i.
«  il est à présent l’heure de boire le sang qu’a versé Dieu pour nos pêchés. venez boire dans le calice de Belladone ! »

tu suis tes parents, ton poing dans leur main, et tu rejoins la file menant jusqu’à l’autel. tu n’as jamais goûté le vin et pourtant après ces mots, tu le sens dans ta bouche, jusqu’à te rendre malade. tu es habillée d’une robe noire, boutonnée jusqu’au bout, et dont la jupe se termine en dessous des genoux. on ne voit pas la peau de tes jambes, car cachée par tes collants et tes bottines noires. ce soir-là, tu ne boiras toujours pas dans le calice de belladone, au goût de soufre et de viande avariée. tu voudrais te sauver d’ici et prendre la porte, mais tu sais très bien que tu n’y arriveras pas. la porte est fermée. à quoi sert une porte, si on ne peut pas sortir ? une telle chose s’appelle un mur. tes parents serrent tes mains comme s’ils savaient que tu allais t’enfuir. avant de t’en rendre compte, c’était à votre tour de prendre le calice et de recevoir les bénédictions.

« tiens, le petit ange est avec nous ! tu n’oublieras pas nos séances d’étude cette fois, n’est-ce pas ? »

tu fais oui de la tête. tu es un petit ange alors tu dois te comporter comme tel. tu l’as bien compris. ses yeux disaient « obéis-nous. » alors elle a obéi. bien que ces mots aient le goût de charbon brûlé. bien que ces idées et ces concepts aient le goût de pourriture. leurs corps sont vides et pourris. et pourtant, ils continuent de bouger, ils ne s’arrêtent jamais. ta mère te regarde du coin de l’oeil, l’air de dire « cette fois, ne fais pas de vague. ». et cette fois, tu n’en as pas fait. tu étais dans les clous.
quels souvenirs as-tu de ta mère ? est-ce qu’elle t’aime toujours ? en as-tu jamais douté ? quand tu penses à elle, tu la vois dans la cuisine, couteau à la main. la cuisine est le coeur de la maison, et la tienne est toujours entrain de saigner. ta maison est une bouche grande ouverte. quand tu penses à ta mère, elle est assise à sa table. elle ne va pas s’assoir à la tienne.
c’était toujours elle qui restait à la maison quand ton père t’emmenait aux cours de religion du culte. elle buvait le sang de Dieu dans un verre ébréché, terni par les années de service ; sans pour autant être devant l’autel de l’église. était-ce autorisé par le culte ? le culte interdisait tant de chose. peut-être devrais-tu faire pareil pour bien suivre les enseignements du culte ?

quand ton père te laissait devant les portes de l’église, tu te retrouvais seule dans l’une des pièces au fond. ton devoir était d’écouter plusieurs fois des cassettes enseignant les principes du culte, les interdictions et les bénédictions. en boucle, jusqu’à la fin de la séance, sans arrêt. même si vous deviez aller aux toilettes. même si vous vouliez rentrer chez vous. les heures ne sont passées qu’en écoutant ces cassettes, il n’y a pas de pause pour manger, pour penser, vous deviez consacrer ces heures au culte et uniquement au culte.
quels souvenirs as-tu de ton père ? est-ce qu’il t’aime toujours ? en as-tu jamais douté ? quand tu penses à lui, tu le vois dans sa librairie, à exposer les photos d’animaux morts sur la table. la librairie est le poumon de la maison, et la tienne manque d’air. ta maison est une bouche grande ouverte, hyperventilant. quand tu penses à ton père, il est toujours occupé. il ne te prendra pas en photo.
c’était toujours lui qui te poussait à prendre part au culte. comme si sa seule fierté serait que tu y consacre ta vie. il ne voit pas les blessures que le culte te laisse sur les mains, les bras. tu en rêves la nuit. tu regardes les moineaux sur l’arbre en dehors de l’église. ils tombent dans la fontaine, et se noient. des moineaux noirs, morts noyés. dans l’eau de Belladone.

tu ressens le regard des prêtres sur ton dos. l'air de dire "obéis-nous". OBÉIS-NOUS.
tes pêchés coulent sur ton dos. OBÉIS-LEUR.
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ii.
1. 2. 3. 4.
des ricanements sortent de la cuisine. ils sont rêches, filandreux, comme si on venait de mordre sur une corde à moitié cassée. ils laissent un goût acre sur ta langue. tu continues à compter.
5. 6. 7. 8.
tu agites tes jambes, les mains sur tes genoux. les chiffres te bercent. les bruits de la fête familiale bourdonnent dans tes oreilles. te dérangent. tout cela sonne... faux.
9. 10. 11. —
tu te mets à pleurer. l'ampoule te brûle les yeux. des acouphènes s'installent dans tes oreilles. tu n'arrives pas à compter chaque carreau au plafond, et ça te frustre terriblement. cette incapacité à achever ton but prend la teinte d'un jaune ocre, et le goût de bonbon à la réglisse. tu te mets à entendre toute leur conversation et manger chacun de leurs mots. tellement de saveurs, qui en dégoûteraient plus d'un. même si tu essaies, tu es incapable d'arrêter ce fléau gustatif. il continue de voguer entre les vagues du présent. chaque mot finit par se caraméliser, chaque déclinaison sentie comme un un morceau de bonbon coincé entre les dents. tu n'as que neuf ans, après tout. ton père tente de gagner un succès en tant que photographe, et ta mère enterre des cadavres. ils ne peuvent pas comprendre pleinement ton problème, et ils diront probablement "ce n'est rien, mon enfant.". si ce n'était rien, alors pourquoi ça t'empêche de vivre ? tu goûtes chaque faute d'orthographe à l'école, et les concepts ont des couleurs que les matières n'ont pas. ils diront probablement, "il faut prier plus, mon enfant.". alors tu joints tes mains et tu recites dans ta tête le même mantra qu'il y a bien longtemps : et c'est là que tu remarquas le papillon de nuit enroulé dans la toile d'une araignée — malgré le fait qu'il fasse jour.
et c'est là, que l'impossible se passa. les murs tremblèrent légèrement, allant crescendo comme dans les opéras. les cadres, les vitres se brisèrent une à une. les invités de tes parents hurlèrent, et tes parents se cachèrent sous un bureau, comme des lâches. et tu te tenais là, au milieu du chaos, comme si tu étais l'épicentre de ce séisme. et peut-être était-ce le cas. peut-être qu'il fallait prier davantage pour le savoir.

