécier. Une petite lueur au milieu des ténèbres. Assez pour la ramener, ce soir encore, du côté des vivants. Elle ne sait pas combien de temps elle aura la force d'y rester. Elle ne sait pas combien de temps Fallen pourra la protéger. Elle ne sait pas si Fallen ne finira pas partir en première. Elle aussi manque souvent de chuter pour de bon. Elle tente aussi de la soutenir - mais elles sont si faibles dans leur force ; un équilibre fragile et délicat qui pourtant continue au fil des années, malgré la profondeur des abysses qui se fait toujours plus persistante et pernicieuse. Mais ce soir, elles sont là. Elles se rassurent. Elles dormiront ensemble. Pourront profiter de quelques heures de repos durement méritées. C'est tout ce qu'elle pourrait demander.

La magie. C'est vrai qu'on peut l'utiliser. Elle se sent un peu bête, elle doit l'avouer. Elle n'y pense jamais. Malgré les années, malgré le fait qu'elle soit si ancrée dans le monde des sorciers, ses habitudes moldues ont la vie dure. Très dure. Elle a toujours cette impression d'avoir un pied dans chaque monde, malgré sa volonté de se couper de ses racines. Jamais la sorcière qu'on attendait d'elle. Trop différente pourtant pour être moldue. Elle ne sait que faire, comment trouver l'entre-deux idéal. Elle s'est résignée, un peu. A être une anomalie. Tant qu'on ne le remarque pas trop, ça devrait aller.

Le confort de sa chaise - qui pourtant n'es pas si confortable que ça, la fatigue arrange la chose - l'appaise, tout comme la douceur de son cardigan qui pourtant est teinté de rouge. Elle espère qu'elle pourra le sauver. Elle n'est pas sûre de savoir où en racheter un identique... Et elle refuse de s'en séparer. C'est un bien-être qui s'affermi quand le poids de Fallen se fait sentir contre elle. Un sourire, fatigué - qu'est-ce qu'elles sont fatiguées - vient fleurir sur ses lèvres.

▬ Hey.

Sa voix est un murmure éreinté, mais présent.
Elle la regarde venir trouver place à ses côtés, apprécie la sensation de la main sur son poignet. Son sourire s'envole dans les traces des mots qui pèsent leurs poids. Des souvenirs. Toujours des souvenirs. Qui hantent et font trembler. Qui ne cesse et ne cesseront de chambouler. Elle retire la main qui soutenait son menton pour venir se saisir de celle de son amie et la serrer doucement mais avec une certaine force - elle est là. Elle est toujours là. Ils ne l'emporteront pas.

▬ Fallen.

Regarde moi, qu'elle ne dit pas. Pas besoin. Si ses yeux brillent faiblement, abîmés par la nuit et les traumatismes, ils sont bien ancrés dans le présent. Finalement, c'est son visage qui vient se nicher contre l'épaule de sa moitié qui persévère à ses côtés. Ses yeux se ferment, sans qu'elle ne lâche sa main. Elle n'a jamais été bonne pour trouver les mots. Elle est plus du genre à écouter. Si elle a besoin de parler, elle n'en manquera pas une miette.

▬ Tu es à la maison.

Un constat, une affirmation.
Elle ne parle pas du lieu, bien qu'elle y sera toujours accueillie avec plaisir. Elle parle d'être avec elle, d'être toutes les deux - ont-elles vraiment besoin d'une bâtisse pour les protéger quand elles trouvent force et courage dans le simple fait de s'enlacer ? Même si le monde les séparait, la seconde où elles pourraient venir se recueillir auprès de l'autre, loins de tous les foyers qu'elles ont pu habiter, elles seraient rentrées. C'est dans mon coeur que tu habites et dans mes bras que tu es libre. Ses lèvres viennent trouver son épaule - un bref baiser pour passer son message. Juste de la tendresse. De la douceur. Sincère. Pour rappeler que malgré les plaies et les ecchymoses, les cauchemars, les monstres et les nuits moroses, il y a toujours un peu de beauté et de confort dans ce monde.
Avec toi, tout n'est pas si immonde.

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dark

Elle aime, Persephone.
C’est quelque chose qui a toujours été au centre de son être. Débordante d’un amour dont elle ne sait que faire. Dans le temps, elle le déversait à qui le voulait. Entourée comme elle l’était, c’était une partie de plaisir. Tellement d’âme qu’elle pouvait chérir. Aujourd’hui, son amour s’accumule et se meurt dans sa poitrine. Elle aime de manière superficielle, sans jamais plus laisser les sentiments vraiment s’enraciner. Avec Fallen, c’était encore permis. Un amour qui datait de sa jeunesse. De son enfance, même. Et elle n’avait aucun doute qu’elle aimerait Fallen comme sa propre famille jusqu’à son dernier jour, aussi proche soit-il. Elle ferait en sorte, cependant, qu’elles puissent marcher sur le même sentier aussi longtemps que les cieux le leur permettraient. Aussi longtemps que leurs corps et leurs âmes amochées seraient capables de les porter.

Elle comprenait, aussi.
Les fléaux qui se portent et se partagent, ceux que personnes ne devinent et ne comprennent. Les cadavres et les squelettes qui s’accumulent et qu’on ne peut jamais enterrer. Le sourire sur les lèvres de Fallen la fait sourire en miroir. Une promesse, un serment partagé. Elle comprend, aussi, cette peur que de se faire happer de nouveau. Emportée par ceux qui les ont brisées, quand bien même c’est impossible. La peur est irrationnelle, ancrée au plus profond de leur être. Tout l’amour du monde ne pourrait l’effacer. Alors ce sont des murmures, des messes-basses pour se rassurer, se rappeler. Qu’elles n’étaient plus seules. Et à ses peurs, elle sourit tendrement, soufflant avec douceur mais conviction quand elle remonte ses yeux dans les siens.

▬ S'ils t'emportaient, Fallen, je te jure que je braverais le monde entier s'il le fallait pour venir te chercher. Personne ne t'arrachera à moi. Jamais.

Elle serait prête au pire pour elle. Une dévotion qui outrepasse la moralité. Persephone aime sans limite. Sans jamais se défiler. Quand on a une place dans son coeur, elle est prête au meilleur comme au pire. S’il fallait, elle tuerait. Elle briserait. Elle ferait si mal, qu’elle deviendrait la même chose qui l’a réduite en miettes. Sans aucune hésitation ni remords.

▬ Et tu ferais la même pour moi.

Pas besoin de confirmation, elle le savait déjà parfaitement. Quiconque oserait faire du mal à l’une d’entre elle aura plus à craindre qu’Azkaban et ses détraqueurs. Leur courroux serait pire que la mort elle-même. Doucement, elle va remettre derrière l’oreille de Fallen une mèche fugace, caressant ensuite sa joue.

▬ Et tant qu'ils sont là, tu es toujours la bienvenue à venir dans mon lit pour les éloigner. Même sans eux, d'ailleurs.

Un sourire tendre, une douceur infinie. Et la proposition de délaisser le travail est tentante. La nuit a été courte et si elle ne devait pas se rendre à l’hôpital, courtoisie du week-end, elle avait toujours du travail à la maison. Toujours des dossiers à inspecter, toujours des comptes-rendus à faire, toujours plus. Toujours. Un soupir lui échappe à cette pensée. Elle réfléchit une seconde, regarde sur le côté comme à son habitude.

▬ Hmm...

Devrait-elle ? Ca fait longtemps qu’elle n’a pas pris une vraie pause… Et puis, passer du temps avec Fallen lui ferait du bien. Beaucoup de bien. Elle finit par jeter les armes, sourire aux lèvres quand elle retourne son regard sur son amie.

▬ Ca me semble être une formidable idée. On pourrait aller déjeuner en ville, pour une fois. Et prendre un thé.

L’idée la ravit.

▬ Oh... Si on fait une sieste, tu voudras qu'on aille faire un peu d'escrime ? Ca fait un moment qu'on a pas eu une séance.

Et à cette idée, ses yeux s’illuminent, toujours si vivants quand elle évoque cette passion qui refuse de mourir malgré toute sa résignation. Un rêve enterré qui ne cesse d’attraper ses pieds. A défaut de pouvoir en vivre, elle continue de pratiquer, dans le secret et l’intimité, avec son amie qui est une adversaire plus qu’admirable. Et puis, ça leur permettrait d’évacuer un peu.

▬ Oh ! Mais si tu es trop fatiguée évidemment on peut paresser toute la journée.

