Tu poses ton pineapple sur la table basse et étend de nouveaux tes jambes devant toi. À ta main, un verre d'alcool que tu fais négligemment tourner dans ta main. Ton regard trouble face aux flammes qui brûlent dans l'âtre. Tu as fait spécialement déplacer le large canapé et la table basse du bureau pour les mettre face à cette cheminée. Ça t’apaise, avais-tu dit à Adara et Caelus, les deux vieux elfes. Ils avaient fait ce pourquoi tu les avais appelés. Et ils étaient partis. Depuis que tu es revenu de chez Clovis, ils partent tous rapidement des pièces où tu te trouves.

Tes lèvres oscillent entre sourires brefs, fous, et plis colérique, agacé. Sur tes doigts le rouge du sang qui a séché, que tu n'as pas pris la peine de laver. Tu as encore sur ta paume la sensation de ton poing qui s'abat, sous ton pied la sensation des coups que tu as donnés. Déçu. Si déçu. C'est fou combien la médiocrité t'entoure. Ils ont été incapables de répondre à de simples questions, incapables de fournir des réponses. Et ton père payait de tels incapables ? Quelle vaste blague. Tu ne les paieras plus, après ça. De toutes les façons quelle crédibilité ont les conseillers d'un prisonnier d'Azkaban ? Tu reprends une gorgée, t'étends un peu plus, les ombres des flammes qui dansent sur ta peau. La pièce est plongée dans la pénombre. Tu aimes tout particulièrement que seul le feu t'éclaire. Il y a quelque chose de pur, de noble là-dedans. Ta chemise mal portée, déjà déboutonnée. Tu portes à tes yeux ta main chaînée. Murmure pour toi-même.

— Je trouverai. J'aurais ce que je veux... Tu verras.

Murmuré à qui ? Tu ne sais pas. Soudain on frappe à la porte. Grenat, la petite elfe, peut-être celle qui ose t'approcher le plus. Elle bredouille à l'entrée de la porte.

— Maître... Il y a un visiteur pour vous.

Tes prunelles s'éclairent, voix traînante quand tu étires la tête pour la regarder.

— Est-il blond, petit et répondrait-il au doux nom de Clovis ?

Elle lance un regard impressionné. Elle est si douce. Si naïve.

— O-Oui.
— Alors laisse le entrer.

Elle s'incline et se décale, obéissante, pour laisser entrer la silhouette incroyable de Clovis Lestrange avant de refermer la porte derrière elle. Tu admires, hypnotisé le contour de ses lèvres, si bonnes à embrasser, la fine barbe qui entoure sa mâchoire, l'air noble et pourtant si aventurier qu'il a. Dans ton ventre gronde déjà un appétit interdit. Un sourire insolent sur tes lèvres et tu redirige ton regard vers le feu.

— Seulement quelques secondes ?.... Lent. Si lent Clovis.

Ricane, avant de reprendre une gorgée.

— Je pensais que je te manquais plus que ça.

Ricane encore, fait tourner le liquide ambré dans ton verre avant de lever la tête vers lui, insolant.

— J'ai appris du meilleur.

Tu lèves ton verre à sa gloire avant de boire une nouvelle gorgée, de finir ton verre. Tu le poses négligemment sur la table basse en face de toi et te recales confortablement sur ton canapé. Tu espères voir ses yeux dérivés sur ton torse, voir encore un peu du désir de la dernière fois. Mais il est si froid, Clovis, si froid. Tout ça, parce que tu as pris son jouet, n'est-ce pas ? Quel enfant ! Et il parle de ne plus jamais revenir aussi. Ça pulse douloureusement dans ton corps. C'est injuste. Tu ne veux pas.

— Oh. Si c'est ça ton plan alors n'espère pas la revoir.

Tu lui décroches un sourire insupportable. Mélange provocant entre tendresse et mépris.

— Tu me penses assez con pour te donner une raison de m'abandonner ? Encore ?

Tu détaches volontairement le dernier mot. Véritable couteau que tu retournes avec allégresse dans sa plaie. Parce qu'il n'a plus le droit, Clovis, de faire le moindre caprice. Ton sourire se fane, ton regard se fait plus sombre. Ton regard dérive vers les flammes, une nouvelle fois. Tu agites les doigts rouges de ta main chaînée, viens la caser sous tes fesses pour la cacher à ses yeux.

— Tu pourrais au moins dire s'il te plaît, d'ailleurs.

En toi ça commence à monter. Le désir. La frustration. Et l'envie profonde de ne voir jamais partir, qu'il reste à tes côtés, parce que c'est ce que tu as toujours souhaité, non ?

— Si tu veux tant la récupérer il va falloir que tu viennes la chercher... Mais ça, c'est seulement si tu es gentil. Tu as promis de ne plus me faire de mal, tu te souviens ?

Tu es encore là. En-dessous. Ça résonne étrangement en toi. Que cherche-t-il ? Que voit-il quand il pose son regard sur toi ? Tu es partagé, Jasper. Partagé entre doutes et frustration. Il a dit qu'il partirait à la seconde où il reprendrait sa (ta) chaîne. Et quand tu lèves les yeux vers lui, tu n'y vois pas l'amour que tu voudrais, la passion que tu souhaiterais. Tu y vois l'impatience, le désespoir. Et ça murmure encore, des mots acides, déchirants.

Vois comment tu comptes, Jasper. Vois la gueule de vos promesses.

