C'est une routine à laquelle tu ne t'habitues pas. Te lever le matin, ouvrir ta boutique pour servir thé, café et viennoiseries aux clients qui passent le pas de ta porte. Tu aimerais pourtant, tu fais tous les efforts qu'il faut pour y arriver. Mais ça ne marche pas. Déjà parce qu'ils ne sont pas nombreux, les clients, mais surtout parce que ce n'est pas ce dont tu as besoin pour respirer -et tu le sais, Jasper aussi le sait. Vous pensiez que l'idée serait bonne, tu y as cru, t'as essayé Iphi. Seulement plus le temps avance et plus tu t'ennuies, plus tu rumines. Plus t'enrages. Et pourtant tu es encore là aujourd'hui, Eamon au service pendant que tu essuies tranquillement la vaisselle derrière le bar. Avoir quelque chose dans les mains te détend alors en général, quand tu es là, c'est toi qui t'en occupe.

Tu chantonnes quelques airs bien connus pour camoufler ton agacement, semble bien plus avenante aux yeux des autres que tu ne l'es en réalité alors que tu poses un verre pour en reprendre un autre. Si la routine t'effraie et te déstabilise d'ordinaire, cette succession de verre a plutôt tendance à te canaliser parce que les gestes sont mécaniques et tu n'as pas besoin de réfléchir. Seulement de chantonner.

Ton regard qui se porte sur l'entrée au bruit de la clochette, tu te figes de surprise un instant en reconnaissant la silhouette d'Alaric Lestrange sur le pas. Mais qu'est-ce qu'il fait ici ? Tu remarques qu'il n'est pas tout seul et, sans laisser le temps à Eamon de faire le moindre pas, tu reposes ton verre pour lui glisser à l'oreille que tu t'occupes d'eux avant de te détourner. L'esquisse polie alors que tu te stoppes face à eux.

— Bonjour messieurs, vous êtes deux c'est bien ça ?

L'habitué confirme et en profite pour te demander une table discrète et à l'abri des regards. Tu hoches la tête pour confirmer.

— Bien sûr, suivez-moi. Je vais vous placer au second salon, à l'étage. Vous serez tranquille comme ça.

En repassant près du comptoir, tu fais un signe à Eamon pour lui dire que tu seras seule à t'occuper d'eux aujourd'hui. Vous empruntez les escaliers tranquillement, et après quelques secondes à peine les voilà installés près de la grande baie vitrée. Des paravents tout autour pour plus d'intimité, tu attends qu'ils soient correctement installés pour ajouter, en leur indiquant d'un geste de la main la carte sous leurs yeux.

— Je vous laisse prendre le temps de décider de votre commande, n'hésitez pas à me faire signe au besoin je ne serai pas loin.

Et tu profites que l'homme prête attention au papier pour lancer un regard intrigué à Alaric. Il n'a pas vraiment l'air ravi d'être ici.

Tu t'éloignes pour leur laisser le temps de regarder la carte tranquillement, t'éclipsant dans l'une des petites salles adjacente à l'intérieur de laquelle tu peux avoir un œil sur eux mais pas l'inverse pour faire un peu de rangement. Tu n'as pas le temps de faire grand chose ceci dit, alors qu'à l'entrée de la pièce se pose la silhouette d'Alaric.

— Alaric.

Un murmure sévère alors que tu reposes sur la table le carton que tu avais dans les mains. Ne prend pas la peine de lui accorder la politesse puisqu'il continue sans sembler sans soucier -et si à une époque tu aurais pu sourire de sa présence avec toi, vous deux seuls dans une pièce, aujourd'hui tu sembles en colère. Une colère mesurée mais néanmoins emprunte de sarcasme alors que tu lui réponds, haussant les sourcils après avoir croisé les bras contre ta poitrine.

De l'index vous désigne l'un et l'autre, à peine compatissante au fait qu'il passe un mauvais moment avec son partenaire.

— Tu veux me parler, toi. À moi.

Qu'est-ce qu'il peut bien vouloir te dire, hein ? C'est que tu as compris, au ministère, le rejet de sa part. Si vous n'aviez jamais vraiment reparlé depuis les attentats, tu as compris les regards et les soutiens silencieux à ses harceleurs. Il n'a pas bougé le petit doigt une seule fois, alors tu te demandes Iphigenie.

— Je t'écoute, dis-moi.

Qu'est-ce que tu veux.

Tu ne prends pas la peine de répondre à son sarcasme, le devinant aussi peu enjoué que toi à l'idée d'une discussion. C'est que tu aimerais qu'il aille droit au but au lieu de te jurer des choses sur lesquelles il n'a aucun contrôle -qui sait le nombre de chose qui pourrait mener cette conversation à s'éterniser après tout, hein ? Tu préfères éviter d'y penser, à ça comme au visage de Jasper qui s'invite à tes souvenirs à la mention des promesses. Ça te rend involontairement plus acerbe, toi qui déteste les menteurs et les faux espoirs.

