Il y a quelque chose de fondamentalement apaisant avec la pluie. Tu te berces, Dorothy, de son chant, des centaines des petites notes qui s'élèvent quand les gouttes viennent s'écraser à terre. Depuis les procès, tu y trouves à un certain réconfort. Le jour où ils l'ont condamné, il pleuvait. Cette nuit-là, tu n'avais pas dormi. Mais le bruit de la pluie avait rendu le silence beaucoup moins étouffant.

Peut-être un excès de zèle, mais tu te sens incapable d'une grasse-mat quand tu entends le ploc distinctif de la pluie sur la fenêtre. Beckett t'a encore laissé son lit. Une dizaine de pierre-feuille-papier-ciseaux et des centaines d'arguments plus ou moins légitimes n'avaient pas suffit. Tu trouves toujours ça stupide. Le geste te touche, mais tu es toujours celle qui est levée le plus tôt. Tu profites de Londres et de l'absence de Tommy pour aller courir plus tôt. Il ferait mieux de profiter de son lit, Beck. Ça devient tellement ridicule qu'on se demande parfois qui en est le vrai propriétaire.

Tu t'extrais des couvertures, enfiles rapidement un leggins, ta paire de basket et un hoodies à capuche qui traînait là (Beck est vachement plus massif que toi). Tu choppes ton sac à dos, vises tes écouteurs sur tes oreilles et glisse jusqu'à la porte, en silence. Tu refermes la porte derrière toi, les ronflements te font dire que tu as au moins deux à trois heures devant toi. Parfait.

Sincèrement, y a peut-être plus intelligent que trottiner sur une pluie battante, mais t'en a pas grand-chose à faire. Quand il pleut, il n'y a personne, quand il pleut t'es tranquille, tu ne surprends le regard de personne. D'aucuns moldu, d'aucun sorcier, d'une ombre du passé. Tu t'enfonces dans les rues, cours jusqu'au petit stade où les enfants moldu viennent faire du sport le samedi matin. Tu profites qu'il soit vide pour faire quelque étirement. Toujours sous la pluie, parce que ce n'est pas drôle sinon. Tu termines ton parcours en allant chercher un café, faire une petite pause avant de rentrer. Enfin, un café. Du thé. Un gigantesque gobelet de thé fumant, il n'y a que ça de vrai. Récemment tu t'es découvert une passion pour le Starbucks du coin. T'entre, ignore les regards face à ton hoodie dégoulinant d'eau. T'as pas le temps de passer à la caisse que tu le remarques. À ses pieds un parapluie rouge. Le même qu'aux procès, il te semble bien.

— T'es matinal.

Fait une moue un peu amusée.

— Et particulièrement sec.

T'aimerais bien dire que vous êtes dans ce cas, mais tu n'as jamais été contre une petite grasse-mat de temps en temps. Tu le dévisages, sa remarque te fait rire. Tu désignes ton ensemble avec un sifflement admiratif.

— Finement observé.

Un peu provocant, mais la perche était trop belle pour ne pas être saisi. Tu te demandes sincèrement si ce type n'a vraiment qu'un seul parapluie ou s'il en a des dizaines identiques. Tu as du mal, Do, à détacher ton regard de la couleur rouge. Elle te rappelle le procès, elle te rappelle qu'il était là. Maintenant que tu y penses, tu n'as jamais su pourquoi il était là. Tu hausses les épaules, sans conviction.

— Sûrement mais ce n'est pas très très pratique pour courir, un parapluie.

Tu ajoutes en désignant l'extérieur du doigt.

— Parce que je reviens de mon jogging, là, en fait.

Tu commandes rapidement ton thé et tu t'en empares avant de t'asseoir en face de lui. Ce n'est peut-être pas ce qu'il voulait mais qu'importe. Après tout, si ta présence de gêne, il aura la délicatesse de te le dire, non ?

— Et toi ? J'imagine que vous ta classe et ton absence d'auréole tu ne sors pas d'un entraînement ?

Encore, ton regard dérive sur le parapluie. Rouge. Rouge. Rouge. Et l'image de cette silhouette à l'air triste. Tu fronces les sourcils.

— T'avais le même. Le jour du procès.

Simple observation.

Incisif. Était-ce un reproche ? Oh, ça sent le reproche. Tu croises les bras, relève légèrement la tête pour le scruter de haut en bas. On en est donc là. Ce n'est pas la première fois, mais chaque nouvelle fois devient plus frustrante que la précédente. Juger, toujours juger, avec le voile de l'ironie et de la subtilité. Tu le fais toi aussi. Seulement, il y a une différence entre faire et subir.

— Je vois, alors toi aussi tu as ton opinion sur la question.

Évidement, tout le monde a une opinion sur la question. Tu te penches pour attraper ta boisson, laisses le liquide chaud brûler tes lèvres sans jamais le quitter des yeux. Tu fronces les sourcils.

— Peut-être auras-tu l'infinie délicatesse de la partager avec moi ?

Sourire peste. Si tu mets autant d'énergie à courir par tous les temps ce n'est pas dans le but d'essuyer les reproches des uns et des autres. Tu redresses le menton, l'air de le défier d'être transparent en plus en plus d'être honnête. Dans tes mains, le gobelet brûle, un bon point d'ancrage avec la réalité.

Et ça t'énerve, lui et son grand parapluie rouge. Lui qui ne dit rien. Lui qui ne dit mot, mais pense avec trop de force pour qu'on ne l'entende pas. Tu souffles, d'avance lasse.

— Je t'écoute, as-tu un problème avec ma "détermination", Hisao ?

On en est plus à faire semblant d'être polie.

Tu fronces les sourcils, le gobelet brûlant dans ta paume est un rappel bienvenu. Tu dois garder ton sang-froid. Outre le lieu dans lequel vous vous trouviez tu n'oublies pas ta position, ni la sienne. Tes écarts seront ceux de l'équipe et l'équipe n'a pas besoin d'un scandale, même minime. Alors tu te forces à plus de tempérance sans pour autant être capable de le toiser non sans un certain mépris. C'est fou, comme dans leur bouche tout semble si simple, si évident. C'est fou, comme ça t'énerve, cette façon qu'ils ont tous de te faire comprendre qu'ils auraient fait mieux que toi à ta place. Ses questions te font tiquer. Ses mots t'irritent. Un sourire ironique se dresse sur tes lèvres.

— C'est extrêmement galant de ta part d'admettre que tu ne soulèves que des hypothèses.

Tu poses ton gobelet, ta peau pulse sous le chaud mais qu'importe. Tu croises les jambes, impériale, dans ces moments-là tu ressembles à ta mère plus qu'à n'importe qui d'autre mais plutôt crever que de l'admettre.

— Pour répondre à tes questions, oui, j'ai essayé. Peut-être me prends-tu pour la petite pute opportuniste qui a vendu sa mère contre un peu de fame mais sache que rien de tout ça n'a été facile.

Rien de tout ça n'a été facile. T'as la gorge qui se serre.

— Je me suis tué à essayer. J'ai arrêté mes études pour essayer encore plus fort. Nos opinions avaient tendance à diverger ces dernières années mais Daisy Martin reste ma mère et mon héroïne. Et, quoi qu'en pense la presse ou ta petite personne, elle le restera.

Tu revois son visage. Son visage qui se déchire quand tu t'avances à la barre, quand tu témoignes. Avait-elle compris ? La raison de ta trahison ? Ce pourquoi tu lui a planté, droit dans les yeux, une dague en plein cœur ? Tu baisses les yeux un moment. Bien moins impériale maintenant.

— Je n'ai éprouvé aucun plaisir à la trahir. Je ne m'attends pas à ce que tu comprennes, mais j'ai fait ce que j'avais à faire pour protéger ce qui nous restait. Pour offrir une chance à mon frère de ne pas se faire condamné à cause d'un nom de famille qu'il n'a même pas choisi. C'était maladroit, dégueulasse, mais j'ai protégé et je ne m'en excuserai pas. J'ai passé l'âge de croire qu'on peut aimer sans se salir les mains.

Tu relèves la tête, comme pour le défier, comme pour te protéger sous dix couches de fierté.

— Et toi ? Du haut de tes trente ans, t'as passé l'âge de croire que tout finit bien ?

Quant à comment tu te sens, étrangement, tu ne réponds pas.

Tu le toises, fière, parce que c'est comme ça que tu te protèges, ce sont les boucliers que tu dresses. Fierté, Dorothy. Fierté et assurance. Deux armes pour mettre à mal le monde. Deux armes pour repousser toutes les attaques, tout ceux qui veulent t'atteindre. Face à sa réplique, tu ouvres la bouche, prêtes à répondre, prêtes à te faire incisive. Mais il poursuit, Hisao et te cloue le bec par la même occasion.

Je ne t’ai pas jugé aucunement au contraire, j’écoute ta version des faits sans me prononcer.

Il a raison. Et tu te sens bête, d'un coup, Do. Piquée dans ta fierté. Piquée dans ta bêtise aussi. Tu te rends compte, que la gamine qui se prenait trop au sérieux n'avait pas disparue. Que la différence entre être adulte et jouer à l'adulte existait encore. Tu détournes le regard. C'était maladroit.

— ... Tu as raison. C'était impoli de te rentrer dedans comme ça. Pardon, je le sujet me mets un peu à cran.

Tu reviens vers lui. Un nouveau souffle, voilà comment il la qualifie. Elle ne l'avait pas été pour toi. Tu te demandes si elle l'aurait pu l'être. Tu l'avais imaginée tellement égoïste, tellement aveugle à vos souffrances, que ça te surprend, plus que ça ne te rend jalouse, qu'elle ai pu être le tremplin, l'air de quelqu'un.

Tu te tasses un peu plus sur ton siège, l'air renfrogné. La vérité, c'est qu'il y avait beaucoup de choses que tu ignorais. On pense connaître ses proches jusqu'à ce qu'on se confronte à l'inconnu. Hisao à l'air de connaître une Daisy Martin qui t'était inconnue. Toi, les souvenirs que tu peux avoir d'elle c'est la peur, l'incompréhension, le gant de fer parce que face au fossé on se protège en étant plus ferme, plus intraitable. Vous avez toutes deux été intraitables. Peut-être pour ne pas voir que la déchirure entre vous faisait trop mal.

— Les choses ont commencé à vraiment se dégrader après les arrestations. Mais même avant ça, elle a commencé à avoir peur après la première attaque du Crow. Elle voulait que je quitte Poudlard, elle ne voulait pas que je m'engage ou que je prenne ouvertement parti. Je ne sais pas si elle aimait les idées du Crow ou si elle a juste fait le mauvais pari. Peut-être qu'elle s'est laissée influencée par grand-mère ou d'autres.

Mais est-ce que ça de l'importance, maintenant ?

— J'ai essayé de comprendre, mais elle ne s'est jamais expliquée. Plus je la confrontais, plus elle se fermait. Tant et si bien qu'on ait fini par devenir étrangères.

Tu viens boire une gorgée de thé, faire passer les images des disputes, les souvenirs de toutes ces fois où tu essayais de la bousculer, désespérée. Tu relèves la tête, braque ton regard sur lui. Tu ne le prends pas de haut cette fois, tu ne le méprises pas. Mais ta voix, quand tu parles ne tremble pas, ne souffre d'aucune trace d'hésitation.

— J'allais la perdre de toutes les façons. Elle a ouvertement collaboré, elle s'est servi de son influence pour le soutenir. La question était est-ce qu'on allait plonger avec elle ou non. J'ai choisi de ne pas plonger. Il fallait que je parle. Pour mon frère, pour mon père. Tu sais ce qu'on dit : qui ne dit mot consent ?

Tu secoues la tête. Non, ce n'était pas ça. Elle avait été absente, certes. Elle avait des choix. Le choix de sa passion plutôt que le choix de la famille et tu l'avais sincèrement admiré pour ça. Tu trouvais le geste d'autant plus fort qu'elle était jeune, qu'elle était mère, qu'elle était marié et qu'on avait beau criés au progressisme, on l'avait sévèrement jugé pour ça. Mais tu avais été jalouse aussi. Jalouse de voir que c'est la naissance de Tommy qui l'avait fait changer d'avis, rentrer dans le moule. Jalouse qu'il profite d'une mère que tu passais plus de temps à voir à la télé qu'à la maison. Mais qu'importe, aujourd'hui, puisqu'elle est à Azkaban. Qu'importe, puisque quand elle en sortira elle ne remontera plus sur un balai, ne jouera plus jamais. Tu ne veux même pas penser au jour où elle reviendra à une vie civile, normale. La partie lâche de toi voudrait qu'elle reste derrière les barreaux le reste de sa vie durant pour ne pas avoir à assumer tout ce que tu as pu lui prendre. Tu baisses les yeux, penses à Tommy quand il l'évoque. Est-ce qu'il t'en voudra, lui aussi, quand il sera plus grand ?

— Un petit frère. Nous avons 15 ans d'écart. Il a peine 5 ans.

Et il a peut-être raison, Hisao. Peut-être que tu devrais laisser graver dans ta mémoire l'image de cette femme resplendissante dont tu découpais les images animées dans le journal. Peut-être que tu devrais te souvenir d'elle avec son sourire fier plaqué aux lèvres. Tu devrais. Tu ne peux pas. La seule image qui tourne quand tu penses à elle, c'est la douleur quand le marteau à sonné sa condamnation.

— J'essaierai.

Mensonge. Mais peu importe. De toute façon, la conversation est finie et tu n'as pas envie de t'étendre sur le sujet. Mais il persiste. Et même, il te surprend. Tu relèves la tête, le regardes sans comprendre.

— Je... C'est moi qui l'ai envoyé en prison.

Tu dis ce qu'il sait déjà, mais là t'es bien sûre de le suivre.

— J'ai envoyé ta bienfaitrice en prison et tu veux m'aider ?

T'as du mal à comprendre.

— C'est... Inattendu.

Une simple histoire de dette à payer. Ça te dépasse un peu. Ta mère, c'était ta mère et tu ne comprends pas tellement pourquoi il se sent obligé de lui rendre des comptes en étant sympa. Mais tu ne va pas t'en plaindre, t'as déjà suffisamment d'ennemis autour de toi pour ne pas en rajouter un nouveau. Mieux vaut entretenir de bonnes relations avec les autres joueurs. Ceci étant dit...

— Je sais pas si c'est ce qu'elle voudrait. On ne le sera probablement que quand elle sortira.

Dans plusieurs années, si tant est qu'on ne vient pas en rajouter une couche puisque le monde se remet encore doucement de The crow. Et dans le fond, t'as pas envie de savoir. Tu repousses doucement l'échéance, tu repousses doucement le moment où tu devrais réfléchir très sérieusement à ce que tu feras une fois ta mère libérée.

Tu finis ta boisson. Tu ne vois toujours pas le but de tout ceci. Tu relèves les yeux vers lui.

— C'est quoi exactement "tes services" ?

Une demande, un conseil, une envie de discuter. Ouais, c'est large Dorothy. Ceci dit, il ne ment pas. Tu n'as pas besoin de peser longtemps le pour et le contre. Sa proposition n'a que des avantages et elle ne t'engage à rien. Si ça peut lui faire plaisir et se donner bonne conscience, pourquoi pas.

— Bien évidemment, si je dois t'écraser sur le terrain, ce sera sans triche.

Tu te redresses, braques ton regard un moment sur lui avant de soupirer.

— Très bien. Je me souviendrai de ce service quand j'en aurai besoin.

Tu te lèves, viens prendre ton thé avec toi. Il pleut encore dehors, mais qu'importe.

— Je vais y aller, j'ai une journée chargé.

Tu finis ton thé d'une traite avant d'aller jeter le gobelet dans la poubelle la plus proche. Un dernier regard vers lui avant d'ouvrir la porte.

— À plus.