just to

forget

Il est rare de voir Persephone dans un bar.
Il est rare de voir Persephone boire.
Il est encore plus rare de la voir boire dans un bar moldu.
Elle qui a passé des années à tenter d'échapper à ce monde dont elle vient qui ne recèle plus que des personnes à éviter, elle s'était pourtant dit que, ce soir, il pourrait être son refuge. Sûrement y'avait-il moins de chances de croiser ici les gens qu'elle ne voulait pas voir. Et si, demain, elle venait à regretter sa décision (qu'est-ce qu'elle ne finit pas par regretter, de toute façon) elle en paiera les conséquences sans trop se plaindre. S'il lui a fallu un peu de courage pour entrer dans ce bar qui n'a pas si fière allure et dont la clientèle est presque absente, et qu'il lui en a fallu encore plus pour s'asseoir à cette table un peu en recule, près du mur, elle ne savait absolument pas quoi commander. Elle n'a jamais beaucoup consommé, n'a jamais été une fêtarde et, de manière générale, n'aime pas beaucoup l'alcool. Encore plus depuis qu'elle travaille en tant que médecin. Les empoisonnements à l'alcool, ce n'est pas drôle à soigner et encore moins à observer. Alors elle s'était toujours dit qu'elle se tiendrait, le plus possible, à l'écart de ce genre de choses, surtout quand elle se doit d'être constamment opérationnelle. Sait-on jamais quand son téléphone ne viendrait à sonner pour une urgence. Il n'y a pas d'heure pour sauver des vies.

Mais ce soir, c'est sa vie qu'elle tente de sauver - ou d'oublier, elle ne sait plus trop. Dès qu'elle ferme les yeux, elle repense à ceux de Lancelot. A la haine qu'elle y a lue. Au corps de Freya qui s'agite sur le sol après être tombé raide. Aux bleus sur le corps de Parsifal qu'elle ne peut aider. A Rivage qui ne l'a toujours pas contactée. Est-ce qu'il va bien ? Est-ce qu'il prend soin de lui ? Est-ce qu'il prend ses médicaments ? Est-ce qu'il va à ses check-ups ? Elle soupire doucement, passant ses mains sur son visage. Son coeur semble lui peser une tonne - est-ce le poids de l'inquiétude ? Elle rêverait parfois de ne pas penser autant aux autres. De ne pas autant s'en faire pour eux. Pas quand ça la mange vivante, comme ça. Lancelot la déteste. Freya s'est empoisonnée à cause d'elle. Parsifal ne veut rien lui dire. Rivage... Elle ne sait pas - ça la tue. Est-ce qu'elle a fait ou dit quelque chose de déplacé ? Est-ce qu'il s'est lassé ? Est-ce qu'elle s'est trop acharnée ? Elle se pince l'arrête du nez. Elle a mal à la tête à force de ressasser. Quitte à se taper un céphalée, autant que ça soit parce qu'elle est noyée sous l'alcool.

C'est un verre de whiskey qui finit par trouver sa place dans sa main. Elle prend son temps pour boire. Elle a toute la soirée. Personne pour la déranger. Elle n'a pas besoin de s'épancher - elle ne saurait pas le faire, de toute façon. Se plaindre ? Elle n'a jamais été bonne à ça. Elle préfère écouter les autres. Pourtant, dans sa solitude confortable, elle aimerait un peu de compagnie. L'ironie. Vouloir s'éloigner, tenir tout le monde hors de portée et au final toujours crever de ne pas être entourée. Le même paradoxe qui la fait devenir folle depuis l'adolescence. Elle boit à sa santé, ce soir. Et elle pensait continuer son ivresse ainsi, jusqu'aux petites heures du matin, à entendre quelques fois la porte s'ouvrir ou se fermer quand les autres clients vaquent. Mais quand elle redresse la tête, c'est un visage familier qu'elle perçoit. Qu'elle n'a pas vu depuis très, très longtemps. Elle se demande si elle rêve. Elle se pince légèrement - grimace, elle a pincé sa main. Les plaies qui ne cessent de s'entasser dessus n'ont pas apprécié l'idée. Au moins, elle est sûre d'être réveillée. Alors, d'une voix claire et distincte, elle demande - sait-on jamais.

