Le temps passe vite lorsque le travail est très abstrait, lorsque les pensées sont évasives. Pourtant, jamais assez lentement pour survivre jusqu’aux fermetures des bars qu’il côtoyait. Il y avait toujours des raisons, des inquiétudes qui finissaient tôt ou tard par le guider jusqu’à la porte de sortie -lui ou d’autres. Tom n’était pas soule, mais fatigué, il n’était pas droit, mais hésitant. La tête ensevelie de noirceur et de brume, d’une douleur qui avait une sonorité macabre quand bien même elle semblait imperspective.

Ah qu’il seyait parfaitement au décor de l’allée des embrumes, avec cette démarche saccadée. L’avantage peut-être, ou l’inconscience parfois. Tom est pourtant totalement maître de ses moyens, mais cherche à s’échapper, à oublier. Non pas à rattraper, car tout cela lui semble si lointain, si trop différent de ce qu’il est maintenant devenu. Mais qu’est-il en vérité ? Un simple homme détruit, car les moments heureux de sa vie ne semblent qu’être éphémères est sans consistances. Un homme dont la braise du regard lointain n’existait plus, car l’âme avait perdu toute confiance en elle.

Alors il apprécie malgré lui l’environnement présent. Car personne ne passe par là par envie, toujours par obligation. Ceux qui y vivent, ne sont pas vraiment semblables à ceux que l’on rencontrerait au croisement d’une ruelle banale. Mauvais ou secret, parfois même les deux en un. Ici, les mots sont lisses, sans problématiques. Car les questions sont silencieuses. Bien plus souvent pensées qu’élevées.

C’est d’ailleurs raison qu’il s’était arrêtée. Par incompréhension. Clignement des yeux, sourcils froncés qu’il reste statique un instant. Le regard qui se tourne alors, vers la voix qui semblait s’adresser à lui. Ridicule et enfantin, des questions qui semblent lui être bien trop ciblées pour pouvoir feinter l’ignorance de sa personne.

Et le nom raisonne dans sa carcasse vide, comme un écho qui cherche à s’écraser. Un souvenir qui cherche à être récupéré.

« Eireann ? »

Sa voix rauque s’élève, croit rêver plus qu’autre chose.

Incompris parce qu’elle avait grandi. Incompris parce qu’il n’avait aucune sûreté. Incompris, car tout cela lui paraissait trop étrange.

« Qu’est-ce-que tu fais ici ? »

Parce que trois années étaient longues, mais pas assez pour finir dans ce trou à rat. Enfin, par pour Graeme, alors pas pour sa fille aussi.

Fait abstraction de ses questions précédentes, s’imaginer simplement la plaisanterie. Bien que ça n’était nullement amusant.

Il s’approche un peu. Mais pas trop. S’imagine peut-être une hallucination, bien que cela semblerait d’autant moins logique.

Les sourcils toujours froncés et le regard stoïque. La visibilité plus sincère de son accoutrement semble apportée une logique implacable. Comme si la raison de sa présence faisait dorénavant sens, alors que Tom restait dubitatif. Non pas face à Eireann, ou Rin – avait-il déjà été happé par la vieillesse ? – , mais plutôt par la signification de tout ceci. Trois ans, trois ans qui lui avaient paru être une éternité, plus encore maintenant qu’il faisait face à quelques bouts de sa vie passée.

Un instant d’observation alors, devant ce tissu qui lui était tendu que Tom remarque cette tâche de couleur jaune-verdâtre. Malaise léger, mais pas pour cette raison première. Père d’un petit garçon, il en avait vue bien pire. De profession d’auror, il en avait aperçu bien plus atroce. Enfermé à Azkaban, il en avait vécu bien plus effroyable. Alors pourquoi donc cette vision l’avait perturbé ?

« Londres oui, dans ce quartier. »

Qu’il répond au tac au tac. Avant même qu’elle n’explique le sens de sa cavale.  Reste alors pantois de son explication et plus encore, de sa comparaison. Car Tom n’avait aucunement l’impression de cavaler, de fuir. Ou du moins, le pense-t-il avec sincérité.