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iii.
ton père disait que ce monde n'était pas pour toi. tu te rappelles de sa silhouette voutée, les pattes en avant, comme pour les resserrer sur le cou de ses proies. ses pattes sont taillées pour décimer la tête de ses adversaires. il porte un costume de prêtre, et boit le sang du christ. ses mandibules t'effraient. aucune magie ne peut effacer ça de ton cerveau.ses gros yeux globuleux te fixent : sous le serment de Dieu, il est prêt à te détruire.
en vain, tu joints tes deux mains. tu pries pour regagner une autre réalité. pour que les fenêtres se brisent à nouveau. rien ne fonctionne ici, dans les méandres le plus profonds de ton cerveau abîmé. tu te rends compte que si tu suis le même chemin que lui, tu finiras par devenir comme lui. l'image de Dieu se poursuit après tant d'années à le prier faussement. cette image que ton père t'a demandé d'adorer, après chaque chasse, après chaque repas. tu te retournes et tu remarques le cerf que tu as toi-même éviscéré à il y a peu de temps. le sang te coule des mains, tu sens le couteau détruire la chair, tu sens les organes intacts à ton passage. chaque moment de cette scène te hante. il y a un goût de sang sur tes lèvres. tu te rappelles que ce jour-là, vous aviez mangé du cerf.
tu te sens sale. Dieu pourrait refaire ton corps en terre. tu le serais toujours autant. Dieu pourrait refaire tes os avec des asphodèles. tu serais toujours aussi dégoûtante.
BANNIS CES PENSÉES
N'Y RETOURNE PAS
NE TE RETOURNE PAS.

si tu savais une chose sur ta mère, c'est qu'on ne pouvait pas vraiment compter sur elle. elle faisait le dîner avec un verre de cognac à la main. parfois c'était du rouge, sa boisson magique. elle ne te regardait même pas quand tu mettais en douce des paillettes dans la soupe du soir. elle te regardait pas quand elle revenait du travail et qu'elle s'enfilait un verre de rosé. vous n'aviez pas une mauvaise relation, ce serait plus juste de dire que vous n'aviez pas de relation du tout. les seuls moments où elle était loquace, c'était quand elle avait trop bu. son mari allait s'éclipser dans la bibliothèque pour faire sortir ses photos, ou pour faire de la fourrure de biche un tapis. puis elle parlait de son boulot, de sa vie, de ses parents sans arrêt.
ta mère était une araignée. elle avait plusieurs yeux, tous s'alignant sur ses joues. dans ses mains, il y a le cordon ombilical qui vous a un jour uni. aujourd'hui ce qui vous unit, c'est l'alcool. tu la voyais manger le cordon petit bout par petit bout, comme si c'était un met délicat. le mot avait juste le goût de cendres et de charbon. de ses six pattes, elle essayait de t'enrouler dans son fil pour savoir quel goût tu as. tu savais toi, ta propre saveur. ici, tu étais une proie. il faut que tu t'en ailles. tu es en danger ici.
il faut abandonner ce paysage.

N'Y RETOURNE PAS.
TU VERRAS CE QU'IL FAUT
DANS LE RÉTRO

le silence fut brutal. tu te voyais mettre tes affaires et tes jouets dans des sacs pour t'en aller. tu entends un léger "chérie, je suis à la maison." sortant du gramophone. quelque chose cloche.
tu sens le sang couler sur tes pieds. Dieu est ici, et c'est un papillon de nuit. Dieu est ici, et il opère une vivisection sur toi. Dieu est ici, comme promis, et montre au monde entier combien tu es pourrie.

ce n'est rien, c'est un cauchemar.

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iv.
l'enfer est réel.
l'enfer est réel, et vous l'avez construit juste ici.

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v.
tu as pris le pouvoir comme Icare a pris le ciel. tu t'es envolée pile quand la lettre est arrivée. en partant, un corbeau s'est niché dans ton ventre. il donne des coups de bec, picore tes organes, griffe tes vaisseaux sanguins. du pus s'écoule de son bec pour couler dans ton sang. ces plaies seront difficile à guérir. même avec la magie.
la perche rayée murmure "sois libre". les coquilles palourdes murmurent "lâche prise". les pétales de lys rouge disent "goûte l'air". et ils ont raison. elle doit profiter du fait d'être en vie.

tu te rappelles d'une chose. "certains insectes mangent leurs semblables. ils peuvent nous en apprendre tellement, vivants ou morts.. ophelia la fourmi ne s'est pas faite avalée. Dieu merci.

Résumé: