Janvier est aussi mordant que décembre - le froid vient attaquer tes joues et ton cou dans la plus grande impunité. Et si tu n'es pas particulièrement friand des frissons qui anesthésient ta nuque trop sensible, tu n'es jamais que trop bercé par la sensation d'euphorie de pouvoir rouler au milieu de la nuit sans personne pour te déranger. Tu travailles, mais l'important réside dans le fait de pouvoir être sur ta moto à toute heure et toute période de l'année.

Comme toujours, t'es pas habillé pour la saison. Ce qui est débile quand t'es pas particulièrement résistant au froid. Tu envies Beckett, pour ça. L'été te manque, mais le cap passé de la nouvelle année te rappelle qu'on s'en rapproche sûrement et ça suffit pour te revigorer. Et puis, la neige c'est quand même cool aussi. Toujours est-il qu'il te faut slalomer dans les rues de Londres pour atteindre ta destination, toujours sans respecter les limitations (tu roules comme un con) mais c'est bien plus amusant comme ça, et c'est ce qui compte. Et puis, au moins, les pizzas arriveront chaudes pour sûr.

Une fois devant la résidence, tu comprends de suite que la commande est pour de sacrés fêtards vue la musique que tu peux entendre depuis la rue et ça t'arrache un sourire alors que tu enclenches la béquille et que tu descends de ton engin, retirant ton casque. Une main gantée vient plaquer tes cheveux en arrière alors que de la condensation s'échappe de tes lèvres. Tu les retires pour les mettre dans ta poche arrière par habitude, attrapant les boîtes et te dirigeant à la porte pour sonner.

C'est un très joli visage étrangement familier (et sacrément éméché) qui t'ouvre alors que tu hausses un sourcil. Tu le laisses élaborer alors qu'un sourire amusé étire tes lèvres. Non. Tu n'es pas invité. D'ici tu entends encore plus la musique qui détonne et les voix des autres personnes qui font la teuf et tu retiens un léger rire alors qu'il se cogne la tête contre l'encadrement. Aouch.

Yup. Juste le livreur.

Désolé, tu manques de dire.
Mais voilà qu'on te donne un ordre et que la porte se claque et cette fois-ci c'est un rire soufflé qui t'échappe, secouant la tête. Même pas énervé. Tu te retrouves à livrer un petit roi clairement pas en pleine possession de ses moyens - et ça t'amuse. Tu ne saurais vraiment dire pourquoi. Il t'en faut peu, il faut dire. Et tu n'es pas vraiment du genre à te vexer pour l'attitude qu'on peut avoir envers toi. Alors tu obéis et tu fais le tour jusqu'à trouver ce que tu devines être la cuisine où tu finis par entrer. Te voilà.

Le seul et l'uniq-...

Tu t'arrêtes net dans ton sourire et ta réponse alors qu'une main vient se perdre dans tes cheveux - ce qui te surprend - mais pas autant que les mots qui viennent s'échapper des lèvres de ton client. Oh. Ton coeur se ramasse dans ta poitrine dans la plus grande des incompréhensions alors qu'un léger rose vient colorer tes joues balafrées.

Heu. Okay.

Tu te redresses, tentant de chasser la chaleur de ton visage seulement pour accueillir celle de la villa, bien différente de l'hiver dehors. Un agréable frisson te parcourt et te fait sourire alors que tu regardes curieusement aux alentours. Clairement, t'es pas venu livré un clochard. Tu laisses d'ailleurs un petit wow sortir discrètement avant de poser les pizzas sur la première table que tu trouves.

Tes mains viennent ensuite récupérer ton téléphone pour vérifier l'ordre - ta dernière commande ! Tu vas pouvoir finir tôt, pour une fois. Ca te change. Peut-être que tu pourrais aller faire une virée après ça... Enfin là n'est pas la question. Tu annonces rapidement le prix à voix haute avant que les rires au loin ne te fassent relever la tête avec un sourire.

Et ben, vous vous amusez bien. Profitez bien de la soirée.

Tu offres un grand sourire, toujours si sincère et solaire alors que tes yeux dorés se plissent légèrement dans ton amusement. Un brin de douceur dans ta voix pour complimenter le tout.