Et la gifle part. Il avait promis qu'il ne te ferait plus de mal. Et il te gifle, lève la main sur toi. Exactement comme l'aurait fait ton père autrefois. Et ça déclenche un rire amer, méprisant. Ton visage tourné de côté, pour qu'il puisse contempler ta joue, la courbure de ta nuque (celle qu'il a voulu étrangler quelque temps plus tôt). Et lâche, il se réfugie contre tes genoux. La lueur brillante de tes yeux bleus braqués sur lui. Tu demandes calmement.

— Tu me penses capable de tuer ?

Tu l'es.

Tu attends quelques secondes. Rictus blessé, voix traînante, juste pour le blesser davantage.

— Enfin, en as-tu seulement quelque chose à foutre ?

Les gestes tendres qui contrastent avec la cruauté de tes mots. De ta main libre (mais ensanglantée), tu viens caresser ses cheveux, toucher du bout des doigts son front, sa joue, le contour de sa bouche. Le regard doux, peut-être encore plus assassin.

— Elle a raison, tu ne regardes qu'elle. Tu la préfères à moi. Pourtant, je voulais te croire toi... Mais tu ne penses qu'à toi, tu n'aimes que la puissance. Et elle est plus puissante que moi...

Tu sens ton cœur s'étreindre d'une colère froide. Ton regard passe de tendre à brûlant d'envie. Pas celle qui excite, celle qui fait peur. Car c'est la leur de l'inaccessible qui luit dans tes yeux. Tu presses ton pouce contre sa bouche, viens prendre la moitié de son visage avec ta paume.

— Tu n'en peux plus ? Tu veux que je te la rende ?

Il devrait t'inspirer de la pitié.
Il t'inspire tout sauf ça.

— Hahaha... Tu ne manques pas de culot. Dis-moi, Clovis, est-ce que tu mérites que je sois gentil ? J'ai comme un doute...

Tu appuies davantage sur ses lèvres, fait rentrer ton pouce de force pour qu'il le suce.

— Je te l'ai dit. Tu penses que je suis encore là-dessous ? Alors viens me chercher. Viens me donner une raison d'être gentil.

Tu le toises de haut.
Tu ordonnes.
Et la petite voix te dit
C'est bien, Jasper. C'est parfait.

Il cède à ton pousse entre ses lèvres. Il cède, son autorité à la poubelle, ses yeux qui minaudent. C'est troublant, Jasper, de le voir en proie à la faiblesse. Est-ce là ce qu'il contemplait du haut de son trône autrefois ? Quand il est revenu ? Toi, a ses genoux, les yeux larmoyants rien que pour lui, la figure parfaite du petit chien qui pleure après des caresses. Est-ce qu'il aimait ? Ah, tu imagines, comme il a dû se sentir puissant. Comme ça a dû être agréable d'avoir un serviteur aussi dévoué que toi. Un mépris soudain pour cet homme qui suce ton pouce. Pourtant, à le voir si fragile tu le trouves beau. L'envie de te pencher, de le couvrir de baiser, de l'emporter avec toi et de la cajoler. L'amour aussi solide qu'hier. Et ça t’exècre. Car comment lui faire confiance ? Le temps trahit et il en est la preuve. Comment le croire sincère quand il te supplie, quand il prononce ton nom avec une indécence qui te fait trembler dans tes fondements ? Après tout tu as la chaîne. Et il est prêt à tout pour la ravoir. Qui te dit qu'il ne joue pas la comédie ? Après tout, c'est toujours quand tu baisses ta garde pour lui ouvrir ton cœur qu'il te saccage.

— Tu as raison, je ne peux pas te forcer. Mais tu vas au moins essayer. Pour moi.

Et il se lève. Ah. Putain. Rien que de le voir ainsi tu te sens fébrile. Tu détestes cette attraction qu'il a sur toi, cette puissance qui te rend fou, animal. Il a juste à se cambrer un peu pour que ta vision se fasse floue, pour que tes convictions s’effritent. La frustration t'avait détruit et la chaîne avait fini par te convaincre que depuis ce premier jour au chemin de traverse, Clovis s'était foutu de toi. Il se fout encore de toi aujourd'hui. C'est sur, c'est certain. Tu ne comptes pas. Juste un clebs, juste un chien qu'il aimait voir se donner pour lui, qu'il utilisait parce qu'il aimait voir l'amour sans avoir la décence de donner ou te refuser la réciprocité clairement. Tu ne peux plus te laisser avoir par ses écrans de fumée. Tu ne peux pas le laisser gagner. Il doit te rendre ta dignité qu'il a piétinée. Lui. L'enfant perfide. Magnus avait raison. Clovis est le pire. Et toi. Et toi tu l'aimes plus que tu n'aimes la vie.

Il s'assoit sur toi, tu passes une main brûlant dans son dos. Tu souffles sur ses lèvres, ne fermes pas les yeux quand il t'embrasse. Ta main qui glisse jusqu'à ses hanches, caresse la courbure de ses fesses. Pourquoi tu lui fais ça ? Tu romps le baiser murmure contre sa bouche.

— Pour que tu contemples ton œuvre, Clovis. Pour que tu vives un peu de mon enfer et que tu prennes tes responsabilités.

Tu glisses ta bouche contre sa nuque. Ta main chaînée toujours cachée. Tu ne la sortiras pas, même si ce démon tente de t'exciter. Tu n'es pas aussi idiot que lui. Tu ne le laisseras pas t'arracher la seule chose qui compte pour lui. Parce que tu le sais. Parce que tu le sens. Parce que la chaîne te l'a dit. Il te ment. Comme il a toujours menti.

