Tu as reçu une proposition il y a quelques jours ; une proposition qui avait tout d’un ordre, une proposition que tu ne pouvais pas refuser.
Lorsque tu as ouvert la lettre qui la contenait, tu as cru à une mauvaise blague.
Ça n’en était pas une.

Alors tu as donné l’adresse de cet entrepôt ; donné un rendez-vous. Dire que tu as été convoquée (dans ton domaine) à un rendez-vous serait d’ailleurs plus juste.
Un de tes employés de “confiance” veille à l’entrée, tu t’affaires dans ton bureau, tentant de ne pas paraître comme un chien qui vient saluer son maître, tentant d’imposer un peu de toi dans ce rapport de force qui tourne déjà en ta défaveur.
Mais tu ne pouvais refuser, alors tu es là.

Le sortilège de détection autour de l’entrepôt vibre ; t’avertissant de l’arrivée de deux personnes. Tu entends des voix à l’entrée, ton employé qui redirige, les pas se rapprocher. Tu demeures assise à ton bureau, belle pièce de bois qui détonne au milieu de la rouille et des briques sales de l’entrepot, jusqu’à ce qu’ils poussent la porte, laissant entrer Fallen Cavendish accompagnée d’un homme immense que tu jauges du regard. Vraissemblablement un garde du corps. Tes yeux s’attardent un instant sur l’apparence de Fallen tandis que tu sors de ton bureau à leur rencontre. Ta chaise plisse l’épais tapis qui recouvre tout le sol et tu tends ta main.
— Madame Cavendish, salues-tu formellement, un signe de tête à l’homme inconnu qui l’accompagne.

D’un geste, tu désignes les deux sièges que tu avais par chance à disposition, invitant tes interlocuteurs à s’asseoir et bien trop curieuse de savoir ce qu’une Cavendish peut te vouloir ; surtout une directrice de département du Ministère (ta haine contre l’institution est soigneusement rangée au placard pour aujourd’hui).

Plus de doutes à présent sur le rôle de son accompagnateur. Un garde du corps qui sonde la pièce ; ne laisse aucune marque de crispation t’envahir. Tu n’es pas assez stupide pour conserver quoique ce soit de dangereux dans le bureau où tu mènes de nombreuses négociations.

Elle te remercie probablement aussi chaudement que sa peau est froide ; elle fait figure d’une reine dans un trou à rats (ton trou à rats). Inclut l’homme qui l’accompagne sans y attirer l’attention ; ce que tous ne feraient pas.
Alors à la salutation tu réponds d'un bref signe de tête, désireuse de ne pas interrompre longtemps :
- C'est tout à fait naturel.

Elle va droit au but ; ce que tu loues habituellement. Mais pour autant, tu ne peux pas t’empêcher de te tendre, à peine, tout en t’exhortant à ne rien montrer. Tu es connue pour la contrebande ; elle est haut placée au Ministère et présente l’information d’entrée de jeu. Tes opérations clandestines sont loin d’être secrètes ; l’entendre dans la bouche d’une personne telle que celle qui te fait face est tout de même surprenant.
Même si tu connais son demi-frère après tout ; s’ils sont en termes corrects peut-être lui a-t-il parlé de toi ; s’ils sont en bons termes peut-être est-ce lui qui l’a dirigée jusqu’ici.

Comprendre attendra Erin, l’heure tourne. L’heure tourne et ton occasion est maintenant. Pas dans quelques minutes ou quelques heures, non, en cet instant.
Alors les considérations attendront.

Rictus s’étire sur tes lèvres au fur à mesure que le portrait qu’elle peint s’éclaire et prend corps ; les gens sont pleins de surprises et tu n’en doutes pas.

Elle t’appâte ; elle t’appâte et ça marche. Tes difficultés, comme elle les mentionne. Serre les dents, Erin. Ne laisse rien voir.
Tu es endettée, ça n’est pas un plus gros secret que tes opérations de contrebande, même si tu tentes malgré tout de dissiper sa propagation. Quand bien même cet effort équivaut à remplir d’eau un tonneau percé.
Tu t’accroches, les espoirs morts et desséchés te font les yeux doux ; les espoirs enterrés et éteints ont ta préférence ; ceux sont toujours sur eux que tu jettes ton dévolu, sur ces causes perdues dont personne ne peut sortir victorieux.
Assoiffée de victoire pourtant tu te laisses emporter par ces défaites irrémédiables.

Un cheveu de banshee. Un de ses cheveux, de ces cheveux qui autrefois étaient ordinaires et qui ne le sont plus à présent.
Elle te tient encore plus que ce que tu aurais pu penser et tu mettrais ta main à couper qu’elle le sait parfaitement.

— Avez-vous d’autres considérations techniques ?
Dire oui sans l’affirmer, comme une tentative de protéger ta fierté déjà lacérée. Futile mais parfois les choses futiles sont les premières auxquelles nous pensons ; parfois les choses futiles sont les dernières choses qui restent en place lorsque tout s’effondre.

Professionnelle et donc froide, professionnelle et neutre ; les piques déplaisent mais réagir n’aidera pas l’argent à rentrer ; te voici donc condamnée à faire amende honorable et bonne figure, comme le gentil chien court après son os, langue pendante, bajoues baveuses, pour obtenir les faveurs du maître.