Prenez soin de vous, quand même.

Et si son visage te dit définitivement quelque chose, sans que tu arrives pour autant à remettre son nom ou sa provenance, ta fibre artistique te titille fortement à cause de sa beauté. D'ailleurs l'une de tes jambes tapotent machinalement le sol, comme pour te retenir de lui sauter dessus et de lui demander de te laisser le photographier. Il est bourré. Et c'est un client ! Alors tu lui dois un peu de respect. Il pense sûrement à se goinfrer de pizza et d'alcool, à l'heure actuelle.
Et tu n'es pas là pour déranger sa soirée.
Juste pour quelques pizzas de livrées.

Tu retires ce que tu as dit.
Ce bout d'homme n'est pas éméché.
Il est complètement éclaté.
Chaque pas de danse qu'il fait, tu te demandes s'il ne va pas glisser et se ramasser et tu as en toi la profonde envie de le faire s'asseoir et de lui donner un verre d'eau, te contentant pourtant de rester à ta place. Avec un sourire attendri, certes, parce que chaque petite danse qu'il fait te fait dire qu'il s'agit d'un petit roi, mais d'un petit roi drôlement adorable quand même. Ah, toi et ton grand coeur, Sol. Ca sera ta perte un jour.

La soirée est incroyable - il est vingt-deux heures et tu te demandes si ce n'est pas à cette heure qu'elle devrait commencer plutôt que d'avoir atteind son paroxysme. Parce que s'il continue à boire, il va finir dans un coma éthylique et le fun va être rapidement écourté.

Ca, j'en doute pas.

Tu relèves la tête, seulement pour la replonger sur ton téléphone pour vérifier - effectivement la commande est déjà payée, faute d'innattention de ta part et alors que tu pars pour t'excuser, tu tournes les yeux sur la somme qui t'est tendue - manquant de t'étouffer sur ta propre salive. Ca te suffira ? Tu le regardes comme s'il venait de te donner un rein - tu n'es pas vraiment du genre à accepter les pourboires, en temps normal, pour être totalement honnête. Mais tu as l'étrange impression que si tu refuses il pourrait se mettre à faire un caprice alors tu te contentes d'un sourire et d'un rire un peu embarrassé.

Si ça suffit ? Largement, c'est même beaucoup trop. Merci.

Tu t'occupes de ranger la somme en sécurité dans la poche intérieure de ta veste avant de rire toujours si discrètement pendant qu'il commence à savourer son repas. Qu'il mange, ça lui fera du bien. Rien de pire que de boire sur un estomac vide. Bien que tu te doutes qu'à ce niveau là, même avec un buffet à volonté, le réveil demain allait sacrément piquer pour lui.

Bon appétit.

Tu vérifies que tu as tes affaires, te dirigeant vers la porte pour finir ton service mais sa voix t'interpelle, autant que son corps ne te bloque l'accès à la sortie.

Et le caprice arrive.

Tu portes ton poing à tes lèvres, y étouffant un rire. Tu es un peu confus, on ne va pas se mentir. Des rencontres bizarres avec des clients, tu en as fait, surtout ces derniers mois. Tu avais arrêté de les compter. Mais te faire inviter à une fête ? On ne te l'avait pas encore faite, celle-là. C'est un peu gêné que tu réponds.

Herm... C'est gentil, mais je suis pas trop du genre soirée. Ni alcool.

Parce que malgré tes airs de délinquent avec tes cicatrices et ton habitude à la violence facile, tu fais partie de ces gens qui aiment passer la majeure partie de leur temps à jouer à des jeux-vidéos... Ou à prendre des photos. Ou pire encore : à lire. Et tu le portais vraiment pas. En plus t'es une vraie calamité quand tu bois... Le genre qui se retrouve à se réveiller avec un caddis et un cone de circulation volé dans l'appartement sans savoir comment tout ça est arrivé. Après quelques soirées trop arrosées, modération était devenu ton mot préféré.

Et puis, vous avez déjà vos amis non ? Vous feriez mieux de les rejoindre. Je ferais que vous gêner.