— N'essaye pas de m'émouvoir... Je ne suis plus aussi naïf qu'autrefois. Je sais que tu ne m'aimes pas.

Embrasse sa nuque, remonte sur son menton. Fiévreux.

— Je n'ai été qu'un jouet pour toi. Tu ne m'aimes pas. Mais tu m'as laissé t'aimer... Tu as bien dû te marrer toutes ces années, hein ?

Rit contre ses lèvres, l'embrasse, le mord. Plus pressent ta main qui passe sous sa chemise, se plaque contre la peau chaude son dos.

— Et là t'es tellement désespéré que t'es prêt à me faire croire que tu as envie de me sauter. Tu viens minauder comme une chienne, me faire croire que t'as envie de moi, que je compte pour toi. Alors que tout ce que tu veux, c'est ton putain de bijou.

Tu plaques tes hanches contre les siennes, viens l'embrasser une dernière fois avant de le regarder, t'as le sourire de la haine, le regard dévasté.

— Je ne suis pas assez sage pour ne pas en profiter. Pas comme cette fois-là.

Tu ne tais pas. Cela fait trop longtemps que tu te tais. Depuis le premier jour, tu te muselles, tu dis amen. Tu ne veux plus. Tu ne peux plus. Pas quand il ment comme il respire. Pas quand il te plante sans fin à chaque fois que tu oses lui tendre la main. Tu le hais. Tu le hais. Tu le hais. Tu l'aimes. Tu l'aimes. Tu l'aimes. Alors quand il provoque, t'es partagé entre l'envie de le couvrir de coups ou de baisers. T'es partagé entre la jubilation de sentir son poids sur toi, de retrouver ton roi et le goût de la revanche vorace qui veut le faire hurler et supplier, qui veut le faire confesser ses pêchers et te demander pardon à genoux. Un rire nerveux entre tes lèvres, tu détestes autant que tu aimes sentir ses doigts te parcourir sentir sa bouche marquer son territoire.

C'est bon.
JE NE SUIS PAS SON CHIEN MERDE.

— Tu gémis plus que tu ne hurle, boucles d'or.

Mais le voilà de nouveau provocant, dominant. Et il commet l'erreur fatale de nouveau évoquer la chaîne. Sauf que cette fois-ci, il te veut avec. Sa réplique te fait légèrement écarquiller les yeux. Tu le regardes, interdit l'espace d'une seconde et c'est un rire fou, incontrôlé qui se déploie. Force colossale, à croire qu'il venait de raconter la meilleure des blagues.

— HAHAHAHA !! Et tu penses que je vais te croire ?! Alors que dix minutes plus tôt tu disais vouloir passer les portes de ma maison pour la dernière fois ? Putain Clovis, t'es vraiment le dernier des chiens.

Tu te redresses, soudain plus froid. Tu te redresses de toutes tes forces et décolles ton poignet du dossier.

— Tu revendiques des biens que tu as jeté au feu il y a longtemps déjà.

Tu souffles plus distant, plus énervé aussi. Il n'est pas en position de te résister.

— Tu me jetteras à la première occasion, parce que tu n'as jamais su prendre soin de qui que ce soit d'autres que toi.

Elle murmure la chaîne, elle chante à ton oreille de la protéger, de ne pas la laisser être prise de nouveau. Qu'il le mérite, Clovis. Qu'il mérite que tu t'énerves, qu'il la perde, qu'il apprenne le goût amer de la véritable défaite. Et tu l'écoutes, voix plus suave quand tu demandes, en écho à ses mots.

— Tu la veux elle. Rien qu'elle. Parce qu'elle est spéciale. Parce qu'elle est dangereuse.

Tu te fends d'un sourire fou, cruel, tu ne ressembles plus à Jasper.

— Elle chante pour moi, tu sais. Tu veux l'entendre chanter aussi. Je crois deviner ce qu'elle est. Dis-moi, mon roi, as-tu peur pour elle ou pour moi ?

Rire caverneux qui secoue tes épaules. Tu approches tes lèvres de son oreille.

— Si je te dis que pour l'avoir il faudra me tuer... Tu le feras, n'est-ce pas ?

Soudain ton visage se voile, ton regard se fait plus suppliant. L'Horcruxe exacerbe jusqu'au désir le plus inavouable. Tu murmures. Sourire déchirant, la voix chantante sous le poids du chagrin.

— Depuis que tu as disparu je souffre. C'est pire depuis que tu es revenu. Pourquoi tu ne me libères pas, Clovis ? Pourquoi tu ne me tues pas ?

Et la chaîne chante, chante encore, une marche funèbre que tu sais être la tienne. Tu tends la nuque, demandes comme une faveur.

— Termine ce que tu as commencé au gala.

Il ment. Il ment. Il t'a toujours menti.
Oui. Oui. Oui.
Elle chante, la chaîne, elle a une voix suave et douce, elle murmure des airs célestes qui hypnotisent. Elle dit la vérité, celle qui blesse, celle qui lacère, mais celle que tu as toujours recherché. Parce que tout n'est que flou, que vice, que jeux subtils. Et tu en assez, si fatigué, si lasse, de ces demi-mots, ces doutes en toile de fond. Si épuisé, de marcher vers un horizon distendu et sans éclat. Elle, au moins, elle te rend digne, elle te donne le respect qu'il te refuse. Elle dit les choses comme elles sont vraiment. Et tu lui ait si, si reconnaissant. Mais il y a ses mots, à Clovis, qui te font tiquer. Tu ne lui a jamais posé la question. Ah bon ? Était-ce vraiment le cas ?