▬ Betsalel ? C'est toi ?

A croire que pour une fois,
Dieu a entendu sa prière.

just to

forget

Betsalel a toujours été éclatant. Un soleil dont il est dur de détacher son regard. Elle se souvient sans le moindre problème de leurs jours durant leurs DEMA, à Poudlard, où son rire éclatait dans la salle commune. Elle se souvient de cette époque où il n'était pas seul. Si elle n'avait jamais connu Adam que de manière superficielle, ça avait été suffisant pour comprendre qu'il s'agissait d'une merveilleuse personne. Et comme toujours, ce sont les meilleurs qui partent trop tôt. Elle se souvient aussi parfaitement de quand Betsalel devint seul. L'obsession et les suspicions dont il lui avait fait part et qu'elle avait tenté d'assouvir comme elle le pouvait - faute de moyens, ça n'avait pas donné grand chose. Elle aurait voulu pouvoir donner plus, panser plus, apaiser plus, mais elle ne l'avait pas pu et c'était un énième regret ajouté à sa liste. Leurs contacts restaient mondains et sporadiques, mais elle ne l'avait jamais oublié.

Alors sa question n'était pas une accusation - plus une surprise. Son manque de réponse est parlant et sans trop y penser elle quitte la solitude de sa table pour aller se joindre à lui, verre de Whiskey en main. Elle s'assoit et croise ses jambes. Du soleil que fut un jour Betsalel, il ne reste qu'un ciel couvert, prêt tant à tonner qu'à se déverser en fleuves. Elle espérait qu'il aurait changé, dans un meilleur sens qu'elle, mais elle se doute qu'il est toujours coincé dans le passé. Ses mains, demande-t-il. Elle pose son verre sur la table, regarde ses deux mains - toutes les deux sont assez laides. Gercées, pleines de coupures, de cicatrisations qui pourraient se défaire au moindre frottement de tissu et recommencer à saigner. Elle hausse simplement les épaules.

▬ La joie des procédures médicales.

Mensonge.
S'il est vrai que ce genre de plaies est courant dans le milieu médical, courtoisie des procédures où il faut constamment se laver les mains et les désinfecter, ses rituels atteignaient un niveau tel que ses mains ressemblaient plus à celle d'un mysophobe très grave que d'un médecin. Mais c'était un mensonge facile à dire et facile à croire, tant qu'on ne travaille pas dans le milieu. Alors elle ne s'en privait pas.

Elle lui demanderait bien qu'est-ce qu'il l'amène mais elle s'en doute - la même chose qu'elle. Généralement, quand on vient boire tout seul, ce n'est pas par complaisance ou appréciation. Sinon, l'on boirait chez soi. Comme à son habitude, elle lui offre un sourire doux. Réconfortant par nature.

▬ Et toi ? Qu'est-ce qui t'es arrivé ?

Elle fait rouler l'alcool au fond de son verre, prenant une nouvelle gorgée.

▬ Je suis là pour écouter, si tu as besoin de vider ton sac.

Elle est toujours là.
Elle l'a toujours été.
Même au travers de tous ses propres maux, de toutes ses peines, de tous ses malheurs dont elle ne parlera jamais - elle est là. Une constante immuable malgré la distance qu'elle s'efforce de marquer.
Et ce soir, encore, à défaut de s'occuper d'elle,
Elle est prête à panser les plaies.