Et tu t'autorises, avec douceur, à aller poser à ton tour la main sur le haut de sa tête pour caresser gentiment ses cheveux, lui offrant ton plus beau sourire. Ta main se retire assez rapidement, juste assez vite pour ne pas devenir gênante.

Merci pour l'invitation. Et le pourboire, ahah.

Vraiment, tu ne méritais pas tant.
Et si ton regard a l'air de veiller sur lui malgré tout, d'une douceur chaleureuse, c'est parce que toi et ton stupide coeur tendre ne pouvez vous empêcher de veiller sur tout ce qui existe ici-bas.

Oh.
Mais c'est qu'il a du caractère, le petit roi.
On dit bien que même les plus belles roses ont des épines, après tout. Pourtant ce n'est pas parce qu'il pique que tu vas te froisser ou te blesser. Il en faudra bien plus - tu ne saurais dire ce qui t'a forgé le plus ; l'orphelinat, ou Poudlard. Dans les deux cas, tant que tu ne perçois pas de réelle agression physique ou qu'on ne s'en prend pas à tes proches...

Un maigre sourire reste collé à tes lèvres. Son ricanement le fait s'effacer un peu alors que tu jettes un coup d'oeil en direction de la fête. Si tu le dis ? C'était bien vague, comme réponse. Comme attachement. Il n'avait pas l'air bien plus enthousiaste que ça à l'idée de passer du temps avec eux. Pourtant, ça a l'air d'être chez lui ? Ou au moins un ami de l'hôte de soirée... C'est bizarre de se pointer pour teufer si fort sans vouloir passer du temps avec des gens que tu aimes bien. A tes yeux, en tous cas.

S'échoue sur ton visage un souffle aux relents d'alcool - tu clignes à peigne des yeux. Il te faut une seconde pour comprendre sa phrase. Une star de cinéma ? Uh... Oh.

Ah ! Je me disais bien que votre visage était familier.

Parce que tu ne l'as pas reconnu d'un coup.
Faut dire que toi et les célébrités... Ca avait jamais été ça. Toi et la culture pop en général, d'ailleurs. Typiquement le genre de jeune incapable de suivre une conversation tendance avec les gens de son âge. T'as toujours eu des intérêts très niches, faut dire. Tu fais pourtant tourner les engrenages de ta mémoire l'espace d'une seconde.

Erm... Montgomery, c'est ça ? Montgomery quoi, déjà... Ah oui ! Zadig ! Je crois ?

T'es pas tout à fait sûr et t'espères ne pas t'être trompé, ça serait pas ouf quand même. Tu fais un pas en arrière pour garder une distance raisonnable de ton client. Ton sourire revient sur tes lèvres - sans arrière pensée. Au contraire, même, t'as plutôt l'air inquiet.

Star ou non, c'est pas très prudent d'inviter n'importe qui chez vous comme ça.

Enfin, pas comme si tu voulais lui faire du mal.
Mais pas tout le monde n'était aussi dénué de mauvaises intentions que toi. Tu mets tes mains dans tes poches, pas vraiment pressé de partir non plus mais pas non plus l'air décidé à rester. Ton visage est plein de douceur - ce qui contraste avec le manque de filtre dans tes paroles.

Pour une fête incroyable, vous avez l'air de vous sentir terriblement seul.

Tu te demandes l'espace d'une seconde si c'est pour ça, qu'il est déjà bourré. Tu ne veux pas te faire de films et tu ne le prendras pas en pitié. Tu ne veux pas projeter, non plus. Ce n'est pas parce que tu vis dans une solitude constante que tout le monde vit la même chose. Tu ne prétends pas pouvoir comprendre tout le monde. Loin de là.

Je veux bien rester un moment...

Tes doigts viennent délicatement dégager quelques mèches qui viennent lui tomber sur le visage, toujours si serein et posé, comme si l'interaction était parfaitement naturelle à tes yeux. Parce qu'elle l'est, pour toi. La nuance est aussi simple que ça.

Mais je ne reste pas pour boire, je ne compte pas passer la nuit ici et j'ai de la route à faire pour rentrer. Par contre, si vous voulez passer un moment juste à faire les idiots et à parler, je veux bien vous tenir compagnie. Je ne suis pas très intéressant ou distrayant, je préviens.