À la place attend simplement qu'il daigne enfin t'expliquer. Et tout naturellement tu hausses les sourcils à sa question, sincèrement surprise que ce soit ce sujet là qu'il aborde.

— Je ne connais aucun Valerian.

La colère qui sort plus froide que prévu. Contre Alaric, contre Valerian, contre Jasper. Un peu contre le monde entier finalement. En mémoire vos derniers instants à la cave, ses mains autour de ton cou qui serrent, serrent, serrent pour te tuer. Et dire que tu l'as embrassé moins d'un mois après. Haha. Tu ne connais aucun Valerian, bien sûr vous savez tous les deux que c'est faux alors tu concèdes, dans un soupir agacé.

— Pourquoi ce traître serait-il repassé par chez moi, Alaric ? Il n'y aurait pas été bien accueillit.

Et c'est bien pour ça que tu as décidé de le revoir ailleurs, le moment venu.

— Cesse de tourner autour du pot je te prie. C'est pour ça que tu es venu ici ?

— L'état dans lequel tu l'as retrouvé ?

Tes sourcils qui se froncent à son sous-entendu. Valerian c'était un coup ou deux ce jour-là, tu moins lorsque tu l'avais croisé toi, mais il allait bien lorsqu'il s'est enfuit. Il allait assez bien lorsqu'il t'a étranglé sans aucun remord. Mais ce n'est pas quelque chose qu'Alaric a besoin de savoir, alors tu profites de ton agacement naissant pour le retourner contre lui.

— Est-ce que tu m'accuses d'avoir maltraité quelqu'un que je n'ai pas vu depuis le procès de mon père, Alaric ? C'est bien ça ? Je ne comprends vraiment pas de quoi tu parles. Tu me donnes des indications qui me sont inconnues et tu oses, en plus de ça, remettre ma parole en doute ici, sur mon lieu de travail. Tu en as du culot.

C'est vraiment n'importe quoi.
Tu recules pour te laisser tomber sur une chaise à quelques pas, croise les jambes et relève tes iris acérées pour les poser sur lui. Si tu as l'air beaucoup plus petite tout à coup, cela ne t'empêche en rien d'être son égale, même avec votre différence de hauteur.

— Quel est donc le lien si spécial que tu entretiens avec cet enfant pour que tu préfères croire ses mensonges plutôt que moi ? Je suis curieuse, raconte-moi.

Plutôt habile dans l'art de cacher ce que personne ne doit voir, tu as pris l'habitude d'être le plus sincère possible dans tes mensonges, histoire qu'au final il devienne impossible de démêler le vrai du faux.

— Qu'est-ce qu'il t'a promit ?

Quoique ce soit, il le reprendra, parce qu'il est comme ça Valerian. Il ne sait pas donner. (et toi tu vas tout lui prendre)

Tu soupires quand il soupire, son agacement te donne envie de sourire mais tu te retiens. La mention, une nouvelle fois, de Jasper t'arrache un haussement de sourcils perplexe mais mesuré.

— Si Jasper te l'a dit aussi tu devrais l'écouter. N'étiez-vous pas amis fut un temps ?

Peut-être le sont-ils toujours, tu n'en sais rien et à vrai dire ce ne sont pas tes histoires bien que tu en doutes. Son regard vers le plafond, tu t'autorises un instant pour fermer les yeux et te concentrer, retrouver le calme que tu es lentement entrain de perdre et que tu as la nécessité de garder. Seulement tout te prend bien trop vite la tête en ce moment, ça en devient infernal. Tu réouvres les yeux lorsqu'il recommence à parler, écoute avec attention ce qu'il te raconte. Si tu n'as pas l'air surprise, tu n'as pas l'air coupable non plus, simplement fatiguée.

— Il était comme mon frère et je l'aimais, Alaric.

Le ton sec pour couper court à toutes ses insinuations douteuses. Tu lui demandes ce que Valerian a bien pu promettre pour se le mettre dans la poche et son incompréhension t'arrache un rire sarcastique.

— Valerian est un opportuniste, tu sais ? Il pleure pour avoir ce qu'il veut et tout le monde le croit, tout le monde lui donne ! C'est ce qu'il s'est passé au procès, il lui a suffit de trois larmes et vous avez tous plongés. C'est parce qu'il a pleuré quand tu l'as trouvé que tu as préféré le croire plutôt que nous ? Ou alors vous avez passé un deal, qu'en sais-je Alaric !

Tu secoues légèrement ta tête de gauche à droite, la mine un instant dégoûté.

— Avant l'attentat nous étions heureux.

C'est faux, mais tu le croyais toi, que vous l'étiez un peu tous les trois ensembles.

— Et Valerian n'a jamais subit une miette de ce qu'il a pu raconter. Jamais.