Non. Non ! Tu lui as posé ! Ça fait quinze ans que tu lui poses ! Il sait, Jasper ! Il a toujours su ! Il n'est pas idiot.
Oh, non. Clovis est loin d'être idiot.
Et il s'est foutu de toi !
Et il s'est foutu de toi.
Qu'il vienne te libérer, il te doit au moins ça.
Oui, il te doit au moins ça.

Alors fou, la lueur suppliante, tu tends le cou. Qu'il t'achève, qu'il arrête de se draper de la cape de l'innocent, du soleil. Qu'il assume tout ce qu'il est. Qu'il assume à quel point il est nauséabond, putride, terrible. Qu'il assume. Qu'il voit. Qu'il contemple. Qu'il soit le courage sale des véritables antagonistes. Qu'il paye. Bon dieu qu'il paye. Pour tout. Tes larmes. Ton sang. Tes rêves. Ton amour. Ton cœur. Tout.

NON !

Mais soudain, c'est l’effroi. Plus de rage sur son visage. Mais la peur. La vraie peur. Et soudain, tu as peur aussi, sans comprendre pourquoi. Il tombe, Clovis, manque la table basse de peu. Et dans un réflexe dont tu ne comprends pas l'origine tu te lèves. L'espace d'un instant c'est toi, tes yeux bleus surpris, ta bouche entrouverte, le Jasper d'autrefois qui surprend les cauchemars. Et il recule, terrifié, rampe sous la peur et la chaîne chante que ça devrait te faire plaisir, que tu devrais être heureux. Et tu l'es, tu crois. Ton expression qui se métamorphose. T'as l'ais possédé, tes lèvres qui s’étirent dans un sourire fou, ton regard qui brille d'un éclat malsain. Elle pendouille ta main, la chaîne. Pandouille à ta hanche, son éclat qui t'attire l’œil, comme-ci tu l'écoutais. Mais ton regard se tourne, se voile. Se repose, irrépressible, sur le visage de Clovis. Cette expression, tu l'as déjà vu. Soudain les cheveux blonds s'allongent, le visage aminci, sous les traits séduisant de Clovis tu vois Iphi. Jeune, beaucoup plus jeune. Et les cheveux blonds se font court et noirs, les yeux bleus plus perçants et c'est toi que tu vois. Plus jeune aussi. Le bras devant ton visage.

Père ! Père arrêtez !

Ah. Ah... C'est à ça que tu ressemblais.
Clovis se relève et tu suis le mouvement de regard, incertain. T'as l'air vide, absent soudain. Et il te demande ce que tu veux. Il promet d’accéder à ta requête.

— Moi, je veux...

Un souffle rauque, alors que tu t'approches.

TU VEUX QU'IL PAYE ! QU'IL S'EXCUSE ! QU'IL RAMPE !

Sur ton visage tes lèves s’affaissent et se lèvent, folles. Ton visage parcouru de spasme, de tique, tes expressions faciales qui s'embrouillent, comme-ci un plasticien fou n'arrivait à se décider sur quelle émotion tu devais te caler.

DEMANDE-LUI TE LÉCHER LES PIEDS ! DEMANDES LUI TE DEVENIR LE CHIEN QU'IL T'A FORCE À ÊTRE ! CE N’ÉTAIT QU'UNE PETITE CHIENNE ENTRE TES DOIGTS SOUVIENS TOI ! IL BANDAIT EN PLEURANT QUAND TU CRIAIS !

Tu lèves ta main non chaînée à hauteur de sa poitrine, pointe un doigt accusateur contre son cœur.

— Ce que je veux...

VAS Y ! VAS Y ! VAS Y ! LIBÈRE-TOI ! LIBÈRE-NOUS !

— Toi.

Soudain ton expression se fige, tes prunelles s’écarquillent. L'espace d'une brève seconde c'est toi qu'il peut voir. Toi. Juste toi.

— Toi.

Tu répètes, appuies contre son cœur. Puis tu hurles. Tout ton corps se tend la main chaînée vient le choper par la gorge et c'est la haine folle que tu craches.

— TOI !

Gronde, t'as l'air d'un démon. Mais ta main libre vient saisir celle prisonnière de la chaîne. Tu hurles.

— NON !

Tu recules de quelques pas, chancelants. T'as l'air de te battre contre un titan. La main chaînée tendue, crispée, soudain c'est devenu une créature autonome, vouée d'une volonté propre. Et ça hurle, ça hurle dans ta tête, dans tes tripes, dans tout ton être. Que t'es faible. Que tu vas perdre. Que tu dois le tuer. Le tuer. Le tuer. LE TUER. Le TuEr.

Et tu chancelles de quelques pas, bascule contre la table basse dans un grand fracas. Dans ta chute tu roules, devant toi la cheminé, les flammes. Ton regard sur la chaîne. Ton regard sur cette main maudite.

TU VAS PERDRE.
— LA FERME !

Et tu plonges ta main dans le feu.