Tu en ris, d'ailleurs, parce que tu penses que ses bouteilles d'alcool ont bien plus d'intérêt que toi. Mais si tu peux l'empêcher ne serait-ce qu'une dizaine de minutes de retourner se noyer dans les verres... Ce n'est pas comme si tu avais quelque chose à y perdre. Tes doigts se retirent pour retourner dans ta poche. Le contact volage mais chaleureux, tout comme cette risette candide qui ne quitte pas tes lèvres. Tes yeux d'or luisent d'un peu d'espièglerie.

C'est d'accord ?

Passer un accord avec le petit roi... C'est culotté.
Mais eh, il faut bien tenter.

Pour te servir. Bizarrement, t'as plus l'impression que c'est l'inverse qui se profile... Même avec un beau sourire pour aller avec ses pseudos-compliments, un maigre soupir t'échappe. Aïe, aïe, aïe... Tu devrais apprendre à t'énerver, Sol. Ca t'éviterait de te faire balader comme ça par ces gens qui décident de rentrer dans ta vie d'un grand coup de pied dans la porte.

Et puis, un rire.
Franc, cristallin et sincère. Parce qu'il a sûrement raison. Même si tu étais très bon, un coup de baguette et tu pourrais finir sur le sol sans soucis. Parce que malgré toutes tes habitudes, à partir du moment où on joue avec les armes dont tu n'as pas hérité, tu ne peux rien faire. Et tu ne peux en vouloir à personne d'autre d'utiliser habilement les armes qui leur sont données. C'est toi, l'erreur, la variable qui a dérapé. Pas eux. Et si tu aurais pu leur tenir tête en suivant la voie de ton diplôme pour travailler au ministère, tu avais fuit et tu te retrouvais là ce soir à livrer des pizzas. Et tu ne regrettais absolument rien de ce côté là.

Je te crois.

Et tu ne mens pas.
Ce sont pas ses problèmes, mais lui il cherche à en devenir un - il se comporte comme ça avec tout le monde ? Vraiment, Sol. Rebiffe toi un peu. Au moins juste un peu. A être trop gentil, tu te fais sans cesse marcher dessus. Le truc c'est que c'est plus simple, comme ça. Parce qu'au moins, si tu cherches à combler les caprices de tout le monde, ça t'assure d'avoir de l'attention pendant un certain temps. Puis les gens se lassent, comprennent que de toute façon tu ne leur conviens pas, que tu es décevant, loin de ce qu'ils pouvaient espérer et ils partent en te laissant sur le pallier. Et la boucle se répète, te laissant à chaque fois un peu plus amoché. Un chiot qui interpelle, qu'on ramasse, dont on se lasse et puis qu'on jette au caniveau. Et toi, tu souris.

Parce que c'est rien de nouveau.
C'est même un peu ça depuis le berceau.

Tu le regardes manger sa pizza et ton cerveau fait vaguement un looping que tu ne comprends pas tout à fait, haussant un sourcil. T'es pas sûr de ce qu'il cherche à faire et t'es mitigé entre l'envie de lui donner une assiette ou une serviette et tu ne sais trop quoi. Peut-être lui apprendre à manger... proprement. Sûrement. Réfléchir à la chose te paraît déjà fatigant alors tu passes au sujet suivant. Ca devait pas être bien important.

Le maigre contact de son poing contre ton épaule te fait sourire - c'est plus fort que toi, quand on te touche tu es content. Aussi simple que ça. Alors que tu lèves les yeux au ciel quand il t'indique de le suivre. Ahlala... Dans quoi tu t'embarques ? T'en sais foutrement rien. Mais tu suis, comme toujours. S'il a pas envie de parler, tu as bien une petite idée de comment ça va finir. Il te bloque le chemin alors que tu le regardes sans grande appréhension - il a pas l'air hostile ou de te vouloir du mal... Et si ça arrivait, tu as une bonne droite, tu cours vite et t'es capable de descendre par une fenêtre peu importe l'étage en étant à peu près sûr de rien te casser trop sévèrement. A force de parcourir Londres et toutes ses hauteurs sans protections, on peut dire que tu t'étais forgé.