just to

forget

Il est mort.
C'est tellement simple, comme réponse. Comme si ça coulait de source. Elle s'y attendait. Elle n'est pas idiote, malgré les années c'est une chose qui n'a jamais changé. L'absence de ceux qu'on aime blesse souvent plus que leur présence, même quand ils ont les pires vices du monde. Alors quand c'est quelqu'un que l'on aurait pu offrir au Seigneur pour sa grâce, c'est à n'en point douter insurmontable. Persephone n'a jamais eu à affronter la mort. Elle l'a entrevue, elle-même. L'a sentie lui attraper la cheville, ou la gorge, ou peu importe où elle pouvait venir la cajoler. Parfois, la sensation lui revient - quand son coeur s'emballe, quand son cerveau dégringole dans des souvenirs qu'elle ne chassera jamais. Elle ne l'avouera jamais, mais elle aurait préféré être emportée plutôt que d'être épargnée. Ses souffrances auraient été abrégées. Mais si ce n'est quelque chose que l'on ne crie pas publiquement, c'est encore moins quelque chose que l'on peut confier à quelqu'un dont le deuil est encore en chantier. Elle hoche la tête, prouvant qu'elle comprend bien tout ce qui est sous-jaccent à cette simpliste constatation.

Et puis, vient la pique. Elle s'arrête dans son mouvement, verre aux lèvres. Elle devrait se sentir blessée. Outrée. Mise à nue, peut-être. Elle voudrait être de ceux qui se sentent piqués à vif et qui partent au quart de tour ; mais même la colère ne l'habite plus. Sauvée ? Elle ? Tout le monde a essayé. Les médecins, les psychiatres, son entourage - personne n'y est arrivé. Elle est morte au fond d'une cabane il y de cela douze années. Seulement, personne n'a réussi à l'enterrer.

▬ Je n'ai pas la prétention de prétendre vouloir sauver qui que ça soit.

C'est dit avec calme.
Pas de reproche, pas d'amertume.
Elle baisse les yeux sur son verre - elle ne parle pas de ce genre de choses. Elle n'en parle jamais. Pourtant, pour une fois, elle abandonne son sourire ; c'est la fatigue qui peint son visage et surtout son regard. Si elle a l'irréprécible envie d'aider tout le monde, ça ne veut pas dire qu'elle se pense capable de les sauver. Elle est jeune, encore, mais elle traîne avec elle des années de bataille qu'elle n'a jamais su gagner. La guerre, elle l'a abandonnée. Il n'y a plus rien à sauver. Ses dépouilles se font seulement ronger par la culpabilité et les regrets. Par toutes les erreurs qu'elle continue d'accumuler. Elle finit par souffler, bas, juste entre eux.

▬ J'ai plutôt l'impression d'apporter la destruction où que j'aille, à dire vrai.

Elle brise tout le monde, tout le temps.
Même quand elle essaye de les garder loin pour les épargner, pour s'épargner, elle finit toujours par blesser. Il n'y a rien de bon à être à ses côtés. Elle remonte ses yeux sur lui.

▬ Moi aussi, je suis contente de te revoir. Ca faisait longtemps.

Elle vient doucement claquer son verre contre celui de son ancien camarade avant d'en prendre une bonne gorgée.

▬ A la nôtre, Betsalel.

Elle soupire après, savourant la brûlure au fond de sa gorge. Une de ses mains vient soutenir son visage, las.

▬ Comment tu t'en sors ?

Pas de comment tu vas parce que c'est évident que ça ne va pas. Alors, plutôt un comment tu navigues dans ces eaux et s'il se noie alors ils seront deux. Et peut-être qu'à défaut de couler dans l'alcool, ils pourront trouver moyen de faire un radeau pour survoler leurs problèmes ne serait-ce que le temps d'une soirée qu'ils pourront oublier si ça leur chante.

just to

forget

Le rire la surprend - pas désagréablement. Persephone ne se froisse jamais d'entendre rire, c'est toujours quelque chose qu'elle a appris à chérir. On rit pour plein de raisons, mais c'est souvent positif. Alors, quand on rit devant elle, elle veut croire que c'est de bon coeur - un espoir osé et chétif. Le rire de Betsalel lui avait manqué - elle avait plus entendu ses pleurs et ses désolations, ces dernières années, et si elle n'avait rien contre tout ça, étant toujours prête à épauler si besoin est, elle préférait la tonalité si familière du rire de son compère. Elle s'adoucit aussi, un peu, en retour. Elle ne rit pas - ça fait tellement longtemps, qu'elle n'a pas rit. Tellement longtemps qu'elle n'a pas lâché un sourire - un vrai, pas un de ceux qu'elle fait sur commande, si bien huilé. Elle commence à se demander s'il se pourrait qu'elle ait oublié comment on fait.