« Hein ? »

S’évader. Il était vrai que sa condamnation avait été immédiate, que jamais n’avait été évoqué sa possible sortie. Lui, injustement puni pour un crime qui finalement, n’avait été commis par personne. Une libération qui alors, avait été bien plus discrète que son arrestation. Après tout, il était plus difficile de clamer que les Lestrange décédés avaient abusés de leur pouvoir pour enfermer un simple sorcier.

« J'me suis pas évadé. »

Assez brute dans son intensité, les questions n’ont pourtant pas lieu d’être dans ses allées. Plus encore, lorsqu’elles étaient dures à comprendre, assimiler. Et cela, quand bien même Tom n’avait rien à se reprocher, lui qui parfois, aurait aimé oublier.

« Comment tu t’imagines déjà, qu’il soit possible de s’évader. »

La mâchoire se serre. Le mot évader qui raisonne dans sa mémoire au point qu'il ne peut s'en séparer.

« J'me suis pas évadé, j’ai été libéré. »

Le poing suit la contraction.

Parce que dans un premier temps, il n’aurait jamais dû y être enfermé.

« Graeme est aussi ici ? »

Le besoin d’une part, d’avoir un visage amical. Mais la crainte de l’autre, ignorant ses pensées quant à cette histoire.

Finalement peut-être bien grand-père, lorsqu’un mouvement de recule s’effectue de la tête. Cligne des yeux une ou deux fois de manière forcée pour essayer de comprendre. Cette mimique de ses doigts, comme s’il y avait quelques choses d’autres à comprendre. Comme si sa libération était faussée, qu’il était là, face à elle en tant qu’homme recherché. Mensonger et menteur. Un pincement de cœur alors, car Tom savait qu’il était impossible de fuir Azkaban. La tour, la violence de la mer, les détraqueurs. L’imagination même qu’un sorcier puisse s’en échapper lui semble inconcevable, lui qui a vécue en ces lieux.

Mais la douleur est là. Car lui sait, lui connait. Il est certain, c’est ainsi : car Clovis Lestrange n’est pas décédé, alors il n’est pas normal qu’un homme soit enfermé pour son meurtre. Il se savait innocent, libéré en toute quiétude. Pourtant comme un écho, finalement, au passé. Lui qui se savait innocent de la disparition (du meurtre) de son collègue. Et pourtant, pourtant le monde l’avait jugé, pourtant on l’avait enfermé. Et cela malgré son savoir, malgré son innocence, malgré ses dires.

Et alors, étrangement, un soupir s’échappe de son être. Un long soulagement parce qu’il ne risquait pas de croiser son aîné. Parce qu’il avait peur, inconsciemment, du regard que pouvait lui offrir ses anciens camarades, ses anciens amis.

« Je suis installé ici depuis quelques temps. »

Il hausse les épaules.

« J’ai rien trouver de mieux, l’argent est pas vraiment là. J’ai plus grand-chose aussi, alors on se contente de ce qu’on trouve. »

Pour le boulot, le ministère avait accepté de le reprendre pour se faire pardonner. Léger rictus. Le boulot, il ne savait même plus ce qu’il voulait en faire. D’ailleurs, il ignorait totalement où il en était. Paraître normal, désorienté sans le vouloir, mais que le fond de ses pensées soit bien plus conflictuel.

« En parlant boulot, tu viens d’être diplômée ? »

Trois ans c’était long et de mémoire, elle devait être en DEMA la dernière fois qu’il avait parlé avec son père. Il tend à rebondir sur autres choses car le sujet de son enfermement et de ses complications présentes ne sont pas vraiment à on goût.

« J’savais pas que l’service t’intéressais. »

Quand bien même elle était cracmolle, s’était bien différent que ce qu’il avait pu imaginer pour la fille de Graeme, mais les années permettent d’évoluer après tout.

« C’est l’chaudron baveur l’uniforme ? »

Il hausse des épaules par manque d’intérêt. La possibilité d’être voisin était si minime que l’idée ne lui traversa à peine l’esprit. Lui qui n’avait comme seul désir de profiter la quiétude de ses lieux, et de son appartement malgré la collocation, pour se détendre. Telle était l’idée première, car depuis son installation le silence arrivait à l’effrayer tout comme le vent qui battait un peu trop. Des souvenirs délicats qui l’empêchait de s’endormir, malgré la fatigue plus qu’évidente. Mais une chose était certaine, il n’avait pas vraiment envie de partager son pallier avec une gamine aussi dynamique, et ce qu’importe l’amitié qu’il pouvait porter à O’Malley et donc, par extension, pour sa fille.