Mais c'est ton poignet qu'il prend pour t'entraîner au milieu de la fête et tu lâches un rire même si tu te voudrais exaspéré. Pendant qu'il te traîne, tu laisses une vague plainte sortir.

Zadiiiig...

Son nom sort de tes lèvres avec trop de douceur pour être une vraie remarque, cependant, et avec un filon d'amusement. Tu comprends que le vouvoiement n'est plus vraiment de mise, ni les formalités qui sont adressées à la clientèle, quand tu le vois se déhancher. Yep. Exactement ce que tu pensais. Tu te retrouves au milieu de fêtards à devoir danser.

C'était pas le plan de la soirée.
Et si ce n'est pas ce que tu préfères faire de ton temps libre, ça ne veut pas pour autant dire que tu es mauvais. Après tout, la danse, c'est quelque chose qui te berce depuis longtemps - que ça soit dans la rue à te tordre dans des positions improbables ou dans des clubs, la différence n'est pas si grande ; il suffit de se perdre sur le rythme et de se laisser porter.

Alors il te faut une seconde, mais tu finis par te laisser aller à ton tour, laissant ta veste et tes gants de moto sur le premier meuble qui peut passer pour le rejoindre. Tu voudrais dire que tu te sens mal à l'aise, mais non - ce n'est pas que tu n'aimes pas les fêtes, bien que ça ne soit pas ton activité préférée (tu préfères une bonne soirée à geeker) c'est surtout que tu n'aimes pas la solitude qui revient après l'exaltation.

C'est facile de se perdre dans les rires, dans les effluves d'alcool et de laisser ton corps en rencontrer d'autres sans que ça ne veuille rien dire, juste pour le plaisir de profiter de la musique qui rendrait sourd la moitié de la rue. Ca l'est beaucoup moins de rentrer chez toi, où il fait froid et où rien ne t'attend ou ne t'accueillera. Passer du brûlant au glacial est insupportable à ton goût alors tu préfères rester dans des températures modérées, pour te préserver.

Mais ce soir, peut-être que tu peux t'autoriser à rire au milieu des autres, tes yeux pleins de paillettes venant retrouver ceux de celui qui t'a forcé dans la foule, l'une de tes mains venant d'ailleurs glisser sur le long de son bras pour l'inviter à se rapprocher et faire autant les idiots que vous le pouvez. Il veut danser ? Ok.

Tu laisseras demain te rattraper avec la réalité.

La musique est forte - sûrement trop. Ca fait longtemps que tu n’es pas allé en boîte, mais ça n’égalera jamais sûrement le niveau des basses là-bas. En attendant, tout le monde tourne et se déhanche sans que ça n’ait trop de sens, tout le monde boit et à l’odeur dans la pièce tu ne serais trop surpris s’il n’y ait pas que de l’alcool qui tourne. Toi, tu t’amuses malgré tout. Un homme simple avec des satisfactions simples.

Un verre tendu vers toi. Alors que Zadig y a déjà mis ses lèvres dedans (et d’ailleurs c’est sûrement pas le premier) et il aura beau hurler pour toi de le prendre que tu ne le feras pas. Tu n’es même pas sûr de ce qu’il y a dedans. C’est vraiment pas ton genre. Enfin, si c’est seulement ce qu’il te demande, parce qu’il a beau hurler tu n’es pas sûr d’arriver à déchiffrer les mots qui te sont probablement adressés. En revanche, tu remarques qu’il a l’air tiraillé entre pâleur et rougeurs et tu ne saurais dire trop pourquoi. Un brin d'inquiétude qui se terre dans ta poitrine - stupide. Tu t’en fais pour lui, vraiment ? Tu le connais à peine, arrête de vouloir t’attacher aux gens. Regarde, il finit son verre - c’est qu’il va bien, sûrement.
(A qui tu mens ?)