Elle l'écoute avec attention - ses progrès, ses difficultés. Elle n'oserait jamais juger, elle n'imagine pas à quel point la tâche puisse être dantesque et espère rester dans cette ignorance bénie aussi longtemps que puisse se faire. Pourtant, en un sens, le deuil elle connaît ça. Elle l'a déjà fait il y a quelques années quand elle a reçu un coup de fil d'un policier et qu'elle a jeté tout ce qui était lié de près ou de loin à sa famille, le coeur lourds de souvenirs qui la hantent encore. Ils sont peut-être en vie, mais eux aussi c'est un peu comme s'ils étaient déjà morts. Un sourire à ses lèvres - habitude, pas un mensonge. Pas cette fois. Ca ne le rend pas sincère pour autant. Elle en sort des milliers tous les jours.

▬ J'imagine bien que c'est pas facile de faire ça. C'est un pas de plus en avant, tu peux toujours en être fier.

Et puis il remonte l'affaire.
Et Persephone hésite.
Elle ne veut pas être indélicate. Elle ne veut pas rouvrir des plaies qui commenceraient à se fermer. Mais l'idée est là, dans sa tête, elle a déjà germé. Elle réfléchit. Reste silencieuse l'espace d'une seconde, laissant sa question en suspend. Elle finit par répondre, tergiversant en même temps.

▬ Moi...

Elle ? Elle quoi ? Elle ne sait pas. Doit-elle mentir comme elle le fait toujours ? Dévier la conversation ? Elle a le sujet idéal, pour. Mais Betsalel n'est pas bête et elle n'est pas fourbe. En tous cas, pas avec lui. Elle pèse le pour et le contre. Regarde son verre de Whiskey. Au point où elle en est... Ce qui est dit au bar y reste sûrement confiné. L'espoir, en tous cas, y est.

▬ C'était la routine. Ca n'allait pas, mais c'était supportable, quand on a l'habitude. Mais Novembre a été... rude, pour être honnête.

Elle soupire, se passant une main sur le visage. Fatiguée.
Qu'est-ce qu'elle est fatiguée.

▬ Si tu essayes d'avancer, moi, je me fais constamment happer par le passé. J'arrête pas de retomber sur des gens de Poudlard... Evidemment, ça se passe mal... C'est de ma faute donc je devrais pas me plaindre ahah.

Betsalel ne l'avait pas connue avant et son changement n'avait jamais été sujet à des conversations au coin des couloirs, donc peu de chance qu'il ne sache qu'elle a été autre chose que des sourires et une distance maîtrisée, mais à l'époque déjà elle n'était pas aussi éreintée.

▬ Et quand c'est pas ça, je me retrouve à gérer des situations dont je peux même pas parler mais dont je fais encore des cauchemars.

Le corps en convulsion de Freya la hante même dans ses journées.

▬ Quoi que je fasse, j'arrête pas de faire du mal aux autres. Et elle culpabilise tellement. Enfin... disons que j'ai connu mieux, on va dire.

Elle reprend une gorgée de son verre pour chasser les pensées. L'observe ensuite avant de finir par se décider. Son regard reste hésitant, elle se mord même la lèvre l'espace d'un instant.

▬ Loin de moi l'idée de me mêler de tes affaires et de ramener sur la table un sujet qui fâche, ou encore de vouloir te bercer de faux espoirs...

Ca, ça vient avec un mais.

▬ J'ai été promue, il y a un peu moins six mois. Je suis guérisseuse en cheffe, maintenant. Section poisons par plantes et autres. Pas pour me vanter hein, on s'en fout de ça mais...

Elle cherche ses mots, réfléchit à la bonne tourne de phrase sans en trouver. Elle claque sa langue, agacée contre elle-même. Cède face à son honnêteté qu'elle ne sait cacher ou embellir.