Elle ferait n’importe quoi, du moment qu’elle est à ses côtés, après tout.

in the

dark

Un non-dit. Un secret entre elles. Que personne ne soupçonne. Ce manque de peur de briser pour sauver. Tout le monde la prend pour une sainte - elle s'en sait loin. Qu'est-ce qu'elle ne ferait pas pour ceux qu'elle peut aimer. Son amour n'est pas aussi pur que l'on peut s'imaginer. Sous la bannière de l'amour, elle ravagerait le monde. Elle le referait. L'anéantirait. Elle prendrait les vies qu'elle est censée sauver. Un tabou que personne ne peut avouer.

Pourtant ce sont les douceurs qui reviennent.
Le calme après la tempête, une éclaircie après le mauvais temps. Le moment où il leur est permis de s'échapper. Persephone ne pensait le faire que de manière figurative. Ses échappatoires sont restreintes dans un monde confiné. Boulot, travail, boulot. Une routine qui s'enchaîne depuis l'adolesnce et qu'elle n'a jamais abandonnée. Sans quoi elle ne saurait plus fonctionner.

Mais elle lui parle de la mer.
Elle redresse des yeux surpris, confus. La mer ? C'est loin, la mer... Depuis Londres, c'est deux heures de route... Sans traffic. Elle suppose que transplaner était une option... Même si elle n'en avait pas l'habitude. L'Irlande. Son regard s'agrandit un peu plus. Elle n'a jamais mis les pieds en Irlande. Elle a voyagé, dans sa jeunesse, avec sa famille... Mais surtout en France. L'Irlande... Ca devait être joli, comme endroit.

▬ L'Irlande...

Elle répète, ébahie.
La fuite était-elle donc si facile ? Lui avait-elle échappé toutes ces années ?
C'est vrai qu'au fond elle pourrait quitter Londres. Elle pourrait tout claquer. Elle pourrait quitter le pays. Quitter ses fantômes. Est-ce qu'elle pourrait emmener Fallen avec elle... ? Elle chasse la pensée. Trop ancrée dans la réalité. Elle repense à son boulot. A ses responsabilités. Sans s'avouer cette peur de quitter le peu de stabilité qu'elle a réussit à établir. Partir était tentant... Mais il faudrait tout détruire. Prendre une chambre, passer pour des inconnues... Peut-être qu'on les prendrait pour des soeurs. Peut-être qu'on les prendrait pour des amantes. Peut-être qu'on les prendrait pour des amies. Sans se douter de tout ce qui se cache dans leurs ombres. Elle esquisse un bref sourire.

▬ Seulement si on dort ensemble.

Pas prête de négocier. Mais l'Irlande ? Pourquoi pas. Elle se laissait tenter. Son sourire se fait plus moindre à la boutade de son éternelle rivale, un regard pour sa main défigurée emmitouflée dans le tissus.

▬ Oui enfin... Ca, ça reste à voir. C'est ma main dominante, qui est en charpie après tout...

Même si elle est ambidextre et qu'elle a appris à jouer de cela dans les compétitions. Tout pour la victoire. Tout pour être plus difficile à battre. Tout. Absolument tout. Mais le rire de Fallen la garde loin de son agressive soif de victoire jamais tarie malgré les années. C'est la douceur qui l'enveloppe. Et son amour pour elle, à n'en point douter.

▬ Une journée.. Si c'est qu'une seule journée, je devrais pouvoir rattraper le travail sans trop forcer.

Une promesse, un accord doucement passé. Un rire, ténu et discret.

▬ Il fait un peu trop froid pour se baigner.

Mais marcher le long de la plage, comme elle a pu le faire dans son enfance, ça la fait doucement rêver. Tellement longtemps qu'elle ne l'a pas fait. Sa blessure lui fait mal, mais c'est plus simple de l'oublier. Elle a l'impression de pouvoir à nouveau respirer. Son regard se tourne vers Fallen, reconnaissant et apaisé.

▬ Merci d'être là, Fallen.

Merci de ne pas l'avoir abandonnée, malgré le nombre de fois où elle a pu tenter de la chasser. Merci de persévérer. Merci de l'aimer, dans toute son horreur. Merci. Pour tout.
Plus qu'elle ne pourra jamais l'exprimer.