Certains se trouvent des raisons, d’autres des excuses. Pas toi. Toutes les façons de tuer sont innées, ancrées dans tes gênes, si bien que l’apprentissage de ton père aura presque été redondant. Rapide et indolore, lent et cruel ; tu sais faire les deux et plus encore.

Si prendre une vie est un besoin, une habitude, tu joins aussi l’utile à l’agréable. Cette fois, tu as besoin d’argent. Plutôt que de te servir dans une banque, comme tout le monde, tu fais ça à ta façon. Les jumelles collées contre tes yeux, tu observes, usant du toit sur lequel tu te tiens comme l’aigle son perchoir.

Tu as attendu la tombée de la nuit observant les va et viens des trafiquants ; attendant la bonne occasion. C’est maintenant que tu décides à agir. Tu en as compté cinq ; un qui monte la garde devant le petit entrepôt, quatre à l’intérieur.

Tu vérifies ton holster à la cuisse, sors le glock, comptes les balles en exposant le chargeur et vérifies qu’il y en a bien une dans la chambre. Au tour du couteau à ton autre jambe d’être inspecté. Tu n’utiliseras pas ta baguette alors tu veux être certaine d’être parfaitement préparée. Comme une militaire le ferait.

Il y a aussi des choses que tu as apprises par toi-même. Comme te faufiler pour surprendre une cible isolée ; où planter le couteau pour qu’une vie s’expire en quelques secondes. Prompte et mortellement efficace ; une précision militaire. Personne ne se doutera qu’une sorcière est derrière ça, encore moins une dhampire.

Tu rentres dans l’entrepôt discrètement, attrapes l’un des quatre trafiquants, tranchant la gorge d’un geste vif, sans fioritures. Néanmoins tu le laisses tomber avec fracas, afin d’attirer les regards des trois autres.

Tu marches vers eux, d’un calme effarant. Pris de peur, ils viennent saisir leurs armes et les pointer sur toi. Tu vois un fusil d’assaut et deux révolvers. Normalement tu aurais déjà été réduite en charpie. Mais les trois hommes remarquent ce que tu tiens dans la main… et la distance à laquelle vous êtes tous les quatre.

─ Vous savez comment un tireur rate à cinq mètres ? Tu dégoupilles la grenade, gardes une main ferme sur le levier, le sourire mauvais aux lèvres. Cortisol. Ça envahit le corps en cas de stress. Regardez. Ils voient la main qui tient l’explosif trembler, de peur ou d’excitation… toi seul le sais. Un peu de tremblement, couplé à la distance et… on rate !

Tu la jettes à leur pied, mais elle ne détonne pas. C’est trop tard pour eux, tu as déjà dégainé, déjà tiré deux balles qui viennent se loger dans deux têtes. La troisième vient pénétrer un genou, la quatrième dans le poignet. L’arme du dernier tireur glisse de sa main et tu en profites pour te ruer sur lui.

Ton pied balaye sa jambe, il tombe à terre. Tu vises le front et tires une dernière fois. Quatre cadavres, pas une once de magie… à moins d’un improbable retournement de situation, personne ne saura que tu es derrière tout ça.

Les yeux rivés sur le sac, tu l’ouvres et observes les billets avec un sourire. Une préparation à la hauteur de l’assaut : chirurgical.

─ Vamos a la casa.

C’est subitement que tous tes sens s’agitent ; que tu captes quelque chose. Un bruit ? Une odeur ? Peu importe, tu dégaines ton arme et la pointes là où une présence semble s’être révélée ; sciemment ou par mégarde, ça n’a aucune importance. Un tir de sommation plus tard et tu lèves la voix.

─ La prochaine ira se loger entre tes deux yeux. Je ne rate jamais ma cible.

Un peu présomptueuse.

─ Montre-toi. Viens jouer avec moi.

Attention à ce que tu souhaites.

Chez ceux de ton espèce, les affamés sont les plus dangereux ; une spécificité qu’on retrouve souvent chez les bêtes sanglantes. Les années passées avec ton père ont été bénéfiques pour beaucoup de raison, notamment l’expérience acquise. Dix ans de carnage.

Lui préférait opérer dans les zones de guerres, plus facile de faire des victimes là où moldus et sorcier s’attendent à en voir. Un mort de plus ou de moins ne se remarque pas si facilement quand tombent des milliers d’autres. C’est là que tu as aussi appris à te débrouiller sans la magie, pour brouiller les pistes.