▬ Avant que tu finisses d'enterrer le sujet pour de bon, si tu veux, je peux essayer de jeter un dernier coup d'oeil dans les archives. J'y avais pas accès, avant. Enfin, pas avec autant de liberté. Si c'était une mort liée à un empoisonnement... Y'a peut-être des traces. Rien n'est sûr, évidemment. C'est qu'une supposition. Les dossiers auraient pu être trafiqués, ou peut-être que c'est dans une autre section... yaddi yadda, tu connais la rengaines.

Elle passe une main sur sa nuque.

▬ Si tu veux pas, alors oublie juste que j'ai mentionné la chose entièrement. Sinon, hésite pas. Maintenant, à part si je fourre vraiment mon nez dans les affaires de la hiérarchie, personne ne risque de me faire perdre mon poste. Pas pour de simples recherches personnelles dans des archives, en tous cas.

Au moins, elle aura proposé.

just to

forget

La tirade de Betsalel la touche très justement. Elle s'y reconnaît à un degré inconfortable. Dans la manière dont elle a jeté toutes les photos de sa famille. Dont elle s'est séparée des clefs de leur maison où elle ne retournera jamais. Dans la manière qu'elle n'a pas pu s'empêcher de revoir en Freya, Lancelot - et même lui, qui lui parle maintenant - les tréfonds d'un passé que tout le monde semble vouloir revivre sans accepter le fait qu'elle ne puisse plus être la même qu'elle eut été. Et la seule fois où elle eut osé se dire que peut-être il serait acceptable d'être différente et de recommencer à construire plutôt que de continuer à fuir, Lancelot s'est empressé de la faire se ressaisir.

Ce n'est pas avec ses mains qu'elle construira quoi que ce soit.
Pas quand elle a déjà brisé tout ce qu'elle avait.
Pas quand elle continue de tirer tous ceux qui gravitent autour d'elle inexorablement vers des jours moins heureux et des douleurs inévitables. Elle se demande bien pourquoi des gens l'entourent encore, quand elle se sent si invivable. Si détestable. Ce n'est pas tant qu'elle trouve qu'elle n'est constituée que de mauvais côtés, bien qu'elle ne sache pointer du doigt que ceux-ci, plus qu'elle ne trouve simplement rien d'agréable ou d'aimable en sa personne. Les légers soucis d'estime qu'elle eut un jour sont désormais les fondations de son être. A leurs côtés, une honte d'exister et une culpabilité de vivre inébranlables. Elle n'ose en parler. Ne trouve pas que ça soit intéressant ou pertinent à évoquer. Elle trouve ça stupide. Elle trouve tout stupide et futile. J'aimerais en finir. Si la pensée a déjà été présente de nombreuses fois, elle n'a jamais été aussi concrète. Ca lui fait écarquiller les yeux, l'espace d'une seconde. Une réalisation abrupte sur la nature de ses sentiments. Sur ce vide qu'elle traîne depuis des années. Sur cette fatigue qui ne la quitte plus.

Ce n'est pas qu'elle ne veut plus essayer de se relever.
C'est qu'elle n'en a plus la force.
Elle a tiré sur la corde pendant douze ans.
Et si l'envie d'abandonner l'a souvent bercée,
Elle comprend, doucement,
Qu'elle finira sûrement par avoir la force de la réaliser.

Après un bref rire soufflé, presque soulagé, c'est une nouvelle gorgée qu'elle prend. Elle boit à sa santé, cette fois. A cette nouvelle idée qui vient de germer. Qui la fait se sentir un peu plus légère.

Elle en est rapidement distraite par la surprise qui berce son camarade de beuverie. Elle reconnaît des tocs qu'elle a côtoyé il y a des années. Hoche la tête en réponse à ses questions. Ils pourraient, oui. Peuvent, même. Plus rien ne se tient dans leur chemin, maintenant. Betsalel a l'air d'apprécier la proposition. Elle la sait mauvaise, pourtant. Une tentation de plus, alors qu'il parlait d'avancer il n'y a pas cinq minutes. Détestable, Persy. Vraiment. Regarde ce que tu fais, encore. Elle sourit en réponse - le même sourire qu'elle a toujours eu. Bien huilé, qui semble naturel mais qui n'est qu'une réponse réflective de son corps. Bien loin de ceux qu'elle a pu donnés pendant si longtemps et que tout le monde aimait. Et pourtant, elle berne tout le monde. Presque la totalité, en tous cas.