Mais vous dansez, encore et encore.
Jusqu’à ce que l’inévitable arrive - pas compliqué à prédire et pourtant dès qu’il porte sa main à ses lèvres le sentiment tapi dans ta poitrine prolifère. Tu le regardes partir vers ce que tu devines être les toilettes et si des mains viennent rapidement te trouver pour t’inviter à continuer à danser, voire pour t’enlacer - tu les repousses sans hésiter. Comment tous ces gens pouvaient voir quelqu’un être malade et le laisser seul ? Et toi, hein, Sol ? Tu devrais en profiter. Ramasser ta veste et t’éclipser pendant qu’il ne te colle pas au cul et ne te donne pas des ordres. Tu jettes un coup d’oeil à ta veste à laquelle personne n’a touché. Puis vers le couloir où Zadig a disparu.

Une seconde d’hésitation.
Un soupir de résignation.
Et merde.

Tu quittes la foule pour retourner à la cuisine. Tu fouilles un moment - au point où tu en es, tu n’es plus à ça près. Tu finis par trouver un verre - regarde le frigo imposant que tu utilises pour le remplir de l’eau la plus fraîche possible avant de faire demi-tour dans le salon et de t’engouffrer dans le couloir. Tu as beau ne pas connaître les lieux, ce n’est pas très dur de suivre les bruits de régurgitation pour les trouver. Zadig y est, au sol, tête dans la cuvette. Ah, voir quelqu’un dans cet état là te fera toujours le même effet à chaque fois. Tu t’approches doucement pour ne pas le surprendre, laissant tes pas se faire entendre. Une de tes mains vient trouver son dos tant pour signaler ta présence que pour y laisser des cercles.

Hey.

Il n’y a ni rire ni pitié dans ta voix.
Juste de la douceur.
Etrange, vraiment - enfin, pas si l’on te connaît. Tu te mets à sa hauteur, le laissant se vider. Y’a pas grand chose d’autre à faire, si ça doit sortir faut que ça sorte, c’est tout. Mais dès que ça s’arrête, tu lui tends le verre d’eau pour l’inviter à s’hydrater. Toujours là pour veiller sur les autres, Sol. Même si t’as rien à y gagner. Tu viens doucement décoller et écarter quelques mèches sur son front - bienveillance au fond des yeux.

Ca va aller ? Tout est sorti ?

Sinon, si y’a encore besoin, tu resteras à ses côtés. Mais peut-être que ça serait mieux de l’aider à rejoindre la cuisine, ou un lit pour qu’il puisse se reposer. Et toi, Sol, tu peux vraiment pas t’empêcher d’être trop gentil. Trop bon, trop con. Tu sais ce qu’on dit.

Tu détestes ça, hein, Sol.
Voir les gens dans le mal.
Que ça soit l'alcool ou toute autre substance, que ça soit la maladie ou les mauvais jours, tu voudrais pouvoir éradiquer la tristesse du monde de tes deux mains (évidemment, il n'en est rien) alors tu t'adonnes ici et là à un peu de douceur, de gentillesse.

D'humanité.
Et c'est fou, vraiment.

Le nombre de personnes que tu rencontres à qui on semble n'en avoir jamais démontré. Ce soir encore, ce n'est qu'un verre d'eau, vraiment. Qu'une main dans le dos. Qu'une présence. Ca devrait être naturel. Evident. Tout le monde devrait faire ce genre de choses. Mais à la manière dont Zadig se braque, tu devines que ça n'est pas son cas. Ou que ça n'est pas altruiste. Tu écartes le pincement dans ta poitrine ; ce n'est pas le plus important. A l'heure actuelle, c'est lui.

Non, pas particulièrement.

Tu n'élaboreras pas plus.
Tu te doutes que lui donner de longues excuses et justifications n'aiderait pas à te donner plus de crédibilité. Tu n'en as pas besoin, de toute façon. Tu ne cherches ni à forcer une confiance ni à prétendre une quelconque intimité. Vous êtes des étrangers. Tu agis juste comme une personne décente et un peu intrusive, à ne pas savoir laisser les autres tout seuls. Tu le sais. Tu agis plus pour toi que pour lui et tu ne prétends pas non plus être un ange dénué d'intérêts. Ton intérêt, seulement, ce n'est pas sa popularité. C'est de le voir sur pieds. Potentiellement en train de sourire. Sûrement en train de s'amuser. Pour ta propre satisfaction de voir quelqu'un passer un véritable bon moment. De profiter un peu de joie, de sincérité. De bonheur.
Aussi simple que ça.

J'ai pas l'intention de te filmer, non.

Tu prends ton téléphone de ta poche. Le pose sur le sol, en vue. Tu n'y toucheras pas. Tu lui forces le verre d'eau dans les mains.

Bois, au lieu de dire des bêtises. Reste hydraté.

Et puis vient un soupir.
Quelque chose de pas très convaincant dans son rejet qui ne t'ébranle pas vraiment. Parce que ça te paraît tellement évident. Tu lui jettes un regard. Qui a bien pu détruire sa confiance en autrui ? Ou l'empêcher de se former ? Est-ce qu'il se comportait comme ça avec tout le monde ? Plus que de se demander ce qu'il pouvait y avoir d'intéressant à s'isoler ainsi, à nouveau tu sens ta poitrine se serrer.
T'es pas fatigué, Zadig ? Moi je serais exténué.

Alors tu finis par s'asseoir aussi, rangeant tes jambes en tailleur pour pas prendre trop de place. Poses un coude sur une cuisse, apposes ta joue dans ta main pour le regarder.

Je te l'ai dit. Les fêtes ne m'intéressent pas. J'étais parti pour rentrer chez moi. J'en ai rien à faire de ton petit carré VIP. Je sais pas qui c'est de toute façon et je m'en contrecarre.

Non, t'es là juste pour lui.
Peut-être pour un peu de curiosité.
Peut-être parce que t'es un peu attendri.
Sans trop comprendre d'où peut bien venir cet intérêt et le charme que tu lui trouves mais que tu ne saurais de toute façon vraiment expliquer. Au fond, ça importe peu. Des personnes charmantes on en rencontre souvent. Ce n'est pas pour ça que tu as envie de leur parler. Que tu as envie de prendre soin d'elles. Tu blâmeras peut-être ses caprices de petit roi. Peut-être l'envie de savoir ce qui peut bien se cacher un peu plus loin que ça. Mais la curiosité est là. Pourquoi aller contre, hein ? C'est pas comme si tu étais connu pour être réfléchi.

D'autres accusations que je dois démonter ? J'ai toute ma soirée.

Un maigre sourire aux lèvres.
Amusé, peut-être. Un peu.
Toujours tendre pourtant.

Dépêche toi de boire et après je t'emmène au calme. T'as mérité une pause, tu penses pas ?

Une vraie.
Dans la cuisine, ou une chambre, ou dehors pour prendre l'air deux minutes. Une où il a pas besoin de boire et de se démonter. De danser. D'être criard pour exister. Juste d'être là. Parfois, c'est suffisant. Surtout quand ça a l'air si dur de ne serait-ce que respirer. Et comme toujours, tu seras là.

Jusqu'à ce qu'il te chasse pour de vrai.
Et encore - tu es obstiné.
Qui sait.

Tu sais pas ce qui se cache derrière ce soupir, ce que tu lui inspires. Mais ça doit pas être si terrible que ça, s'il ne te hurle pas dessus comme il a pu le faire avec le gars qui occupait les toilettes juste avant. Tu prends ça comme une petite victoire personnelle, même si tu n'as aucune idée du défi que tu comptais relever en premier lieu.

Tous les deux dos contre un mur, tu l'observes.
Il a l'air claqué, Zadig. Tu te doutes que la soirée n'est pas exceptionnelle, mais tu te demandes si c'est la seule chose qui contribue à sa fatigue. Tu te demandes sûrement trop de choses qui de toutes façons ne te regardent pas. Car après tout, après ce petit aparté dans ta vie, après cette soirée, tu retourneras à tes pizzas. A ta vie dans Londres loin de lui et de sa vie extra. C'est pas comme si vous aviez quoi que ce soit en commun. C'est pas comme si quoi que ce soit vous liait. Mais si tu dois parfois remonter dans sa mémoire, aussi flou que ça soit, t'aimerais que ça ne soit pas lié à de la médisance et à de l'hostilité.

Un rire passe tes lèvres.
Parfait, toi ? Non.
Si tu l'étais, ça se saurait.
Si tu l'étais, personne ne partirait.
(Mais ils partent tous, Zadig.)
Sans exception.

J'ai rien à prouver, justement. J'agis comme je le sens. Surprenant, je sais.

Tu vis au rythme des battements de ton coeur, Sol.
Aussi simplement.
Le verre qui se renverse t'arrache un sourire, tout comme sa frustration. Il est dans un de ces états... Pas besoin de s'énerver pour ça, va. Le verre est pas cassé. De l'eau y'en a à foison. Et pour le sol... Avec toute la thune qu'y'a ici, doit bien y avoir une serpillère. Si c'est pas un majordome. Tu le laisses se relever et partir - tu te doutes qu'il te laisserait pas l'aider à marcher de toute façon. Alors tu l'observes tracer à nouveau sa route. Tu ramasses ton téléphone que tu essuies sur ton jean, le remettant dans sa poche. Ca va. Pas trop mouillé. Tu ramasses le verre et sors, faisant signe à ceux qui attendent que ça y est, oui, c'est libre. Et tu retournes rapidement à la cuisine. Change de verre - tu sais où ils sont, maintenant. Remets de l'eau. Et tu te diriges à l'aveuglette vers les chambres.

C'est pas trop compliqué à trouver.
Tu l'observes dans l'entrebaillement, lèves vaguement les yeux au ciel. Un sourire dans ta voix amusée.

Hmm. Tentant. Tu veux un bisous sur le front aussi ? Berceuse inclue.

Mais c'est que t'as de l'humour.
Tu viens poser le verre sur la table de nuit avant de t'asseoir sur le rebord du lit. L'observer une seconde. Hésiter une autre. Finalement, ta main se pose sur sa tête enfouie dans les draps. Pas très longtemps, juste quelques caresses dans ses mèches si claires. On dirait presque de l'argent. Tu finis par retirer tes doigts délicatement.

Si t'as peur de renverser le verre à nouveau j't'aiderai.

Pas la première fois que tu le ferais.
L'assise du lit est confortable et tu en profites, observes la pièce. Très peu pour toi, ce genre de lieu de vie. Vraiment.

Tu penses que tu vas arriver à te reposer ?

Car s'il s'endort, ça sera ton signe pour partir.
Après tout, il aura plus besoin de toi ici. T'es juste une vague béquille pour ce soir. T'iras récupérer ta veste, enfourcher ta moto, retourner dans les recoins de la ville. Dormir. Retourner au taffe demain.
Et ça sera la fin.

Il est parti, Zadig.
Là, allongé sur le lit. Les mots brumeux et l'air absent. Il est là sans l'être. Il s'en va très vite, avant même que t'aies fini tes phrases, pour seule réponse à tes questions ce que tu n'attendais en rien et qui t'arrache un souffle amusé. Tu profites, l'espace d'une seconde, de son absence. Rien de choquant, juste pour repasser tes doigts dans ses cheveux, admirant un peu plus les traits qui t'ont laissé scotché sur le pas de l'entrée tout à l'heure. Il est beau, Zadig. C'est dur de le nier. C'est dur de l'oublier. Mais ce que tu retiendras surtout de ce soir, c'est le rythme de la respiration qui soulève son dos et ses épaules alors qu'il peut enfin se reposer.

Bonne nuit, Zadig.

Un murmure plus qu'autre chose, alors que tu finis enfin par te relever. Tu éteins les lumières de la pièce, tire un peu les draps pour le couvrir. Un dernier regard depuis le pas de la porte et tu finis par la fermer. Tu n'as plus rien à faire ici. Tu retournes dans le salon et rabats les mains qui passent trop près, n'ayant pour objectif que ta veste délaissée. Tu vérifies tes poches. Tes papiers. Ton pourboire. Tout y est. Alors tu ressors de ta poche tes gants et tu marches jusqu'à la cuisine que tu sais encore ouverte.

Au dehors, il fait encore froid.
Ça te fait un peu de bien. Tu crois.
Tu finis par enfourcher ta moto, regarde vaguement l'heure. Plus tard que tu ne le pensais. Un regard vers la maison où le temps semblait s'être quelque peu arrêté. Puis tu t'en éloignes, toujours trop vite pour la loi.
De toute façon, c'est sûrement la dernière fois que tu la (le) vois.