Enfin, il y a les effets de la faim, comment les contrôler, les utiliser à ton avantage. Des capacités sensorielles et physiques supérieures aux humains lambda sont parfois l’élément décisif entre la vie et la mort.

L’exemple le plus probant s’est produit à l’instant, alors que la flèche décochée dans une fumée opaque serait mortelle pour beaucoup… pour toi ce n’est pas loin d’être une formalité. Si bien que tu te demandes si le chasseur n’a pas fait exprès, un tir de sommation, comme toi.

Ça se confirmerait presque par le fait qu’il te parle au lieu de reprendre les assauts. Tu te retrouves dubitative pendant que tu le détailles la flèche tirée dans ta main, reniflant la pointe ; du poison. L’odeur ne trompe pas.

Ce n’est pas une attaque hasardeuse, c’est une embuscade. Qu’espère-t-il accomplir tout seul… tu te le demandes.

─ Eh, blondinet, ça fait trente ans que les tiens essayent de me tuer, ne t’en veux pas d’échouer.

Un soupir, tu brises la flèche et la laisses tomber au sol. Et maintenant quoi ? Tu lèves le bras, pointes le glock vers lui, mais ne tires pas. Plongée en pleine réflexion. D’un regard pour le jauger, tu sais que l’homme est talentueux. Peut-être un peu trop confiant pour son bien.

À ta ceinture, tu as encore deux grenades : flash et fumigène, la fausse explosive n’ayant été utilisé que pour le spectacle. Tu fais confiance à ton corps, tes sens et ton instinct pour prendre le dessus ; lui peut utiliser la magie, toi non. En user serait une erreur monumentale et laisserait des traces que d’autres que lui pourraient utiliser pour te traquer.

En d’autres termes, il faut faire ça à la moldue. Et t’en rigole, sautillant d’excitation sur place, le sourire carnassier aux lèvres, les canines acérées comme celles de ton père.

─ C’est pas du jeu ! Si moi je te tue, j’aurais probablement tous tes petits copains aux trousses ! Alors que si toi tu me tues, personne ne viendra me venger. La moue boudeuse, pas l’ombre d’une inquiétude sur un facies aux traits déformés par le plaisir d’avoir un adversaire à ta taille. Je vais te laisser en vie, blondinet. Pour le moment en tout cas.

Pourtant tu n’attaques pas, les yeux rivés sur lui, tu sors la grenade flash d’un geste nonchalant, préparée à esquiver le moindre assaut. La goupille ôtée, tu jettes violemment la grenade au sol et profites de l’explosion de lumière pour lui fausser compagnie.

Le jeu de piste commence, tu ris aux éclats pendant que la lumière se dissipe. Toi tu es déjà cachée, le glock rangé dans le holster, le couteau dans la main.

─ C’est toi le chat !

Le blondinet est calme, froid comme un glaçon. Il ne se précipite pas, se montre patient, sûr de sa force. Il ne t’a pas fallu longtemps pour constater que c’est un traqueur talentueux ; nul doute qu’il te réserve des surprises que tu as hâte de voir.


L’homme atteste de ta condition comme d’une tare, tu la vois plutôt comme un cadeau. Tu n’as jamais regretté d’être ce que tu es… pas plus que tu n’es surprise d’être haïe, d’être chassée comme une bête. Tu n’attends rien de moins chez les humains ; tu connais cette moitié de toi aussi bien que tu l’exècres.

Mais eux, tu as beau les moquer, les critiquer ; au fond tu ne les détestes pas. Du moment qu’ils sont comestibles, le reste n’a pas d’importance. Mais l’homme se trompe, ce n’est pas l’acuité de tes sens qui t’imbibe d’arrogance. C’est le fait d’avoir survécu pendant toutes ces années. Même après toutes les atrocités vécues, tu es là, debout, fière et déterminée.

Et même après lui avoir fausser compagnie, tu tentes le diable en fredonnant suffisamment fort pour te faire entendre :

─ Le petit blondinet, se balade avec sa baguette et son arbalète, il veut ma tête, il veut ma tête.

Et tu ris de bon cœur, même si ça trahit ta position. Mauvaise idée. L’homme est venu plus préparé que tu le l’as anticipé. En atteste ton corps qui d’un coup s’ankylose. Il ne te reste que quelques secondes avant la paralysie alors tu prépares ton prochain coup. C’est sans compter sur ton naturel joueur, qui dévoile ta position alors que tu ricanes de nouveau :

─ Tu viens me faire un câlin mon chou ?