Tu plonges ta main dans les flammes, ça ne dure qu'une seconde, mais tu sens ton esprit vriller. Tu entends la chaîne hurler, un cris déchirant que tu pousses aussi. La douleur te submerge. Ça ne dure qu'une seconde, parce que déjà, tu sens qu'on te tire en arrière. Tombe en arrière, la silhouette de Clovis sur toi. Ses mains qui s'affairent sur la tienne et ça brûle, ça brûle comme-ci tu y étais encore. Ton visage figé par la souffrance. Il pleure de nouveau. Et si c'était toi... Si c'était toi tout entier qui...

— Elle voulait te tuer.

Tu lâches, rauques. Ça fait mal. Ça déchire. Ça brûle. Ça brûle. Ça brûle. Et elle n'a rien, n'est-ce pas ? Ta main est ravagée par le feu mais elle, elle est intacte. Tu le vois se lever. L'espace d'un instant tu as peur qu'il aille la chercher, qu'il la remette à sa main. Il ne doit pas la remettre à sa main. Mais il sort, ouvre la porte, hurle à Grenat de ramener un médecin. Tu souffles que tu ne veux pas te donner en spectacle, mais la douleur te fait capituler. Tu te redresses sur ton coude dans un grognement. Pas la force de te lever, à peine celle de te laisser ton buste s'échouer contre Clovis quand il revient. De ta main valide tu enserres sa chemise.

— Elle voulait te tuer.

Tu voulais le tuer. Et sa tendresse tandis que sa baguette s'agite, s'efforce de t'arracher à ce feu qui persiste, grignote, invisible ta peau, est aussi délicieuse qu'insupportable. Il te caresse, comme il ne l'a jamais fait avant, comme-ci tu étais en cet instant la chose la plus précieuse de son monde et tu adores l'idée. Mais en toi reste une ombre. Ton cœur soulagé, ton corps plus léger depuis que le metal maudit à quitter ta peau. Mais en toi reste une ombre, oui. Parce que tout ce que tu as fait, ressentit, dit, n'étaient pas de l'ordre de l'invention. Quelle que soit cette chose (mais tu es plutôt certain de ta conclusion), elle n'a fait que tirer parti, que pousser à l'extrême des sentiments et une détresse bien présente. Elles sont là encore, quelque part, grouillantes, les salissures. Le comprendre te fait un choc, pourtant tout était là sous ton nez depuis le début. Tu n'avais pas la chaîne quand tu as laissé Valerian dans la cave, tu n'avais pas la chaîne quand tu as serré les poignets d'Iphigenie pour lui hurler dessus. Soudain, tu te vois, aussi menaçant que ton père, aussi terrible et monstrueux que lui. Soudain tu réalises, que la chaîne n'a fait que ton montrer un aperçu de ce que tu pourrais devenir. Et ça te serre la gorge, te déchire les tripes. Tu t'appuies un peu plus fort sur Clovis, ton regard dérive sur tes mains. Rouges.

— J'ai frappé des gens jusqu'au sang...

Horrifié par tes propres actes. C'est là que la porte s'ouvre plus grande pour laisser passer la figure de ce que tu devines être un médecin. Il s'active sur toi, il pose des questions et tu laisses Clovis réponde. Tu te concentres à contracter la mâchoire, rester digne, ne pas hurler sous la douleur. Il applique quelques sorts et sort de son sac quelques flacons qu'il vient renverser sur ta brûlure et frictionner. Peu à peu le feu s'en va, tu as chaud, ça tiraille, ce n'est pas agréable mais ça ne te tord plus de douleur.

— Il n'y aura pas de... De perte de motricité... De sensibilité ?

Tu demandes, pragmatique. Cherche la logique pour ne pas t'effondrer. Il te confirme que non et tu soupires, soulagé. Quand il va pour vous quitter tu lèves les yeux vers lui.

— Une dernière chose... Docteur.

Tu n'as plus la chaîne, mais ton regard semble plus adulte, plus dur.

— Je compte sur votre discrétion.

Simple formule mais qui veut tout dire. Il hoche sobrement la tête et claque la porte derrière lui. Clovis s'effondre près de toi. Tu es libre. Non. Non, tu ne l'es pas. Tu ne l'as jamais été. Elle te l'a fait comprendre. Elle, qui gît sur le sol plus loin. Il y a temps de chose que tu voudrais dire. Faire. Mais tu es épuisé, ton cœur tambourine encore de l'adrénaline et ton corps te tiraille en protestation du manque de considération avec lequel tu l'as traité. Tu tiens ta main, celle qui portait la chaîne. Ose fermer et ouvrir doucement ton poing pour jauger les dégâts. Ça va aller. Ça ira. Et il a l'air aussi épuisé que toi, Clovis. Dans tête résonne comme un écho.

Toi.

Mais avant, il y a des choses à régler. Tu pousses sur tes jambes pour venir t'adosser au canapé, gémi, rauques, tout n'est que douleur et le manque d'alcool n'arrange rien.

— Il faut détruire cette chose.

Tu poses tes yeux bleus sur lui. Contiens ton envie de boire, ton envie de réclamer de nouveau ses mains contre tes joues, ses caresses du pouce. Ton envie de lui dire de nouveau ce simple mot. Parce qu'il n'avait pas répondu à ta demande. Il s'était juste figé. Mais tu sens encore le contact de la magie noire sur ta peau.

— Clovis... Cette chose... Ce n'est pas n'importe quoi. Comment tu...

Les questions se bousculent. Tu te pinces l'arête du nez, grimace de nouveau.

— La réponse ne va pas me plaire, mais explique moi.