Contrairement à toi et à Jasper.

S'il n'as passé aucun pacte avec lui alors il est simplement aveuglé comme tous les autres, penses-tu sans pourtant le dire. Alaric a l'air assez agacé comme ça pour que tu te permettes d'en rajouter une couche et de casser ta crédibilité. Alors tu retiens les remarques acerbes qui te viennent pour maintenir une fois encore ton récit. Et tu ne mens pas lorsque tu lui affirmes que Valerian n'a jamais été maltraité, pourtant il semble encore douter. Revient à cette histoire dont tu n'avais toi-même pas tous les morceaux, mais grâce à Alaric tu en récupères quelques-uns.

Désormais tu sais que Valerian est allé le trouver d'une façon ou d'une autre après s'être enfuit et qu'Alaric semble être son allié. C'est plutôt malin, mais Valerian a toujours été très malin alors cela ne te surprend pas. En revanche, tu es curieuse, alors c'est sur un ton mesuré entre colère et reproches sidérés que tu captes le regard de ton vis-à-vis avant de le questionner.

— Que t'a t-il dit sur mon frère ? J'ai besoin de savoir Alaric, dis-moi ce qu'il a pu raconter et ce que tu as cru.

Que ça te donne une raison supplémentaire de lui faire perdre la tête autant qu'il te la fait perdre à toi. Un sourire un peu amer qui s'étire à tes lèvres alors que tu poursuis.

— Si tu trouves ça difficile à avaler alors imagine nous au procès, ma famille et moi. Personne ne l'a jamais soupçonné, tu sais. Et tu n'es pas le premier à être tombé dans le piège.

C'est bien là l'une des rares qualités de Valerian, sa ruse à toute épreuve. Lorsque tu le vois se décoller du mur tu décides de te relever pour te tenir droite face à lui. La question est aussi sincère que la mise en scène est solennelle et calculée.

— Pourquoi peines-tu si fort à nous faire confiance ?

Tu as besoin de savoir.

Violent et inapte à vivre en société ? Tes sourcils se haussent, exagérément perplexes comme pour tenter de faire comprendre à Alaric sans les mots à quel point ces propos sont stupides. Parce que sans mots tu n'auras pas à mentir, pas vrai ? Tu pourras conserver les apparences et taire les interrogations -fermer les yeux sur ce que tu as pu voir ou ressentir, sur tes peurs. Et tu pourras blâmer Valerian comme tu le fais depuis le début. Ce Valerian qui accuse de violence sans honte après t'avoir laissé pour morte dans votre cave. Un comble, vraiment.
Et pourtant.

Tu l'observes en silence soupirer à ta dernière question. La réponse te sonne amère à l'oreille, légitime pourtant. Ton sang a fait couler le sien. C'est difficile de faire confiance après ça. C'est vrai, mais quand même.

— S'il y a bien une personne que je pensais capable de faire la part des choses, c'était toi, Alaric.

Visiblement tu t'es trompée, et ce n'est même pas totalement un reproche bien que tu en sois embêtée. Un peu sûrement, parce que tu y croyais vraiment, mais au fond il fallait s'en douter. Ton dos qui se décolle à ses derniers mots alors que tu te redresses pour lui faire face. Un sourire narquois que tu étires volontairement avant de répondre.

— Cesse donc de soupirer à tout va, tu vas finir par mourir bien plus tôt que tu ne le devrais autrement.

Car il est bien connu que le soupir fait s'envoler la vie.
D'un geste de la main tu l'invites cordialement à sortir de la pièce.

— Je n'ai pas besoin de te retenir, Alaric. Mais j'aimerai cependant que tu prennes réellement en compte tout ce que l'on vient de dire. Je te respecte, tu sais ? Malgré nos différents j'ai toujours éprouvé de l'admiration à ton égard, parce que tu sais être juste lorsqu'il le faut notamment.

Parce que tu es grand, puissant et intimidant.
(charmant)

Tu ne laisses pas un sourire s'égarer pour ne pas casser la sincérité et le sérieux poids de tes aveux. Les mots sont peut-être vrais mais ils ne sont certainement pas là au hasard et tu espères qu'il comprendra ta demande. En attendant, après quelques instants de silence tu lui adresses un sourire poli. Tu redeviens Iphigenie la gérante, désormais.

— N'hésite pas à m'appeler lorsque vous voudrez passer commande, je ne serai pas loin.

Rappel que vous n'êtes finalement pas seuls et que faire s'absenter Alaric plus longtemps reviendrait à faire se questionner son partenaire. Ce n'est pas vraiment le but et puis, vous n'avez plus rien à vous dire, pas vrai ? Pour l'instant. Alors qu'il s'éloigne tu retournes à tes affaires, en attendant qu'ils te rappellent pour les servir.

Vous verrez bien de quoi sera fait demain.