▬ Oui, un nouveau début.

Elle reprend une gorgée de son verre qui se vide trop vite à son goût. Elle fait signe à un serveur qui passe non loin de lui remettre un whiskey sec, sans glaçons, avant de retourner à leur conversation.

▬ Je vais être honnête, ça ne va pas se faire en deux jours.

Son air est plus sérieux.
Ce n'est pas l'heure d'être douce et frivole.
Ils ont du travail devant eux.

▬ Et je ne le ferai qu'à une condition.

Elle n'en démordra pas.
Elle se penche un peu vers Betsalel, soutenant son regard qui ne vacille pas.

▬ Cette fois, on fait la route ensemble. Jusqu'au bout. Je ne te laisserai pas remettre le nez dans une enquête du genre tout seul. Hors de question. J'espère que je suis claire.

Ce n'est pas une question. C'est un ordre.
Elle refuse de laisser son ami se perdre à nouveau sur un chemin sinueux sans qu'elle ne puisse le suivre et le ramasser s'il chute. Elle veut être là. Elle veut pouvoir le supporter sans risquer qu'il ne tombe et ne se relève plus jamais.

▬ Si ça ne va pas, tu me parles. Si tu trouves quelque chose, tu me parles. Si tu as envie de pleurer ou besoin de réconfort, tu me parles. Si tu as besoin de te mettre la misère autour d'un verre pour décompresser, tu me sonnes. Même si c'est à quatre heures du matin, tu m'envoies un message, tu m'appelles, peu importe. Je serai là.

Il n'est plus seul.
Il n'a plus besoin de l'être.
Elle sait que c'est injuste, après ce qu'elle vient de réaliser elle-même. Elle ne prétend pas être une bonne âme, après tout. Elle est égoïste et cherche simplement à satisfaire ses propres inquiétudes, ses propres envies. Mais sûrement que Betsalel se doute qu'elle n'est pas une sainte, si elle est en train de picoler chez les moldus pour échapper à ses problèmes. Alors elle se permet. Son deuxième verre est déposé sur la table et elle en prend une première gorgée, un soupire satisfait derrière.

▬ Je suis assez occupée, à l'hôpital. Donc les recherches vont prendre un peu de temps. Mais je te ferai part de toute avancée ou piste que je trouverai. Si tu n'as pas changé ton numéro, je l'ai toujours. Je t'enverrai mon adresse aussi, pour qu'on puisse en parler plus au calme et en toute discrétion.

Elle joue avec son verre, esquissant un nouveau sourire.
Elle finit par l'avancer vers lui.

▬ Un nouveau toast ? A notre belle collaboration. Qu'elle soit fructueuse et qu'elle nous permette de clore cette histoire.

Amen.

just to

forget

Rapidement, sa promesse se retourne contre elle. Peut-être avait-elle sous-estimé la loyauté de Betsalel et sa sincérité. Contrairement à elle, qui savait mentir comme elle respirait dans chaque relation qu'elle entreprenait, l'Israëlien avait des convictions profondes qui le menaient dans sa vie. Et si elle ne voulait pas d'une gratitude éternelle - elle n'estimait pas mériter quelque chose d'aussi important, d'aussi sincère et pesant - elle ne s'attendait surtout pas à ce qu'il la prenne de court avec sa remarque.

Il sait, dit-il. Qu'elle ne s'entoure que peu. Un euphémisme. Autour d'elle c'est un désert. Une pièce dont elle peut toujours s'enfuir. Toujours le pied dans l'entrebâillement de la porte, prête à sprinter hors de la portée de tous. Alors, oui, la proposition qui lui est faite la déstabilise. Elle réfléchit sérieusement à la chose. Avoir Betsalel à ses côtés était une chose qu'elle avait toujours voulu. A Poudlard, déjà. Depuis son ombre, elle avait facilement été capable d'observer un jeune homme étincelant, brillant comme le Soleil qu'elle fut un jour. Entouré et aimé. Ambitieux et intelligent. Plein de ressources et astucieux. L'envie d'aller se reposer à l'orée de sa douceur et de sa chaleur avait toujours été enfouie en elle, bien que leur amitié n'avait été que très brève et superficielle. Peut-être étaient-ce les restes de ces sentiments qui la firent accepter, finalement. Une promesse qu'elle ne sait pas si elle respecterait pour autant. Injuste et infidèle malgré sa loyauté, corrompue par un cerveau névrosé qu'elle ne sait contrôler.

▬ D'accord. Je prends ça en compte.

Et puis il lui dit qu'il va devoir partir en mission. En elle naît une angoisse presque habituelle. Le tintement des verres la retient dans le bar plutôt que d'être noyée par des sentiments incontrôlables. Elle soupire une seconde. Elle sait qu'elle ne peut protéger personne. Que ce n'est pas son rôle. Alors elle se contente de tout ce qu'elle peut dire ou faire.

▬ Je vois... Sois prudent. Je me doute que tu ne pourras pas trop me contacter mais... Si l'occasion se présente, surtout n'hésite pas à me laisser savoir que tu vas bien.

Qu'il est toujours en vie.
Elle ne sait pas trop ce que les langues de plomb font de leur journée et n'a pas trop envie de le savoir, pour tout avouer. Mais après toutes ces promesses, elle ne sait pas comment elle prendrait le fait que Betsalel ne revienne pas. C'est un brin d'inquiétude dans ses yeux. Elle se permet de reprendre une longue gorgée pour chasser ces pensées qui n'ont pas lieu d'être avant de faire renaître son éternel sourire.

▬ Sinon, à part ça. C'est bientôt les fêtes. Tu comptes profiter du marché de Noël, cette année ? Ou tu vas le manquer ?

Ramener un peu de normalité, de banalités dans leurs vies cabossées et difformes, pleines de secrets et de non-dits. Elle ne veut pas passer la soirée à broyer du noir.

▬ Je me demande à quoi ressemblent les marchés de Noël en Irlande...

Pensive, elle sent l'alcool doucement commencer à faire chauffer un peu son visage. Elle n'a pas une très bonne résistance... Sûrement que ce verre sera son dernier. Alors elle en profite pour faire tourner encore un peu la conversation et le moment. Elle n'a pas le courage de rentrer chez elle.
Pas encore pour l'instant.

just to

forget

Un peu rassurée par ses propos, c'est pourtant le doute qui l'assaille. Elle aussi elle dit ce genre de choses. Avec aisance. Avec légèreté. Un mensonge maîtrisé. Qu'elle n'arrive pas à croire dans la bouche d'autrui. Elle ne croit personne, il faut dire. Et même si elle avait la force de croire les gens... L'imprévisible peut toujours arriver. Demain pouvait emporter Betsalel à tout jamais. C'est une angoisse qu'elle ne chasserait jamais.

Un petit oh à la révélation qu'il ne fête pas Noël - pas de surprise, plus une constatation. C'est vrai qu'à chacun ses us et coutumes. C'est plutôt de la curiosité qui la prend. Son côté Serdaigle qui ressort des cendres de ses ambitions perdues alors que ses yeux se braquent sur l'inconnu en face d'elle.

▬ Je connais pas beaucoup les coutumes juives, mais je serais ravie d'en apprendre plus, si tu veux bien m'en parler en long en large et en travers.

Un intérêt sincère tant de découvrir quelque chose qui est probablement cher aux yeux d'un compère mais aussi de vouloir assouvir ce qu'elle ne sait pas. Un nouveau livre à sa bibliothèque de connaissance.
La question, encore une fois, se retourne vers elle alors qu'elle hausse à son tour les épaules. Les fêtes ? Pas son truc. Personne avec qui les célébrer. Personne à qui offrir de vrais cadeaux. Argus, peut-être, à la limite. Elle avait commencé un cadeau fait main depuis quelques temps déjà. Sinon... Personne.