Ton regard intransigeant, tu ne toléreras pas la fuite. Ni ce soir, ni tous les autres soirs à venir.

Toi

Tu tends la main.

— Viens. Explique moi.

Il lève enfin son regard vers toi. L'air coupable. L'air d'un enfant pris en faute. Avait-il eu ce genre d'expression avant ? Un regret sincère, sans une note d'espièglerie ? C'est peut-être la première fois depuis qu'il est revenu que tu as la sensation de le retrouver vraiment. Cet homme-là, c'est l'homme que tu as laissé partir trois ans plus tôt. C'est l'homme que tu as pleuré depuis. Tu maintiens son regard, l'espace d'un instant t'as peur de le voir fuir, peur qu'il te refuse la vérité. Mais il s'approche, Clovis, te concède que cette fois-ci, tu as le droit de savoir.

— Oui. Tu me les dois.

Ce n'est pas dit avec méchanceté, ou rudesse. Un simple fait logique, incontestable. Tu lui mets dans la face la plus simple des vérités pour éviter ses mensonges. Et il s'approche. Et tu ne le quittes pas des yeux. C'est à cause d'elle qu'il est parti. C'est pour cette chaîne qu'il s'est fait passé pour mort, qu'il a abandonné sa vie, ses proches, t o i. Tu le laisses venir, la main toujours tendue vers lui. Sa main contre ton bras, tu viens toi aussi saisir doucement le tissu de sa chemise. Tu laisses ton autre bras glisser contre sa hanche, passer dans son dos.

C'est de la magie noire.

Tu l'avais compris. Tu hoches la tête, sérieux. Cherche à comprendre la menace qui vous entoure, cherche à comprendre la nature de cette chose qui a cherché à vous tuer l'un à l'autre. Elle est vivante. Oui. Ça aussi, tu crois l'avoir compris. Tu fronces les sourcils, ne quittes pas son bras, mais viens poser des doigts incertains sur ta tempe.

— Elle parlait oui. Elle... Elle lisait en moi.

Tu entends de nouveaux sa voix, les choses horribles, les pensées terribles. Tu fermes les yeux, tente d'écarter son souvenir désagréable. Lui se tient le crâne. Il a l'air détruit. Et ce n'est que maintenant que tu réalises que son errance à dû être aussi douloureuse que la tienne. Tu lui en veux encore. Tu lui en veux d'avoir voulu lutter seul. D'avoir voulu jouer cette quête en solo quand vous avez toujours été un binôme. Chaque mot semble lui coûter, ça s'arrache de sa gorge avec difficulté. C'est donc ça le poids d'un secret.

— Clo. Dis-le-moi.

Il hésite. Et il finit par lâcher.
C'est mon père.

Tu écarquilles les yeux. Interdit. Ça n'a aucun sens. Magnus Lestrange était vivant ? Tu le regardes, sans comprendre, cherches son regard. Magnus Lestrange était vivant. Il vivait. Dans cette chose.

— C'est lui qui me parlait ? Mais... Mail elle... Il. Il m'a dit de te tuer !

Est-ce que Magnus Lestrange aurait souhaité la mort de sa propre chaire ? T'es horrifié. Ton regard dérive, plein de dégoût, vers la lueur argenté de cette chaîne au sol. Tu secoues la tête, relève les yeux.

— Ok. Ok, résumons. Ton père... Du moins sa conscience à fusionner avec cette... Chose. Tu l'as découvert et tu es parti pour essayer de la détruire. Mais tu n'as pas encore réussi.

Tu soupires. La vérité n'est pas facile à avaler. Cependant, ça te soulage d'avoir un début de réponse à toutes tes questions. Tu lui en veux. Mais tu ne le détestes plus.

— Viens-là.

Tu passes tes mains dans son dos pour le ramener vers toi. Et tu le serres, comme il t'a serré contre lui quelques jours plus tôt. Soupire de nouveau. C'est puéril. Tu ne devrais pas être soulagé.

— Il aura fallu que je me brûle volontairement la main pour que tu craches le morceau... Quand est-ce que tu vas arrêter d'être aussi têtu ?

Tu le serres un peu plus, passe une main dans ses cheveux, la poitrine qui se soulèves encore un peu trop fort. Caresse tendre contre son dos. Tu te fais soudain plus possessif. Éclair bleuté dans ton regard, resserre ta prise sur son crâne.

— On doit la détruire. Pas toi. On. Je vais t'aider et je t'interdis de me dire non.

Il n'a plus le droit de te dire non. Tu l'écartes un peu. Ton regard sérieux, plongé dans le sien. Lentement, tu viens de nouveau pointer ton index contre son cœur.

— Toi.

Ne me rejette pas.

Tu n'avais jamais entendu quelque chose de similaire, d'aussi affreux. Pourtant, ça ne semble pas si invraisemblable. La magie était riche de nature, elle ouvrait le champ des possibles, elle était faiseuse de miracles. La société l'avait conditionné à une utilisation directement cadrée pour des raisons évidentes. Mais, au final "votre magie", n'était qu'une infime partie d'un tout beaucoup plus vaste. Alors il y avait peut-être bel et bien un monde où des fous pouvaient, avec son aide, défier le concept même de mortalité. Il y avait peut-être bel et bien un monde où des hommes comme Magnus Lestrange s'arrachaient volontairement des bouts de leurs âmes pour ne pas vous donner la grâce de crever. Tu déglutis, rien qu'à l'entendre ça a l'air horrible. Et t'es presque sûr, Jasper, qu'il t'offre la version la plus pure du récit.