« Oh. »

L’exclamation qui en disait bien plus qu’on ne se l’imagine, un terrain parfois glissant. Bien qu’il ait vue le traitement que pouvait subir certain élèves hybrides durant sa scolarité, Tom n’avait jamais fait face à la présence de cracmol au sein de l’établissement. Il avait eu tendance à penser qu’il s’agissait d’une bonne chose, mais parfois les réformes n’étaient pas acceptées de tous. Difficile même, pour les personnes qui en étaient la source. Alors il avait acquiescé quant à l’évocation du monde moldu, l’entre-monde devait être bien plus difficile à vivre. Compliqué de savoir de quel monde on appartient véritablement.

« C’est bon t’inquiète pas pour moi. »

Il n’osait pas vraiment dire qu’il était faussement de retour. Il n’aimait pas vraiment inquiéter les gens qu’il avait pu côtoyer autrefois, car tout le monde avait ses problèmes. Ses complications, ce n’était pas simple, le métier de service. Au moins, elle ne risquait pas grand-chose avec le chaudron baveur, car ce n’était pas les clients qui manquaient. Le service du soir par contre, ne devait pas être le plus facile.

Et puis il y eu ce petit rire, dorénavant brisé. Non pas heureux mais une gêne certaine, parce qu’il ne savait pas trop quoi penser. Graeme avait toujours été bon.

« J’y penserais. »

Sa tête s’abaisse. Honteuse. Car il avait appris, peu après sa libération qu’il était dorénavant divorcé. Son accord n’avait même pas été nécessaire, lui qui avait été condamné jusqu’à une fin non sentenciée.

« Mais je ne suis pas sûr que… »

Sa tête qui se balance en négation, pour alléger ses pensées.

« Tu sais si elle va bien ? Et Eliott ? »

Il était effrayé, ne savait que faire, que dire. L'amour pourtant, qu'il dirait de sa vie. Mais les choses étaient bien trop compliqué, bien plus que quiconque ne pourrait l'estimer.

Autant effrayé qu’entouré d’espoir. Mais la sentence tombe. S’exprime alors d’un soupir inconscient, ignore sincèrement ce qu’il est censé ressentir, ce qu’il veut réellement. Le divorce avait été une surprise à sa sortie d’Azkaban, pourtant Tom n’avait pas été capable de les contacter, comme nombreux de ses anciens collègues et amis. Être enfermé était une chose, avoir été injustement condamné en était une autre. Il s’était toujours su innocent, il l’avait toujours été et maintenant, c’était une révélation qui été acté. Et malgré tout, il n’osait pas, il ne savait pas. Il avait peur. Alors, il tentait de s’accrocher à tout ce qu’il pouvait, au moindre espoir. Aussi minime puisse-t-il être. Ridicule.

« J’imagine... »

Comme un écho, sans grand conviction. Plusieurs possibilités face à l’absence de réponse ; soit Eireann n’avait pas été au courant, soit son père n’avait eu aucune réponse. Et en vérité, connaissant ses anciens beaux-parents, c’était une option qui avait le mérite d’exister.

« C’que j’vais faire ? »

Grognement incertain. On lui avait rendu ses options, mais la certitude n’était pas vraiment là. L’arrière du crâne qu’on vient frotter, s’imaginant peut-être que cela pouvait éclaircir ses idées.

« Tu ferais quoi toi ? »

Comme si il était possible de s’imaginer dans sa situation, non. Il gagnait du temps tout au plus. D’une façon bien déplacée.

« J’suis de retour au ministère, on va bien voir c’que ça va faire. »

Si il tiendra l’aventure, ou si l’aventure l’éjectera avant même qu’il ne s’en rendre compte. Bien que la possibilité qu’il se détruise de lui-même était tout autant probable.

« Et c’est sympa ici, alors bon. »

Non, vraiment pas. Mais c’était bien mieux qu’Azkaban. Alors ses attentes étaient faussées, biaisées par la torture qu’il avait vécu. Quant à celle qu’il estimait être l’amour de sa vie durant plusieurs années ?

N’était-il déjà pas au fond du trou ?