Même aculée et apeurée, tu t’amuses, tu profites. La folie ancrée, gravée dans ton esprit jusqu’à ton dernier souffle. Patiente, tu attends, tu es encore consciente, encore vivante, à la moindre occasion, tu lui rendras la pareille. Le sourire ne quitte pas tes lèvres, le rouge ne quitte pas tes joues. L’excitation ne quitte pas ton corps, encore moins ton cerveau.

Tu aimes ces moments, plus que tout au monde.

Prise au piège. Du moins c’est ce que le traqueur pense. Persuadé qu’il tient sa proie, tellement qu’une fois les effets de sa substance actifs, il se dirige vers toi sans la moindre hésitation. Le rôle du prédateur s’inverse alors pour quelques minutes. Toi plutôt que le craindre, tu t’en amuses.

Tu t’en réjouis même. Habituée à ces situations, accueillant la moindre émotion, l’agrippant, car tu ne veux pas la voir s’en aller. Le blondinet intime le silence et pour le moment tu joues le jeu. Tu sais à quoi t’attendre, comment les prochains instants vont se dérouler, tu as déjà vécu ça des dizaines et des dizaines de fois.

Les coups t’arrachent des ricanements plutôt que des gémissements ; plus il s’acharne et plus tu en ris. Tu n’hésites pas d’ailleurs à lui faire remarquer :

─ Tu frappes comme une petite fille, blondinet.

Immobile, mais pas impuissante ; tu n’as jamais eu le comportement d’une victime, même rouée de coups tu n’abdiques pas. La douleur est pourtant bien là, le corps se fragilise petit à petit ; mais il n’est pas rompu. Pas encore.

Et même une fois la lame sous la gorge, tu n’as de réponses qu’un rire alors que l’homme cherche à te dominer par tous les moyens possibles. Tu lui fais comprendre qu’il n’aura pas ce qu’il désire, même si ça veut dire qu’il devra t’achever :

─ Si je te supplie de fermer ta gueule, tu le feras ? Le gloussement moqueur, tu reprends : pitié mon chou… frappe-moi plus fort.

Tu veux ressentir, encore, plus fort. Plus la douleur est intense et plus tu te sens vivre. D’autant que tu arrives enfin à bouger le bout de tes doigts, encore quelques instants et tu seras libre.

─ Frappe-moi.

Subir les coups… puis les rendre. Tu n’attends que ça.

Tu te surprends à quel point c’est facile. Avec quelle facilité il se désintéresse de te saigner comme un animal ; plus encore qu’il cède à ton caprice. Il voit rouge, son rire retentit dans ta tête comme les cloches d’une église, rira bien qui rira le dernier tu te dis. Tu peux bouger tes extrémités.

L’homme a raison, tu aimes cette douleur. La vérité c’est qu’elle t’est si familière que tu l’aimes comme un membre de ta famille. Auparavant la souffrance infligée était insoutenable. Les sévices sans interruption, les tortionnaires sans pitié.

Tu es déjà plongée dans les enfers, Nina. La mort ne serait qu’une délivrance. Le monde est en feu, tu l’as toujours vu comme ça. Et naturellement, quand on voit ainsi, on a qu’une envie : se venger.

Ton corps répond enfin, au meilleur des moments, le chasseur s’est lassé. Il suffit ?

─ Nah… on ne fait que commencer.

Le bras est à distance, ça suffit. Un violent coup dans le poignet pour lui faire lâcher son arme. Tu te redresses d’un bond heurtant le sommet de ton crâne contre son menton. Ton élan le fait vaciller, l’équilibre se chamboule et tu en profites pour le mettre au sol. Un coup dans le plexus solaire pour couper sa respiration, puis deux autres dans le foie.

Contrairement à lui plus tôt, tu es méthodique ; d’une précision militaire. Le déficit d’expérience, il le subit de plein fouet passé l’effet de surprise. Une fois qu’il est à terre, dos au sol, tu le surplombes, ton genou fait pression sur son ventre, tu viens saisir ses poignets de tes deux mains afin de l’empêcher de bouger. Et maintenant quoi ?

─ Tu as raison. J’aime ça. Mais toi… tu frappes vraiment comme un vieillard sous sédatif. Tu veux que je te montre comment on fait ?

L’un était à la merci de l’autre. Les rôles s’inversent.
Et le chasseur se demande certainement ce qui va se passer.
Surprise, surprise.