▬ Probablement, oui. J'ai rien d'autre de prévu. Et y'a toujours du travail supplémentaire le jour des fêtes, c'est propice aux urgences.

Les idioties et les accidents qui arrivent toujours avec les périodes festives... Et puis les personnes malhonnêtes qui profitent des bars et des rassemblements pour droguer, empoisonner, les sévices qui n'arrêtent pas même au milieu des miracles de Noël. Il fallait bien des gens pour ramasser les pots cassés pendant que le reste que la populace s'amuse et célèbre.

La description des fêtes lui est étrangère, mais elle l'absorbe avec intérêt. Elle peut très bien s'imaginer la chose, à défaut de l'avoir vécue. Elle soupire, un peu nostalgique.

▬ Ca me rappelle des souvenirs, tout ça. C'était le bon vieux temps.

Les journées entières à préparer le repas de famille, à ressasser les vidéos filmées durant l'enfance, à recevoir toutes les choses qu'elle aimait manger et que ses frères lui donnaient gracieusement quitte à se faire rouspéter. Les cadeaux, évidemment. Les promesses et les bonnes résolutions. C'est fini tout ça. Ca ne reviendra pas. La nostalgie s'efface pour l'impassibilité des jours résignés. Elle finit son verre. Ca sera son dernier.

▬ Je vais pas tarder à y aller, je pense. Il est tard et je commence tôt, demain.

Les responsabilités avant tout le reste.
Toujours.

just to

forget

Elle se doute que des explications ne vaudraient pas les célébrations elles-mêmes - mais est-ce que ça serait juste de se prêter à l’expérience, ne serait-ce qu’une fois, sans la moindre foi ? Sa curiosité n’a guère de limites, mais elle ne voudrait pas être inappropriée pour autant. Si elle ne croit en aucun Dieu(x), elle sait à quel point cela peut-être important pour ceux qui ont des croyances. Et on ne joue pas avec ça. Le murmure ne lui échappe pas - elle peut bien confier au moins ça.

▬ Sûrement est-ce parce que je ne viens pas du monde sorcier pour commencer. Là d’où je viens, la religion est bien plus courante que la sorcellerie.

Alors il n’a pas à s’en inquiéter. Pas avec elle, du moins.
Il pensera à elle. Elle pensera à lui, aussi. Comme elle pense toujours à autrui. Son encéphale n’est jamais ancré à sa propre personne ; toujours dédié à qui le veut, outre-mesure et au-delà de la raison. Un léger sourire doux ; de ceux qu’elle déverse sans trop y croire mais qui lui sied si bien.

▬ Prends soin de toi avant tout, même si c’est bien de veiller sur eux.

Ironie venant d’elle qui ne se préoccupe jamais de sa personne, bien que la pensée soit honnête. Un peu de surprise ne la prend lorsqu’il paye à sa place, comprenant qu’elle n’a pas son mot à dire. Une rare moue un peu contrariée avant qu’elle ne finisse par abandonner dans un soupir presque amusé.

▬ Merci, c’est très aimable. Et ça ira, je vais prendre un taxi.

L’habitude malgré les années des coutumes moldues dont elle ne se séparera jamais. Elle se fond si bien dans la foule ici, peut-être toujours plus que chez les sorciers qu’elle n’a pourtant cesse de côtoyer. Elle attrape le papier qui lui est dédié, le pliant méticuleusement de ses mains abîmées pour le glisser dans sa propre poche.

▬ Je n’y manquerai pas.

L’inverse est réciproque, elle n’a pas besoin de le formuler.
Elle finit par se lever, rangeant ses affaires et se rhabillant, une dernière attention à l’égard de son collègue.

▬ Passe une bonne fin de soirée, Betsalel. Et ne bois pas trop, sinon tu vas faire la tête demain.

L’alcool lui fera sa fête.
Un dernier sourire alors qu’elle se détourne enfin, un geste de la main en guise d’au revoir quand elle passe la porte pour se fondre dans la foule nocturne de Londres.
La soirée fut plus agréable qu’elle ne l’eut pensée, elle avouera.