— C'est... Affreux. Je n'ose même pas imaginer ce que...

Ce que ça fait. Ce que ça signifie concrètement. Tu secoues la tête, t'as encore beaucoup de questions à poser mais là, tout de suite, tu veux le sentir. Tu veux graver sa présence, te recouvrir de son odeur et enfin pouvoir te dire qu'il est là, bien là, et que tu ne vas pas te réveiller dans tes draps, transpirant, à rêver de sa présence pour te souvenir qu'il était mort et que tu l'avais enterré quelques jours plus tôt. Tu soupires, ta main qui se perd dans ses cheveux, son corps que tu presses contre le tien. Il t'a toujours donné l'impression d'être Helios, ce dieu solaire, pourtant contre toi il te semble si frêle. Est-ce le poids des années qui l'avait ratatiné ainsi ? Ou avait-il toujours été comme ça ?Peut-être était-ce juste toi. Trop aveugle pour tolérer de voir autre chose en lui que ta seule vérité.

Tu dois accepter, Jasper, qu'il n'est pas aussi solaire que tu ne le penses, pas aussi inaccessible que tu te l'étais imaginé. Ses yeux rougis par les pleurs, c'est encore plus concret. Une réalisation violente, un coup en plus contre ta joue. Il n'est pas invincible. Il a l'air épuisé, au bout du rouleau. Aussi rachitique que toi dans tes pires moments. Petite silhouette qui ploie sous un poids trop grand. Pourtant, il est toujours beau. Pourtant il rejette ton aide, encore. Refuse que tu t'impliques alors que tu es déjà impliqué. Tu secoues la tête. Et toi, toi tu n'es pas aussi soumis qu'il l'imagine. Tu es égoïste, buté. Tu es le bouclier qui s'oppose à tout y compris à lui. La main toujours contre sa nuque, possessif. Cette fois-ci tu ne le laisseras pas partir.

— C'est clair que jusque-là ton plan est réussi.

Tu fronces les sourcils, secoues la tête.

— Je m'impliquerais que tu le veuilles ou non. À toi de voir si tu veux que ce soit en équipe pour garder un minimum de contrôle sur la situation ou si tu veux que soit en solo à tes risques et périls.

Ultimatum, tu ne lui laisses pas le choix. Il peut hurler et jouer aux enfants courroucés autant qu'il le veut, tu es devenu aussi fort que lui à ce jeu-là. Tu colles ton front au sien, souffle furieux.

— Je ne te perdrais pas une seconde fois.

Ton doigt contre son cœur.
Toi.
Toi.
Toi.

Et ça t'étreint la gorge, parce qu'il ne t'apprend rien. Se présente comme ton enfer personnel mais tu le sais depuis le départ. Il te présente des arguments que tu as fait tourner en boucle dans les abysses de ton crâne pendant plus de dix ans. Il n'a aucune idée, d'a quel point tu as essayé d'y croire, d'être raisonnable.

— Tu n'en sais rien.

Pourquoi tu nous infliges ça ?

Tu le fixes, la prunelle légèrement brillante. Une main qui passe dans son dos, le caresse de haut en bas.

— Parce que je suis encore plus égoïste que toi.

Souffle contre sa bouche avant qu'il ne t'embrasse. Violent. Faible. Parce qu'on a beau se jeter des provocations à la peau, y a ce désir et ce besoin d'étreindre l'autre. Tu appuies sur sa tête, sur son dos, l'emprisonnes contre toi alors que ta main danse dans ses mèches blondes, que tu souffles bruyant, l'envie que tu as pour lui, ce besoin qui transpire, qui est là, toute cette lutte interne pour te forcer à l'oublier, pour le détrôner, alors qu'il n'y avait que lui, qu'il n'y a toujours eu que lui. Tu l'embrasse avec tout le désespoir qui t'accompagne depuis ce jour, plus d'une décennie auparavant, où dans l'éclat du soleil tu l'as vu te sourire et tu as pensé que c'était à lui que tu aurais voulu être fiancé. Tu l'étreins pour qu'il fusionne en toi, pour que jamais sa chaleur ne te quitte. Comme un rêve qu'on a mis volontairement en suspens par honte, par peur. Mais vous baignez tant dans la honte et dans la peur, qu'il n'y a plus rien à perdre aujourd'hui. Alors tu l'étreins, tu l'embrasses, dévores ses lèvres, agité. La conclusion à une agonie que tu t'infliges depuis beaucoup trop d'années.

— C'est toi.

Tu murmures, ta main qui glisse s’échoue contre ses joues.

— Ça fait plus de onze ans que c'est toi. Plus de onze ans que j'essaye que ça ne le soit plus. Alors arrête.

Ordre, alors que ta poitrine se soulève, sur ton souffle chaud se heurte contre sa bouche.

— C'est toi.

Pour le meilleur et pour le pire. C'est lui.
Pour tous tes rires et toutes tes larmes. C'est lui.
Alors il te t'apprend rien. Qu'il te dessine les contours d'une lutte qui te brisera te fait rire. Il arrive, pompeux, crois détenir une vérité que tu ignores alors que tu nages dans son enfer depuis tes onze ans. Alors il peut bien aller se faire voir, Clovis, avec ses promesses de cœur brisé et de déception. Voilà plus d'une décennie qu'il se brise en boucle. Et même sa mort n'a pas réussi à t'empêcher de recoller les morceaux.

— Reste.

Viens chercher ses lèvres plus tentateur, plus doucement. Tu l'embrasses, une main qui glisse jusqu'à ses hanches, descend vers l'intimité pour tenter. L'appel à peine subtile. Tes lèvres descendent jusqu'à son cou. Tu viens de lui avouer que cela faisait plus de onze ans que tu l'aimais. Tu lui avoues maintenant que tu as envie de l'aimer, là, sur ce canapé.

— Dis que tu veux rester.

Parce que même s'il t'a promis le pire, il ne fait que t'embrasser. Et tu sais passer outre ses écrans de fumées.

— Reste avec moi... T'en meure d'envie.

— Ça a jamais été ton fort, la patience.

Tu l'étais, du coup, pour deux. Et ça n'avait pas tant été un problème autrefois. Mais t'aimes croire qu'il a grandi, Clovis. Que les épreuves lui ont donné un peu d'endurance. Que maintenant, tu puisses toi aussi exprimer, combien tu es impatient. Alors ta main qui glisse dans une invitation à peine voilée elle témoigne d'une envie depuis trop longtemps installée. Et l'espace d'un instant, t'as peur que ce soit trop. Désirer c'est simple, sans conséquence, c'est animal, c'est sans nuance. Mais désirer parce qu'on aime c'est autre chose. C'est une responsabilité... C'est quelque chose qu'il a toujours fui et que tu lui imposes. Est-ce qu'il va fuir, Clovis ? Est-ce qu'il va te laisser seul dans les débris de verre ? Si tu plonges tes lèvres contre son cou c'est pour ne pas voir le rejet que tu appréhendes. Si tu titilles chaque fibre de sa peau, c'est pour ne pas le pousser à choisir la plus raisonnable des options. Mais il n'est pas raisonnable, Clovis. Putain, il n'est toujours pas raisonnable. Et son cou qui se tend, son gémissement au contact de ta bouche, ses doigts qui passent sous ta chemise. Une libération.

Il t'entraîne sur le sol , tu le laisses dévorer ton visage, souffle face à chacun de ses baisers, alors que tu t'affaires contre ses vêtements. Soudain le tissu se fait insulte, soudain tu trouves que ça l'enlaidi. Il serait tellement plus beau tout contre toi, sans les artifices d'une chemise hors de prix et d'un pantalon sur-mesure. Ton prénom qu'il chante et tu te sens trembler. Trop sensible. C'est horrible comment le moindre de ses appels résonne en toi comme le cloché d'une église. Il te repousse, tu le fixes, le regard légèrement voilé. Il rougit et tu le trouves fabuleux. Il te donne l'impression d'un guerrier.

T'es putain de bandant quand même.

T’écarquilles les yeux. Le compliment t'arrache un battement de cœur un peu trop rapide. Tu ris, autant pour chasser les rougeurs que pour ne pas lui céder trop vite.

— Je sais.

Insolent, mais son bassin contre le tien, ça te surprend. Toutes les belles répliques que tu aurais pu lui sortir pour se faire supérieur à lui meurent dans ta gorge. Et tu te dis que c'est injuste. Tu frisonnes de l'intérieur. Son désir visible, le tien en écho. Tu restes immobile un instant, comme ça. Souffle contre ses lèvres.

— Tu veux pas... Tu veux pas qu'on bouge ?

Tu demandes. T'as chaud d'un coup. Est-ce que tu lui proposes sérieusement de venir dans ta chambre ? Oui. Putain oui. Tu te fais plus ferme, plus déterminé. Il te rend faible. Il te donne des envies de conquêtes. Une facette de toi qu'il n'a jamais vu. Que seul Vanitas avait vu. Lui dévoiler, c'est abattre une autre de tes cartes, c'est lui montrer ton jeu. C'est effrayant. C'est grisant.

— Pas ici. On bouge.

Souffle tremblant qui trahit ton impatience. Tu te redresses, glisse tes bras sous son dos et son ses genoux pour le soulever, impudique, comme on soulève une mariée. Tu doutes que la position lui convienne mais qu'importe, t'en as fini de marchander.

— Dans mes souvenirs, t'adorais mon lit.

Sourire impudent. Le chaos du bureau attendrait demain. Tu traverses la pièce, longes le couloir. Elle n'est pas bien loin, ton père à toujours aimé avoir la chambre de son premier-né proche de l'antre de ses opérations. Petit, tu y voyais un honneur, plus grand une prison. T'ouvres la porte, pratiquement rien n'a changé. Les mêmes murs sombres, sobres, élégants. Le parquet poli, particulièrement propre. Au fond, ton lit king-size parfaitement fait. Les draps épais posés, car tu as toujours été frileux, et les oreillers disposés trop symétriquement pour que ce soit naturel. Les deux tables de nuit qui ornent ton lit, sur lesquelles on trouve lampes de chevet, cadres photo et livres. À gauche de la porte, un bureau en bois tout aussi élégant que le reste, tout aussi noir aussi. Parfaitement ordonnée, ta chambre ne souffre d'aucun bazar, impeccable. Les seules touches de couleurs sont les larges rideaux verts du couleur des Serpentard, le feu qui brûle dans l'âtre et une vieille affiche jaunie que Clovis avait lui-même imposée une éternité plus tôt.

Tu viens le poser aussi délicatement qu'un morceau de porcelaine sur ton matelas épais. Colle ton bassin au sien.

— Là, c'est mieux, non ?